Le Soudan, terre de luttes intestines et épicentre de convoitises internationales, risque aujourd'hui l'effondrement. Le pays, traditionnellement aux mains des militaires, veut croire qu'une démocratie sera possible un jour.
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00:00 La paix est stratégique, essentielle.
00:14 Elle est l'enjeu principal sur lequel nous travaillerons tous ensemble.
00:20 C'était en 2008.
00:24 L'ancien dictateur du Soudan prônait la paix.
00:27 Depuis, Omar El-Bechir a été accusé de crime de guerre au Darfour.
00:30 Il a été destitué et les élections libres attendues par la population n'ont jamais eu lieu.
00:35 Et aujourd'hui, des centaines de milliers de Soudanais et les ressortissants étrangers
00:42 fuient le pays plongé en pleine guerre civile.
00:44 Le Soudan, ravagé depuis des semaines par une lutte fratricide,
00:47 c'est un nouvel épisode d'un drame sans cesse renouvelé.
00:50 L'histoire de ce pays qui pourtant a faim de démocratie.
00:53 Peut-il l'espérer malgré tout ?
00:54 Les violences se multiplient à travers le Soudan depuis le 15 avril.
01:02 En cause, la rivalité de deux anciens alliés soudanais.
01:05 Mais les enjeux dépassent de loin leur guérilla local.
01:08 On va d'abord évoquer la crise actuelle et voir qui sont ces protagonistes locaux
01:12 à travers l'histoire récente du Soudan.
01:14 Puis nous verrons quelle puissance locale et internationale influence le pays et le conflit.
01:19 Enfin, nous tenterons de trouver des raisons d'espérer, un jour, une paix durable
01:22 et peut-être une démocratie au Soudan.
01:25 Pour en parler, j'ai contacté Kon Ka Madhut, originaire du Soudan,
01:28 politologue spécialiste de l'Est de l'Afrique.
01:31 Marina Peter, directrice de l'association Forum Soudan.
01:34 Marc Lavergne, géopolitologue, directeur de recherche au CNRS.
01:38 Et Igor Delanoé, directeur adjoint de l'Observatoire Franco-Russe basé à Moscou
01:42 et expert en matière de politique russe, en Afrique notamment.
01:46 Tout d'abord, évoquons l'histoire récente du Soudan.
01:49 L'histoire récente du Soudan a commencé en décembre 2018,
01:57 quand à cause de la crise économique et financière du pays, le peuple s'est révolté.
02:03 Et ce soulèvement a amené la chute du régime militaro-islamiste
02:10 qui était en place depuis 30 ans, avec son dirigeant, le général Omar al-Bashir.
02:15 Donc une période, une sorte de printemps de khartoum est né en avril 2019.
02:22 Alors ces forces voulaient la démocratie et on a débouché sur un projet de réforme constitutionnelle,
02:29 une déclaration constitutionnelle qui a prévu un partage du pouvoir
02:33 dans une période de transition démocratique entre l'armée et les forces civiles.
02:41 Et l'armée avait l'arrière-pensée de reprendre le pouvoir,
02:46 c'est-à-dire de faire du Omar al-Bashir sans Omar al-Bashir.
02:50 Les Soudanais ont demandé avec force une démocratie au Soudan.
02:54 Elle n'a pas été instaurée.
02:57 Il y a bien eu un gouvernement avec Abdallah Hamdok,
03:00 mais seulement pour une courte période.
03:03 Et il était difficile pour Hamdok de se concilier avec les généraux.
03:06 Ils ont eu Hamdok, je veux dire, les généraux l'ont chassé par un coup d'État militaire
03:11 et ils sont revenus au pouvoir.
03:13 En octobre 2021, le général Al-Burhan a fait un coup d'État interne
03:20 pour éliminer les forces démocratiques.
03:23 Le général Abdel Fattah al-Burhan, le chef de l'armée, est donc du pays depuis cette période.
03:28 Il s'oppose aujourd'hui à Mohamed Hamdan Daglo, que tout le monde appelle Emeti, petit Mohamed.
03:32 Ce dernier est à la tête des FSR, les forces de soutien rapide,
03:36 des paramilitaires puissants qui réclament plus de pouvoir au sein de l'état-major officiel.
03:41 Ce sont deux généraux du Soudan qui se disputent actuellement le pouvoir.
03:49 Ils nient les droits de leurs citoyens et leur soif de démocratie.
03:55 La situation que connaît le Soudan aujourd'hui était en réalité prévisible depuis longtemps,
04:03 au moins depuis la révolution de 2019, lorsque les Soudanais ont manifesté pacifiquement
04:10 et que Al-Burhan et Emeti, les deux protagonistes de la crise actuelle,
04:15 ont ouvert le feu sur les manifestants.
04:20 Al-Burhan et Emeti s'opposent aujourd'hui,
04:22 mais ils sont intimement liés par leur histoire et par leurs intérêts communs.
04:28 Il ne faut pas oublier que Emeti et Al-Burhan sont tous deux de la même école.
04:32 Ils sont issus du mouvement islamiste et ils étaient très proches d'Al-Bashir à l'époque.
04:37 Ensemble, ils ont volé la révolution aux manifestants pacifiques,
04:41 parce qu'ils voulaient déjà gouverner seuls.
04:45 À cette époque déjà, beaucoup de Soudanais disaient « ne faites pas confiance à ces militaires,
04:50 ils ont des intérêts communs, dont le premier est de prendre le pouvoir politique,
04:55 mais à un moment donné, ça va exploser ».
04:59 La question n'était pas de savoir si ça exploserait, mais quand.
05:03 Et malheureusement, cela s'est produit.
05:08 Cette explosion, cette guerre civile touche désormais de plein fouet le Soudan
05:12 et remet une fois de plus son sort aux mains des militaires.
05:15 Mais le Soudan suit également l'influence des pays voisins et de puissances internationales.
05:24 Le Soudan est limitrophe avec sept autres pays africains,
05:26 dont le moins que l'on puisse dire, c'est qu'aucun ne fait figure de modèle démocratique.
05:30 Aucun d'eux n'a donc intérêt à pousser le peuple soudanais à reprendre le pouvoir.
05:35 Les pays voisins, c'est d'abord l'Egypte,
05:38 une société depuis toujours extrêmement régulée, extrêmement disciplinée,
05:44 et qui est habituée à la férule des militaires, si je puis dire.
05:47 Les Soudanais sont des petits frères, des petits frères turbulents,
05:52 des petits frères qu'il faut contrôler pour le "marechal" al-Sissi.
05:58 Le problème, c'est la démocratie, évidemment.
06:02 Il a mis un terme à la démocratisation de l'Egypte
06:07 et il est en ça tout à fait en phase avec l'Arabie saoudite ou les Émirats arabes unis,
06:13 qui tous ont une peur bleue de la démocratisation dans la région.
06:20 Il y a aussi la Libye avec le même problème,
06:24 il y a le Tchad qui n'est pas vraiment une démocratie non plus,
06:28 il y a la République centrafricaine, le Soudan du Sud,
06:32 qui a un système non démocratique et marqué par de nombreux conflits,
06:36 il y a l'Éthiopie qui vient de connaître une nouvelle guerre dans le Tigré,
06:40 et surtout il y a l'Erythrée d'où les gens continuent de fuir en masse
06:43 et où il n'y a même pas de constitution digne de ce nom, et ainsi de suite.
06:47 Personne autour du Soudan ne prendra fermement position pour dire
06:53 « Chez nous ça fonctionne bien et il est essentiel de mettre les droits de l'homme au premier plan »
06:58 et le Soudan doit faire de même.
07:01 Le Soudan se trouve à l'épicentre.
07:04 Tous ces conflits dans les pays voisins et leurs évolutions l'influencent grandement,
07:08 tout est interdépendant.
07:11 Et notre grande inquiétude est que ce conflit dure et que les choses s'arrangent.
07:16 Et que par conséquent les pays voisins interviennent directement au Soudan
07:21 ou soutiennent davantage l'un ou l'autre camp.
07:24 D'autres acteurs moins locaux pèsent également sur le sort du Soudan
07:32 et préfèrent sans doute y voir une dictature militaire stable plutôt qu'une fragile démocratie,
07:36 c'est plus sûr pour les affaires.
07:38 Le Soudan est un grand pays doté de riches ressources naturelles,
07:41 de l'or, du pétrole, des métaux rares. De quoi intéresser la Chine ou la Russie ?
07:46 « Les ressources naturelles disent qu'en général il y a un intérêt pour la société Wagner,
07:53 pour les exploiter, pour y déployer son écosystème,
07:57 notamment à travers la présence de militia.
08:02 Donc oui, il y a une présence de Wagner sur place.
08:06 Il y a également des intérêts d'ordre stratégique,
08:11 puisqu'il y a ce projet de base navale russe,
08:13 ou plutôt de point d'appui navale russe,
08:15 qui est dans les cartons depuis 2020,
08:18 avec une possibilité de mouiller quatre navires,
08:21 dont des navires à propulsion nucléaire,
08:23 et stationner jusqu'à 300 personnels militaires.
08:27 Donc voilà, aujourd'hui on en est au stade où l'accord est ficelé,
08:31 côté russe a été signé, ratifié,
08:34 et le Soudan est ratifié par le Parlement. »
08:38 Un projet qui nécessite que le calme revienne au Soudan,
08:41 mais la Russie n'a pas les moyens de l'imposer.
08:43 Donc en attendant, Moscou garde de bonnes relations avec les deux belligérants soudanais.
08:48 « Fidèle à sa tradition, elle parle avec tout le monde,
08:51 elle a évidemment des liens avec le pouvoir militaire.
08:54 Le chef de ses forces de réaction rapide a rencontré Sergei Lavrov à quelques reprises,
08:59 récemment à Khartoum, lors du déplacement du chef de la diplomatie russe
09:03 à travers le continent africain.
09:06 Mais je pense qu'elle est consciente, en tout cas Moscou est consciente,
09:09 des limites de la possibilité de son action dans le cadre de ce conflit-là.
09:13 Et par conséquent, elle n'est pas en mesure de tenter de promouvoir, à mon avis,
09:19 de manière décisive, une initiative, en tout cas à ce stade des affrontements,
09:27 pour essayer de parvenir à un cessez-le-feu. »
09:31 Qui alors, pour faire progresser le pays vers la paix ?
09:34 De nombreux Soudanais espèrent tout de même que la Russie
09:36 ou une autre puissance étrangère pourrait y parvenir.
09:39 « Espérons qu'au moins la Chine, la Russie, les Émirats Arabes Unis ou l'Égypte y arrivent.
09:52 Ils doivent aider les généraux à prendre une vraie décision, avec une vision.
09:59 Est-ce qu'ils veulent continuer cette guerre pour leur intérêt égoïste et pour garder le pouvoir,
10:05 ou est-ce qu'ils veulent se mettre d'accord dès que possible autour d'un mandat clair,
10:09 avec une date limite, pour transformer l'armée et transférer le pouvoir aux civils ?
10:16 Les civils qui pourront alors commencer à reconstruire le tissu social de leur pays
10:21 et à recréer des opportunités politiques, sociales et économiques pour toute la société. »
10:30 La société soudanaise qui, malgré tout, veut encore croire que la démocratie est possible.
10:36 « La population du Soudan, et en particulier les jeunes, disent aujourd'hui
10:42 « nous voulons en finir une fois pour toutes avec la dictature, avec l'oppression ».
10:47 Et ce sont eux qui vont porter ce message, je pense.
10:51 S'ils ne sont pas détruits physiquement, ce qui peut toujours arriver lors d'une guerre,
10:55 ils ne vont pas abandonner. »
10:58 « Cette inspiration démocratique extrêmement profonde, qui n'existe nulle part ailleurs dans la région,
11:04 ce sentiment à la fois de dialogue démocratique, les Soudanais ont vraiment ça chevillé au corps.
11:17 Mais après, pour passer à l'action et pour arriver à s'entendre de manière à partir dans une direction
11:24 en marginalisant les militaires, ça reste à prouver.
11:28 C'est un peu ce qui se joue en ce moment au Soudan. »
11:32 Nous l'avons vu, la population soudanaise est dans l'étau, au centre de la lutte des généraux
11:36 et des pressions régionales et internationales.
11:39 Les militaires au pouvoir promettent des élections pour le mois de juillet,
11:42 mais si ce sont eux qui tiennent les urnes, la démocratie espérée par la population
11:46 devra encore se faire attendre.
11:50 Sous-titrage Société Radio-Canada
11:54 Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org
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