Avertissement : les propos que vous allez entendre abordent l’inceste et des violences
Sarah Boucault a enquêté sur un sujet tabou : l’inceste commis par des mineurs. Elle-même victime des agressions de son cousin, elle raconte la culpabilisation des victimes, le déni des proches et la transmission familiale.
Sarah Boucault a enquêté sur un sujet tabou : l’inceste commis par des mineurs. Elle-même victime des agressions de son cousin, elle raconte la culpabilisation des victimes, le déni des proches et la transmission familiale.
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00:00 Les adultes vont avoir tendance à nommer ces agressions des jeux sexuels ou du "touche pipi".
00:04 C'est une formule qui a été inventée pour plus apaiser les consciences des adultes qu'autre chose.
00:09 Mais en fait, il s'agit de violences sexuelles.
00:11 Je suis directement concernée par ce sujet de l'inceste commis par les mineurs,
00:15 puisque mon cousin, âgé de un an et demi de plus que moi,
00:19 m'a agressé sexuellement lorsque j'étais enfant et ensuite adulte.
00:22 Donc lorsqu'une victime est agressée par un mineur en cas d'inceste,
00:25 l'âge moyen est de 7 ans lors de la première agression.
00:27 Les agresseurs mineurs sont à 92% des garçons et souvent des garçons jeunes, c'est-à-dire moins de 13 ans.
00:33 En recoupant plusieurs enquêtes que j'ai étudiées,
00:36 je suis arrivée à une fourchette entre 1,7 million de personnes
00:39 et 2,2 million de Françaises et Français concernés par cet inceste.
00:43 L'inceste survient là où il est déjà là, c'est-à-dire qu'il se transmet de génération en génération.
00:48 Des parents qui ont été incestés ou qui ont été incesteurs
00:52 vont transmettre sans mot, sans conscientisation, des pratiques, un climat incestuel.
00:56 Dans mon enquête, j'ai interviewé huit victimes
00:59 et les huit victimes ont des cas d'inceste dans leur famille, au-dessus ou à côté.
01:04 Et c'est mon cas également.
01:05 Quand une victime parle, dans la très grande majorité des cas,
01:09 les parents, les proches choisissent, je dis bien choisissent, de se taire.
01:13 C'est-à-dire de ne rien dire et même lorsqu'elles révèlent les faits plus tard,
01:16 certains parents vont dire "je m'en suis toujours doutée".
01:19 C'est-à-dire qu'ils choisissent vraiment de se taire,
01:21 ils vont préférer protéger la cohésion et la réputation de leur famille
01:25 plutôt que protéger la victime qui est leur fille ou leur fils.
01:27 Ce qui conduit en fait à un silence, une détresse énorme pour la victime.
01:33 L'impact, c'est qu'elle porte la responsabilité toute sa vie
01:37 de cette agression qu'elle a elle-même subie
01:40 et qu'elle est souvent mise à l'écart et isolée de sa famille au profit de l'agresseur.
01:44 Les adultes vont avoir tendance à nommer ces agressions des jeux sexuels ou du "touche pipi".
01:49 C'est une formule qui a été inventée pour plus apaiser les consciences des adultes qu'autre chose.
01:53 Mais en fait, il s'agit de violences sexuelles.
01:56 Le préjudice est très variable selon les victimes.
01:58 Mais on peut voir que des années après et des décennies après,
02:01 il subsiste des gros traumatismes.
02:04 Parmi les huit victimes que j'ai interrogées,
02:06 cinq m'ont fait part de leur pulsion suicidaire.
02:08 On pourrait croire effectivement que le traumatisme est physique et lié à la violence sexuelle.
02:13 Mais dans ce cas d'inceste entre mineurs, il y a évidemment ce traumatisme physique, évidemment.
02:17 Mais le plus gros traumatisme et le plus gros préjudice,
02:20 c'est vraiment lié au silence et au fait que la famille ne veut pas voir,
02:24 n'en parle pas et ne reconnaît pas en fait cette violence.
02:28 J'en ai parlé à ma famille il y a trois ans à peu près,
02:31 à mes proches, mes parents et mes frères et sœurs.
02:34 Ma famille au départ a réagi comme toutes les familles,
02:36 c'est-à-dire qu'elle a nié, qu'elle a minimisé,
02:38 à force d'en parler, d'en discuter, mes parents ont pris la mesure des faits.
02:42 Concernant ma famille élargie, donc mes oncles et mes tantes et mes cousins-cousines,
02:46 ils ont été mis au courant de l'enquête il n'y a pas longtemps du tout par mon père.
02:50 Et pour moi, c'est une vraie, vraie libération et une délivrance.
02:55 Pendant toutes ces années, j'ai porté la responsabilité de cette histoire
02:58 et dorénavant, elle a été rendue à ceux à qui elle appartient,
03:02 c'est-à-dire les adultes de ma famille.
03:03 Je pense que les parents ont une responsabilité pour protéger leurs enfants,
03:07 mais au-delà de ça, à mon avis, c'est quelque chose de bien plus large et plus sociétal.
03:11 Dans notre société, il existe le mythe de l'inceste heureux
03:14 qui est largement véhiculé dans les représentations culturelles,
03:17 on le retrouve par exemple dans le Game of Thrones.
03:19 Moi-même, par exemple, à l'adolescence, je me suis raconté ce mythe de l'inceste heureux.
03:23 Et en fait, quand on est ado et qu'on ne voit que ça et on n'entend que ça autour de nous,
03:28 c'est le seul récit qui est acceptable pour décrire cette situation indéchiffrable
03:32 et pour dissiper la confusion.
03:34 Sur les agressions sexuelles commises par des mineurs, la loi ne dit rien,
03:38 c'est-à-dire que c'est un impensé aussi au niveau juridique.
03:41 C'est considéré comme un sous-inceste par la justice.
03:43 Même la loi Billon de 2021, qui introduit la présomption de non-consentement
03:48 pour les victimes d'inceste mineure, donc de moins de 18 ans,
03:51 ne pense pas à l'agresseur mineur.
03:54 Par exemple, une jeune fille de 12 ans qui est agressée, violée par son frère de 18 ans,
03:59 sera considérée grâce à cette loi comme non-consentante.
04:02 En revanche, si son frère a 17 ans et donc est mineur,
04:05 elle ne rentrera pas dans le cadre de cette loi et il faudra prouver son non-consentement.
04:10 La prise en charge des victimes est largement insuffisante
04:13 à tous les niveaux dans les violences sexuelles en France.
04:15 Donc l'inceste commis par les mineurs qui est un sous-inceste est encore pire.
04:18 En ce qui concerne les agresseurs, c'est quasiment inexistant.
04:21 Il existe deux structures en France.
04:23 Depuis 5 ans, elles ont pris en charge 82 mineurs hauteurs.
04:26 Ce qui est une goutte d'eau.
04:28 Le tabou et le silence est une violence supplémentaire pour les victimes.
04:32 Et ce qu'on peut voir, c'est que dès qu'il y a une écoute,
04:35 une reconnaissance même de l'agresseur ou des proches,
04:37 ça lève ce tabou et ce silence et ça procure une vraie délivrance,
04:40 même si on ne peut jamais être complètement réparé du traumatisme,
04:43 mais au moins une libération de la parole.
04:45 [Générique]