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Transcription
00:00 On en parle avec Karim Emile Bittar, directeur du département de Sciences Po de l'université Saint-Joseph à Beyrouth
00:07 et spécialiste de la question syrienne.
00:09 12 ans après, la Syrie retrouve la Ligue arabe.
00:12 C'est une victoire diplomatique un peu inattendue pour Bachar Al-Assad ?
00:16 Oui, c'est plus qu'une victoire diplomatique, c'est une véritable réhabilitation.
00:22 Les opinions publiques arabes aujourd'hui, de l'océan Atlantique jusqu'au Golfe,
00:26 regardent ce spectacle avec beaucoup de désenchantement.
00:29 C'est un nouveau triomphe du cynisme et de la réale politique.
00:33 En même temps, ce n'est pas véritablement surprenant.
00:35 Si Bachar Al-Assad avait été exclu de la Ligue arabe il y a 10 ans,
00:39 ce n'est pas en raison du fait qu'il rejetait la démocratie libérale ou qu'il violait les droits de l'homme,
00:45 c'est parce que nous étions au cœur d'affrontements, de guerres par procuration entre les pays de la région.
00:50 Aujourd'hui, nous assistons à une consolidation autoritaire.
00:53 Tous ces pays qui s'étaient affrontés sont en train de se réconcilier progressivement.
01:00 On assiste à un rapprochement irano-saoudien qui est véritablement un tournant dans l'histoire de la région.
01:06 C'est une défaite pour les opinions publiques.
01:10 C'est un peu le dernier clou planté dans le cercueil des printemps arabes
01:15 qui avait donné un peu d'espérance aux populations opprimées il y a une dizaine d'années.
01:19 Et ça dit quoi de la Ligue arabe et des rapports de force au sein même de cette organisation ?
01:25 La Ligue arabe n'a jamais été véritablement acceptée par les opinions publiques,
01:32 justement par les sociétés civiles de la région.
01:34 Elle était longtemps perçue comme un outil entre les mains des britanniques.
01:37 Ensuite, elle a été perçue comme un outil entre les mains des pays les plus influents.
01:42 Aujourd'hui, ce sont les monarchies pétrolières du Golfe.
01:44 À partir du moment où Mohammed Ben Salmane a accepté d'ouvrir une nouvelle page avec Bachar el-Assad,
01:51 les choses sont allées très vite, même si certains pays avaient quelques petites réticences.
01:56 Il y a un véritable décalage entre les peuples et les gouvernants dans le monde arabe.
02:01 Les gouvernants font bloc et les opinions publiques ne peuvent que regarder dépiter un spectacle
02:07 qui les laisse véritablement un sentiment de dégoût pour être franc.
02:14 Ça veut dire que la Ligue arabe ou l'Arabie saoudite considère la CPI, la Cour pénale internationale,
02:19 comme nul et non avenu ?
02:21 La plupart de ces pays ont effectivement eux aussi beaucoup de choses à se reprocher.
02:29 Ils n'ont peut-être pas sur la conscience 300 000 ou 400 000 morts comme Bachar el-Assad,
02:35 mais aucun de ces régimes ne peut être considéré comme totalement innocent
02:42 des violations massives des droits de l'homme qui affectent toute la région.
02:46 Encore une fois, c'est un club de leaders autoritaires déconnectés de leur population
02:52 qui font primer leurs intérêts géostratégiques et leurs intérêts économiques
02:55 sur toutes les autres considérations politiques ou humanitaires.
02:59 Et 12 ans après, quel État est la Syrie aujourd'hui ?
03:02 La Syrie est exsangue, donc au moins 350 000 morts, peut-être 7 à 10 millions de réfugiés.
03:10 Et c'est un État qui est devenu quelque peu dépendant de l'Iran et de la Russie
03:16 qui ont permis à Bachar el-Assad de rester au pouvoir, de se maintenir pendant 10 ans.
03:22 Donc en quelque sorte, les Arabes du Golfe aujourd'hui, à leur décharge,
03:26 ne sont en train que de prendre acte du fait que l'Iran et la Russie
03:30 ont réussi par la force de leurs interventions militaires à sauver le soldat Bachar el-Assad.
03:36 Donc il y a une dimension réelle politique qui est très prégnante.
03:40 On essaie de s'accommoder, de prendre acte de cette réalité
03:43 et d'éviter que l'Iran ne soit le seul interlocuteur de la Syrie.
03:50 On essaie de ramener la Syrie dans le giron arabe sunnite,
03:53 mais les expériences précédentes ont montré que cela n'a jamais amené la Syrie
03:58 à couper ce cordon qui la relie à l'Iran depuis 40 ans.
04:01 C'est une alliance stratégique qui ne va pas être remise en cause.
04:05 Et quel est le jeu d'autre part du président turc Erdogan jusqu'à présent ?
04:12 Alors Erdogan s'efforce de revenir à la politique de zéro problème avec les voisins.
04:17 Il s'efforce lui aussi de profiter de cette détente régionale.
04:23 La Turquie était en tête de ceux qui voulaient faire tomber Bachar el-Assad en 2011-2012.
04:31 Aujourd'hui, si Bachar el-Assad s'engage à ne pas permettre à la communauté kurde au nord de la Syrie
04:41 de provoquer la Turquie, M. Erdogan est tout à fait prêt lui aussi à se rabibocher avec les Syriens.
04:47 Il s'est rapproché de la plupart des autres pays de la région.
04:51 Donc la tendance est à la désescalade.
04:54 Cela pourrait permettre de mettre un terme à certains conflits, notamment au Yémen.
04:58 Cela pourrait permettre au Liban de sortir de cette situation de polarisation intense.
05:04 Mais cela n'est pas forcément une bonne nouvelle pour ceux qui aspiraient à une libéralisation
05:08 et à une démocratisation dans les pays de la région.
05:11 Les Kurdes, rappelons-le, qui ont été abandonnés par les Occidentaux et notamment par les Américains.
05:15 Du coup, la Syrie est devenue le théâtre d'un conflit par procuration de différentes puissances étrangères.
05:23 Absolument. Six mois à peine après le début de la révolution syrienne en mars 2011,
05:28 le conflit s'est métamorphosé et devenu une guerre civile,
05:32 puis un affrontement entre puissances régionales dans un premier temps
05:35 et ensuite un affrontement international à partir du moment où Vladimir Poutine a décidé d'intervenir directement en Syrie.
05:44 Donc le peuple syrien est passé par pertes et profits.
05:48 Il a été victime d'un régime autoritaire depuis 1970.
05:53 Il a été victime du jeu des puissances régionales.
05:57 Et il a été victime des ambitions impériales, aussi bien ou néo-impériales,
06:03 aussi bien de la Russie que de la Turquie et bien évidemment de l'Iran.
06:07 Rapidement, dans ce qui reste de l'opposition syrienne aujourd'hui, quelle est la place des islamistes ?
06:13 Les islamistes avaient été massivement soutenus par certains pays comme la Turquie ou le Qatar,
06:21 qui avaient un agenda très précis, celui de faire tomber Bachar el-Assad.
06:25 Donc les courants idéologiques vont rester présents,
06:29 mais leur capacité d'action sera probablement réduite,
06:32 car leurs sources de financement vont inévitablement se parier.
06:36 Merci beaucoup Karim et Milbitar pour votre analyse avec nous sur France 24.
06:40 Merci beaucoup d'avoir été avec nous.

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