Christine Kelly et Marc Menant reviennent sur les personnages célèbres qui ont fait l’histoire dans #LesGrandsDestins
Le célèbre peintre espagnol Pablo Ruiz Picasso (1881-1973) est considéré comme l'un des fondateurs du mouvement cubisme et un «compagnon» du surréalisme.
Le célèbre peintre espagnol Pablo Ruiz Picasso (1881-1973) est considéré comme l'un des fondateurs du mouvement cubisme et un «compagnon» du surréalisme.
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00:00 Bonjour à tous, ravie de vous accueillir dans cette émission "Les Grands Destins".
00:05 Cette émission, vous le savez, qui refait la vie de ceux qui ont fait l'histoire.
00:09 Et aujourd'hui, avec Marc Menon, nous allons nous arrêter sur le grand destin de Pablo Picasso.
00:15 L'un des plus célèbres peintres contemporains, vous le savez, auteur de Guernica ou encore des Demoiselles d'Avignon.
00:21 Peintre, dessinateur, sculpteur, graveur espagnol, il fait partie des artistes les plus productifs de son temps.
00:28 C'est parti pour "Le Grand Destin" de Pablo Picasso.
00:32 Bonjour Marc Menon. La question pour commencer, pourquoi avoir choisi Pablo Picasso ?
00:37 Est-ce que c'est parce qu'on est en pleine polémique sur les 50 ans de son décès ?
00:41 50 ans de son décès, en avril 1973.
00:46 8 avril.
00:47 Et c'est un personnage qui ne peut que nous accrocher.
00:51 Moi, je me souviens de la première fois où j'ai vu une œuvre de Picasso, ça m'a bouleversé.
00:56 Je ne comprenais pas trop parce que ce qui me fascinait chez les peintres, c'était le souci du détail.
01:01 Faire renaître la réalité, embellir la majesté de la nature.
01:07 Et soudain, tout était déstructuré.
01:10 Et ça m'a propulsé vers la rencontre de cet homme.
01:14 Et c'est en plus un destin invraisemblable.
01:17 Destin invraisemblable, c'est ce qu'on va voir.
01:19 Et puis une œuvre évolutive.
01:21 La remise en course permanente.
01:23 Oui, la remise en cours. Et qui reflète sa vie.
01:26 C'est intéressant tout ça.
01:27 Alors, on va commencer par une anecdote pour planter le décor.
01:30 Une créativité qui fait perdre la tête.
01:39 Nous sommes en 1906.
01:42 1906, il est à Paris.
01:44 Il vit dans les soupentes.
01:46 La gloire est encore loin de se manifester.
01:49 Néanmoins, il a été repéré par un vendeur de tableaux.
01:54 Mais également par de riches collectionneurs.
01:57 Il commence, il butine.
01:59 C'est une époque de grande créativité.
02:01 C'est Léo et Gertrude Steyn.
02:04 Et ils achètent quelques œuvres de Picasso.
02:07 Et un jour, il y a une sorte d'amitié qui est née entre eux et leurs jeunes artistes.
02:13 Et Picasso dit à Gertrude, j'aimerais peindre votre portrait.
02:17 C'est étonnant, parce qu'en général, surtout à cette époque-là,
02:20 il refuse que l'on pose et de s'inspirer de la réalité.
02:24 C'est ce qui est dans sa mémoire qui doit faire jaillir la créativité.
02:29 Et là, il lui demande de poser.
02:32 Alors, il l'installe sur un bout de lit.
02:36 Parce que c'est vraiment la pièce exiguë, un catharneum invraisemblable.
02:40 Il se pose, lui, sur un coin de tabouret.
02:43 Le nez contre la toile.
02:45 Il est là, il s'applique, il s'applique.
02:47 Alors, il ne vient pas.
02:48 Ça ne correspond pas du tout à Picasso.
02:51 80 séances ! Vous vous rendez compte ?
02:55 Alors, il fait des esquisses, il recommence, ça ne va pas.
02:59 C'est invraisemblable.
03:00 Elle s'énerve.
03:02 Heureusement, il y a la compagne de Picasso qui s'appelle Fernande.
03:05 Ah Fernande, ses yeux verts !
03:07 Et pour tenter de calmer l'impatience de Gertrude, elle lui lit.
03:14 Non pas les fables, mais les contes de La Fontaine.
03:17 Vous savez, ces contes coquins !
03:20 Et puis, un jour, on a Picasso, qui pique une colère et qui dit
03:25 "Je n'arrive pas à voir votre portrait".
03:28 Et hop, il s'en va, après avoir néanmoins, dans une fulgurance,
03:33 esquissé les traits de Gertrude.
03:36 Et hop, il la laisse là.
03:38 Il revient quelques temps plus tard, après une escapade en Espagne.
03:41 Il termine l'œuvre sans lui demander de poser.
03:45 Et puis, quand elle se présente, il dit "Voilà".
03:48 Et elle le montre à ses amis, qui la raillent, qui disent "Mais c'est pas possible".
03:54 Et Picasso entend ces propos.
03:57 Il dit, j'ai noté, "Tout le monde pense qu'elle ne ressemble pas à son portrait,
04:04 mais ne vous en faites pas, elle finira par lui ressembler".
04:10 C'est-à-dire que le monde doit être à ses pieds, en fait.
04:14 Non, c'est pas ça. C'est qu'il a l'œil de l'imagination.
04:18 Il part du principe que la réalité n'est pas l'incandescence de l'âme.
04:24 Il transfigure le réel.
04:26 Et Gertrude gardera cette œuvre jusqu'à la fin de son existence
04:32 et elle allègera au dernier moment au muséum de New York.
04:37 Vous voyez comme quoi l'œil de l'imagination est plus fort que l'œil qui me permet de vous mirer.
04:44 Il avait 25 ans à l'époque.
04:46 On va essayer de comprendre comment on devient ce Pablo Picasso,
04:50 comment on devient ce grand artiste plongé dans sa vie.
04:54 Alors, comment naît le petit Picasso ?
05:02 Comment devient ce grand peintre ?
05:04 Comment il naît, ce petit Picasso, qui ne s'appelle pas Picasso ?
05:08 Qui ne s'appelle pas Picasso ?
05:10 Papa s'appelle José Ruiz Blasco.
05:13 C'est un pintacroute, vous savez,
05:15 ceux qui réalisent les œuvres pour les plus démunis,
05:18 ou disons les gens qui ont juste un peu d'argent pour décorer la salle à manger.
05:23 Et maman, c'est Maria Picasso Lopez.
05:27 Il naît à Malaga, dans un immeuble presque, je dirais, rutilant,
05:32 qui a été érigé grâce aux finances d'un mécène dans un quartier particulièrement pauvre.
05:37 Mais la naissance, c'est pratiquement un drame.
05:40 25 octobre 1880.
05:42 Oui, mais quand le petit sort du ventre, pas le moindre cri.
05:46 Et comme les douleurs ont duré très longtemps,
05:51 on craint pour la maman,
05:53 et la sage-femme se dit que l'enfant est mort-né.
05:57 Elle le dépose sur une table et s'occupe de la parturéante.
06:02 Alors, ce qui le sauve, c'est qu'au même moment,
06:06 l'oncle entre et son oncle, il est médecin.
06:09 Et quand il voit ce petit nourrisson qui est ainsi à l'abandon,
06:13 eh bien, il lui donne le souffle de l'existence.
06:16 On a échappé au pire.
06:18 Je vous l'ai dit, le peintre, papa,
06:21 qui essaie, en espérant un jour être reconnu,
06:26 d'éberleuer ceux qui viennent à son atelier
06:30 pour choisir l'œuvre de la salle à manger.
06:33 Et il place à ses côtés notre petit bonhomme.
06:36 Et comme tous les enfants, l'œil s'aiguise.
06:39 Mais il est carrément capté par ce que réalise le père.
06:45 Il n'a plus qu'une seule obsession, dessiner lui-même.
06:50 Et quand il a un an, un an et demi, qu'il tient à peu près debout,
06:54 il saisit n'importe quoi pour faire comme papa.
06:58 Le côté imitateur.
07:00 Alors son père, ce qui est formidable, il n'a pas toujours les moyens.
07:03 S'il y a un bout de papier, il peint.
07:05 S'il y a un bout de carton, il peint.
07:07 Éventuellement, il sort dehors parce que les gens mangent des soupes de coquillages
07:11 et jettent ça par les fenêtres.
07:13 Ils ramassent un coquillage et il peint dessus.
07:15 Donc, pour le petit bonhomme, tout est bon afin de se laisser aller à la créativité.
07:21 Et il demande "pis, pis, pis".
07:24 On a compris, ça veut dire "la pise", c'est le crayon en espagnol.
07:29 Et quand les années passent, à l'école, il ne s'intéresse à rien.
07:33 C'est une sorte de solitaire, même s'il a des côtés joyeux vis-à-vis des petits camarades.
07:38 Et à 10 ans, le père s'inquiète.
07:41 Il dit "mais quand même, les résultats, c'est pas brillant".
07:45 Alors il est vrai que l'école, en ce temps, elle n'est pas spécialement bien structurée.
07:49 Le cancre, c'est le cancre.
07:52 Et il est là à l'abandon.
07:55 Mais le père s'aperçoit qu'il ne sait ni compter et qu'il ne connaît même pas l'alphabet.
08:01 Et Picasso dira plus tard, alors qu'il est largement connu,
08:05 qu'il ne sait toujours pas compter et qu'il ignore toujours l'alphabet.
08:10 Ce qui compte donc, ce sont les peintures, les peintures.
08:13 Et son père, ayant compris qu'il avait un petit don,
08:17 lui demande de terminer ses propres toiles.
08:21 Alors l'obsession du père, ce sont les pigeons.
08:24 Alors il dessine les pigeons, enfin il parle des pigeons,
08:27 il dit à son petit bonhomme "paf, tu me mettras deux pattes là-dessus".
08:31 Et je passe à autre chose.
08:35 Et un jour, il ne va pas bien.
08:37 Il gamberge, il sent bien que son inspiration ne lui permettra sans doute jamais d'atteindre la reconnaissance.
08:46 Alors il s'en va, il dit "fais-moi donc le pigeon tout seul".
08:49 Et quand il revient, il ne revient pas.
08:52 Il est émerveillé.
08:54 C'est son fils qui a réalisé ça.
08:56 Et le fils a sublimé ça.
08:58 Et alors là, il l'embrasse, il lui donne ses pinceaux, les peintures,
09:04 et lui dit "dorénavant, c'est toi qui seras le peintre de la famille".
09:08 Dans les rares moments où l'on n'est pas à la peinture,
09:11 et bien comme tout Espagnol, on se rend aux arènes.
09:14 "Ah, les taureaux !"
09:16 Et là aussi, ce drame entre la vie,
09:20 dans la virtuosité du taureau, l'énergie,
09:23 et qui brave la mort, et malheureusement, à chaque fois, cette échéance dans le sang,
09:29 c'est quelque chose qui va à tout jamais marquer notre gamin.
09:35 Nous sommes maintenant avec un père qui obtient, malgré son manque de talent,
09:41 une place de professeur à la Corogne.
09:44 Et on se rend à la Corogne.
09:47 Et il y a l'école des Beaux-Arts.
09:51 Comment son gamin pourrait entrer à cette école des Beaux-Arts,
09:54 alors qu'il est aussi cancre,
09:56 et qu'il y a une phase préparatoire à franchir ?
10:00 Il dit "ben écoutez, moi je suis professeur,
10:02 et puis je peux vous garantir que mon petit bonhomme, il a du talent,
10:06 laissez-lui passer le concours".
10:09 Alors pour lui faire plaisir, on se plie à son desirata,
10:14 et voilà notre garçon, à qui on donne le même thème qu'aux autres,
10:18 et il a un mois pour réaliser.
10:20 Il revient le lendemain avec son tableau, et là à nouveau.
10:24 Le génie.
10:25 Ben oui, la virtuosité.
10:27 Ils sont pantois, et ils l'acceptent,
10:30 mais forcément il est tellement doué,
10:32 que quand il est ensuite assis à côté de ses camarades,
10:36 ça ne lui donne pas satisfaction.
10:39 Alors c'est plutôt dans les rues qu'on le voit couroter,
10:42 dans les mauvais quartiers,
10:44 où les jeunes filles frivoles sont là,
10:48 s'égayent, les tavernent,
10:50 et il y va de son croquis.
10:53 Il est tellement formidable,
10:55 qu'il finit par demander à son père de poser,
10:59 vous vous rendez compte, l'inversion.
11:01 Et c'est le père qui accepte de tenir le rôle d'un médecin,
11:07 au chevet d'une femme avec son enfant malade.
11:12 Et cette femme et l'enfant malade,
11:13 c'est une petite mendiante avec son pauvre môme
11:16 qui faisait la quête dans la rue,
11:17 on lui donne dix pesetas,
11:19 et voilà notre Picasso qui s'installe,
11:21 et qui réalise ce chef-d'oeuvre qui s'appelle "Science et charité".
11:26 1896.
11:27 Vous vous rendez compte ?
11:29 C'est extraordinaire.
11:30 Mais maintenant, il lui faut s'émanciper de ce père,
11:34 même s'il accepte de se prêter à ses caprices,
11:37 à ses désirs,
11:39 d'être maintenant le figurant pour son fils,
11:42 il est trop présent.
11:44 Alors il gagne Madrid.
11:46 Et rappelons que là, pardon,
11:47 il n'avait que 15 ans.
11:50 On peut rappeler à quel point il était jeune.
11:51 Non mais c'est ça,
11:52 et vous vous rendez compte.
11:53 La précision, le détail.
11:54 Et ce qui est incroyable,
11:56 c'est en général, dans une sorte de jaillissement,
11:58 on a l'impression que cet homme-là,
12:01 ce jeune garçon,
12:02 il est comme possédé par un génie.
12:05 Il entre dans une sorte de trance,
12:07 et toc, toc, toc,
12:08 ça jaillit comme ça.
12:10 Là où d'autres, comme je l'ai voté il y a quelques secondes,
12:14 il leur faut un mois pour y parvenir.
12:16 Alors la rapidité, c'est pas toujours le signe d'un talent extraordinaire,
12:21 mais là, c'est le cas.
12:22 Et le voilà qui, grâce à ce tableau,
12:25 il obtient quoi ?
12:26 Il obtient la médaille à Madrid,
12:29 une médaille d'honneur,
12:31 et une médaille d'or carrément à Malaga.
12:35 C'est tellement extraordinaire
12:37 que le père va voir le gars qui tient le petit bazar à côté,
12:41 on fait une publicité dans les journaux locaux,
12:43 et on dit, et ben voilà !
12:45 Notre génie vous offre ses œuvres.
12:48 Alors vous imaginez un bazar,
12:49 c'est une sorte de quincaille,
12:51 où vous avez des objets les plus hétéroclites,
12:53 et au milieu de tout ça, il y a les œuvres.
12:55 Forcément, on n'en vend pas une seule,
12:57 parce qu'en plus, quand on révèle que l'âge du créateur,
13:01 on se dit que ça n'a aucune valeur.
13:04 À Madrid, il rencontre les camarades,
13:07 il y a le café des quatre chats,
13:09 et un garçon qui est formidable,
13:11 qui s'appelle Casagemas,
13:12 et qui lui dit, on mérite mieux que d'être ici.
13:14 Tu te rends compte, ça n'évolue pas.
13:16 Il nous faut aller en Europe.
13:19 C'est la grande ville, Paris.
13:21 Il dit, non, non, non, moi je préférerais qu'on aille à Londres.
13:23 Il a une sorte de fantasme.
13:25 Il est vrai que son père, on l'a surnommé l'Anglais,
13:28 parce qu'il a les cheveux un peu rouquins.
13:30 Alors je ne sais pas si c'est ça qui l'a inspiré.
13:32 Toujours est-il qu'il rêve des petites Anglaises.
13:35 Et son camarade, qui a un peu d'argent,
13:37 finance le voyage, et on s'arrête à Paris,
13:40 et les voilà à Montmartre.
13:42 Picasso et Paris.
13:44 Alors vous le disiez, l'Espagne n'est pas assez terre d'artistes,
13:52 il lui faut aller ailleurs.
13:54 Il rêve d'Angleterre.
13:56 Son ami l'entraîne à Paris.
13:58 Donc Paris, c'est quand même, à ce moment-là, le rêve.
14:00 - Avant de faire le voyage,
14:02 il réalise un autoportrait.
14:05 Il l'appelle "Yo el Rey".
14:07 Vous savez ce que ça veut dire?
14:09 "Yo el Rey", ça veut dire "moi le roi".
14:11 Signe de modestie.
14:13 Et ça, il l'a peint sur le front,
14:16 sur le front du portrait réalisé.
14:19 Il arrive avec ça, en sorte de conquérant,
14:22 il se dit "je vais pouvoir le proposer aux marchands d'art".
14:26 Dans un premier temps, c'est quand même la Monsarde
14:28 qui les attend, des conditions extrêmement pénibles,
14:31 parce que même si le camarade a quelques sous,
14:34 Paris, ça coûte cher.
14:36 Mais en revanche, Montmartre,
14:38 c'est d'une effervescence incroyable.
14:40 Il y a les cabarets,
14:42 il y a une sorte de joie intrinsèque.
14:45 C'est le monde du grand bouleversement.
14:48 On est au début du XXe siècle.
14:51 Et alors, dans les cabarets,
14:54 il est toujours avec son crayon, son papier.
14:57 Il croque, les jeunes artistes,
14:59 elles vont dénuder le Saint-Aquin.
15:02 Et tout ça, il l'emporte.
15:05 Et un jour, il rencontre Berthe Well.
15:09 Berthe Well, c'est une femme qui est passionnée de peinture.
15:13 Il y a beaucoup de...
15:15 On croit au bouleversement de l'art.
15:18 Elle a monté une petite galerie.
15:21 Il lui dit "Madame, j'ai des taureaux".
15:24 Vous savez, cette passion pour la corrida.
15:27 Elle prend 3 tableaux.
15:29 Et ces 3 tableaux sont remarqués
15:32 par un industriel catalan qui s'appelle Manac,
15:35 qui entre dans la galerie,
15:37 qui dit "mais c'est de qui ça ?"
15:39 Elle dit "c'est un jeune garçon, vous allez pouvoir le rencontrer".
15:42 Et Manac lui découte.
15:44 "Je vais devenir ton mécène,
15:46 je te donne 150 francs par mois,
15:49 mais en revanche, tu me réserves l'exclusivité de ta production".
15:54 C'est formidable.
15:56 On pourrait se dire, c'est l'opportunité d'échapper
15:59 à ces années bohème qui font la légende de tous les artistes.
16:04 Mais son copain Casamésas, lui, il a un drame.
16:08 C'est-à-dire qu'il a été touché par Cupidon,
16:11 la flèche en plein coeur,
16:13 mais la jeune fille qu'il mire,
16:16 elle malheureusement n'est pas du tout concernée.
16:19 Cupidon a raté la deuxième cible.
16:21 Il est désespéré, il va tellement mal
16:24 qu'il se tourneboule à l'alcool
16:26 et Picasso pense qu'il est bon de retourner au pays,
16:29 d'autant que lui aussi, quelques nostalgies,
16:31 et les voilà qui repartent.
16:33 Il sera comme ça, par 4 fois,
16:36 en alternance entre Paris,
16:39 où à chaque fois, il y a quelque chose qui l'agrippe,
16:42 où il sent que c'est là que tout son destin va se jouer,
16:45 et puis la nostalgie.
16:47 Et enfin, en 1904, il s'installe définitivement,
16:51 mais il connaît déjà bien les cabarets,
16:53 il connaît les patrons de cabarets
16:56 qui ont toujours l'œil, je dirais, pétillant
17:00 quand ils sentent qu'il y a du talent.
17:02 Ce garçon-là, on le remarque pourquoi ?
17:05 De par son attitude, il est à la fois ombrageux
17:08 et puis soudain, des éclats de rire,
17:10 de véritables tonnerres.
17:12 Il est donc dans ce changement d'humeur,
17:17 mais surtout, c'est qu'il n'arrête pas de dessiner,
17:20 qu'il n'arrête pas de dessiner.
17:22 Et on sent qu'il y a quelque chose
17:24 qui sort de l'ordinaire, et en particulier,
17:27 il y a Frédé, il a un cabaret,
17:29 il est complètement décrépit,
17:31 c'est là où la bande de Catalans se réunit,
17:33 et ceux-là se disent "on ne peut pas le laisser,
17:36 lui il est sur son tonneau de bière,
17:38 il est fait rarement payer".
17:40 Et pour le remercier, chacun se fait un pan de mur,
17:43 et celui de Picasso, ce sont les jeunes filles
17:47 en goguettes qui apparaissent toutes nues en flamboyance.
17:52 - Ah oui, ça c'est bien Picasso.
17:54 L'installation au bateau Lavoir, on va en parler maintenant.
17:57 "Dessinez-moi un musée et je leur remplirai",
18:05 c'est une des citations de Pablo Picasso.
18:08 Marc, on va s'arrêter à l'installation au bateau Lavoir,
18:11 puisque 1904, pour la quatrième fois,
18:13 il revient à Paris, et cette fois-ci,
18:15 à part quelques voyages, il restera quasiment à tout jamais.
18:19 - Alors, c'est 13 rues ravignants.
18:21 On est sur la butte Montmartre,
18:23 mais là, il n'y a pas encore le cercle écœur,
18:25 il y a les premières pierres qui sont posées,
18:27 beaucoup de vignes, des moulins à vent,
18:29 on n'imagine pas, mais c'est la campagne,
18:31 ce monde d'artistes,
18:33 et puis les plus pauvres et les plus riches
18:35 qui commencent à venir nicher dans les immeubles en construction.
18:40 Et lui, le voilà au bateau Lavoir,
18:42 alors, c'est la mesure.
18:44 Vous entrez par le sommet,
18:47 c'est-à-dire que c'est une maison à flanc de colline,
18:51 et on ne monte pas dans les étages,
18:53 on descend les étages.
18:55 - D'accord.
18:56 - Et lui, il est au sommet,
18:58 c'est un cavernarium incroyable,
19:01 c'est un lieu de bric-à-brac inouï,
19:04 et de temps en temps, il a un œil à la fenêtre,
19:07 mais sinon, il s'occupe de ses petites souris
19:09 qui sont dans un tiroir,
19:10 il a aussi des chats,
19:11 la fascination pour les animaux,
19:13 il aperçoit une jeune fille
19:15 qui est là, près de la fontaine,
19:17 et un orage vient inonder l'ensemble de la place,
19:22 elle courotte, elle entre dans le bateau Lavoir,
19:25 lui, forcément, il ne part pas de temps,
19:26 il se présente avec son petit chaton,
19:28 il lui offre et lui dit "Venez donc visiter,
19:31 elle s'appelle Fernande,
19:33 elle a des yeux verts, en incandescence incroyable",
19:37 et il finit par la convaincre de s'installer avec lui,
19:40 c'est une pauvre gamine, elle a 17 ans,
19:42 elle était orpheline,
19:44 sa tante la tyrannisait en l'ayant adoptée,
19:47 elle s'est mariée pour échapper à cette furie,
19:50 et malheureusement, le sculpteur qu'elle a épousé,
19:54 eh bien, est tombé fou.
19:56 Elle est tellement heureuse d'avoir ce personnage,
19:59 mais qui, à la fois, va la bichonner,
20:02 lui offrir une tendresse comme elle ne l'espérait pas,
20:04 mais des conditions de misère absolue.
20:07 L'hiver, il fait tellement froid,
20:09 le thé gèle dans les verres,
20:12 on n'a pas d'électricité, on n'a pas d'eau,
20:14 comment peint-il ?
20:15 Eh bien, il est là, accroupi,
20:17 souvent c'est la nuit,
20:18 avec sa lampe à pétrole, par terre,
20:21 et c'est comme ça qu'il peint.
20:24 Vous imaginez ?
20:26 Et comme on n'a pas d'argent, qu'il fait froid,
20:29 elle est tellement belle, il y a le bougnard,
20:31 le bougnard, c'est celui qui livre le charbon de temps en temps,
20:34 il laisse un sac pour ses beaux yeux,
20:36 il espère la détourner de Pablo,
20:38 mais elle ne pense qu'à lui.
20:41 Et puis, de temps en temps, on appelle un traiteur,
20:43 et quand il toque à la porte,
20:45 elle dira "Posez devant la porte, je suis toute nue,
20:47 je ne peux pas vous ouvrir".
20:49 Voilà la misère, mais l'amour, d'ailleurs, elle le dira,
20:52 "je suis heureuse".
20:55 Et alors, les amitiés, également, vont naître,
20:58 il y a les Catalans, mais ils rencontrent Apollinaire,
21:00 ils rencontrent Derain, ils rencontrent Braque,
21:03 et tout ça, forcément, on se retrouve dans les cabarets
21:07 pour se laisser aller à la fête de l'amitié.
21:10 Et puis, il y a un personnage extraordinaire,
21:12 qui s'appelle le Père Soulier,
21:13 c'est près du cirque Medrano.
21:15 Le cirque Medrano, ça l'inspirera, vous savez,
21:18 tous les tableaux de Picasso sur le cirque,
21:20 les harlequins, c'est là qu'il puise l'inspiration,
21:23 le Père Soulier, il les reçoit dans son officine,
21:26 qui est une sorte de bazar invraisemblable,
21:29 et il aperçoit dans ce bric à braque un portrait.
21:34 Il dit "c'est quoi ?"
21:36 "Oh, ça appartient à un type, il est fonctionnaire,
21:38 il fait ça".
21:40 "Tu peux récupérer la carcasse,
21:43 te servira, la toile est encore très bonne".
21:45 Et c'est une oeuvre du douanier Rousseau
21:48 qu'il gardera toute sa vie.
21:50 Il est tellement émerveillé qu'il demandera
21:52 à rencontrer le douanier Rousseau.
21:54 Il fout une fête incroyable, cet homme n'a jamais été
21:59 autant respecté que ce jour-là.
22:02 C'est donc la fraternité qui lui gouverne,
22:04 il a besoin des amis, et pour autant, en général,
22:08 il est replié dans sa solitude
22:10 et tente en effervescence permanente
22:13 la création qui le taraude.
22:15 - On va continuer à découvrir ce portrait de Pablo Picasso.
22:19 Dans un instant, on verra comment il a vécu
22:21 les deux grandes guerres,
22:23 on verra les 20 dernières années de sa vie.
22:25 "J'ai mis toute ma vie à savoir dessiner comme un enfant".
22:28 A tout de suite.
22:30 "Je ne cherche pas, je trouve",
22:33 une des nombreuses citations de Pablo Picasso.
22:35 On revient avec Marc Menand pour continuer
22:37 le grand destin de cet homme hors du commun.
22:40 Et on va parler dans cette deuxième partie
22:43 de la façon dont il a vécu les grandes guerres
22:45 des 20 dernières années de sa vie.
22:47 On ne peut pas tout dire, mais on va essayer
22:49 de se concentrer sur les guerres.
22:51 On commence par les guerres.
22:53 Au-delà de la chronologie,
22:59 Picasso est confronté à l'histoire, à 33 ans,
23:02 c'est la Première Guerre mondiale,
23:04 puis en 1940, ce sera la Deuxième Guerre.
23:06 Comment il vit ces moments extrêmement difficiles
23:09 et particuliers ?
23:11 Il a eu un éclairage.
23:13 Avant la guerre, il a eu la chance
23:15 de rencontrer Ambrose Vollard,
23:17 un marchand d'art qui l'a repéré
23:19 et qui commence à vendre ses œuvres.
23:21 Et suffisamment pour sortir de ce galeta
23:24 que j'ai évoqué, le bateau la voir,
23:26 et il s'installe dans un très bel appartement.
23:29 Il obtient même la possibilité, grâce à ses gains,
23:32 d'engager une bonne avec le petit tablier blanc,
23:36 le bonnet.
23:38 Il sort de la misère.
23:40 Malheureusement, Fernande comprend
23:42 que cela signifie la fin de leur complicité.
23:45 Il y a des dissensions et ils se séparent.
23:49 Dans la douleur, il gagne le sud de la France.
23:52 Le voilà du côté d'Avignon avec ses copains.
23:55 Les nombreuses rencontres.
23:57 Il y a Apollinaire, De Ryn, Braque.
24:00 Et la guerre les cueille alors qu'ils sont là,
24:03 dans l'insouciance, et qu'ils se laissent aller
24:06 peintiner ces toiles en passant d'un genre à l'autre.
24:10 Il n'y a pas que la peinture, il y a la sculpture.
24:13 C'est un homme qui est constamment
24:18 dans la recherche de quelque chose d'étonnant.
24:22 Ne pas s'assoupir, ne pas être un vendeur.
24:26 Et alors, malheureusement pour lui,
24:29 ses deux camarades, De Ryn et Braque,
24:32 qui apprennent la nouvelle quand il est avec eux à Avignon,
24:35 ils disent "mais nous on va aller gagner le front,
24:38 c'est notre devoir, ils ont le même âge que lui".
24:41 Lui il est espagnol, il dit "je suis espagnol,
24:43 je ne suis pas concerné". Mais il ment.
24:45 Parce que dans le même temps, vous avez Kessel,
24:47 vous avez Sandrars, tous ces gens-là
24:49 créent la Légion étrangère, ils s'engagent.
24:52 Il faut aller se battre contre les Allemands,
24:55 il faut être digne de la patrie qui vous accueille.
24:59 Mais lui préfère rester en France,
25:02 il regagne Paris et il a les mois pour une jeune fille.
25:07 Il avait repéré, il y aura plus grandes histoires.
25:12 - On sait que c'est un grand consommateur de femmes.
25:14 - Non, non, non.
25:16 - Il est connu comme tel. De votre point de vue peut-être non.
25:18 - Non, mais à chaque fois les histoires durent 10 ans.
25:20 Et celle-là malheureusement sera beaucoup plus courte.
25:22 Parce qu'elle est mignonne comme tout, elle s'appelle Eva.
25:25 - Cette femme au moins.
25:27 - Mais Eva, la santé qui la mine,
25:31 et malheureusement, elle décline
25:34 et il passe son temps dans le métro
25:36 aller lui rendre visite à l'hôpital.
25:40 Et puis il y a les instants où il oublie
25:42 ces instants qui sont insoutenables.
25:47 Elle est tellement jeune, elle est tellement jolie.
25:49 Il palpitait pour elle, il espérait.
25:53 Mais il y a les amis qui reviennent du front.
25:56 Et à Montparnasse, parce que maintenant
25:58 il s'est installé à Montparnasse, ce qui est incroyable.
26:00 Vous avez la douleur de temps en temps.
26:02 On a la sensation d'entendre les grondements de l'horreur
26:05 venus de si loin.
26:07 Mais là, les permissionnaires se mêlent au planqué.
26:11 Et il y a une gaieté qui est une gaieté d'indécence.
26:15 Et c'est à Montparnasse que les choses se passent.
26:19 Et parmi les permissionnaires, il y en a un
26:22 qui a réussi à se faire engager comme infirmier.
26:25 Pourtant il n'a pas la santé, il s'appelle Cocteau.
26:27 Il se découvre et Cocteau lui dit
26:29 "Écoute, il y a Dagiliev qui m'a demandé de préparer"
26:34 Dagiliev qui s'est fait connaître par les balais russes en 1909.
26:38 "Il est à Rome avec sa troupe et il veut que je lui propose une nouvelle création."
26:44 Alors il l'emmène avec lui à Rome.
26:46 Et là, avec Éric Satie comme compositeur,
26:51 et lui qui se montre au-delà du peintre,
26:54 c'est-à-dire qu'il va réaliser des décors,
26:56 il va réaliser les costumes.
26:59 Et quand Cocteau est en panne d'inspiration,
27:02 c'est lui qui concourt à construire le spectacle.
27:06 Mais il y a aussi une jeune ballerine,
27:09 une danseuse, Olga.
27:11 "Oh, Olga !"
27:13 Eh bien, ça lui fait oublier la douleur de la disparition de la pauvre Eva.
27:18 Eva qui s'en est allée, il n'était que huit à l'enterrement.
27:22 Un instant sinistre.
27:24 Comment sortir de cela ?
27:26 Eh bien, uniquement souvent à l'existence.
27:29 On ne vit pas avec les morts.
27:31 On garde les souvenirs et on s'offre à l'espérance.
27:35 Et Olga est cette espérance.
27:37 Et en 1917, il y a la grande première à Paris au théâtre du Châtelet de parade.
27:44 Le public est là, forcément.
27:46 Les balais russes ont eu un tel succès en 1909.
27:49 Mais c'est de scandale.
27:51 Les gens crient "Sale Boche ! Sale Boche !"
27:54 parce qu'ils croient que ce sont les Allemands
27:57 qui ont pigné un tel désastre
28:00 pour ruiner, je dirais, le moral des Parisiens.
28:04 Et à ce moment-là, vous avez Apollinaire,
28:06 qui a été blessé au front,
28:08 qui a un bandeau sur la tête, qui se dresse et qui dit "Non.
28:12 Non, regardez, je suis parmi ceux qui ont souffert pour la France."
28:18 Et là, le public se convertit.
28:21 Apollinaire, malheureusement, ne passera pas.
28:25 La fin de la guerre, il y a l'armistice.
28:28 Mais quelques jours plus tard, il mourra,
28:31 emporté, dit-on, par la grippe espagnole,
28:35 mais malheureusement, je dirais sabré,
28:37 par toute l'abjection qu'il avait vécue au front,
28:42 les conditions inhumaines,
28:44 et puis cette blessure à la tête.
28:47 Pour Picasso, là encore,
28:49 seul l'art lui permettra d'échapper au désespoir.
28:54 - Heureusement, il y a Olga, vous le disiez,
28:56 il se marie avec Olga, et Olga lui a dit "Une Russe, on l'épouse."
29:00 La petite histoire.
29:02 On va passer à l'autre guerre, la guerre de 1940,
29:04 qui a beaucoup marqué aussi Pablo Picasso.
29:08 - Signalons quand même qu'ils ont un enfant ensemble, Paul.
29:10 - Ils ont un enfant, non, zut à fait.
29:12 - Mais l'histoire ne pourra pas tenir. Pourquoi ?
29:14 - Parce qu'elle rêve du luxe, c'est le coté russe,
29:18 et lui est bien dans sa tête.
29:20 Il reste l'homme de la bohème.
29:22 Ça ne peut pas fonctionner.
29:24 - D'autres guerres, je disais, qui vont le marquer,
29:26 il y a la guerre civile d'Espagne, on en parlera dans un instant,
29:29 mais d'abord la guerre, l'autre grande guerre, celle de 1939-1940.
29:33 - La guerre. Il est à Paris, et une nouvelle histoire.
29:37 Olga refuse le divorce, et lui est tombé amoureux de Dora Maar.
29:42 C'est une photographe. Elle est à ses côtés.
29:46 Et puis il y a eu l'épisode, que l'on évoquera dans quelques minutes,
29:50 de Guernica. Il est connu pour cela.
29:54 C'est-à-dire qu'il est classé par Vichy, par l'occupant,
30:00 comme étant un anarchiste, un ennemi de Franco.
30:04 Donc on pourrait penser qu'il serait menacé
30:07 lorsque les Allemands s'installent à Paris.
30:10 Il a choisi un grand atelier pour continuer à se consacrer à l'art.
30:15 C'est rue des Saint-Augustin. C'est énorme !
30:19 C'est là qu'il a réalisé Guernica, que l'on évoquera.
30:22 Et les Allemands ont l'intention de se dorer une image,
30:29 donc d'essayer de charmer les écrivains, les artistes qui sont à Paris.
30:35 On organise un grand voyage en Allemagne, il dit, il n'est pas question que j'y aille.
30:39 Il vienne ces nazis conquérants lui offrir du charbon,
30:44 lui offrir des victuailles pour échapper à la famine que connaît le peuple.
30:52 Il refuse tout ça et quand on insiste pour un sac de charbon,
30:56 il dit un Espagnol n'a jamais froid.
30:58 Et avec Doramar, on se contente de vivre comme on peut.
31:04 Et puis, pour autant, étant donné cette réputation,
31:08 les Allemands aiment venir dans cet atelier,
31:12 visiter cet homme qui est maintenant mondialement connu.
31:16 Il y a un officier allemand, alors il a fait faire des cartes postales,
31:20 et sur cette carte postale, il y a Guernica.
31:24 Il y a un officier allemand qui voit et qui dit "Ah c'est de vous !"
31:27 Et Picasso, avec ce côté railleur qui est le sien,
31:32 qui lui dit "Non, c'est de vous !"
31:35 Et à tous ces Allemands qui lui rendent visite,
31:40 puisque sa réputation lui vaut la curiosité,
31:45 il l'offre des cartes postales qui représentent son œuvre.
31:50 Et à chaque fois, il dit "Prenez, prenez ! Souvenirs, souvenirs !"
31:54 La provocation, c'est sa seule façon de montrer
31:59 qu'il n'est pas d'accord avec ce régime qui est en place.
32:03 Mais néanmoins, il a des amis comme Éluard,
32:06 tous ceux qui sont restés sur place car trop âgés pour aller au front,
32:11 et puis après il y a eu l'armistice, donc comment entrer dans la résistance.
32:15 Lui, il se contente d'avoir les provocations vis-à-vis des ennemis,
32:21 mais il n'est pas question qu'il soit dans le frontal, si je puis dire,
32:25 par rapport à ces années où les uns et les autres
32:29 essaient de trouver le moyen de faire chuter les Allemands.
32:33 - C'est intéressant parce qu'il adhère au Parti communiste,
32:35 il fait le portrait de Staline.
32:36 - Alors ça, il adhère au Parti communiste comme s'il avait besoin
32:40 de se donner une bonne raison,
32:43 de ne pas avoir participé de façon active.
32:46 Et quand Éluard, après la guerre, lui dit "Allez, viens avec nous au parti",
32:52 il dit "Je trouve ma patrie, le communisme".
32:57 Mais ce n'est pas le communisme bolchevique.
33:00 Pour lui, dans sa tête, c'est le milieu dont il vient,
33:04 c'est-à-dire c'est le milieu des ouvriers,
33:07 c'est comment demain tout un chacun peut rêver d'un meilleur sort.
33:11 Voilà pourquoi il est communiste.
33:13 Et quand on lui demande de réaliser un portrait, alors n'oubliez pas,
33:17 déjà Hitler, les Allemands qui acceptent celui qui est l'idole, entre guillemets,
33:24 de l'art dégénéré, forcément.
33:27 On n'est pas dans le figuratif, donc c'est quelque chose d'intolérable.
33:30 Mais pour les soviétiques, c'est la même chose.
33:32 C'est un art dégénéré.
33:34 Et on lui demande pour autant de réaliser un portrait de Staline.
33:38 Et alors il fait ça dans une sorte de bouquet de fleurs.
33:40 Ça crée un scandale, personne n'en veut.
33:43 [Rires]
33:46 Et bien, malgré ses positions, il restera, au moins officiellement,
33:52 du parti communiste.
33:54 Il ne quittera jamais ce qui est donc le symbole de la lutte ouvrière.
34:01 Un tableau ne vit que par celui qui le regarde.
34:05 Encore d'une citation de Pablo Picasso.
34:07 On va s'intéresser maintenant au secret de deux tableaux très importants,
34:11 "Les Demoiselles d'Avignon" et "Guernica", bien sûr.
34:14 [Musique]
34:18 Alors Marc Meneau, ce sont deux œuvres qui dominent vraiment l'œuvre polifique
34:22 de Pablo Picasso, "Guernica", "Les Demoiselles d'Avignon".
34:26 Quel est le secret, justement, derrière ces œuvres ?
34:29 Alors, bon là, on casse la chronologie, comme vous avez dit tout à l'heure.
34:33 Oui, on casse la chronologie.
34:34 Alors, on remonte à 1907.
34:36 1907, il est dans l'interrogation.
34:39 C'est ce qui lui vaudra d'être souvent dans le changement,
34:43 le bouleversement par rapport à sa création.
34:47 Et là, il a eu un aperçu du fauvisme, il a eu un aperçu de l'art nègre.
34:52 Il sent qu'il y a là des éléments pour oser le différencier.
34:58 Et puis, il rappelle ses périodes, parce qu'il a les périodes bleues,
35:01 après, il a abordé son ami, noirs, roses, etc.
35:04 Et Léostein a acheté une œuvre de Matisse qui s'appelle "La joie de vivre".
35:11 Et grâce à Léostein, il rencontre Matisse,
35:14 ils deviendront amis, Matisse qui a 15 ans de plus que Picasso.
35:20 Et là, cette joie de vivre,
35:22 les éléments que j'ai énumérés il y a quelques secondes, ça l'aiguillonne.
35:26 Et le voilà qui s'enferme et qui crée un tableau avec des femmes nues,
35:33 mais qui ne sont pas véritablement figurées.
35:36 Il passe plusieurs semaines comme ça, et puis il appelle ses amis.
35:42 Il appelle Derain, il appelle Braque, il appelle Matisse.
35:48 Alors que l'œuvre n'est pas achevée.
35:50 Il leur demande alors, j'ai noté là, je ne pouvais pas tout connaître dans ma tête comme ça.
35:56 Alors, vous avez Léostein et Matisse qui éclatent de rire,
36:01 qui disent "tu cherches la quatrième dimension".
36:05 Matisse, encore plus vachard, dit "c'est un attentat,
36:09 c'est une tentative de ridiculiser l'art moderne".
36:13 Ensuite, vous avez Georges Braque, il lui dit carrément
36:17 "c'est comme si tu voulais nous faire manger de l'étoupe ou boire du pétrole".
36:23 Après, vous avez Derain qui dit "un jour, on retrouvera Picasso pendu derrière sa toile".
36:33 Avec des amis comme ça, pas besoin d'ennemis.
36:35 Mais non, on juge l'art, ce n'est pas l'homme.
36:40 Et pour autant, ça va tous les prendre.
36:43 Il y a un rejet et c'est de là que va naître le cubisme.
36:47 Vous vous rendez compte ?
36:49 Mais le choc est trop important, c'est une sorte de séisme.
36:54 Et le temps que les cerveaux, même chez des gens comme ceux-là,
36:57 qui échappent aux règles établies,
37:00 la déflagration est trop grande, il leur faut un temps d'adaptation.
37:06 Ce qui est intéressant avec Picasso, c'est que alors que des artistes,
37:09 une fois qu'ils sont connus, peuvent stagner, rester immobiles,
37:12 mais lui, il va tout le temps dans la recherche d'autres choses.
37:15 Alors, il n'y a pas de nom à ce tableau.
37:17 Et c'est l'un de ses amis qui s'appelle André Salmon,
37:21 qui des années plus tard, voyant ses filles nues,
37:24 Picasso lui avait raconté comment dans sa période de Madrid
37:28 que j'ai évoquée tout à l'heure, il allait dans ces lieux clandestins
37:32 avec les jeunes filles, la jambe alerte.
37:36 Et dans une de ces rues qui s'appelait la "carrera de avignon",
37:43 c'est-à-dire la rue d'Avignon, il appelle le tableau
37:47 "Les demoiselles d'Avignon".
37:49 Voilà comment ce tableau sera célébré après avoir été construit.
37:54 - Avant de passer à Guernica, quand même, vous parlez des femmes et tout.
37:58 Il est quand même réputé pour être un peu misogyne, agressif.
38:01 Un mot quand même là-dessus par rapport aux femmes.
38:03 - Je ne vivais pas avec Picasso.
38:05 Ce que je retiens, c'est que les femmes qu'il a eues dans sa vie,
38:10 deux, se suicident des années après, non pas parce qu'il les aurait martyrisées,
38:16 mais par amour, parce qu'elles regrettent le temps où elles étaient avec lui.
38:21 Alors, quand il y a des divorces,
38:24 certains nourrissent quelque acrimonie qui peuvent virer à la haine.
38:28 Et elles se sont peut-être plaintes, en particulier, il y a Mlle Gillot.
38:32 - Oui, beaucoup ont décrié son machisme.
38:35 - Mais n'oublions pas, cet homme est né en 1880.
38:40 Il a un côté bougonneux, mais même avec ses amis, homme.
38:44 C'est-à-dire, par exemple, lorsque, à la fin de la guerre de 14,
38:48 il est avec Braque, et Braque lui dit,
38:51 alors qu'il lui parle d'Apollinaire, qu'on vient de perdre,
38:54 il dit, mais toi, qu'as-tu fait pendant la guerre de 14 ?
38:58 Et à ce moment-là, vous avez Picasso dans une fulgurance de rage
39:02 qui sort un couteau et qui le brandit vers Braque,
39:05 et qui lui dit, si tu n'étais pas Braque, je te tuerais.
39:08 Et il s'effondre en pleurs.
39:10 Vous savez, les artistes sont des gens d'émotion.
39:13 Et par conséquent, ils connaissent des éruptions.
39:16 De là à dire qu'ils sont misogynes, pour moi, je ne le crois pas.
39:20 - Ou machos.
39:22 - Nous évoquerons dans quelques minutes ensemble Jacqueline,
39:25 sa dernière femme, elle vit 20 ans avec lui.
39:28 - Guernica, c'est quand même un tableau exceptionnel,
39:31 la guerre avant la guerre.
39:33 - Il y a cette guerre civile en Espagne.
39:36 Et les Républicains, alors qu'on envisage
39:39 une exposition internationale à Paris,
39:42 qui obtiennent d'avoir un pavillon,
39:45 on a des Républicains pour cette exposition.
39:48 Et on sollicite des peintres.
39:51 Il est parmi ceux qui acceptent de tenter une toile.
39:54 Mais il n'aime pas les commandes.
39:57 Ça ne l'inspire pas, les commandes.
40:00 Donc ça traîne, ça traîne.
40:03 Et puis, il y a ce mois d'avril 1937,
40:06 où la nouvelle nous vient d'une horreur
40:09 qui s'est réalisée à Guernica, petite bourgade basque.
40:12 Qu'avaient-ils fait, les bougres ? Rien du tout.
40:15 C'était une ville où simplement les rebelles étaient passés.
40:21 Et l'officier allemand qui est en charge
40:24 de la Légion étrangère qui aide Franco,
40:27 il dit "il faut faire tomber le pont".
40:30 Et on canarde pendant 5 heures le jour du marché.
40:33 Cette petite ville, il y aura plus de 800 morts,
40:36 1000 morts. Et le sang, non seulement,
40:39 est là à dégouliner toutes les maisons qui sont embrasées,
40:42 quand on apprend ça, Picasso comprend
40:45 que c'est cela qu'il doit réaliser.
40:48 Il prend une toile énorme qui fera 8 m de long
40:51 dans son atelier de la rue des Saint-Augustin.
40:54 C'est tellement grand qu'on est obligé de la pencher.
40:57 Et pour peindre le sommet de la toile,
41:00 il a le besoin d'une échelle et d'un pinceau.
41:03 Vous voyez ? Dans des conditions d'équilibriste.
41:06 Et il réalise ça avec Doramard
41:09 qui, au fur et à mesure, prend les photos.
41:12 Et c'est cette oeuvre bouleversante
41:15 qui va naître dans une fulgurance là encore
41:18 puisqu'il ne la réalisera qu'en 2 mois.
41:21 - La création jusqu'au dernier souffle.
41:24 ...
41:27 Racontez-moi un peu ces 20 dernières années de sa vie.
41:30 Il meurt le 8 avril 1973,
41:33 mais il termine avec Jacqueline.
41:36 - Oui, Jacqueline, il la rencontre en 1953.
41:39 Il est devenu, je dirais, un sociétaire
41:42 de la Côte d'Azur, enfin une large côte d'Azur.
41:45 Ça va d'Avignon jusqu'à Cannes-Mougins.
41:48 Il prend ses habitudes à Valoris.
41:51 C'est là qu'il rencontre Jacqueline.
41:54 Il y a les fameux potiers de Valoris qui le célèbrent.
41:57 Chez l'un de ceux-ci, il rencontre Jacqueline
42:00 et enfin occasionnellement, il la courtisse
42:03 pendant 6 mois, vous voyez le macho,
42:06 pendant 6 mois, et il finit par aller peindre
42:09 une énorme colombre sur son mur.
42:12 Elle succombe. C'est une histoire d'amour extraordinaire.
42:15 Il a eu 2 enfants avec Mlle Gillot
42:18 et Claude Paloma viennent lui rendre visite
42:21 pendant les vacances.
42:24 Tout ça, c'est une sorte de famille recomposée.
42:27 Il ramasse les coquillages.
42:30 Il est dans une sorte de joie de vivre
42:33 de plus en plus recroquevillé sur lui-même
42:36 parce qu'il est de plus en plus visité.
42:39 Il y a même Gary Cooper qui lui offre un chapeau de coboy.
42:42 Mais c'est à qui voudra rencontrer Picasso ?
42:45 Jacqueline fait en sorte qu'il ne soit pas dérangé
42:48 car jusqu'au bout, il est là avec son pinceau,
42:51 mais pas que son pinceau. Il y a les poteries.
42:54 C'est une histoire débordante.
42:57 Elle veille à ce qu'on ne le dérange pas.
43:00 Il y a la chèvre, tous les animaux qui sont à ses côtés.
43:03 Cet homme meurt en disant "Ma femme, quelle merveille".
43:06 Vous voyez pour un macho.
43:09 -Ca n'empêche pas d'être macho.
43:12 Merci beaucoup, Marc Monensk.
43:15 Il faut retenir dès ses premiers mois,
43:18 Picasso est fasciné par le travail de son père,
43:21 il est tellement brillant que son père renonce à la peinture
43:24 et lui offre tout son matériel d'artiste.
43:27 A 19 ans, il découvre Paris, Montmartre
43:30 et signe ses œuvres au nom de sa mère, Picasso.
43:33 En 1907, il scandalise jusqu'à ses amis
43:36 avec les Demoiselles d'Avignon.
43:39 Jusqu'en 1911, ce sont les années bohème dans la misère
43:42 avec sa première compagne, Fernande Olivier.
43:45 La grande guerre, on en a parlé, il préfère la peinture au combat
43:48 et il a fait l'utilisation de "Parade" et de "Diaghilev".
43:51 En 1937, "Bouli bouleverse le monde"
43:54 avec son œuvre monumentale "Guernica".
43:57 Et puis de 1953 à 1973, 20 ans de création
44:00 sous l'aiguillon de l'amour avec Jacqueline
44:03 de 46 ans, sa cadette.
44:06 Un livre, Picasso de...
44:09 -C'est l'un des amis de Picasso.
44:12 On est vraiment dans l'intimité, c'est Penrose.
44:15 Je vous conseille qu'il soit en poche.
44:18 -Merci beaucoup. L'art est un mensonge
44:21 qui nous permet de dévoiler la vérité.
44:24 Ainsi va "Le grand destin" de Picasso.