• l’année dernière
73 080 : c’est le nombre de personnes détenues au 1er avril 2023 pour seulement 61 000 places. C’est le constat accablant qu’a dressé le contrôleur général des lieux de privation de liberté. Jamais il n’y a eu autant de détenus dans les prisons françaises malgré des quotas largement atteints avec un taux d’occupation de 142%. Pour Cécile Marcel, directrice de la section française de l’OIP (Observatoire International des Prisons) qui veille à préserver les droits des détenus et à surveiller les conditions d’incarcération, cette situation est alarmante. Invitée sur le plateau de Télématin, elle nous décrit ce qu’il se passe derrière les murs, et le bilan est effarant... 

Category

📺
TV
Transcription
00:00 C'est l'heure de l'invité d'actualité, Maya.
00:02 Vous rejoignez Cécile Marcel, elle est directrice de la section France de l'Observatoire international des prisons.
00:08 Bonjour Cécile Marcel.
00:09 Bonjour.
00:09 Merci d'être avec nous ce matin.
00:10 Merci.
00:11 73 080, c'est le nombre de personnes détenues au 1er avril 2023 pour 61 000 places.
00:17 Jamais il n'y a eu en France autant de personnes emprisonnées, résume le dernier rapport du contrôleur des lieux de privation de liberté.
00:23 On va le détailler.
00:24 D'abord, pouvez-vous nous expliquer ce qu'est exactement l'Observatoire international des prisons et le travail que vous menez ?
00:30 Alors, on est l'association de défense des droits en prison.
00:33 Notre mission, c'est d'abord d'observer les conditions de détention, de faire connaître les conditions de détention,
00:38 puisque ce qui se passe derrière ces quatre murs, c'est souvent un peu connu du grand public.
00:43 Et puis surtout, d'interroger sur la place de la prison dans la société, pourquoi on enferme ces 73 000 personnes aujourd'hui,
00:50 qu'est-ce qu'on en fait une fois qu'elles sont incarcérées et puis qu'est-ce qu'elles deviennent après ?
00:54 Et dans cette réflexion, nous promouvons bien sûr les alternatives à l'emprisonnement et un moindre recours à la prison.
01:00 On voulait donc avoir votre avis sur ce rapport annuel du contrôleur des lieux de privation de liberté sorti hier.
01:06 Il est alarmant, un peu comme chaque année.
01:09 Malheureusement, on parle d'un taux d'occupation de 142 %, 2 000 personnes qui dorment au sol sur des matelas.
01:16 Est-ce que vous, vous avez les mêmes constats ?
01:18 Bien sûr, on partage les mêmes constats que le contrôleur général des lieux de privation de liberté.
01:22 Et le même désespoir face à l'inertie des pouvoirs publics,
01:25 parce que comme vous le dites, c'est d'année en année les mêmes constats qui sont posés.
01:29 Il y a plus de 20 ans, le Sénat dénonçait les conditions de détention comme étant une humiliation pour la République.
01:35 En 2020, la France était condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme pour l'état de ses prisons et pour sa surpopulation carcérale.
01:40 Et on voit que trois ans après, la situation ne fait que s'aggraver.
01:44 Donc c'est effectivement extrêmement préoccupant.
01:45 Est-ce que vous effectuez, vous, au sein de l'Observatoire international des prisons, des visites ?
01:51 Que vous racontent les détenus au quotidien ?
01:53 Alors nous ne nous rendons pas en prison à l'inverse de la contrôleur générale des lieux de privation de liberté.
01:58 C'est une partie de l'association de départ de dire, on fait sortir l'information,
02:02 mais on ne veut pas être tributaire d'autorisation de l'administration pénitentiaire pour visiter les prisons.
02:07 En revanche, on est en contact au quotidien avec des personnes détenues et des proches de détenus qui nous font part de leur détresse.
02:13 C'est-à-dire ? À quoi ressemble la vie en cellule ?
02:17 La situation varie évidemment énormément d'un établissement à l'autre.
02:20 La réalité des maisons d'arrêt, c'est effectivement cette surpopulation que vous mentionnez,
02:26 avec des gens qui peuvent être deux, trois personnes dans une cellule de 9 mètres carrés,
02:30 avec beaucoup d'établissements qui sont extrêmement vétustes et insalubres.
02:34 Ça veut dire des problèmes d'isolation, il fait très froid en hiver, très chaud l'été,
02:39 des murs qui suintent, des punaises de lit souvent, des rats parfois, et très très peu d'activités,
02:46 ce qui fait qu'on se retrouve 22h sur 24 incarcérés.
02:48 Mais la formation, l'emploi, les sorties, est-ce qu'il y a des sorties dans la journée ?
02:54 Il y en a effectivement, il y a la promenade qui est obligatoire, donc ça on ne devrait pas pouvoir y déroger.
02:58 Certains préfèrent rester en cellule parce que les conditions de promenade sont aussi difficiles.
03:02 Avec des risques de violences.
03:04 Avec des risques de violences qui sont pointés par le contrôleur.
03:06 Le problème c'est qu'il n'y a pas assez d'activités, il y a seulement moins de 30% des détenus qui travaillent,
03:13 très peu, 10% qui ont accès à une formation, 6% qui ont accès à un enseignement,
03:17 très peu d'activités socio-culturelles.
03:19 Donc on ne se projette pas sur une réinsertion ?
03:21 On ne se projette pas et puis on n'a pas les moyens de se réinsérer en fait.
03:25 Les listes d'attente pour avoir accès à une activité sont extrêmement longues,
03:28 on peut attendre parfois des mois pour y avoir accès,
03:32 et plus il y a de monde en détention, plus les listes d'attente sont longues.
03:37 Il en est de même pour l'accès aux services d'insertion et de probation, l'accès aux soins.
03:43 Donc en fait tout est compliqué, et tout est compliqué par la surpopulation carcérale,
03:49 ce qui fait que la préparation à la sortie, évidemment, et à la réinsertion ont pâti.
03:53 Particulièrement, vous nous dites, dans les maisons d'arrêt,
03:56 ce sont elles qui sont essentiellement concernées par ce rapport alarmant.
03:59 Les maisons d'arrêt, c'est pour les peines courtes ou la détention provisoire en attente de prison ?
04:04 Exactement, les maisons d'arrêt, mais c'est quand même les deux tiers de la population carcérale,
04:08 parce que malgré ce qu'on croit, en fait une très très grande proportion de la population carcérale
04:13 ne sont pas des dangereux criminels, et donc on retrouve essentiellement en prison
04:18 des gens qui sont soit en attente de jugement, 30% de la population carcérale,
04:21 soit condamnés à des très courtes peines, et donc effectivement entassés dans les maisons d'arrêt,
04:26 où la surpopulation carcérale est la plus importante.
04:30 Des personnes qui souffrent parfois de troubles psychiatriques,
04:33 30%, près de 30% des personnes emprisonnées en souffrent,
04:36 est-ce que les prisons sont devenues finalement les asiles d'hier ?
04:41 C'est ce que pointe le contrôleur général, et effectivement c'est un des dangers qu'on pointe à l'observatoire,
04:48 c'est-à-dire qu'on constate qu'il y a une proportion extrêmement importante
04:52 de personnes qui souffrent de troubles psychiques, qui sont incarcérées,
04:56 plutôt qu'être prises en charge par les services de santé à l'extérieur,
05:00 et dont les troubles se renforcent en détention,
05:03 parce qu'évidemment c'est un environnement extrêmement anxiogène.
05:08 Vous nous le disiez, vous militez pour un moindre recours à l'emprisonnement,
05:12 la législation l'encourage aussi à ces alternatives,
05:15 dans quels cas déjà peuvent-elles être utilisées, pourquoi ne le sont-elles pas davantage ?
05:19 La législation est effectivement assez large en termes d'alternatives à l'emprisonnement,
05:24 le problème c'est que la prison reste la peine de référence pour l'ensemble des infractions,
05:31 et que le législateur continue tous les jours à voter des textes qui punissent d'emprisonnement
05:37 des infractions qui ne sont pas spécialement graves.
05:40 Donc il faudrait déjà que la prison ne puisse être prononcée que pour les infractions les plus graves.
05:46 Vous voulez dire quoi ? Qu'en France il y a l'idée qu'on doit payer par l'enfermement ?
05:51 Complètement, tous les jours on nous dit "ah mais cette personne elle devrait être en prison",
05:54 en fait non, on devrait pouvoir punir autrement que par l'incarcération,
06:00 donc ça continue de rester le réflexe principal des juges,
06:03 et puis le problème c'est qu'il y a un manque de moyens alloués à ces alternatives à l'emprisonnement.
06:08 Aujourd'hui si on regarde le budget de 2023 de l'administration présidentielle,
06:12 il y a 681 millions d'euros qui sont prévus pour la construction de nouvelles prisons.
06:16 15 000 places d'ici 2027, c'est ce que vous voulez dire ?
06:19 50 millions qui sont prévus pour les alternatives à l'emprisonnement et les aménagements de peine,
06:23 et 120 millions qui sont prévus pour la réinsertion et la prévention de la récidive.
06:27 Donc on voit bien qu'on ne met pas du tout les moyens au bon endroit.
06:31 Dernière question, votre association est internationale,
06:34 est-ce que vous diriez qu'en France on a les pires prisons d'Europe ?
06:37 Alors la France fait partie de ceux qui sont pointés le plus par la Cour européenne des droits de l'homme
06:41 et de ses prisons. Là où aussi on est un très mauvais élève,
06:44 c'est qu'on est un des rares pays du Conseil de l'Europe à continuer à incarcérer toujours plus,
06:48 alors que nos voisins européens, eux, ont compris que ce n'était pas une politique
06:53 qui payait même en termes de sécurité pour la société.
06:57 Et la moyenne au niveau européen, c'est une baisse de la population carcérale,
07:01 tandis que nous, nous continuons à incarcérer toujours plus malheureusement.
07:04 Merci beaucoup Cécile Marcelle.
07:06 Je rappelle que vous êtes directrice de la section française de l'Observatoire international des prisons.

Recommandations