En vendant ses activités logistiques et de transport en Afrique, Bolloré a touché le jackpot. Un “empire françafricain” qu’il cède à l’Italo-Suisse MSC. À quand la souveraineté portuaire sur les rives du continent ?
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00:00 - Bolloré quitte l'Afrique.
00:01 - Vraiment ?
00:02 - Le groupe part avec un magot de 5,7 milliards d'euros.
00:04 - Ah quand même !
00:05 - Une page se tourne pour le groupe,
00:07 mais aussi pour toute la France-Afrique.
00:09 - Pas si sûr.
00:10 Ce communiqué qui tient sur deux paragraphes
00:12 aurait pu passer inaperçu s'il n'était pas celui du Français Bolloré.
00:15 Leader du transport et de la logistique en Afrique,
00:17 il était présent dans 42 ports africains,
00:19 géré les démarches administratives et douanières dans 47 pays du continent,
00:23 en amont et en aval du transport, à l'import comme à l'export.
00:26 Bolloré détenait littéralement les clés des portes d'entrée et de sortie
00:29 de la côte ouest jusqu'au centre de l'Afrique.
00:30 - C'est le capitalisme de connivence.
00:32 C'est-à-dire qu'on arrive à avoir des affaires qui prospèrent
00:36 en raison des liens étroits qu'on a avec les gouvernants,
00:40 les représentants des gouvernements.
00:42 - Comment a-t-il pu bâtir un tel empire
00:44 et avoir le contrôle de ce secteur stratégique dans autant de pays ?
00:47 - Bolloré a subvisé un maillage autour de l'Afrique.
00:51 On a pu constater pendant des années que Bolloré était le bras droit
00:55 de ce qu'on a appelé le système de la France-Afrique.
00:57 Dans cette vidéo, je vais d'abord vous raconter comment il est arrivé en Afrique
01:00 et s'est enrichi.
01:01 Ensuite, je vais vous montrer comment il a mené l'Afrique en bateau
01:04 pendant plus de trois décennies.
01:05 Et enfin, je vais vous expliquer pourquoi il s'en va
01:08 alors que son business se portait bien.
01:09 Pour commencer, Bolloré ne quitte pas l'Afrique.
01:16 Il quitte uniquement ses ports, ses routes et ses chemins de fer.
01:19 Et ça, ce n'est que quelques maillons d'une longue chaîne
01:21 contrôlée par l'industriel français.
01:22 À l'origine de son empire, un business bien roulé,
01:25 celui de la papeterie familiale fondée en 1822 en France,
01:28 et qui a fait sa fortune en vendant des feuilles à rouler au c.b.
01:31 et du papier bible.
01:32 Au milieu des années 80, il vend ses usines à papier
01:34 et se lance dans le tabac en Afrique.
01:36 Il va alors appliquer une tactique d'expansion implacable
01:39 que le chercheur Olivier Blamangin décrit comme une sorte de blitzkrieg
01:42 appliqué au monde des affaires.
01:43 La méthode est immuable.
01:44 Multiplier les prises de contrôle, amicales ou guerrières,
01:47 couper les branches qui ne l'intéressent pas
01:48 pour récupérer le cash nécessaire à la prochaine acquisition
01:51 et finalement, conquérir une position dominante en un temps record.
01:55 En 2000, on le surnomme le roi de la cigarette en Afrique.
01:58 À la fois producteur de tabac, fabricant sous ses propres couleurs
02:01 et distributeur des plus grandes marques internationales.
02:04 Parallèlement, il utilise les bénéfices engrangés
02:06 pour investir dans l'exploitation du bois.
02:08 Le bois qui gâche la forêt.
02:10 Il se lance ensuite dans la production de cacao, de coton, de café,
02:13 de caoutchouc, de bananes, la liste est longue.
02:16 Or, pour exporter ses produits, il lui faut les transporter.
02:18 En 1986, il prend le contrôle de la SCAC,
02:21 un holding spécialisé dans le transport maritime,
02:24 la logistique et la distribution de produits pétroliers.
02:26 Il lui faudra moins de 10 ans
02:27 pour asseoir un gigantesque empire au sud du Sahara.
02:30 Et là, vous devez vous demander, mais comment il fait ça ?
02:33 Le pacte de corruption.
02:35 Eh bien, pour l'association Survie,
02:36 Vincent Bolleret a profité de passe-droit
02:38 de ce que le chercheur Olivier Blamangean qualifie
02:40 de "France-Afrique entrepreneurial".
02:42 - La France-Afrique est un système mélange de diplomatie parallèle,
02:47 mélange de crime économique, mélange d'influence politique,
02:52 mélange de coûts d'État instrumentalisés
02:55 pour le contrôle de la gestion des ressources symboliques et politiques
03:00 dans des États africains tout au long des années
03:02 qui ont suivi les indépendances.
03:04 - En 2008, le directeur général du groupe Bolleret
03:06 l'expliquera mieux dans les colonnes de Libération.
03:21 Entre Bolleret et certains dirigeants africains,
03:23 le pacte était simple.
03:24 Tu me donnes les ports, je te fais président.
03:26 Selon une enquête de TRACFIN,
03:27 la cellule de renseignement du ministère de l'Économie et des Finances français,
03:31 Bolleret aurait fourni une prestation de conseil politique sous-évaluée
03:34 au président candidat Faounia Simbe
03:36 lors de la campagne présidentielle de 2010 au Togo.
03:39 En contrepartie, le président togolais aurait accordé au groupe Bolleret
03:42 l'allongement de la durée de concession pour le port de Lemay
03:45 et des avantages fiscaux, entre autres.
03:47 Bolleret a également été mis en examen pour corruption en Guinée
03:50 pour des faits similaires.
03:51 Selon le chercheur Maurice Simodjom,
03:53 cette relation trouble remonte à la période postcoloniale.
03:56 Au lendemain d'un processus d'indépendance
03:59 qui n'était pas clair et qui n'était pas total,
04:02 qui avait été négocié et accordé pour la plupart des cas
04:07 à des personnes qui avaient combattu le nationalisme et les nationalistes
04:11 et qui s'étaient installées à la dette de ces États
04:14 par la force de cette collusion avec l'ancien colonisateur,
04:18 c'est dans ces conditions que le groupe Bolleret a prospéré.
04:21 Il va progressivement mettre la main sur la concession
04:24 des terminaux d'Abidjan en Côte d'Ivoire,
04:26 de Douala au Cameroun, de Wendo et de Port Gentil au Gabon,
04:29 de Pointe-Noire au Congo, de Lemay au Togo,
04:32 de Cotonou au Bénin, de Conakry en Guinée.
04:34 Il va même jusque dans les pays anglophones,
04:36 à Tema au Ghana, à Lagos au Nigeria, à Freetown en Sierra Leone.
04:40 En tout, une présence dans 42 ports
04:42 et une exploitation de 16 terminaux à conteneur.
04:44 L'ascension est fulgurante,
04:45 mais selon l'économiste Béringèque Leglot,
04:47 c'est parce qu'elle s'opère en terrain conquis.
04:49 - Le groupe Bolleret ne s'est pas développé
04:52 dans un contexte de concurrence extrême
04:55 où il a gagné des marchés
04:56 parce qu'il offre forcément le meilleur service
04:59 parmi tous les prestataires en jeu ou en liris,
05:01 mais c'est plutôt par un mécanisme de capitalisme,
05:04 de connivence en raison des relations étroites
05:07 avec les divisions de gouvernement.
05:08 - Pour transporter les marchandises des lieux de production
05:10 aux ports d'exportation,
05:11 il faut mettre la main sur un chêneau manquant,
05:13 les chemins de fer.
05:14 En 1995, les affaires vont donc bon train.
05:17 Et Vincent Bolleret enclenche sa fameuse tactique
05:19 qu'il appelle lui-même la méthode commando.
05:22 Il remporte d'abord la concession de la Citaray,
05:24 qui relie la Côte d'Ivoire au Burkina Faso.
05:26 Il rachète ensuite Camrai, les chemins de fer camerounais,
05:28 puis Beni Ray, les chemins de fer béninois.
05:30 Comme le montre cette carte, en moins de 40 ans,
05:33 l'entreprise française réussit à créer
05:34 le plus vaste réseau intégré de logistique du continent.
05:37 S'y ajoute le transport en barge sous le fleuve Congo
05:39 et la rivière Oubangui,
05:41 plus une vingtaine de ports secs,
05:42 c'est-à-dire des entrepôts clos et sécurisés,
05:45 qui forment un maillage sans équivalent
05:47 de Bamako à Mombasa,
05:48 en passant par le Niger, le Tchad, la Tanzanie ou le Malawi.
05:52 En d'autres termes, Bolleret contrôlait les activités portuaires
05:54 en plus des bateaux, du transport terrestre et du stockage.
05:58 Une véritable emprise sur le continent,
06:00 comme l'expliquait en 2006 au monde diplomatique un ancien du groupe.
06:03 L'Afrique est comme une île reliée au monde par les mers.
06:06 Donc qui tient les grues tient le continent.
06:08 Pour Maurice Simojam, les dirigeants africains
06:10 ont commis une grave erreur stratégique
06:12 en vendant leur souveraineté portuaire et logistique
06:14 à des multinationales étrangères.
06:16 À partir du moment où ces dirigeants ne conçoivent pas
06:19 la légitimité comme devant,
06:21 découler de leur capacité à défendre la souveraineté de leur pays,
06:26 il s'en suit que les partenariats qu'ils privilégient
06:30 avec des acteurs étrangers, avec des entités hétéronormes,
06:34 ont à leurs yeux plus d'importance
06:36 que la nécessité de faire surgir des capitaines d'industrie locaux,
06:40 aptes, compétents au niveau technique de pouvoir construire
06:44 ou alors gérer des infrastructures garantant de la souveraineté portuaire
06:48 et donc de la souveraineté nationale.
06:51 Seuls quelques pays africains font exception
06:53 et sans surprise, ce sont ceux qui s'en sortent mieux économiquement.
06:56 Regardez cette carte des exploitants de terminaux à conteneurs
06:59 et rouliers en Afrique.
07:00 En bleu ciel, les champions locaux,
07:02 c'est-à-dire les exploitants à capitaux locaux.
07:04 Toutes les autres couleurs, ce sont des exploitants étrangers.
07:07 Si on prend l'exemple de l'Afrique du Sud,
07:09 on voit bien que ce sont des exploitants locaux qui gèrent les terminaux,
07:12 que ce soit au port du Cap, à Quebera ou à Durban.
07:16 En Angola, au Ghana et au Nigeria, il y a certes des exploitants étrangers,
07:20 mais que ce soit au port de Lubito, Luanda ou Lagos,
07:23 on retrouve également des champions locaux.
07:25 Pareil pour les pays d'Afrique du Nord,
07:27 de Casablanca à Port Said, en passant par Tangier ou Alexandrie.
07:31 Mais regardez les pays de la côte ouest africaine et du centre.
07:34 Dakar, Bolloré, Conakry, Bolloré, Freetown, Bolloré,
07:38 Abidjan, Bolloré, Kribi, Bolloré, Libreville, Bolloré,
07:42 Porgenti, Bolloré, Pointe-Noire, Bolloré.
07:44 Quand ce ne sont pas les Français Bolloré et CMA,
07:47 c'est le Danois Maesc, le Chinois CMP ou encore le Philippin ICT.
07:51 Où sont les champions locaux ?
07:52 Il faut aller vers une politique de construction des champions locaux
07:56 et ça, c'est une réponse politique.
07:58 Et il faut mettre un écosystème, tout un environnement
08:00 pour permettre l'émergence des mastodontes locaux.
08:03 Être capitaine, ça ne se décrète pas.
08:05 C'est quelque chose qui s'apprend.
08:07 En vendant son réseau de transport et de logistique,
08:09 c'est le Français Bolloré qui touche le jackpot.
08:11 Et non pas les pays africains dans lesquels il a fait fortune.
08:14 Mais si ses activités en Afrique se portaient si bien,
08:16 pourquoi a-t-il décidé de les vendre ?
08:18 J'ai contacté le groupe Bolloré,
08:19 mais il n'a pas souhaité s'exprimer sur le sujet.
08:21 Cependant, l'on peut constater que le réseau africain de Bolloré
08:25 n'est plus vraiment ce qu'il était.
08:26 Au fil des années, l'entrepreneur français ne s'est pas fait que des amis.
08:29 Ses méthodes ont irrité une partie des dirigeants et d'opinions publiques.
08:33 - Le succès est en partie imputable pour la relation.
08:35 Et cette relation, elle a été entre le père Bolloré Vincent
08:39 et les différents dirigeants.
08:41 Aujourd'hui, vous voyez qu'il y a quand même un renouvellement
08:43 en quelque sorte de la classe politique
08:45 ou des dirigeants politiques sur le continent.
08:48 Prenez l'exemple du Burkina Faso, l'exemple du Mali, de la Guinée.
08:51 Est-ce que le successeur de M. Vincent Bolloré,
08:54 donc son fils Cyril Bolloré, a entretenu, maintenu ces relations ?
08:58 Je n'en sais rien, mais ça peut être une hypothèse qui justifie le départ.
09:02 Par ailleurs, les affaires du groupe Bolloré commençaient à faire l'effret
09:04 de la perte d'influence française en Afrique.
09:06 - Raison pour laquelle il a profité de la situation post-Covid
09:10 où les coûts de transport maritimes étaient élevés
09:13 pour vendre à 5,7 milliards d'euros les activités qu'il avait en Afrique,
09:19 alors que ses activités avaient une valeur comprise entre 2 et 3 milliards d'euros.
09:24 - Bolloré pourrait utiliser cet argent pour consolider son empire médiatique en Afrique
09:28 via ses filiales Vivendi, Avas ou Editis.
09:31 Car le groupe conserve une grosse présence en Afrique, notamment avec Canal+,
09:34 premier opérateur de télévision payante en Afrique francophone
09:38 et actionnaire important de MultiChoice, le leader de la télévision payante en Afrique anglophone.
09:43 Bolloré reste également présent dans les plantations, le divertissement et les télécoms.
09:47 L'autre grand bénéficiaire, c'est le groupe italo-suisse MSC de la famille Aponte
09:52 qui aura désormais le contrôle de l'empire tentaculaire de Bolloré Africa Logistics.
09:56 La famille Aponte promet la continuité.
09:58 - Je ferai économie de diplomatie et de dire clairement qu'il y a une absence de vision.
10:04 Nous avons quand même un continent qui va, d'ici quelques années,
10:07 quand la Zécaf sera totalement effective, construire le plus grand marché du monde.
10:11 Et je me suis toujours posé la question de savoir la Zécaf profitera à qui ?
10:16 - Certainement pas à l'Afrique, si l'on en croit le fondateur du think tank 1+155
10:20 et auteur de la guerre économique.
10:22 Il suggère aux pays africains de se connecter davantage entre eux.
10:25 - Je pense que les efforts devraient être consentis beaucoup plus
10:29 en termes de construction des infrastructures ferroviaires interafricaines,
10:34 des infrastructures routières interafricaines,
10:37 pour permettre aux productions agricoles de quitter les zones de production
10:41 pour entrer dans les bassins d'écoulement, notamment les villes,
10:44 mais aussi de partir de certains pays à d'autres
10:47 et de revenir finalement sur la table du consommateur à un prix qui est abordable
10:52 et qui a la portée de sa bourse.
10:54 - Pour lui, en investissant plus dans les ports,
10:56 les pays africains se sentent extravertis en faisant du commerce extérieur
11:00 leur priorité économique.
11:01 - Quand vous regardez la structure de ces échanges qui sont effectués
11:04 par l'entremise de ces infrastructures portières,
11:07 vous vous rendez compte que ce sont des matières premières qui sortent et en retour.
11:11 Ce sont des produits semi-finis et généralement finis qui entrent sans valeur ajoutée.
11:17 - Et cela profite à long terme non pas aux Africains,
11:20 mais plutôt aux exploitants étrangers comme Bolloré et MSC
11:23 qui valorisent leurs activités portuaires et logistiques au gré du marché
11:27 et de leurs intérêts, les revendent et s'en vont.
11:30 Tout comme avec les Français Bolloré,
11:32 pensez-vous que les pays africains se laisseront mêner en bateau par les Italiens à Ponte ?
11:36 C'est via ces ports que les pays africains importent céréales, viande, sucre et vêtements.
11:41 Pourquoi l'Afrique continue d'importer ce qu'elle peut produire elle-même ?
11:44 Pour en savoir plus, cliquez là.
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