• l’année dernière
Originaire du Béarn, Christian Saint-Palais continue de se décrire comme un « rural à Paris ». Initialement loin du sérail de l'avocature parisienne, sa trajectoire professionnelle n'était pas une évidence. Il évoque au cours de cet entretien les événements marquants de sa carrière, de ses débuts dans le droit des baux ruraux à sa rencontre déterminante avec son prestigieux confère Jean-Yves Le Borgne.
Avocat dans des affaires très éclectiques, il livre aussi son ressenti sur certaines d'entre-elles. Comme l'affaire Romain Dupuy, criminel schizophrène auteur d'un double homicide dans un hôpital psychiatrique en 2004 à Pau, ou celle de l'avocat Karim Achoui, inculpé pour complicité d'évasion.
Très attaché au principe de la prescription, il tient à affirmer que « ce n'est pas mépriser un plaignant que de lui dire que la loi n'est plus capable de faire les choses ». Également interrogé à propos de la disparition des jurys populaires, il regrette profondément une perte de solennité ainsi que le risque d'une moindre adhésion du peuple à la justice, dans un souci d'économie des finances publiques.
Convaincu de la juste place de l'avocat pénaliste dans la puissante machine judiciaire, une question demeure toutefois pour l'avocat Christian Saint-Palais : serais-je à la hauteur de mon client ?

La justice, son sens, son essence et sa pratique sont sans cesse discutés et débattus. Loin de l'image figée d'une statue, notre époque montre que l'interprétation de la justice est mouvante et qu'elle doit parfois être elle-même protégée.
Daphné Roulier reçoit des ténors et des « ténoras » : des avocats de grands faits divers ou de grandes causes qui ont consacré leur carrière et leur vie à défendre, qui ont « La défense dans la peau » : Marie Dosé, Serge Klarsfeld, Henri Leclerc, Julia Minkowski, Thierry Moser, Hervé Temime..
Quelle conception ont-ils de leur rôle ? Quel rapport ont-ils avec leurs clients et leur conscience ? Quelles affaires ont marqué leur vie ?
Quelle est la place des femmes pénalistes aujourd'hui ? Que pensent-ils des polémiques autour de la prescription et de la présomption d'innocence ?
Dans « Les Grands Entretiens » ces champions de l'art oratoire nous livrent leur idée du droit et de la justice et de la société qu'ils impliquent.

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Transcription
00:00 "Walk On The Wild Side", The Prodigy
00:02 ...
00:18 -Christian Saint-Pel, diriez-vous que vous êtes devenu avocat
00:22 par effraction ? Vous n'êtes pas un enfant du Serail,
00:24 vous continuez à vous décrire comme un rural à Paris.
00:28 -Ah oui, parce que je crois que c'est ce qui me caractérise beaucoup.
00:31 Je pense que j'ai apporté à Paris des valeurs de la ruralité
00:34 et je pense vraiment que nous devrions nous référer souvent
00:38 à la ruralité pour organiser nos vies et notre groupe social.
00:42 Alors, par effraction, je revendique quand même
00:45 d'avoir gagné ma place, de l'avoir sans doute méritée,
00:48 mais disons que ça n'était pas un destin tout à fait tracé,
00:51 si on peut parler de destin. -Voilà, vous n'étiez pas
00:54 prédestiné. De 2016 à 2021, vous avez présidé
00:56 le cas pénaliste. Pour un rural à Paris,
00:58 vous êtes bien débrouillé dans les arcanes du pouvoir.
01:01 -C'est ma plus grande fierté. -Oui. Pourquoi ?
01:04 -Parce que cette association a été créée par des hommes et des femmes
01:08 que j'admirais avant de devenir avocat.
01:10 Quand je suis devenu avocat, je les ai fréquentés,
01:13 beaucoup sont devenus mes amis, et ils m'ont élu
01:15 pour être à la tête de cette association
01:18 qui avait été créée notamment par Hervé Témine
01:20 et qui réunissait Jean-Yves Leborgne, Pelletier,
01:23 Jacques Lachance, Jacqueline Lafonf, Aïk Herzog,
01:26 vraiment les très grands noms du baro.
01:28 -Les très grands noms du pénal. -Alors, comme d'Artagnan,
01:31 vous êtes natif du Berne, mais à défaut de manier l'épée,
01:35 vous êtes devenu à 20 ans instituteur
01:38 avant de faire des études de droit.
01:40 Vous avez toujours eu la défense dans la peau
01:43 dès votre plus jeune âge. Plus qu'un métier,
01:45 c'est une vocation, c'est une mission ?
01:47 -En tout cas, je pense que c'est une nature.
01:50 Je pense que les avocats pénalistes,
01:52 nous nous reconnaissons, nous nous flairons,
01:54 nous sommes très différents, mais je crois que nous réagissons
01:58 de la même façon, au même moment, devant une injustice.
02:01 Je pense que dans les cours de récréation,
02:03 nous étions les uns et les autres des enfants
02:06 qui réagissions à l'injustice.
02:08 Voilà pourquoi je parle de nature,
02:10 toujours cette très grande sensibilité,
02:12 exacerbée parfois à ce que nous considérons
02:15 comme des situations qui ne devraient pas avoir lieu
02:17 et où une personne est stigmatisée, mise à l'écart.
02:21 -J'ai joué à l'avocat,
02:22 mais aussi au curé, pour prendre la parole,
02:25 donc finalement, peut-être que j'aurais pu mal tourner.
02:30 -Regardez.
02:31 ...
02:49 -La cour !
02:50 -La cour !
02:51 -Audience est ouverte. Veuillez vous asseoir.
03:05 -Il paraît que vous avez été biberonné à cette émission,
03:10 "Messieurs les jurés",
03:12 diffusée sur la 2e chaîne de la RTF dès 1974.
03:15 C'est à cette émission que vous devez votre vocation,
03:18 comme Gisèle Halimi, qui défendait le droit à l'avortement.
03:21 -C'est en essayant de reconstruire les choses
03:24 que je pense à ces images qui, d'après moi, m'ont beaucoup marqué.
03:28 Gisèle Halimi, nous devons être en 73, à Bobigny,
03:31 et je me souviens de cette solitude, si vous voulez,
03:34 c'est comme ça que je le percevais.
03:36 -C'était une réalité, c'était une femme seule.
03:39 -C'était une réalité, mais quand on connaît,
03:41 il y avait des groupes de soutien.
03:43 Je pense que je percevais autour de moi, dans ma famille,
03:46 une certaine émotion, une certaine émotion,
03:49 et je me souviens être fasciné par ce que je considérais être
03:52 certains courages, la noblesse d'être seul
03:55 face à des forces qui se mobilisent contre vous.
03:58 Et alors, "Messieurs les jurés",
03:59 vous voyez, j'avais 10 ans, puisque je vais vous montrer
04:03 cet épisode. C'était une émission que je regardais,
04:06 je crois que j'ai toujours été marqué par la solennité,
04:09 le silence, nous, les avocats, nous sommes des bavards,
04:12 mais je suis très attaché au silence.
04:14 Et vous voyez, la cour, silence.
04:17 "Maître, vous avez la parole",
04:19 c'est un moment très fort dans nos vies professionnelles.
04:22 "Maître, vous avez la parole, le silence se fait
04:25 "avant que vous le meubliez."
04:27 Ces silences m'ont toujours fasciné.
04:30 -Vous avez commencé dans le droit de la copropriété
04:33 des beaux commerciaux, et il vous est arrivé de plaider
04:36 dans des cuisines, au milieu des champs,
04:38 et même sur un capot de voiture. -Exact.
04:40 -C'est fou. -Ca, c'est le droit
04:42 de l'expropriation. Et quand on plaide de l'expropriation,
04:46 pour fixer l'indemnité, on se rend sur place.
04:48 -Encore aujourd'hui ? -Oui, absolument.
04:50 C'est la procédure qui le veut ainsi.
04:53 Lorsqu'une maison est expropriée pour un ouvrage public,
04:56 pour faire passer une autoroute, vous arrivez chez les gens,
04:59 vous visitez la maison avec le juge,
05:01 et ensuite, parce qu'on n'avait pas le temps d'aller au tribunal,
05:05 on pouvait s'installer autour de la table de la cuisine,
05:08 on plaidait aujourd'hui. J'ai plaidé au milieu d'un champ,
05:11 avec un agricole exproprié.
05:13 Nous mesurions pour savoir où étaient les canalisations d'eau,
05:16 si le terrain était constructible.
05:18 -Ca se passe encore aujourd'hui ? -Absolument.
05:21 -On plaide sur le terrain ? -On rejoint le tribunal,
05:24 mais par commodité, si ça peut convenir à tout le monde,
05:27 pour éviter de revenir 15 jours après,
05:29 puisque nous l'avons déjà fait, et nous avons déjà échangé
05:33 nos arguments devant le juge, en botte et en plaidant.
05:36 On peut conférer une solennité.
05:38 On réinvestit le champ judiciaire en se disant
05:41 que nous prenons nos rôles et nous faisons les choses
05:43 comme il le faut.
05:45 -Un métier et une carrière, c'est le fruit de hasard
05:48 et aussi de rencontres. Celle, en 1995,
05:50 avec le pénaliste Jean-Yves Le Borgne,
05:53 a été déterminante. C'est lui qui vous a ouvert
05:56 les portes du pénal ?
05:57 -Bien sûr. Vous savez, Jean-Yves Le Borgne...
06:00 -Vous l'aimez, hein ? -Oui.
06:01 J'aime beaucoup. Il est devenu un ami.
06:03 C'était mon patron. Il m'a offert de devenir son associé.
06:07 Vous savez, ça n'est pas rien comme démarche.
06:10 Nous avons cheminé ensemble, lui m'apprenant
06:12 tout ce que je sais. C'est un des plus grands avocats.
06:15 Quand je le dis, j'hésite un peu à le dire.
06:18 Si je dis "un des plus grands avocats français",
06:21 il va me dire "qui sont les autres ?"
06:23 -Il doit.
06:24 Ils sont très égomaniaques, les avocats.
06:27 -Certains le sont.
06:28 Là, je le dis très amicalement, bien sûr.
06:30 Il pourrait le dire, "quels sont les autres ?"
06:33 C'est un des plus grands avocats français
06:35 et surtout une générosité extraordinaire,
06:38 car il n'existe très peu une culture extraordinaire.
06:41 Je l'ai rejoint en 1995.
06:43 Il m'a proposé une association en 2000
06:45 et nous sommes toujours ensemble,
06:47 un couple qui chemine ensemble.
06:49 -En 2004, vous êtes désigné, Christian St-Palais,
06:52 pour être l'avocat de Romain Dupuis,
06:54 un jeune schizophrène responsable du meurtre
06:57 de deux infirmières à l'hôpital psychiatrique de Pau.
07:00 De là, c'est noué la question de la responsabilité pénale
07:03 des malades psychiatriques.
07:05 Cette affaire, vous a longtemps taraudé. Pourquoi ?
07:08 -D'abord, c'était une affaire dont on se souvient peut-être,
07:11 un garçon qui avait tué deux infirmières,
07:14 une infirmière et une aide-soignante,
07:16 et qui avait décapité l'une des deux.
07:18 C'était une affaire qui avait créé une émotion considérable.
07:22 Ce garçon était atteint d'une maladie psychiatrique
07:25 qui avait aboli son discernement.
07:27 Notre code pénal prévoit qu'un homme qui a commis un crime,
07:30 quel qu'en soit la gravité, mais dont le discernement était aboli,
07:34 ne peut pas être condamné.
07:36 C'est un homme qui a été accusé de faire un crime
07:39 et qui a été accusé de faire un crime.
07:41 Il y a eu des discussions,
07:43 et il y a eu des discussions avec le juge de la justice,
07:46 qui a été accusé de faire un crime.
07:48 Il y a eu des discussions avec le juge de la justice,
07:51 qui a été accusé de faire un crime.
07:53 Il y a eu des discussions avec le juge de la justice,
07:56 qui a été accusé de faire un crime.
07:59 Il y a eu des discussions avec le juge de la justice,
08:02 qui a été accusé de faire un crime.
08:04 Comme vous le savez peut-être,
08:06 il est toujours, aujourd'hui, en hôpital psychiatrique.
08:09 La question qui se pose, c'est de savoir
08:12 si la crainte qu'avait suscité ce crime à ce moment-là
08:15 ne perturbe pas l'analyse qui est faite sur sa situation.
08:18 Et de savoir, aujourd'hui,
08:20 des confrères ont pris le combat pour sa liberté,
08:23 le mènent en multipliant les recours,
08:25 en exhortant les juges à examiner sereinement sa situation.
08:29 Et alors, ce qui me préoccupe, bien sûr,
08:31 c'est qu'on ne lui réserve pas le sort qu'il mériterait de connaître.
08:36 Parce que l'hospitalisation, par contrainte,
08:39 c'est aussi une situation difficile à vivre.
08:41 -Cette affaire vous a amené à vous questionner
08:44 sur votre relation aux médias et aux clients.
08:46 En quoi a-t-elle été un détonateur ?
08:48 -C'est une affaire qui a été très médiatisée.
08:51 Que pouvons-nous dire ?
08:53 La question de l'avocat, aussi,
08:55 dont il faut bien dire qu'il se préoccupe aussi
08:57 d'être choisi, d'être désigné par les clients.
09:00 Une affaire médiatique,
09:02 qui lui permet une certaine exposition,
09:04 qui lui permet d'être connu.
09:06 C'est une préoccupation que l'on peut admettre.
09:08 Il y a les grands principes,
09:10 et puis il y a aussi la réalité du quotidien
09:12 et la nécessité d'être connu pour être choisi,
09:15 et ensuite pour défendre, puisque nous voulons défendre.
09:18 Mais que puis-je faire
09:20 qui ne soit pas défavorable à sa défense ?
09:22 C'est cela, la question, en réalité.
09:25 Je ne dois m'exposer publiquement,
09:27 si je veux respecter mon mission, qu'au service de sa défense.
09:30 C'est une vraie question.
09:32 Et ensuite, savoir le faire.
09:33 Vous savez, quand vous êtes un peu jeune,
09:36 sous cette pression,
09:37 quand vous n'avez pas encore beaucoup d'expérience,
09:40 est-ce que je vais savoir faire ce qu'il convient ?
09:43 Pour mon rapport aux médias, c'était particulier.
09:46 Pour mon rapport aux clients,
09:48 c'est la situation particulière qui vous unit
09:50 à quelqu'un dont on vous dit que le discernement n'est pas total.
09:54 Pourtant, je ne suis que le porteur de parole
09:57 de celui qui m'a désigné pour le défendre.
09:59 Alors, c'est difficile.
10:01 C'est difficile de savoir si je suis exactement en phase
10:05 avec ce qu'il souhaiterait que je dise pour lui.
10:08 Je ne parle pas de lui, pour ne pas parler d'un dossier
10:11 dont je ne suis plus le conseil,
10:12 mais, d'une manière générale,
10:14 voilà les questions qui peuvent se poser.
10:17 -D'autres questions se sont posées dans l'affaire
10:19 de votre confrère, M. Karim Achoui,
10:22 qui a été condamné à 7 ans de prison
10:24 pour complicité d'évasion avant d'être acquitté en 2010.
10:27 Ca a été également un jalon important.
10:29 Ce procès, a-t-il été l'occasion pour vous
10:32 d'expliquer ce qu'est votre métier ?
10:34 J'ai le sentiment qu'il y a une incompréhension
10:37 sur le rôle de l'avocat pénaliste
10:39 et sur la fonction même du procès pénal.
10:41 -Oui. Donc, ce qui est très important,
10:43 peut-être pour moi l'affaire la plus importante dans ma carrière,
10:47 dont je suis le plus heureux.
10:48 J'avais défendu en première instance un garçon
10:51 auquel on reprochait la participation à l'évasion d'Antonio Ferrara,
10:55 qui avait été acquitté, donc j'ai défendu Karim Achoui
10:58 avec mes confrères.
10:59 Pourquoi c'était important ?
11:00 C'était l'occasion d'expliquer ce qu'est notre métier
11:04 et comment la proximité que l'on reprochait à Karim Achoui,
11:07 avec celui qui s'était finalement évadé de la prison de Fresnes,
11:10 cette proximité n'est pas forcément une complicité.
11:13 Bien sûr, chacun le sait, tout le monde le dit,
11:16 les magistrats vous disent dans les colloques,
11:18 bien sûr que nous le savons bien,
11:20 mais c'est une proximité qui dérange.
11:23 On reprochait à Karim Achoui des visites en prison,
11:27 une proximité dont le but, lui disait-on,
11:29 de transmettre des informations
11:31 qui allaient permettre la réalisation du projet d'évasion
11:34 qui était nourri par une bande bien organisée.
11:37 Il a été in fine acquitté,
11:39 et je pense que parce qu'en le défendant,
11:41 nous avons réussi à expliquer à des jurés
11:43 ce que pouvait être cette position très singulière
11:46 de l'avocat pénaliste, très proche, y compris physiquement,
11:50 du criminel.
11:52 Et cependant, avec la distance,
11:54 qui fait que l'avocat n'est pas le complice du criminel.
11:58 -Vous avez été l'avocat, Christian Saint-Palais,
12:01 entre autres, du braqueur Redouane Faïd,
12:03 de l'ancien directeur de campagne de Nicolas Sarkozy en 2012,
12:07 Jérôme Lavrieux, poursuivi dans l'affaire Big Malion,
12:10 du rappeur-acteur Joe Estar, de Nabila,
12:12 ou encore d'Alexandre Benalla,
12:14 l'ex-chargé de mission de l'Elysée.
12:16 C'est pour le moins éclectique.
12:18 Qu'est-ce qui vous conduit à accepter ou refuser
12:21 un dossier ? Vous arrivez-t-il d'en refuser ?
12:24 -Ah oui. Oui, oui.
12:26 -Pour quel motif ? -Bon, d'abord,
12:28 je le redis, je l'ai dit, parce que pour moi,
12:31 c'est essentiel, nous sommes choisis.
12:33 Et donc, la première question, quand même,
12:35 vais-je savoir faire ce que celui qui me choisit
12:38 souhaite que je fasse pour sa défense ?
12:40 Parce que parfois, nous avons des divergences.
12:43 Et là, ce n'est pas tellement vous qui refusez,
12:46 c'est celui qui est venu vers vous, qui se dit,
12:49 "Je n'ai pas trouvé le bon pour faire ce à quoi j'aspirais,
12:52 "ce dont je rêvais."
12:53 Après, nous avons des considérations
12:55 très triviales. -C'est-à-dire ?
12:57 -Parfois, on vient vous voir et on vous dit,
13:00 "Je souhaite que vous pliez pour moi à telle date,
13:03 "en septembre 2023, et vous ouvrez
13:04 "assez classiquement votre agenda."
13:06 Et donc, vous ne pouvez pas.
13:08 Et puis, pourquoi ne pas aborder aussi
13:11 le coût d'une défense ?
13:12 Puisque nous parlons de mon métier,
13:14 c'est aussi un coût pour celui qui choisit un avocat,
13:17 et donc, nous parlons d'argent. -Il vous arrive de le faire
13:20 pro bono ? -Bien sûr.
13:22 Les avocats pénalistes, vous savez,
13:24 nous sommes parfois sollicités par ceux qui sont poursuivis
13:27 pour des escroqueries, et ils savent tromper leurs avocats,
13:30 en leur disant, "Vous verrez, maître,
13:32 "comme vous êtes le meilleur, je vous donnerai ce qu'il y a lieu."
13:36 On est le dernier escroqué de la chaîne.
13:38 Mais plus sérieusement, d'abord, nous avons une fidélité
13:42 pour nos anciens clients. -Un client un jour,
13:44 un client toujours. -Oui.
13:46 -Vous vous êtes retrouvés à défendre la famille du père Hamel,
13:49 assassiné en 2016 à Saint-Etienne-du-Rouvray,
13:52 et à côté de Yassin Attar, frère cadet d'Oussama Attar,
13:55 le cerveau des attentats du 13 novembre,
13:57 et pour lequel vous avez plaidé. La question peut sembler idiote,
14:01 mais comment passe-t-on dans la même journée,
14:03 du banc de la défense à celle de l'accusation ?
14:06 Il va de soi que vous défendez des hommes,
14:08 mais cette facétie du calendrier, ne vous est-elle pas contrainte
14:12 malgré tout à une certaine forme de dissociation ?
14:15 -Alors, la question, je vais vous dire, est très importante,
14:18 et pour nous, c'est une question assez fondamentale.
14:21 Je ne vous cache pas que lorsque les calendriers
14:24 se sont télescopés et que j'ai été convoqué pour les assises
14:27 de ceux qui ont reproché la participation
14:29 au meurtre du père Hamel, j'étais déjà impliqué
14:32 dans le Bataclan, et la question que je me suis posée,
14:35 c'est vrai, ceux qui m'ont accordé leur confiance,
14:38 vont-ils accepter que je passe d'une salle à l'autre,
14:41 puisque géographiquement, c'est ce que je faisais,
14:44 je passais d'une salle à l'autre pour quitter le banc de la défense
14:48 et rejoindre celui des partis civils dans l'autre.
14:50 La question, je la comprends, puis-je faire confiance à cet homme
14:54 qui, dans l'autre salle, plaide pour l'acquittement
14:57 d'un homme poursuivi pour terrorisme ?
14:59 Ils ont eu l'intelligence de comprendre
15:01 que tout ça n'était pas impossible, ce n'est pas simple,
15:04 mais il faut, dans la carrière d'un avocat,
15:07 et c'est pour ça que je pense qu'il faut que nous mesurions
15:10 notre parole publique, il faut de la cohérence.
15:13 J'ai l'impression que je défends l'Etat des droits
15:16 de la même façon que sur le banc de la défense
15:18 au procès du Bataclan que sur les bancs des partis civils
15:22 dans le procès à Melle.
15:23 -Une question sur la défense post-MeToo.
15:25 Vous êtes le conseil de Jean-Jacques Bourdin.
15:28 Il y a beaucoup de questions sur cette ansie de prescription,
15:31 que vous défendez ardemment. La prescription est devenue
15:35 le symbole de l'injustice, beaucoup y voient la négation
15:38 des actes dénoncés, des souffrances endurées.
15:40 Est-ce que vous avez envie de leur répondre,
15:43 à ces victimes qui ont besoin d'être entendues ?
15:45 -Je crois qu'elles ont besoin d'être entendues,
15:48 mais nous avons une législation, une loi,
15:51 qui n'a pas été adoptée à la sauvette.
15:53 Nous avons fixé des règles,
15:54 nous avons beaucoup allongé les délais de prescription,
15:58 mais depuis les années 90, je vous assure,
16:00 nous réfléchissons sur la possibilité
16:02 d'allonger les délais de prescription,
16:05 c'est-à-dire de poursuivre plus tard
16:07 les agressions et crimes sexuels.
16:09 C'est après des réflexions qui réunissent
16:11 tous les professionnels, des avocats, des magistrats,
16:14 des psychologues, des associations de victimes,
16:17 et nous avons tous dit, par la loi,
16:19 que certes, nous allions étendre, étendre,
16:22 mais qu'il y avait une limite.
16:23 C'est parce que nous savons que nous ne pouvons pas bien juger
16:27 au terme d'un certain délai, et que parfois,
16:30 la réponse judiciaire, qui est de dire
16:32 "je ne peux pas condamner cet homme qui est mis en cause,
16:35 "et donc je le relaxe ou je la quitte",
16:38 est très violente pour celle ou celui
16:40 qui a mené le parcours de plaignant
16:42 visant à obtenir la condamnation.
16:44 Donc nous disons, ce n'est pas cela qui va vous réparer,
16:47 et ça n'est pas non plus mépriser,
16:49 ça n'est pas mépriser un plaignant que de lui dire
16:52 "notre loi ne permet plus de faire les choses".
16:55 Ce à quoi il faut penser.
16:57 Vous savez, j'ai été aussi dans mon parcours,
16:59 vous le disiez, instituteur.
17:01 Je pense que voilà la meilleure occasion,
17:03 le bon moment.
17:05 L'école primaire, le collège, la formation,
17:08 pour dire "voilà comment vous devez identifier
17:10 "les agressions sexuelles sur votre corps".
17:13 Il faut que nous arrivions à ce que ces révélations
17:16 se fassent plus tôt.
17:17 Je ne dis pas "elle n'avait qu'à le faire"
17:19 plus tôt, comme on l'a entendu,
17:21 de philosophes pour lesquels... -Madame Badinter.
17:24 -Oui, mais je ne parle pas aussi cruellement,
17:27 parce que le propos était excessivement,
17:29 d'après moi... -Méprisant.
17:31 -Cruel, je l'ai perçu comme méprisant.
17:34 Bien sûr, je sais très bien cette difficulté
17:36 à dire les choses, à révéler un viol ou une agression,
17:39 mais c'est sur ça que nous devons travailler.
17:42 Et il faut... -À la libération de la parole.
17:44 -À la libération de la parole, à la meilleure écoute ensuite,
17:48 mais d'abord à la libération de la parole.
17:50 -Beaucoup de vos confrères font le lien
17:53 entre démocratie et défense pénale.
17:55 L'avocat, c'est un maillon essentiel de la démocratie,
17:58 c'est celui qui met le pied dans la porte.
18:00 -Oui, alors, je crois que...
18:02 Vous savez, la machine judiciaire, c'est une machine étatique.
18:06 Il y a des pouvoirs considérables. C'est légitime.
18:08 On veut découvrir les auteurs d'infractions,
18:11 ceux qui ont violé la loi, et on est doté de moyens
18:14 pour entrer dans votre vie privée, vous perquisitionner.
18:17 Cette machine est bien rodée pour que des hommes et des femmes,
18:20 les juges compétents, prennent le relais de la police
18:23 et organisent un procès.
18:25 Et le procès, en principe,
18:26 il est pour juger celui qui est dans le boxe,
18:29 dont l'accusation est persuadée qu'il est coupable,
18:32 et il est roulé jusqu'à la condamnation.
18:34 Donc, l'avocat, il est là porteur d'un petit intérêt personnel,
18:38 particulier, et donc, il faut avoir conscience, bien sûr,
18:41 que cette machine, elle est puissante,
18:43 dotée des moyens de l'Etat, elle peut broyer,
18:46 et donc, il faut essayer de s'immiscer.
18:50 Alors, un avocat pénaliste ne doit jamais être trop poli.
18:53 L'avocat pénaliste doit voler un peu sa place.
18:56 Ne l'y est pas immédiatement donné.
18:58 Il doit l'apprendre, c'est ça aussi l'expérience,
19:01 de respecter la règle, mais cependant, de se lever.
19:04 Et donc, de faire vivre des règles
19:08 qui, parfois, peuvent être oubliées par préoccupation d'efficacité.
19:11 Et, voyez ce que vous évoquiez, mais les victimes,
19:14 est-ce que ça ne serait pas les mépriser
19:16 que de laisser trop de place à la défense,
19:19 que de ne pas donner satisfaction
19:21 à ce qui a généré autant d'émotions ?
19:23 Non, l'avocat est là pour rappeler les principes
19:26 et dire combien c'est fondamental de faire bénéficier du doute,
19:29 de donner un temps nécessaire à la défense.
19:32 C'est un des problèmes du procès du Bataclan.
19:34 Beaucoup de victimes veulent parler,
19:36 mais les hommes qui vont être jugés doivent aussi pouvoir s'exprimer.
19:40 Là, on retrouve le barreau, souvent uni,
19:43 pour ce respect des principes.
19:44 Pourquoi ? Parce que nous savons que ça n'est pas pour défendre
19:48 les salauds, puisque certains regardent ceux à le boxe
19:51 comme des salauds. C'est pour nous défendre, nous,
19:54 citoyens, citoyens au quotidien,
19:56 qui pouvons être, un jour, mis en cause
19:58 dans des procédures, et nous serons bien heureux
20:01 qu'aient été préservés ces principes
20:03 qui nous permettent de nous défendre.
20:05 -Maître Saint-Palais, on l'assiste à la fin du jury populaire.
20:09 Nos concitoyens n'ont plus confiance en leur justice.
20:12 Ils ne pourront plus y participer. Vous le déplorez ?
20:15 -Je le regrette, mais très profondément.
20:17 D'abord, cette étonnancie révolutionnaire.
20:20 Pour moi, c'est très important.
20:22 Et puis, vous savez que nous nous plaignons beaucoup
20:25 de la distance que prennent nos concitoyens
20:27 de cette méfiance et même défiance avec la justice.
20:30 Le fait que les jurés viennent participer à la justice,
20:33 ça permettait aux citoyens de se rapprocher de cette justice,
20:37 de rentrer chez eux et de dire,
20:38 "Il y a des magistrats, ils mouillent la chemise."
20:41 Ca nourrit le respect à l'égard de l'institution judiciaire
20:45 et la complexité de la décision judiciaire.
20:47 -Justement, dans son ouvrage, "De la démocratie en Amérique",
20:51 Alexis de Tocqueville notait que le jury sert à donner
20:54 à l'esprit de tous les citoyens
20:56 une partie des habitudes de l'esprit du juge.
20:59 Ces habitudes préparent le mieux le peuple à être libre.
21:02 C'est un instrument de citoyenneté
21:04 qui permet de s'approprier et de trancher un problème
21:07 en prenant conscience des difficultés inhérentes
21:10 à l'acte de juger. -Absolument.
21:12 Je pense que si vous recevez des jurés,
21:14 si on lit les témoignages de jurés,
21:16 vous voyez, comme ils se disent,
21:18 sortis enrichis d'une telle expérience.
21:21 C'est ça qui est formidable pour moi,
21:23 c'est qu'ils vont réintégrer notre groupe social
21:26 et notre état de droit en sachant qu'on ne peut pas porter
21:29 un jugement trop rapide sur celui qui est mis en cause.
21:32 D'abord, parce que ce n'est pas parce qu'il est mis en cause
21:36 qu'on comprend qu'il est coupable.
21:38 Et ce n'est pas non plus parce qu'il est mis en cause
21:41 et coupable d'un acte monstrueux que lui-même ne révèle pas
21:44 une part d'humanité et qu'il ne mérite pas
21:47 qu'on s'approche de lui pour comprendre le passage à l'acte.
21:50 -On a le sentiment qu'au fond, la justice est bradée
21:54 dans ce marché de flux tendu.
21:56 -Il y a un grand stock,
21:57 un mot qui est beaucoup utilisé à la chancellerie,
22:00 le stock des dossiers.
22:02 Il faut résorber le stock des dossiers.
22:04 Il est difficile de réunir une cour d'assises
22:07 composée de jurés, il faut les convoquer,
22:09 avoir les salles nécessaires, et cela peut prendre du temps.
22:12 On aurait pu dire qu'on allait doter davantage ce poste-là
22:16 et on allait multiplier les cours d'assises avec les jurés.
22:19 On a dit non, on va économiser, en réalité.
22:22 Et on a dit qu'on allait désormais juger
22:25 comme en correctionnel, comme les délits de crime,
22:29 en supprimant les jurés
22:31 et en le composant, aujourd'hui,
22:33 de cinq magistrats professionnels.
22:35 Je vous annonce aussi que dans quelques années...
22:38 -Il n'y en aura plus que trois. -Bien sûr.
22:41 Quand on a créé la cour d'assises spéciale
22:43 pour les terrorismes, on nous a dit qu'on supprimait les jurés
22:47 car ils ont trop peur.
22:48 Non, ils n'ont pas peur, ils ont une mission citoyenne
22:51 pour juger les crimes terroristes.
22:53 On a dit qu'on allait mettre sept magistrats.
22:56 Il y a une grande collégialité.
22:58 Quelques années plus tard, parce que c'était trop cher,
23:01 on n'en a plus que cinq.
23:02 Aujourd'hui, à la cour criminelle départementale,
23:05 il y en aura trois dans quelques années.
23:08 Oui, nous avons un problème de finances.
23:10 Oui, un effort considérable, avec une augmentation de 8 % du budget
23:14 a été réalisé cette année,
23:16 mais on n'a pas forcément affecté l'argent
23:18 là où on aurait pu l'affecter.
23:20 -On a un problème pour meubler la cour criminelle départementale
23:24 très rapidement, car on n'a pas de magistrats.
23:27 Donc, on vous dit qu'on prendra des avocats honoraires,
23:30 des pisalets.
23:31 La justice sera bien rendue.
23:33 Attention.
23:34 Vous savez, j'ai toujours dit que les magistrats savent faire.
23:38 Les magistrats rendront la justice,
23:40 et je ne prétends pas qu'ils vont condamner
23:42 davantage d'innocents que l'aurait fait un jury populaire,
23:46 mais nous perdons en solennité,
23:48 nous perdons en adhésion du peuple aux rendus de la justice,
23:51 et ça, c'est une perte absolument considérable.
23:54 Il ne faut pas se cacher de la réalité.
23:56 Il y a des mouvements qui militent depuis longtemps
23:59 pour la suppression du jury populaire.
24:02 Vous en avez beaucoup, dans la magistrature,
24:04 et sans doute au barreau.
24:06 Beaucoup vous disent "Comment ces gens peuvent-ils juger ?"
24:09 Il ne faut pas négliger ce regard extrêmement méprisant
24:12 qui est porté, d'ailleurs, les magistrats, après tout.
24:16 Ils se disent "J'ai eu une formation très particulière,
24:19 "difficile, des concours élitistes pendant des années,
24:22 "et donc des types tirés au hasard
24:24 "vont pouvoir remplir la même mission que moi
24:27 "spontanément, sans aucune formation."
24:29 C'est peut-être pour certains une question insoluble.
24:32 Mais il y a ce mouvement qui existe depuis longtemps
24:35 de supprimer le peuple.
24:36 Restons entre nous, et je dis "entre nous",
24:39 pas simplement les magistrats,
24:41 certains membres du barreau se disent
24:43 "C'est une réforme pas si compliquée que ça."
24:46 C'est un très grand avocat pénaliste
24:48 qui la porte, désormais.
24:49 -Du Pontmoretti, le garde des Sceaux.
24:51 -C'est très douloureux pour moi.
24:53 Je n'aurais jamais imaginé,
24:55 je savais qu'il ne pourrait pas renverser la table,
24:58 puisque cette réforme était déjà lancée,
25:00 mais je n'imaginais pas qu'il allait accélérer le mouvement
25:04 et finalement signer l'arrêt de mort de la Cour d'assises
25:07 jusqu'à terme, quoi qu'on nous dise.
25:09 -Vous vivez cela comme une trahison ?
25:12 -Bien, écoutez, je ne voudrais pas employer ces mots-là,
25:15 c'est un homme pour lequel j'ai une admiration immense,
25:18 parce que je considère que c'est un des plus grands avocats
25:21 du XXe siècle et je suis tellement reconnaissant
25:24 pour tout ce qu'il a apporté à la défense.
25:26 -Vous jugez cette réforme attentatoire
25:29 aux droits des citoyens ? -Bien sûr.
25:31 Je la trouve attentatoire à l'Etat de droit,
25:33 au principe de la démocratie, la participation des citoyens,
25:37 et que n'avocat pénaliste qui a autant fréquenté la Cour d'assises
25:41 pour le maintien... -Absolument.
25:43 -Je ne veux pas employer le mot de trahison,
25:45 mais je constate les dégâts que peut faire une carrière politique
25:49 sur la force des convictions. -Une dernière question.
25:52 Vous arpentez, paraît-il, beaucoup les allées des cimetières,
25:55 notamment celui de Montparnasse.
25:57 La fréquentation des morts inspire vos plaidoiries,
26:00 nourrisse vos réflexions ?
26:02 -Non, je ne dirais pas cela, mais comme vous êtes fils de paysan,
26:06 je crois que vous restez toujours fils de paysan.
26:08 Nous, nous savons où nous sommes nés
26:11 et où nous reposerons. -Où vous avez...
26:13 -Absolument. Le cimetière est un lieu que nous fréquentons beaucoup.
26:16 C'est vrai que j'y retrouve le calme,
26:19 c'est propice à la méditation,
26:20 et puis, ils sont enterrés, notamment à Montparnasse,
26:24 de très grandes figures. J'aime cette confrontation silencieuse
26:27 avec de très grandes figures, je ne prétendrai pas
26:30 qu'elles me nourrissent, mais elles permettent à moi
26:33 de m'apaiser et d'y trouver les moments de méditation
26:36 nécessaires pour entrer dans l'arène judiciaire.
26:39 -Merci. -Merci à vous.
26:40 ...

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