Anne Brassié reçoit Frédéric Andreu, l'écrivain, le poète et l'avaleur de kilomètres à bicyclette. Son ouvrage "Les Brumes de Groningue" (L'Harmattan), nous emmène aux Pays-Bas, à la recherche mystérieuse d'un autre poète qu'il aime : Robert Brasillach. Dans son livre de poèmes "L'ermitage aux buissons blancs" (Alcudia), il œuvre au reboisement de l'imaginaire et réussit fort bien.
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00:00 [Musique]
00:24 Chers amis de TV Libertés, bonjour !
00:26 Je vous emmène au domaine de poésie ce matin.
00:29 Il m'est arrivé un grand bonheur, j'ai rencontré un poète.
00:33 Nous partons aux Pays-Bas.
00:35 Bonjour Frédéric Andreux.
00:37 Bonjour Anne.
00:40 Vous êtes venu nous présenter déjà deux récits de voyage.
00:45 "Vélo d'Isée" en terre nordique et "Voyage au bout de Céline"
00:49 parce que vous avez un goût très prononcé pour les voyages en bicyclette.
00:54 Vous parcourez de l'Allemagne, le nord de l'Europe.
00:59 Vous avez aussi, après des études littéraires, pris l'habitude de noter.
01:07 Certains prennent des appareils de photo, vous, vous écrivez.
01:11 En fait, vous ne faites pas beaucoup de photos.
01:14 Non, je tiens un carnet de bord, si j'ose dire.
01:17 Vous connaissez un carnet de bord.
01:18 Mes amis disent que j'étais un voyageur écrivain
01:22 et maintenant je suis un écrivain voyageur.
01:25 Ces textes m'ont tout à fait impressionné
01:30 parce que vous êtes évidemment et un écrivain et un poète.
01:34 Alors ce matin, nous évoquons "Les brumes de Groningen"
01:38 qui est publié aux Impliqués.
01:40 Les Impliqués, c'est une petite société qui dépend de l'armattan.
01:47 Et vous publiez aussi un très joli livre, un recueil de poèmes
01:51 "L'ermitage aux buissons blancs".
01:53 Je vous en lirai un tout à l'heure, c'est un poème, c'est tout à fait merveilleux.
01:58 Et pourtant, vous êtes né dans une famille pas tellement portée sur la littérature
02:03 et on vous disait, c'était des gens solides de la région lyonnaise
02:08 et on vous disait que les arts ne servent à rien.
02:11 Oui, on ne m'a pas vraiment incité à écrire
02:17 mais c'est une activité donc clandestine qui s'est révélée petit à petit en plein jour.
02:25 Alors dans quelles conditions faites-vous ce voyage vers Groningen ?
02:30 Alors ce voyage aux Pays-Bas s'est programmé quelques heures
02:36 avant la fermeture des portes et des fenêtres et des frontières,
02:41 à savoir le confinement de novembre 2020.
02:45 Et sachant que nous allions être assignés à résidence
02:50 collectivement et individuellement, je n'ai pas supporté cette idée-là.
02:54 Et donc, quelques heures avant l'échéance, j'ai pris ma bicyclette et j'ai fui la France.
03:01 Voilà, j'ai fui la France et je me suis réfugié pendant presque deux mois
03:08 dans une ferme isolée des Pays-Bas où les règlements étaient beaucoup moins coercitifs
03:14 et donc on pouvait sortir, rentrer comme on voulait de la ferme.
03:18 C'est-à-dire que vous êtes allé au milieu de nulle part, il faut quand même bien le dire.
03:22 Donc les forces de police, les forces municipales étaient assez limitées.
03:27 Oui, et puis comme en hiver cette région-là est couverte de brume,
03:32 donc on ne voyait personne, donc je pouvais sortir, rentrer incognito.
03:37 Et je dois dire pour dire une petite anecdote amusante,
03:42 lorsque j'arrive avec ma bicyclette à Valls, qui est donc la ville frontière
03:47 pour pénétrer le territoire des Pays-Bas, les gendarmes avaient déjà bloqué la frontière,
03:55 donc ils filtraient les voitures. J'arrive devant la ligne de gendarmes
04:02 et je prends ma bicyclette, je l'incline sur le trottoir et je passe comme ça incognito,
04:09 comme si j'étais un voisin, un riverain et donc je passe la frontière grâce à ce subterfuge exactement.
04:19 Bravo, il faut toujours passer les frontières.
04:23 Alors vous arrivez dans ce pays couvert de neige, puisque c'est aux alentours,
04:29 c'est juste avant Noël, et vous nous donnez une envie incohérencible de partir aux Pays-Bas,
04:36 ça c'est évident, mais vous n'avez pas ni une terre ni une maison dans ce pays.
04:42 Vous tapez à la porte des fermes pour demander l'hospitalité, un abri,
04:48 surtout que ce soir-là il pleuvait, il grêlait, dormir dans votre tente n'était pas une situation…
04:56 Non ce n'était pas très confortable, j'avoue que j'ai dormi quelques fois le long du Rhin,
05:03 puisque le Rhin traverse les Pays-Bas, j'ai fait plusieurs bivouacs très approximatifs le long du Rhin,
05:11 je me souviens qu'il y a des grenouilles qui rentraient dans ma tente, des insectes,
05:15 et donc j'avais très peu dormi.
05:17 Mon objectif c'était de rejoindre les îles de Frise,
05:21 c'est un chapelet d'îles qui se trouve en mer du Nord, à l'extrémité nord des Pays-Bas,
05:28 et je n'ai pas pu rejoindre ces îles, et j'ai tapé à la porte d'une ferme
05:37 dont la silhouette se dessinait dans la brume,
05:40 pour éviter de dormir au milieu des batraciens et je ne sais qu'à…
05:47 Et vous avez été accueilli à bras ouverts, tout de suite, un bol de soupe et un lit.
05:52 Voilà, donc j'avais proposé de dormir dans le hangar,
05:56 qui me protégeait un minimum de l'humidité,
06:00 et le fermier, qui est le personnage principal de mon roman, de mon récit,
06:08 m'a gentiment accueilli chez lui, dans ces grandes grandes fermes hollandaises,
06:14 en hollandais ces fermes s'appellent "Bordereij",
06:17 c'est le nom de ces grandes fermes du Nord des Pays-Bas.
06:24 Eh bien, il y a une toute petite pièce qui est chauffée en hiver,
06:29 évidemment le hangar est froid, et cette petite pièce,
06:31 eh bien nous avons cohabité ensemble pendant presque un mois et demi.
06:36 Nous avons passé les fêtes de Noël, et une aventure romanesque commence,
06:42 mais je vous laisse la décrire.
06:45 L'hiver est aussi la saison unique qui renverse sur la table des souvenirs
06:50 les corbeilles d'images de l'année écoulée,
06:53 d'autres souvenirs plus anciens encore,
06:56 provenant même des aurores de l'enfance,
06:59 si agrèges comme les maillons d'une chaîne que l'on remonte d'une margelle.
07:05 Pour en être les témoins, il est cependant nécessaire
07:08 de franchir le seuil d'une habitation,
07:11 puis de jeter un coup d'œil à travers l'une de ces grandes baies vitrées
07:16 qui ouvrent sa façade, pour que les formes du monde,
07:19 les rares arbres non absorbés par la brume,
07:23 les silhouettes du lointain imbibées du lait maternel
07:27 ou de la pénombre du soir,
07:29 se mettent à miroiter avec les plus scintillants de nos souvenirs.
07:34 Si vous ajoutez à ces rideaux de brume
07:37 les luminaires anguirlandais des portes et fenêtres,
07:40 lorsque Noël paraît,
07:42 alors le grand désert blanc de l'hiver hollandais
07:46 se métamorphose en un spectacle de joliesse et de rêve.
07:52 Voilà, vous avez, chers amis de la télé,
07:55 un exemple de la prose de Frédéric Andreux
07:59 qui nous donne quand même un très très grand bonheur.
08:03 Il faut le savoir, je lis beaucoup,
08:06 c'est quand même très rare que la prose soit aussi nourrissante
08:10 que la vôtre Frédéric.
08:12 Alors, vous mettez tout de suite l'accent sur ces baies vitrées
08:17 que vous voyez dans chacune des maisons.
08:20 Oui, en effet.
08:21 Alors, dans cette région des Pays-Bas,
08:23 comme la luminosité est relativement faible,
08:26 il y a des hivers assez sombres et longs,
08:30 les maisons sont équipées de grandes baies vitrées
08:35 sans volets, de manière à pouvoir profiter au maximum
08:39 de la luminosité solaire.
08:41 Ce qui est évidemment très différent de ce qu'on est habitué à voir en France,
08:47 où il y a des petites fenêtres avec des volets.
08:50 En Provence, on cherche à se prémunir de la lumière,
08:53 du soleil dans le sud de l'Europe,
08:55 et dans le nord, c'est le contraire, on essaye au contraire de...
08:59 Et puis il y a aussi des voisins.
09:01 Oui, alors ce qui est étonnant,
09:02 c'est que lorsqu'on passe devant ces maisons avec ces grandes ouvertures,
09:05 on a l'impression de voir des tableaux flamands,
09:08 les mobiliers, on voit aussi les gens qui sont en train de prendre leur petit-déjeuner
09:12 ou qui sont en train de brosser leurs dents dans la salle de bain.
09:16 Donc on a l'impression d'être chez eux, ce qui est assez étonnant.
09:21 Vous le racontez très joliment dans ce livre, toutes ces fenêtres.
09:29 C'est tout à fait joli.
09:36 Et vous en écrivez un poème.
09:39 "La fenêtre hollandaise"
09:41 J'ai passé tout l'hiver au pays à Languille
09:43 De portes décorées, de ouverts et de guis
09:46 De sobres pavillons aux grandes baies vitrées
09:49 Et d'impasses de briques aux furtives entrées
09:53 Où des passants passaient vers d'invisibles fêtes
09:56 Là, parfois, dépassait d'un rideau une tête
10:00 Où vacillait la flamme bleue d'une bougie
10:03 On aurait dit qu'un artiste féru de magie
10:06 Copiait une toile de la Renaissance
10:09 C'est alors qu'en poète et quêteur de sens
10:12 Je cherchais le secret de ces mortes natures
10:16 Donnant à ces lieux, dit, l'âme d'une peinture.
10:20 Et vous le racontez souvent, on pénètre.
10:25 Vous montrez que quand on est à l'intérieur,
10:29 on voit la nature à travers le cadre de la fenêtre
10:33 et que le paysage devient un tableau.
10:36 Et quand on est dehors, c'est l'inverse.
10:39 On tombe sur un tableau de Vermeer, par exemple.
10:42 C'est très joli comme idée.
10:44 Il faut dire qu'en hiver, on ne voit pas grand-chose
10:47 puisque la brume tarde à s'effilocher en fin de matinée.
10:53 Mais pendant longtemps, on ne voit pas grand-chose.
10:56 Et puis ensuite, c'est sombre très rapidement le soir.
10:59 Et on voit ces lumières, ces décorations de Noël
11:02 qui brillent comme en suspension, puisqu'on ne voit qu'elles.
11:06 Donc on dirait des petites étoiles.
11:08 Et on voit aussi, puisque nous n'oublions pas
11:11 que les Pays-Bas, comme leur nom l'indique,
11:14 il n'y a pas de montagne, il n'y a pas de relief.
11:17 Donc on voit uniquement les flèches des cathédrales
11:20 et les moulins qui nous servent aussi de point de repère.
11:24 Parce que sinon, on est complètement perdu.
11:27 On n'est pas habitué en France à voir des pays complètement plats.
11:33 Et d'ailleurs, les Pays-Bas sont même en dessous du niveau de la mer,
11:36 légèrement en dessous.
11:38 Il y a des canaux qui tracent des lignes, comme ça dans le paysage.
11:41 Et il y a ces canaux qui forment des lignes horizontales
11:45 et ces cathédrales qui forment des lignes verticales.
11:49 Et avec cette abscisse et cette ordonnée, on essaye de se guider.
11:54 - C'est très compliqué. J'ai fait beaucoup de bicyclettes.
11:59 "Le soir tombé, la chaussée devient plus glissante encore que pendant le jour.
12:05 Aussi, mon attention reste fixée sur le moindre accident du sol.
12:10 Une fissure, une dalle de béton mal ajustée,
12:13 et je pourrais déraper de la cente étroite
12:16 où la roue de mon vélo trouve sa petite musique
12:20 comme le diamant d'un phonographe dans le micro-sillon d'un disque vinyle."
12:25 Ça, c'est très joli.
12:27 Mais on a peur pour vous parce qu'on se dit
12:29 comment faire de la bicyclette sur cette terre gelée ?
12:32 - Alors effectivement, c'était un challenge,
12:34 comme on le disait en ancien français,
12:36 un challenge de réaliser ce voyage en hiver.
12:39 Mais comme je vous l'ai dit, il était relativement improvisé.
12:43 Et il est le résultat d'un coup de tête.
12:47 Donc je suis parti avec le minimum de bagage.
12:51 Je voulais partir sans perdre l'honneur, au double sens du terme.
12:56 - Vous dites que vous partez avec le minimum,
12:58 mais vous vous avez rencontré dans des lieux où vous étiez invité,
13:03 vous vous avez couché dans des soupans,
13:07 vous avez quand même beaucoup de choses dans votre sac à dos.
13:11 Beaucoup à vous nourrir, une petite serviette,
13:13 vous avez tout.
13:14 Un sac de couchage très chaud.
13:16 Vous êtes très indépendant.
13:18 - Oui, ce mode de voyage, ce mode de vie qu'on appelle le cyclo-camping
13:24 est basé sur un principe, c'est l'autonomie maximale.
13:29 Donc il faut être le moins possible tributaire des autres personnes
13:35 puisqu'on arrive de manière nomade, sans prévenir.
13:39 Il faut pouvoir se loger, boire, manger, se chauffer.
13:44 - Et trouver sa direction.
13:46 - Et trouver sa direction.
13:48 - Sans GPS.
13:49 Racontez cette histoire délicieuse du type qui vous dit
13:51 "Allez acheter un GPS".
13:53 Vous lui demandez où est-elle ville et il vous renvoie à la boutique
13:56 en disant "Allez acheter un GPS".
13:58 - C'est-à-dire que pendant mes premiers voyages,
14:00 donc il y a déjà 15 ans, 20 ans,
14:04 on pouvait facilement s'adresser aux passants
14:06 et leur demander notre chemin, que ce soit en France ou à l'étranger.
14:09 Puis maintenant, je dirais la GPisation du voyage
14:16 a fait qu'on a de plus en plus de difficultés à trouver des gens
14:20 qui nous répondent parce qu'on nous dit
14:22 "Vous n'avez qu'à consulter votre GPS".
14:24 - Et puis il y a un autre problème, c'est que les gens,
14:27 beaucoup de gens, moi je demande toujours mon chemin,
14:33 ne serait-ce que pour rentrer en contact.
14:36 Et on s'aperçoit que la plupart des gens sont complètement transplantés
14:40 et qu'ils ne connaissent que l'adresse où ils vont,
14:42 mais ils ne connaissent pas du tout le coin.
14:44 Donc ils sont complètement… ils ne peuvent pas vous aider.
14:49 - Tout à fait. Alors moi je suis encore une génération,
14:51 puis j'ai eu la chance de vivre à la campagne
14:53 où on sait que le soleil se lève à l'est,
14:55 on sait qu'il se couche à l'ouest,
14:57 c'est déjà un des points de repère naturel.
15:00 Je ne dirais pas qu'on se guide avec les étoiles,
15:03 mais on arrive quand même à se guider avec des éléments naturels.
15:06 Mais c'est vrai que surtout dans les villes,
15:08 les gens ont perdu ces repères cosmiques,
15:11 et donc ils nous renvoient sans arrêt au GPS.
15:15 Mais j'ai quand même, dans un voyage précédent,
15:17 réussi le challenge de traverser Saint-Pétersbourg sans GPS,
15:21 en demandant aux gens.
15:23 Et là ils étaient très… très…
15:26 - Oui, oui.
15:27 - Serviables.
15:28 - Oui.
15:29 - On m'a même conduit,
15:31 un cycliste m'a conduit à mon adresse.
15:33 Les rues sont très servibles.
15:36 - Alors le cœur de votre livre, c'est votre…
15:43 votre fil conducteur,
15:45 c'est un roman de Brasilia que vous aimez beaucoup,
15:48 qui s'appelle "Comme le temps passe".
15:50 Pourquoi aimez-vous ce roman, Frédéric Andreu ?
15:55 - Eh bien je crois qu'il y a d'ailleurs…
15:58 enfin au départ, il y a une rencontre,
16:00 une rencontre comme le ciel sait les réaliser,
16:04 une rencontre totalement imprévue,
16:08 puisque je découvrais un livre,
16:10 un vieux livre à moitié déchiré dans un salon du livre,
16:14 et… un livre d'occasion, donc.
16:17 Et j'ai admiré cette prose toute étincelante de nostalgie,
16:24 et cette prose effectivement m'a révélé quelque chose de moi, je pense.
16:29 - Une nostalgie de l'enfance et de ce miracle des souvenirs.
16:35 - Tout à fait, tout à fait.
16:37 Je dirais que Robert Brasillac,
16:39 qui est un auteur qu'il faudrait redécouvrir aujourd'hui,
16:42 d'abord je signale une chose,
16:44 c'est que le roman dont je parle,
16:46 qui s'appelle "Comme le temps passe",
16:48 il n'y a aucune idée politique,
16:50 aucune idéologie dans ce livre.
16:52 Il faut essayer de lire ce livre avec des yeux,
16:55 comme je l'ai fait, avec des yeux neutres et admiratifs,
16:58 et on découvre des trésors, des bonheurs d'expression,
17:03 des phrases à la fois simples et profondes
17:06 qui sont la marque des grands auteurs.
17:08 Il y a une polyphonie à l'intérieur de ce livre,
17:11 une polyphonie, on entend plusieurs voix.
17:13 C'est aussi une marque des grands auteurs,
17:16 lorsque finalement c'est un livre qui s'adapte à tout le monde,
17:19 chacun entend la voix qu'il veut.
17:21 Et c'est un livre qui est magique,
17:27 puisqu'on y voit les souvenirs d'enfance.
17:30 – Les souvenirs d'enfance dans une île qui est le Mallorque,
17:36 avec le rêve des deux enfants qui rêvent d'Alcudia qui est en face.
17:41 – Qui est en face.
17:42 Et d'ailleurs il y a une phrase de ce livre,
17:46 dont je me souviens maintenant,
17:49 "nous regardions Alcudia et nous pouvions le voir Alcudia
17:54 parce que c'était la brume", quelque chose comme ça.
17:57 Donc en fait, il y a des choses qui ne se voient que par temps de brouillard,
18:00 voilà la phrase exacte.
18:01 Il y a des choses qui ne se voient que par temps de brouillard ou de brume.
18:04 Et ça a été mon cas, au Pays-Bas.
18:06 Et autre symétrie, je pouvais voir aussi de loin les îles de Frise.
18:12 Donc j'étais moi-même dans une situation
18:16 de pouvoir observer de loin les îles,
18:19 sauf que ce n'était pas des îles de Méditerranée,
18:21 mais c'était les îles de la mer du Nord.
18:23 – Vous citez dans votre livre, un joli texte,
18:27 parce que vous commencez à le connaître bien précisément,
18:33 une phrase tirée de "Comme le temps passe",
18:37 "Une calèche passe dans le lointain,
18:39 on ne saurait dire qui se trouve à l'intérieur,
18:42 mais on devine au bruit que font les métaphores
18:45 qui se retournent sur son passage,
18:47 que ce doit être un prince."
18:50 Ça c'est quand même une ouïe.
18:52 On voit les métaphores qui marchent le long du chemin et qui se retournent.
18:57 C'est une métaphore dans la métaphore, vous allez très loin.
19:01 – Disons que les paysages brumeux favorisent l'imaginaire,
19:07 puisqu'il faut reconstruire ce que l'on voit à peine.
19:09 On voit des silhouettes, des silhouettes de maisons,
19:12 des silhouettes de moules en avant,
19:14 et il faut les reconstruire avec son imaginaire.
19:17 – Mais votre poésie me rappelle aussi Apollinaire,
19:23 et "Mon beau navire, ô ma mémoire", c'est vraiment votre définition ?
19:33 – Oui, ma belle bicyclette à la place du navire.
19:36 [Rires]
19:39 – Votre poésie est de cet ordre-là.
19:44 Vous avez aussi un autre maître qui est Sandra Ars.
19:47 – Oui, qui était un baroudeur de génie, un grand voyageur.
19:52 On lui doit une œuvre fondatrice dans l'histoire de la littérature,
19:56 c'est "La prose du transsibérien".
19:58 Donc lui, il était moins cycliste, il était surtout marcheur,
20:03 et il grimpait partout, il voyageait dans des pays
20:09 alors un peu dangereux et exotiques, notamment en Russie,
20:13 au début du XXe siècle, et il a écrit de très belles choses.
20:17 Oui, je me tiens à la cheville de Blessandre Ars,
20:25 qui est aussi un auteur qu'il faudrait relire aujourd'hui.
20:29 – Je vous signale, chers amis de TV Liberté,
20:31 que j'ai vu un spectacle retraçant la vie d'Apollinaire.
20:34 Ça s'appelle "Le guetteur mélancolique"
20:37 et il va être redonné dans un festival de théâtre
20:42 qui est toujours remarquable à Angers,
20:45 et il sera redonné le 31 mai.
20:47 Et je vous conseille d'y aller, les textes et les poèmes sont d'Apollinaire.
20:53 La mise en scène est d'Hervé van der Molen,
20:56 qui est un grand metteur en scène,
20:58 et l'acteur unique en scène qui raconte sa vie,
21:02 c'est Loïc Carcassès, qui fait un grand et bel exploit.
21:08 Et on baigne dans un bain de poésie, c'est absolument superbe.
21:12 Voilà.
21:14 Alors, vous imaginez, parce que vous vous permettez tout,
21:17 les poèmes, les poètes sont absolument libres de tout imaginer,
21:21 vous imaginez une petite fille qui a été trouvée
21:28 à la frontière espagnole après la guerre civile
21:32 et qui a été adoptée par des soldats et remontée vers le nord.
21:38 Et cette petite fille, elle se serait mariée
21:43 et elle aurait eu un fils que vous rencontrez
21:47 et vous partez à la quête de cette femme.
21:50 Ça, c'est une histoire inouïe.
21:52 Oui, tout à fait.
21:54 Lorsque le soir, dans mon arrivée un peu rocambolesque
21:59 dans cette ferme isolée des Pays-Bas,
22:02 lorsque mon hôte me guide pour rentrer dans la pièce chauffée,
22:07 je vois, j'observe une plaquette en bois
22:11 gravée d'un autre père en latin.
22:14 Ce qui, déjà, a retenu mon attention
22:18 puisque là, nous sommes dans un territoire,
22:21 dans une région calviniste.
22:23 Donc, en général, on n'a pas de choses comme cela.
22:28 Et donc, je pose la question, d'où vient cet objet
22:32 que tu as accroché au mur ?
22:35 Et il me dit, ça vient de ma maman.
22:38 Et en faisant une enquête, je découvre que des soldats,
22:42 effectivement néerlandais, avaient récupéré,
22:45 avaient sauvé des ruines d'une maison bombardée,
22:48 un petit enfant, et dans le couffin,
22:51 au moment où les parents éplorés avaient confié cet enfant,
22:56 ils avaient aussi ajouté une petite plaquette de bois
23:00 avec ce nôtre père dans le couffin.
23:02 Et ces soldats ont eu pitié de cet enfant,
23:05 ils l'ont ramené chez eux,
23:07 et ils l'ont confié à une ferme, à des fermiers néerlandais.
23:11 – Et donc, elles portent les initiales de Brassiliac.
23:19 – Oui.
23:20 – Et donc, vous imaginez mille et une choses.
23:27 Alors, ce qui est extraordinaire, c'est votre philosophie du voyage.
23:32 Pour vous, le voyage, ce n'est pas acheter un billet Paris-Acapulco
23:37 ou Lyon-Acapulco, aller-retour, en huit jours ?
23:41 – Non, tout à fait.
23:43 Disons que les voyages organisés, où chaque détail est organisé,
23:49 les voyages "cartes postales", comme je les appelle,
23:52 réduisent vraiment le nombre d'aventures,
23:56 de découvertes que l'on peut faire.
23:59 Ce sont des voyages qui ont leur intérêt,
24:01 mais pour un écrivain, c'est déjà du confinement.
24:05 Donc, en réalité, je me soumets à un mode de voyage
24:11 assez nomade et radical, qui est le voyage à bicyclette,
24:15 et qui nécessite des ajustements permanents.
24:18 C'est-à-dire que, partir à bicyclette, on est tributaire d'un orage,
24:22 on est tributaire d'un claquement de muscles,
24:25 on est tributaire de tas de choses.
24:28 Et cela oblige à s'adapter aux réalités concrètes
24:34 et aussi, cela oblige à faire des rencontres.
24:37 Et c'est un point commun avec l'écriture,
24:39 c'est-à-dire que l'écriture et le voyage radical,
24:42 c'est un art de l'ajustement permanent.
24:46 Quand on écrit un texte, il faut relire le texte,
24:49 il faut l'ajuster sans cesse, ajouter un adjectif,
24:53 ajouter une ponctuation, et c'est un peu semblable à un voyage.
24:57 – C'est très étonnant, le mariage entre la vie réelle et l'écriture chez vous.
25:02 J'ai rarement rencontré ça,
25:04 mais j'ai envie de terminer cet entretien
25:10 par les dernières lignes de votre texte.
25:14 "Le voyageur est le colporteur de ses propres rêves.
25:18 Ses rêves sont des voiles qui cachent et montrent en même temps
25:22 le bijou secret de sa mythologie personnelle.
25:25 Il faut sans doute qu'un halo de brume voile notre précieuse mythologie
25:31 pour qu'un effet de balancier ne produise l'effet contraire.
25:35 Un trésor n'est-il pas toujours à la fois caché et montré
25:39 par une légende qui fait dessiler les yeux des enfants ?
25:43 Le désir profond en l'homme, que l'on appelle un peu vite son rêve,
25:48 peut devenir réalité, car il est déjà en bourgeon dans l'âme,
25:53 comme cet arrière-goût des royaumes perdus que l'on appelle nostalgie.
25:58 Et cette loi vaut aussi pour le pays double de Willem,
26:02 qu'il métaphorise si bien, à la fois pays bas et lourd des brumes,
26:08 des secrets familiaux et des ruines, et pays haut des belles découvertes
26:14 qui rendent la vie plus légère.
26:16 Du moins, lorsqu'on a cessé de rêver sa vie pour enfin vivre son rêve."
26:24 C'est un joli conseil ?
26:26 Oui, c'est un peu le conseil que nous donne Robert Braziac
26:33 dans ses romans aussi, je trouve.
26:36 Et bien voilà, vous avez trois indications de lecture,
26:40 chers amis de TV Liberté.
26:42 "Les brumes de Groningen chez les impliqués" de Frédéric Andreux.
26:48 C'est un très joli recueil de poèmes qui s'appelle
26:51 "L'ermitage aux buissons blancs".
26:54 Là, c'est vous qui vous auto-éditez.
26:57 Comment on peut l'acheter alors, ce livre de poèmes ?
26:59 Sur Internet, il suffit de taper le titre et…
27:01 Sur Internet, bravo.
27:03 Et donc, comme le temps passe, si vous ne l'avez pas encore lu,
27:07 tous ceux de la génération de la publication du livre
27:14 sont restés marqués.
27:16 Quand j'ai travaillé sur Braziac, je voyais arriver
27:20 des messieurs d'un certain âge qui me disaient
27:24 "C'est le plus beau souvenir de ma jeunesse, j'avais 18 ans
27:27 et j'ai lu comme le temps passe".
27:29 Donc, il n'y a pas de risque à son tour à lire ce livre
27:34 qui vous marquera par sa poésie, ses rêves, quoi d'autre ?
27:43 Lire Braziac, c'est un arc-en-ciel qui rentre
27:49 dans la monochromie de notre existence.
27:51 Voilà, je vous avais dit que c'était un poète.
27:54 Eh bien, je ne me suis pas trompée.
27:56 Merci Frédéric Andreu.
27:58 À très vite.
27:59 Amis de TV Liberté, à bientôt.
28:02 [Musique]