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00:00 - Bonjour Théo H. - Bonjour à vous.
00:02 - Merci d'être avec nous, vous êtes le chef de ce service des urgences au CHU de Grenoble.
00:07 Merci d'avoir accepté notre invitation pour nous parler de cette situation que vous vivez à l'hôpital,
00:12 vous et les personnels soignants.
00:14 Avant cela, est-ce que vous pouvez nous confirmer les faits ?
00:17 Qu'est-ce qui s'est passé avec cet homme de 91 ans ?
00:20 - Alors effectivement, c'est un vieux monsieur de 91 ans qui avait été admis dans notre service d'urgence
00:27 pour des troubles confusionnels qui sont liés à l'âge.
00:31 Les vieilles personnes, ça leur arrive assez fréquemment de devenir confus pour des tas de raisons,
00:35 parfois c'est des infections, parfois c'est tout un tas d'autres raisons.
00:38 Là, il se trouve qu'il y avait un consensus clair entre l'équipe médicale des urgences et les gériates
00:43 pour dire que ce monsieur devait être hospitalisé dans une structure de gériatrie
00:47 spécialisée pour les problèmes cognitifs et comportementaux liés à l'âge.
00:52 Malheureusement, il n'y avait pas de place.
00:54 Il a attendu pendant trois jours dans nos couloirs.
00:58 - Parce que quand il est rentré, son pronostic vital n'était pas engagé ?
01:02 - Disons que le pronostic vital n'était pas immédiatement en danger.
01:06 Il n'est pas rentré pour une menace, une détresse vitale,
01:09 mais évidemment, il avait des problèmes de santé.
01:12 Donc c'est effectivement des choses qui peuvent arriver.
01:15 Mais que la fin de vie arrive à l'hôpital et qu'elle arrive dans les urgences, c'est quelque chose de fréquent.
01:21 Et c'est très accompagné de manière bienveillante avec la famille.
01:25 Lorsque cela survient de façon inattendue dans un couloir, dans un box,
01:31 alors que la famille n'est pas là, c'est un drame.
01:35 Et pour la personne, bien évidemment, mais aussi pour les équipes.
01:38 - Donc on a entendu effectivement dans nos journaux ce matin,
01:41 cet homme a pu voir sa famille avant de mourir ?
01:45 - Il faudra faire une analyse très précise, mais à ma connaissance,
01:48 il n'a pas pu voir sa famille puisque ce n'était pas une fin de vie prévue.
01:51 Lorsque c'est une fin de vie prévue, encore une fois, les familles, on les accueille.
01:55 Même si on n'accueille plus les familles aux urgences.
01:58 On a 50 box et régulièrement entre 80 et 100 personnes.
02:01 Donc on ne peut pas rajouter les familles.
02:03 C'est un gros problème, d'ailleurs, parce que ces patients qui attendent longtemps...
02:06 - Depuis le Covid notamment, ça s'est encore cru ?
02:08 - Ça s'est mis en place depuis le Covid et puis ça a continué,
02:11 puisque simplement l'activité est devenue trop importante.
02:14 - Vous avez eu des liens avec la famille depuis le décès ?
02:17 - Personnellement, pas encore, puisque c'était le retour des vacances.
02:21 Mais évidemment, on va prendre le temps, et avec les équipes, et avec la famille,
02:24 de prendre ce temps-là de débriefing. C'est très important pour tout le monde.
02:27 - Vous avez parlé des équipes aussi.
02:29 On en a entendu dans le journal, des représentants syndicaux.
02:32 Comment est-ce que vous, les équipes, prenez ce décès ?
02:36 On l'a entendu, c'est le troisième décès de ce type-là,
02:39 en tout cas dans les urgences, depuis le mois de décembre.
02:42 J'imagine que c'est très dur.
02:44 - Oui, c'est plus que très dur.
02:47 C'est inhumain, réellement, ce qui est en train de se passer.
02:50 On avait prévu l'équipe des urgences, étant en grève,
02:54 depuis le début du mois de novembre, qui dénonçait la stagnation aux urgences.
02:58 Alors évidemment, les médecins ou infirmiers, ou aides-soignants,
03:02 grévistes à l'hôpital, on est réquisitionnés,
03:05 donc c'est transparent, finalement, pour le grand public.
03:07 Mais nous, nous dénoncions depuis le départ cette stagnation,
03:10 en disant "Restez longtemps aux urgences, et malheureusement,
03:13 on peut en mourir, c'est décrit dans la littérature scientifique,
03:16 c'est dangereux, attention, nous allons vers des drames".
03:20 Et effectivement, il s'agit du troisième.
03:22 Et le troisième qui concerne à chaque fois les mêmes personnes qui attendent,
03:25 c'est-à-dire les patients qui souffrent de pathologies psychiatriques,
03:28 et c'est un problème noir dans notre département,
03:31 et puis les patients âgés, les patients avec des problèmes sociaux
03:35 qui ne peuvent pas rentrer chez eux.
03:37 Et pour ces patients âgés et pour les patients psychiatriques,
03:40 il n'y a plus de place, il n'y a plus d'accueil, plus personne ne veut les prendre.
03:43 Et donc ils restent aux urgences.
03:44 - Et vous le dénoncez, ça vous l'avez dit depuis longtemps, c'est quoi ?
03:47 C'est de la colère, alors, ce matin, de ne pas avoir été entendu ?
03:50 - Alors, je pense qu'on a été entendu, néanmoins,
03:55 on attend maintenant des actions claires, puisque ça ne suffit pas d'être entendu.
03:59 Il faut aujourd'hui... Et puis il y a un lien, on va en parler, j'imagine,
04:04 avec l'application de la loi RIST, mais jusqu'à maintenant,
04:07 on avait réussi à trouver un espèce d'équilibre avec des médecins intérimaires
04:10 qui ont été très décriés, mais qui venaient travailler
04:13 là où plus personne ne voulait venir, finalement.
04:15 Et aujourd'hui, on se retrouve avec de nouveau le problème
04:18 sur les bras de cette stagnation, et du fait que, encore une fois,
04:23 certaines populations ne sont plus accueillies dans les centres de soins.
04:26 Donc aujourd'hui, c'est une question de survie.
04:30 On voit l'équipe des urgences qui est en train de s'effondrer réellement,
04:33 avec des gens qui se sont battus avec toute leur énergie.
04:35 Ce sont des gens extrêmement courageux, des gens extrêmement compétents,
04:38 très bienveillants, très humains.
04:40 Aujourd'hui, on n'y arrive plus, on gère une crise depuis deux ans.
04:43 On est dans une situation de catastrophe tous les jours.
04:46 On sait le faire une fois, on sait le faire deux fois,
04:48 mais tous les jours, au bout d'un moment, les gens s'épuisent, ils sont malades.
04:52 - Le gouvernement a fait des annonces, il y a eu le Ségur, des choses comme ça.
04:56 Parallèlement, est-ce que, tout de même, vous voyez des moyens qui arrivent ?
05:00 Ou pas ? On a les syndicats, d'après la CGT par exemple,
05:03 il manquerait 120 infirmières et une quarantaine d'aides-soignants dans l'hôpital.
05:07 C'est ça la situation ?
05:08 - Oui, la situation, il manque des personnels soignants avant tout dans les hôpitaux.
05:13 Les personnels soignants sont très peu payés.
05:15 Les mesures du Ségur sont insuffisantes pour les personnels soignants.
05:18 Et aujourd'hui, avec l'inflation que vous avez, pour vivre de ce métier difficile,
05:22 il faut que cela soit valorisé.
05:23 Si on considère que c'est un élément clé régalien,
05:26 comme l'éducation, comme la sécurité, il faut y mettre les moyens.
05:30 Et actuellement, il n'y a pas de moyens suffisants mis sur l'attractivité des carrières des soignants.
05:36 C'est aussi vrai pour les médecins hospitaliers, en particulier, dont le salaire.
05:42 Certes, les médecins gagnent bien mieux leur vie que la majorité des Français,
05:46 mais absolument pas suffisamment au regard de leur implication,
05:50 au regard du temps qu'ils passent dans la permanence de soins et des difficultés qu'on leur repose.
05:54 Donc il faut des hausses de salaire maintenant, rapide.
05:57 Il y a eu l'assurance maladie, il y a eu des négociations toutes récentes avec le ministre de la Santé,
06:02 qui a accordé une petite augmentation parce que demandaient les syndicats de médecins,
06:06 il faut aller plus loin immédiatement. C'est ça la solution ?
06:09 Si vous voulez, comme je vous le disais, nous avons pallié aux difficultés en payant des intérimaires très très chers,
06:17 alors qu'il aurait fallu simplement améliorer les conditions des gens qui étaient engagés,
06:22 qui avaient signé un contrat. Et c'est ces gens-là qu'il fallait bichonner, on va dire,
06:28 et qu'il faut absolument garder. Et actuellement, là, on a coupé les vivres d'un côté sans non plus compenser de l'autre.
06:34 Donc il y a quelques mesures qui existent. Là, j'ai envie de vous dire, sur Grenoble,
06:38 la priorité, en tout cas pour les médecins, la priorité, ce n'est pas les salaires,
06:42 la priorité, c'est de l'organisation. Il faut désengorger ces urgences.
06:46 Le président l'a dit que ce serait un objectif pour 2024.
06:49 Pour le CHU de Grenoble, c'est une priorité d'avril 2023.
06:53 C'est-à-dire que si ça ne l'est pas fait en avril 2023, vous allez avoir une équipe qui va tomber.
06:58 Merci, docteur Marc Blanchet, d'avoir été avec nous, d'avoir fait ce constat ce matin avec nous.
07:03 Je rappelle que vous êtes le chef du service des urgences du CHU de Grenoble. Merci et bonne journée.
07:07 Merci.
07:08 (Silence)

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