Chroniqueuse : Johanna Ghiglia
Judikael Hirel est journaliste et l'auteur de « Concorde rouge » chez le Cherche-Midi. Il y raconte son expérience personnelle, une agression dont il a été victime et qui s'est déroulée un soir de novembre 2017 dans le métro à Paris. Les violences ont été commises alors après qu'il soit venu en aide à une jeune femme qui se faisait elle aussi agresser dans le métro parisien.
Judikael Hirel est journaliste et l'auteur de « Concorde rouge » chez le Cherche-Midi. Il y raconte son expérience personnelle, une agression dont il a été victime et qui s'est déroulée un soir de novembre 2017 dans le métro à Paris. Les violences ont été commises alors après qu'il soit venu en aide à une jeune femme qui se faisait elle aussi agresser dans le métro parisien.
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00:00 Bonjour, Judika Lirel.
00:01 Alors, vous racontez dans votre livre une agression qui a été extrêmement violente,
00:04 dont vous avez été victime.
00:06 Ça s'est déroulé un soir de novembre 2017.
00:09 Alors, ça s'est passé dans le métro.
00:10 Après que vous ayez protégé une jeune femme qui elle-même a été victime d'une agression,
00:15 votre témoignage dans votre livre, il est extrêmement fort.
00:17 Alors, pourquoi est-ce que vous avez décidé aujourd'hui, maintenant, d'en faire un livre ?
00:22 Je pense que d'abord, j'étais en colère.
00:23 Donc, j'avais envie de faire sortir cette colère, aussi de sortir un peu de ma coquille,
00:26 parce que quand on se fait agresser comme ça,
00:28 on a tendance à se construire une coquille protectrice autour de soi
00:30 pour un petit peu vivre mieux les choses et à se replier sur soi-même légèrement.
00:34 Écrire un livre comme celui-ci, ça permet de faire quelque chose de positif
00:38 à partir d'une expérience très, très négative,
00:39 puisque j'ai quand même failli y laisser la vie.
00:42 Mais j'avoue que s'il fallait refaire la même chose,
00:43 je referrais exactement la même chose, quand même.
00:45 Est-ce que vous nous racontez un petit peu l'agression que vous avez vécue ?
00:49 Oui, c'est assez surprenant, parce qu'on est des millions,
00:52 on va prendre les transports en commun tous les jours,
00:53 et je rentrais du bureau, comme vous et moi, comme tout le monde, à l'heure de pointe,
00:57 à 19h30 le soir, on imagine que c'est une heure assez sûre,
01:00 finalement il y a beaucoup de monde.
01:02 Devant moi, une jeune femme s'est fait agresser par un jeune homme ivre,
01:05 une grande main aux fesses, bien appuyée,
01:07 puis après ils ont commencé à s'embrouiller,
01:09 et ça se voyait que ça allait très mal se passer,
01:10 donc je me suis juste intervenu pour, on va dire, exfiltrer la jeune femme
01:14 en refusant de me battre avec l'individu,
01:15 parce que ce n'est pas le sujet non plus de rajouter la violence à la violence,
01:18 et donc je suis parti avec cette jeune femme,
01:20 ils m'ont dit "ben voilà, affaire classée".
01:21 Ce que je ne savais pas, c'est que cet individu était tellement ivre
01:25 et tellement agressif, tellement vexé, qu'il lui a enlevé sa proie apparemment,
01:28 qu'il s'est caché dans un couloir latéral du métro,
01:30 et revenu par derrière, c'est la jeune femme qui me l'a expliqué par la suite,
01:33 m'a envoyé un grand coup de poing, descendant à la tempe,
01:35 en sautant en l'air pour vraiment me frapper et m'assommer,
01:37 donc il m'a mis KO directement en m'exposant à la tempe,
01:40 il n'y a pas d'autre mot.
01:41 Et une fois au sol, en fait, ils l'ont décidé de m'achever,
01:43 donc il m'a explosé la tête à coups de pied,
01:45 jusqu'à ce que la jeune femme se jette sur moi pour me protéger,
01:48 en appelant au secours, mais ça j'avoue que je ne me rappelle pas,
01:49 parce que j'étais déjà KO.
01:50 Vous avez failli y laisser la vie.
01:52 Ce qu'on m'a dit à l'hôpital, quand je suis allé consulter pour les urgences après,
01:55 c'est que c'était passé à un ou deux coups de pied du cimetière, effectivement,
01:58 et que s'il n'y avait pas la peau, mon visage tomberait,
02:01 parce qu'il était entièrement émietté par les coups de pied.
02:03 Si c'était à refaire, vous le referiez ?
02:05 Exactement, je referais exactement.
02:07 Vous prendriez de nouveau la défense de cette jeune femme ?
02:08 Oui, parce que je pense qu'au quotidien, il y a des choses qui ne sont pas négociables.
02:11 Une femme qui se fait agresser devant soi, on ne peut pas dire "non, il faut que je rentre,
02:15 j'ai mon train à prendre, j'ai quelque chose".
02:17 Ce n'est pas possible.
02:18 En plus, c'est tellement quotidien.
02:19 J'avoue que je ne me suis pas posé la question.
02:21 Ce n'est pas non plus une réflexion philosophique sur ce qu'il faut faire,
02:24 ce qu'il ne faut pas faire.
02:25 C'est plus que j'ai la chance, par rapport à pas mal de monde,
02:28 d'avoir la réponse à une question qu'on se pose.
02:30 Si jamais ça arrive, qu'est-ce que je ferais ?
02:32 En l'occurrence, je l'ai fait.
02:33 Je referais exactement la même chose, en espérant que je n'ai pas besoin de le faire.
02:36 Un geste héroïque qui vous a quand même laissé des séquelles,
02:39 à la fois physiques et psychologiques ?
02:42 Oui, je pense.
02:42 J'ai gagné un lifting gratuit au passage, noté.
02:44 Du coup, c'est bien, j'ai rajeuni.
02:45 Avec beaucoup d'humour qu'on retrouve d'ailleurs dans votre livre.
02:48 Oui, mais c'est vrai qu'en fait, il y a une multitude de petites plaques en métal
02:50 qui tiennent les os en dessous de la peau,
02:52 que j'ai perdu quelques rides au passage.
02:54 J'ai gagné un nouveau-né, au sens propre.
02:57 Et j'ai gagné un mauvais caractère encore plus conséquent qu'avant.
02:59 Parce qu'effectivement, avant, je me mettais un peu en colère, en breton de base,
03:02 et maintenant, je suis encore un peu plus grognon.
03:04 Mais ça veut dire aussi que même les gestes du quotidien les plus simples
03:07 sont devenus douloureux pour vous ?
03:09 Oui, disons que c'est un quotidien sous antidouleur, mais assez léger quand même.
03:13 Donc, quand on sent que la douleur et que la colère ou que la mauvaise humeur montent,
03:16 il faut aussi prendre quelque chose pour se calmer.
03:18 Mais ça reste gérable.
03:19 Je crois que c'est aussi un réflexe chez toutes les victimes d'agression
03:21 de se dire finalement, par rapport à une autre victime d'agression,
03:23 j'ai de la chance.
03:24 J'ai de la chance, je suis en bonne santé, je peux travailler, tout va bien finalement.
03:28 Justement, par rapport à ce statut de victime, vous dites,
03:30 je suis une victime, mais je ne me définis pas comme telle.
03:33 Oui, c'est assez paradoxal, mais en fait, à un moment, on devient une victime,
03:36 on le reste à vie, et on a beaucoup de mal.
03:37 En tout cas, moi, j'ai du mal à conceptualiser ce que je cherche à expliquer dans le livre.
03:40 C'est quand on devient victime, c'est un petit peu comme si c'était un morceau de vie parallèle.
03:43 On a pris un couloir de gauche ou de droite dans le métro,
03:45 mais on n'en sortira jamais vraiment.
03:47 Donc, il y a un moment, on est dans la vie courante,
03:48 et puis un moment, on redevient victime, on repasse en mode victime finalement.
03:51 C'est très bizarre.
03:52 Alors, il y a eu ce geste, il y a ces séquelles maintenant,
03:56 et vous dites qu'à partir de ce moment-là,
03:57 vous êtes entré dans un véritable parcours du combattant.
04:00 Ça a été très compliqué au niveau des institutions, de la justice, etc.
04:04 Ça fait cinq ans que je me suis fait agresser, un 13 novembre soir,
04:07 ce qui est une journée qu'on se rappelle tous, mais ce n'est pas le même 13 novembre.
04:10 Et c'est vrai que j'ai été surpris, et c'est aussi ça que je voulais partager dans le livre,
04:14 de ce que j'appellerais le parcours victimaire,
04:16 de ce que c'est le parcours d'une victime au quotidien.
04:17 Et encore, encore une fois, moi, j'ai de la chance, je suis en bonne santé,
04:20 je sais me défendre, et j'avais un avocat, ce qui n'est pas le cas de tout le monde.
04:23 Donc quand on voit le temps que ça prend pour faire des expertises judiciaires,
04:26 quand on dépose plainte mais que ça ne sert à rien,
04:27 quand l'ARATP ne vous donne jamais aucune nouvelle
04:29 après que vous soyez fait agresser dans ses couloirs,
04:31 ça fait quand même beaucoup, et ça prend des années,
04:34 et ça vous laisse dans cette posture de victime,
04:35 parce que le dossier n'est jamais vraiment clos.
04:38 Donc vous pensez qu'il y a un judicial avant et après l'agression ?
04:41 Je pense qu'il y a un judicial avant et un judicial après l'agression, effectivement.
04:44 Je suis encore plus têtu après, et je suis encore plus scandalisé
04:47 qu'on puisse considérer comme normal de s'en prendre aux femmes dans un transport en commun,
04:50 parce qu'en travaillant sur cet ouvrage,
04:52 j'ai été horrifié des témoignages de femmes qui sont venues me dire
04:55 "moi aussi j'ai été agressé, j'ai été suivi, j'ai été touché".
04:58 Je ne pensais pas, et là je m'en veux, c'est aussi une partie de ma colère,
05:00 que les femmes aient été aussi soumises à cette peur dans les transports en commun,
05:03 et en tant qu'hommes, je m'en veux de ne pas l'avoir réalisé avant en fait.
05:05 Et vous pensez que la situation par rapport au moment où vous avez été agressé s'aggrave ?
05:10 Les choses s'améliorent ?
05:11 Au niveau de l'insécurité dans les transports ?
05:13 C'est subjectif, évidemment, je n'ai pas des chiffres, des statistiques,
05:16 je laisse ça aux professionnels.
05:18 Je n'ai pas vraiment l'impression pour prendre le métro tous les jours,
05:19 parce que je ne suis pas rancunier, je continue de prendre le métro tous les jours.
05:22 Vous vous sentez serein quand vous prenez les transports ?
05:25 Moi oui, ça va, à partir d'un mètre 80, et quand on est un homme, on est à peu près serein.
05:28 Quand on est une femme un peu plus fine et qu'on est dans un couloir à des talons,
05:32 je pense qu'on est moins serein.
05:33 J'ai beaucoup d'amis, ES, qui ne prennent plus le métro,
05:35 qui ne prennent pas les transports en commun,
05:37 qui préfèrent la voiture, qui prennent le vélo pour éviter les transports.
05:40 Chaque femme, dans sa charge mentale globale,
05:42 va intégrer une petite stratégie pour éviter de se mettre en danger.
05:45 Je trouve que c'est la couche en trou en 2023 pour des femmes au quotidien,
05:48 ça ne devrait pas exister.
05:49 En plus, on approche de la Coupe du monde de rugby, des Jeux olympiques,
05:52 et je n'ai pas l'impression que ça va s'arranger.
05:54 Vous, vous avez fait preuve d'énormément de courage.
05:57 Qu'est-ce que vous conseillerez à quelqu'un qui est victime d'une agression
06:00 ou qui est témoin d'une agression dans les transports ?
06:03 Spontanément, une chose que je n'ai pas faite pendant cette agression,
06:05 c'est prendre une photo de l'agresseur avant de m'en mêler.
06:07 Et ça, je regrette, parce que finalement,
06:08 je n'ai pas pu le reconnaître dans les fichiers de la police.
06:10 Prendre discrètement une photo en mode selfie sans se faire non plus attraper,
06:13 ça peut être utile.
06:14 Et après, quand on veut intervenir,
06:15 il ne faut pas rajouter la colère et la violence à la violence,
06:17 sinon la testostérone est de retour.
06:19 Il faut réagir calmement et essayer déjà d'agir,
06:22 et après, de ne pas être le seul à agir.
06:24 Merci, merci beaucoup pour votre témoignage très fort.
06:26 Merci pour votre courage.
06:28 Alors, je rappelle que votre livre, Un concorde rouge, est paru.
06:31 Donc, vous le voyez ici, aux éditions du ChercheMidi.
06:34 Merci d'avoir été avec nous et merci pour cet acte héroïque.