La psychiatrie sous toutes ses formes, et elles sont nombreuses car on ne réduit pas la santé mentale à un algorithme neuropsychologique, cette psychiatrie donc se porte mal. Les difficultés rencontrées par la psychiatrie sont d'une part les mêmes que celles affectant la médecine : manque de moyens, engorgement des services, fuite vers le privé, rémunérations insuffisantes, perte d'attractivité, asymétries territoriales avec des déserts psychothérapeutiques. Nous observons aussi un déclin spécifique à la psychiatrie qui date de la fin des années 1990 avec une stigmatisation de la santé mentale d'où les politiques ne sont pas sans reproche. De l'uniformisation impossible de cette discipline qui fait appel autant à la création, à l'imagination, à l'écoute analytique qu'à la science et à la pharmacopée, on a bien souvent fabriqué un monstre bureaucratique de surveillance psychique qui n'est pas adapté aux réalités de terrain. Et encore moins opérationnel dans un contexte social dégradé où s'accumulent les misères qui ont nom : dépression, schizophrénie, burn-out, suicides. Bref, tous les exilés de l'intime, les exclus de la société.
Émile Malet reçoit :
- Daniel Zagury, psychiatre, expert près de la cour d'appel de Paris
- Franck Bellivier, psychiatre, délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie
- Marie Giacardy, psychiatre, psychanalyste
- Jean de Kervasdoué, ancien directeur général des hôpitaux, Académie des technologies
L'actualité dévoile chaque jour un monde qui s'agite, se déchire, s'attire, se confronte... Loin de l'enchevêtrement de ces images en continu, Emile Malet invite à regarder l'actualité autrement... avec le concours d´esprits éclectiques, sans ornières idéologiques pour mieux appréhender ces idées qui gouvernent le monde.
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Émile Malet reçoit :
- Daniel Zagury, psychiatre, expert près de la cour d'appel de Paris
- Franck Bellivier, psychiatre, délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie
- Marie Giacardy, psychiatre, psychanalyste
- Jean de Kervasdoué, ancien directeur général des hôpitaux, Académie des technologies
L'actualité dévoile chaque jour un monde qui s'agite, se déchire, s'attire, se confronte... Loin de l'enchevêtrement de ces images en continu, Emile Malet invite à regarder l'actualité autrement... avec le concours d´esprits éclectiques, sans ornières idéologiques pour mieux appréhender ces idées qui gouvernent le monde.
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NewsTranscription
00:00 Générique
00:01 ...
00:23 -Bienvenue dans "Ces idées qui gouvernent le monde".
00:26 Nous allons vous parler de la psychiatrie,
00:29 le naufrage de la psychiatrie.
00:31 La psychiatrie, sous toutes ses formes,
00:34 et elles sont nombreuses,
00:36 car on ne réduit pas la santé mentale
00:38 à un algorithme neuropsychologique,
00:41 cette psychiatrie, donc, se porte mal.
00:44 Les difficultés rencontrées par la psychiatrie
00:47 sont, d'une part, les mêmes que celles qui affectent la médecine.
00:51 Manque de moyens, engorgement des services,
00:54 fuite vers le privé, rémunération insuffisante,
00:58 perte d'attractivité,
01:01 asymétrie territoriale
01:03 avec ce qu'on appelle les déserts psychiatriques.
01:06 Nous observons aussi un déclin spécifique de la psychiatrie,
01:10 qui date de la fin des années 90,
01:12 avec une stigmatisation de la santé mentale,
01:16 d'où les politiques ne sont pas sans reproche,
01:19 de l'uniformisation impossible de cette discipline,
01:23 qui fait appel autant à la création,
01:26 à l'imagination, à l'écoute analytique,
01:29 à la science, à la pharmacopée.
01:32 On a bien souvent fabriqué un monstre bureaucratique
01:36 de surveillance psychique,
01:38 qui n'est pas adapté aux réalités de terrain
01:41 et encore moins opérationnel dans un contexte social dégradé,
01:45 où s'accumulent les misères qui en ont,
01:49 dépressions, schizophrénie, burn-out, suicides.
01:54 Bref, tous les exilés de l'intime,
01:57 tous les exclus de la société.
02:00 Nous allons en parler avec mes invités.
02:03 Daniel Zaguri, vous êtes psychiatre,
02:05 expert près de la Cour d'appel de Paris.
02:08 Franck Bélivier, vous êtes psychiatre également,
02:11 délégué ministériel à la santé mentale
02:14 et à la psychiatrie.
02:15 Jean De Kervasdoué,
02:17 vous êtes ancien directeur général des hôpitaux.
02:20 Vous êtes à l'Académie des technologies.
02:23 Marie-Jacques Hardy,
02:24 vous êtes psychiatre et psychanalyste.
02:26 Musique rythmée
02:29 ...
02:34 Alors, commençons par l'actualité.
02:36 Un point, d'abord, sur le manque de soignants
02:40 et ce qu'on appelle les déserts psychiatriques.
02:43 Pourquoi et comment, Daniel Zaguri ?
02:46 -Euh... Alors...
02:49 Ca, c'est une question essentielle.
02:52 Pourquoi cette désaffection
02:54 pour une discipline qui est somptueuse,
02:57 pour une spécialité médicale qui est magnifique ?
03:00 Pourquoi est-ce qu'aujourd'hui,
03:02 nous voyons des jeunes psychiatres de la quarantaine
03:06 qui étaient taillés pour le service public,
03:08 qui sont pris dans des conflits éthiques
03:11 et qui quittent l'hôpital
03:15 pour s'installer, pour ne pas avoir honte de ce qu'ils font,
03:18 pour pouvoir se regarder dans la glace ?
03:21 Et qu'on en est arrivé à une telle situation,
03:24 avec une perte d'attractivité
03:26 du choix de la psychiatrie pour les internes,
03:30 puisque, en termes d'attractivité,
03:32 la psychiatrie est 40e sur 44 spécialités médicales,
03:37 ce qui, pour quelqu'un de ma génération,
03:40 est tout à fait impensable.
03:43 -Une spécialité tiers-mondiste.
03:45 -C'est une... Effectivement,
03:48 c'est une spécialité sinistrée
03:50 pour vraiment toute une série de raisons congruentes,
03:53 malheureusement.
03:55 -Votre point de vue, j'allais dire officiel,
03:57 monsieur Bélévié, là-dessus ?
03:59 -Les chiffres nous disent d'abord...
04:01 Un premier facteur important, c'est la démographie médicale.
04:05 Nous sommes dans un grand creux, et la relève,
04:08 c'est-à-dire les jeunes médecins informés,
04:10 ne suffisent pas à pallier ce manque lié au départ.
04:15 Nous sommes d'ailleurs à la fin de ce creux,
04:18 puisque 2023 est l'année où la décrue s'interrompt
04:21 avant une remontée jusqu'en 2025,
04:24 mais la relève n'est pas là, c'est un fait.
04:26 Les territoires qui sont les plus en difficulté
04:29 par ce manque de relève sont les territoires
04:31 qui sont, structurellement, le plus en tension.
04:34 Il faut s'entendre aussi sur ce qu'on appelle un désert médical.
04:38 Le premier désert médical de France, c'est le 93.
04:41 Il est à nos portes.
04:42 C'est-à-dire, si on définit un désert médical
04:46 comme l'inadéquation la plus importante
04:48 entre les besoins et l'offre.
04:50 Évidemment, les réponses à apporter à ce type de territoire-là,
04:54 je pense, au 93,
04:56 ne sont pas du tout les mêmes que l'autre exception
05:00 qu'on a du terme de désert médical,
05:02 qui sont les grands territoires ruraux.
05:04 Et là, évidemment, lorsque la pénurie se fait sentir,
05:08 il y a un cercle vicieux qui s'installe,
05:10 le travail devient pénible pour ceux qui restent,
05:13 parce que la relève n'est pas là,
05:15 et or, il y a quand même des larges territoires à couvrir.
05:19 -Alors, est-ce que, Jean de Kervasdoué,
05:21 on peut dire que la psychiatrie a les mêmes problèmes
05:25 que la médecine, mais en plus grave ?
05:28 -Oui, parce qu'il y a une raison générale
05:30 et des raisons spécifiques.
05:32 La raison générale, elle est simple à dire en quelques chiffres.
05:37 On est passé de 8 700 médecins en humérosclosus
05:41 dans les années 70
05:43 à 3 500
05:44 entre 95 et 2000.
05:48 Donc, comme on recrute les jeunes médecins à 19-20 ans,
05:52 les gens qui ont 40-45 ans,
05:55 c'est des gens du creux de la vague
05:58 des années 90,
06:00 puisque c'est à l'âge de 40-45 ans
06:03 où on devient chef de service
06:05 et on s'aperçoit qu'il n'existe pas.
06:07 Alors, il y a, par ailleurs, un deuxième problème,
06:10 c'est que, et on en reparlera, je pense,
06:13 c'est qu'on a voulu normaliser la psychiatrie.
06:15 C'est-à-dire qu'il y avait autrefois...
06:17 D'ailleurs, la psychiatre était la seule médecin salarié
06:21 avant la réforme des PH et des professeurs d'université.
06:24 -PH, c'est praticien hospitalier. -Praticien hospitalier, oui.
06:28 Et...
06:29 Et...
06:30 Et il y a eu un concours de psychiatrie...
06:32 De psychiatre qui était un concours spécifique.
06:35 Le problème, aujourd'hui, et on voit ça,
06:38 c'est ce que disait Daniel Zaguri,
06:40 dans le choix des spécialités à l'internat,
06:42 à mon avis, on ne devient pas psychiatre
06:44 parce qu'on n'a pas réussi à être chirurgien.
06:47 Donc, il y a un vrai problème de la politique
06:50 menée depuis une trentaine d'années
06:52 qui a fait disparaître les mots spécifiques
06:55 sur la psychiatrie et la santé mentale
06:57 en prétendant que c'était une spécialité comme les autres.
07:00 Et ça, c'est le problème essentiel.
07:03 Et puis, un troisième et dernier problème,
07:05 c'est qu'il y a d'énormes variations en général,
07:08 puisqu'il y a des secteurs psychiatriques
07:10 qui n'ont pas de psychiatre,
07:12 et les variations de moyens entre secteurs psychiatriques
07:16 varient de 1 à 10, ce qui est absolument considérable,
07:19 et ce qui est encore beaucoup plus
07:21 que dans les autres secteurs de la médecine.
07:23 -Marie Giacardi, vous avez l'avantage, si on peut dire,
07:27 d'être un psychiatre, un psychanalyste de terrain.
07:30 Vous allez même nous dire dans quelles conditions vous travaillez.
07:34 Est-ce que vous constatez
07:36 que ce numerus clausus
07:38 crée des situations de pénurie ?
07:43 Et j'aimerais, avec vous,
07:46 avoir une réponse à une préoccupation forte,
07:50 aujourd'hui, en ce qui concerne les urgences.
07:54 Est-ce qu'il est exact que c'est un parcours du combattant
07:58 pour pouvoir se soigner ?
08:00 -Oui, absolument.
08:02 C'est ce qu'on constate sur le terrain.
08:04 D'abord, pour aller...
08:08 Pour donner quelques explications,
08:10 peut-être, au monde de l'attractivité
08:12 et de la spécialité, il faut rappeler
08:15 que c'est une discipline très singulière
08:17 qui demande des capacités de résistance
08:20 au paradigme de notre société,
08:22 à savoir qu'elle repose sur un savoir
08:25 qui se construit uniquement dans la relation avec le patient
08:29 et dans l'espace intersubjectif.
08:31 Donc, cela se heurte à des paradigmes de sociétaux,
08:35 c'est-à-dire qu'il faut avoir...
08:38 On a affaire à une part d'incertitude quotidienne
08:42 et il faut donc pouvoir supporter cette part d'incertitude,
08:46 puisque c'est une spécialité purement clinique,
08:49 aucun moyen de prouver le diagnostic qu'on établit,
08:52 qui s'établit juste dans l'intersubjectivité.
08:55 Ca n'a rien à voir avec le discours de l'évidence-baise-médecine
08:58 que nous sommes baignés pendant nos études et notre exercice.
09:02 Nous, nous ne pouvons pas prouver ce que nous avançons.
09:05 D'autre part, nous travaillons dans un espace-temps
09:08 qui est très différent et qui doit nous décaler
09:11 de la course folle que nous vivons dans la société actuelle,
09:16 puisque le temps psychique est un temps long,
09:19 il faut du temps pour rencontrer le patient,
09:22 instaurer un climat de confiance,
09:24 comprendre ce qui se passe, où va se loger sa souffrance.
09:28 Et nous ne pouvons pas assurer,
09:30 nous devons expliquer d'emblée au patient et à sa famille
09:33 que nous n'allons pas avoir un résultat immédiat,
09:37 une efficacité immédiate, non, ça n'ira pas mieux demain.
09:40 En ce qui concerne le parcours du combattant,
09:44 oui, c'est un parcours du combattant,
09:46 d'abord parce qu'il y a une dégradation
09:48 de la santé mentale,
09:50 mais qui est antérieure à la crise de la pandémie.
09:53 On y reviendra certainement.
09:56 Et donc, il y a certes une pénurie de psychiatres,
10:00 mais il y a une explosion des demandes de soins
10:02 qui a à voir avec cette dégradation de la santé mentale,
10:05 qui fait que nous avons à peu près trois à...
10:09 Enfin, les personnes qui sont en demande
10:12 attendent parfois trois à six mois
10:14 avant de pouvoir rencontrer un psychiatre.
10:16 Lorsqu'un psychiatre s'installe en cabinet privé,
10:20 son cabinet est plein en un mois,
10:22 et pour qu'il s'occupe bien de sa patientelle,
10:26 il doit refuser les nouvelles demandes
10:28 ou bien, encore pire, faire le tri des demandes
10:31 selon des critères d'urgence,
10:34 et notamment le risque suicidaire,
10:38 qui est majeur dans la population actuelle
10:41 et qui touche surtout les jeunes de 11 à 25 ans.
10:44 -En quel cadre vous travaillez ?
10:45 -Je travaille en clinique.
10:47 Je travaille dans deux endroits, en clinique privée,
10:50 dans une institution privée d'hospitalisation,
10:53 de 100 lits et en cabinet de consultation.
10:55 -Alors, monsieur Bellivier,
10:57 je m'intéresse à vous sur la question de la formation.
11:01 Les psychiatres et les infirmiers psychiatriques
11:05 avaient l'habitude de travailler ensemble.
11:08 Aujourd'hui, à vous écouter,
11:11 la psychiatrie n'est plus une spécialité médicale,
11:15 mais on va former pendant deux ans,
11:18 si mon information est bonne,
11:21 des infirmiers en pratique avancée.
11:24 Autant dire que la santé mentale est dans un trou, là,
11:28 en termes de personnel.
11:30 -Juste un commentaire sur ce que ma collègue vient de dire.
11:34 Avant la crise Covid, les suivis épidémiologiques
11:36 de la population ne montraient pas une dégradation
11:39 de la santé mentale des Français.
11:41 En revanche, on a vu, ces 10-20 dernières années,
11:45 un nombre croissant de demandes convergées
11:47 vers la psychiatrie, ce qui est plutôt une bonne nouvelle.
11:50 C'est-à-dire que la réticence à solliciter
11:53 une aide psychologique ou une aide médicale psychiatrique,
11:57 eh bien, s'est atténuée.
12:00 La démarche d'aller voir un psychologue ou un psychiatre,
12:03 s'est démocratisée, c'est devenu plus facile.
12:05 La crise Covid a clairement, épidémiologiquement,
12:08 sur l'ensemble de la population française,
12:10 montré une dégradation des indicateurs de dépression,
12:13 d'anxiété, de troubles du sommeil et d'idées suicidaires.
12:17 Je réponds à votre question.
12:18 La formation des...
12:22 La démarche de formation des infirmiers en pratiques avancées,
12:25 spécialisées en santé mentale,
12:27 vise à satisfaire cette idée,
12:31 face à la pénurie de psychiatres,
12:33 à faciliter une délégation de tâches
12:37 en direction d'infirmiers
12:39 qui ont reçu spécifiquement une formation
12:42 pour recevoir cette délégation de tâches.
12:45 Donc, ce n'est...
12:47 Je pense que ça va enrichir
12:50 le parcours de santé mentale des patients
12:52 qui ont besoin d'une continuité...
12:54 -Quand ça va l'enrichir ?
12:56 Là, le problème, c'est qu'il manque à la fois des psychiatres
13:00 et on va former des infirmiers, mais ça va prendre quelques années.
13:04 Comment on va faire, là, maintenant ?
13:06 Est-ce qu'on a un embouteillage psychique,
13:09 si je puis utiliser cette expression triviale ?
13:11 -On court un peu après cette inadéquation
13:14 entre les besoins et l'offre,
13:15 et ce n'est pas les infirmiers de pratiques avancées
13:18 qui seront quelques milliers dans quelques années,
13:21 mais qui, aujourd'hui, sont quelques centaines
13:24 en santé mentale.
13:25 C'est plutôt une réponse moyen terme
13:27 qu'une réponse long terme.
13:29 -Je ne veux pas vous taquiner,
13:31 monsieur Bélivier, mais je voudrais me demander
13:34 à monsieur Zaguri,
13:35 quand vous entendez monsieur Bélivier dire
13:39 qu'il y a une inadéquation entre l'offre et la demande,
13:43 ça veut dire que la psychiatrie rentre dans un champ économique
13:46 et elle est dévoyée de sa vocation, non ?
13:49 Je ne cherche pas la polémique,
13:51 mais est-ce que vous ne pensez pas qu'il y a là quelque chose de...
13:55 -Je crois que c'est très important
13:58 que les psychiatres, justement,
14:01 qui font...
14:03 Qui sont dans une discipline extrêmement hétérogène,
14:07 extrêmement diversifiée, extrêmement riche,
14:10 mais c'est à la fois leur talon d'achille
14:13 et leur richesse.
14:15 Et c'est très important
14:16 que les psychiatres,
14:18 quel que soit le courant qu'ils représentent,
14:21 soient unitaires et aient une défense de la profession.
14:26 Il n'y a pas de pic de la Myrandole psychiatre
14:29 qui sache tout.
14:30 La psychiatrie biologique, l'épidémiologie,
14:33 la relation, la psychanalyse,
14:35 c'est pas vrai, ça n'existe pas.
14:37 Mais tous, nous sommes au service
14:40 d'une psychiatrie intégrative
14:42 qui est pour le patient
14:45 et qui utilise toutes les ressources
14:48 de la connaissance dans l'intérêt de ce patient.
14:51 Donc, moi, j'ai pas du tout un esprit polémique.
14:55 Si vous avez lu mon livre,
14:56 vous avez vu que ça me paraît extrêmement important.
15:01 -Vous dites que vous n'êtes pas polémique,
15:03 mais que vous dites qu'on massacre la psychiatrie.
15:06 -Je dis qu'on massacre la psychiatrie
15:09 parce que quand vous...
15:10 Je dis ça à deux niveaux.
15:13 Au niveau, d'une part, des chiffres,
15:15 au niveau...
15:17 Bon, démontrable,
15:18 et au niveau de ma carrière, de mon parcours,
15:22 au moment où j'ai pris ma retraite hospitalière,
15:25 en essayant de comprendre
15:27 pourquoi j'ai commencé dans l'enthousiasme
15:30 et pourquoi j'ai fini dans cette espèce de marasme.
15:34 Vous parliez du 9-3,
15:35 j'ai travaillé dans le 9-3 toute ma carrière.
15:38 Effectivement, mais dans le 9-3,
15:40 il y avait des psychiatres particulièrement dynamiques
15:44 qui ont fait une psychiatrie de secteur particulièrement active.
15:47 Et à la fin de mon parcours,
15:49 j'ai pu voir des choses inimaginables,
15:52 c'est-à-dire la pénurie,
15:54 c'est-à-dire le recours exagéré à l'isolement et à la contention,
15:58 c'est-à-dire une bureaucratie totalement écrasante.
16:02 -On va rentrer dans le détail.
16:04 -C'est-à-dire beaucoup de choses.
16:06 -Jean De Kerbas, juste une petite précision.
16:10 Je m'adresse à vous aussi,
16:13 comme je sais que vous êtes un économiste de la santé.
16:16 Quelle part l'économie,
16:20 par exemple, le paiement à l'acte,
16:24 dans le cas de la psychiatrie,
16:28 quelle part l'économie a dans le dévoiement de la psychiatrie ?
16:35 -Je ne vais pas répondre tout de suite à cette question.
16:38 Je vais simplement lever un lièvre
16:40 qui n'est pas évident pour les gens qui nous écoutent,
16:43 mais qui est évident entre nous,
16:47 c'est qu'il y a à l'intérieur du monde de la santé mentale
16:50 des débats épistémologiques et théoriques qui sont violents.
16:54 Ce que dit Daniel Zeguri,
16:56 et ce que vous dites aussi, monsieur,
16:58 c'est qu'il faudrait que tout le monde travaille ensemble,
17:02 comme c'est le cas dans le domaine du cancer
17:05 où radiothérapeutes, chirurgiens et médecins
17:07 travaillent ensemble, et il y a à l'intérieur du monde
17:10 de la psychiatrie des querelles d'école
17:13 qui posent des problèmes.
17:16 -Vous allez voir qu'on va aborder précisément cette question.
17:21 -Deux mots d'économie.
17:22 Alors, la France,
17:25 et vous allez voir que c'est paradoxal,
17:27 la France est le pays de l'OCDE, 40 pays riches,
17:31 qui dépense le plus pour la santé mentale
17:34 en pourcentage de ses dépenses de santé.
17:36 Donc la France dépense 15 %
17:38 de ses dépenses de santé en santé mentale.
17:42 La moyenne de l'OCDE, écoutez-moi bien, c'est 6,7.
17:45 Alors, où est la différence ?
17:48 Où est l'erreur ?
17:49 Elle est dans la prescription des psychotropes
17:52 par les généralistes.
17:53 C'est-à-dire l'essentiel de ce que l'on compte
17:56 dans les dépenses de santé mentale,
17:58 c'est pas le fonctionnement des secteurs psychiatriques,
18:01 c'est pas la médecine libérale, c'est pas les consultations,
18:04 ce sont les prescriptions.
18:06 La deuxième remarque économique,
18:12 c'est que tout ce qui a été dit
18:15 jusqu'à présent,
18:17 c'est qu'effectivement, la psychiatrie
18:20 manque de moyens à organisation inchangée.
18:24 Donc comme nous avons en stock beaucoup d'argent,
18:27 nous avons en France aussi en valeur absolue
18:30 et par relatif beaucoup de psychiatres,
18:32 beaucoup plus que la plupart des pays occidentaux,
18:35 c'est que donc nous avons un problème
18:38 collectif d'organisation que nous refusons de regarder.
18:41 Et que...
18:43 Toute chose étant égale par ailleurs,
18:47 c'est-à-dire que les deux discours sont vrais.
18:49 Quand vous dites "on manque de moyens", c'est vrai.
18:52 On manque de moyens parce que l'augmentation
18:55 des dépenses en psychiatrie a été très inférieure
18:58 à l'inflation et pour goût d'autres considérations.
19:01 Les secteurs psychiatriques ont eu de moins en moins d'argent.
19:04 Collectivement, nous dépensons beaucoup d'argent.
19:07 La conclusion, c'est qu'il faudrait que collectivement,
19:10 et cette émission nous aide,
19:12 on regarde au problème d'organisation.
19:14 -Alors, un peu d'histoire.
19:23 Après la Deuxième Guerre mondiale,
19:26 nous avons observé une prise de conscience collective
19:30 pour humaniser la psychiatrie
19:33 et la sortir, si on peut dire,
19:36 de cette concentration asilaire.
19:38 Est-ce qu'on assiste à un retour en arrière, aujourd'hui,
19:44 à travers la bureaucratisation des pratiques,
19:48 à travers la stigmatisation de la santé mentale ?
19:51 M. Zegu. -Alors, vous avez raison.
19:56 Partons de 1945, partons de l'après-guerre.
20:00 Il y a eu quelque chose de tout à fait exceptionnel,
20:03 qui était la convergence d'une sensibilité collective,
20:07 plus jamais ça, plus jamais l'univers concentrationnaire,
20:11 d'un certain nombre de personnes
20:14 dans la haute administration française
20:17 et de jeunes psychiatres qui ont mis en place
20:20 la psychothérapie institutionnelle et ensuite le secteur.
20:24 C'est-à-dire que vous avez eu tout un mouvement convergent
20:28 des aliénismes qui...
20:31 Et qu'on va retrouver avec le secteur
20:36 et avec la psychiatrie de ma génération,
20:38 quand j'ai commencé la psychiatrie dans l'enthousiasme.
20:42 C'est-à-dire que nous avions un système de santé
20:46 et nous avons pu vérifier sur le terrain
20:49 sa fécondité quand, dans certains lieux,
20:53 on travaillait et quand on était créatif.
20:56 Et tout ça, effectivement, progressivement s'est délité
21:00 du fait de contraintes économiques,
21:03 du fait de cette division dont parlait
21:07 Jean de Cervezoué tout à l'heure des psychiatres.
21:10 Alors, moi, je pense que les psychiatres
21:13 ont une immense responsabilité dans la situation actuelle,
21:18 parce qu'ils n'ont pas réussi
21:21 à maintenir l'unité de leur discipline.
21:24 Unité très... Vous savez, très difficile.
21:28 Quand j'étais jeune,
21:30 quand Henrié, Dommaison,
21:33 -Qui sont des noms de grands psychiatres.
21:37 -Voilà, on les écoutait.
21:39 On n'était pas nécessairement d'accord avec eux,
21:42 mais leur parole portait, parce qu'on savait
21:45 que, sur le terrain, ils avaient montré
21:48 à quel point ils défendaient notre discipline.
21:52 Et ça, c'est quelque chose qui s'est perdu.
21:55 -Est-ce que, Marie-Jacques Gardie,
21:57 vous constatez, dans votre exercice,
21:59 cet éparpillement, c'est-à-dire la non-convergence
22:03 entre une approche thérapeutique classique,
22:07 la psychanalyse, la neuropsychiatrie,
22:09 est-ce que ça se défait, cette chose-là ?
22:13 -Alors, ça, ça a été...
22:15 Je suis tout à fait d'accord avec vous.
22:17 Ça a été très vrai jusqu'à maintenant.
22:20 C'est-à-dire que nous avons tous fonctionné
22:24 un peu prisonniers ou dans le dogme
22:27 de nos champs de savoirs.
22:29 La psychanalyse, les sciences cognitives comportementales,
22:32 les neurosciences et autres, en se livrant des guéguerres
22:36 et en essayant de faire passer notre champ de savoir
22:40 comme le dogme de ceux qui allaient le mieux soigner la personne.
22:44 Maintenant, bien obligés de fonctionner différemment,
22:47 nous allons mieux.
22:48 C'est-à-dire qu'il va falloir penser
22:52 la santé mentale avec le primat du lien.
22:56 A savoir, ça va être au-delà
22:59 du colloque singulier médecin-malade.
23:02 L'idée, c'est d'identifier et de rassembler
23:07 les relations ressources qu'il existe
23:10 autour de la personne et de faire travailler ensemble
23:14 plusieurs professionnels de la santé mentale,
23:17 qui ne sont pas, heureusement, les psychiatres,
23:19 les seuls acteurs de la santé mentale.
23:22 Pour expliquer plus clairement et brièvement,
23:24 prenons la métaphore du filet de Norbert Elias.
23:28 Comment est formé un filet ?
23:30 Chacun des fils est une unité en soi.
23:33 Ce qui va faire la structure du filet,
23:36 c'est la façon dont sont tissés les fils entre eux.
23:39 Il est devenu maintenant impératif de penser les choses comme ça
23:43 sur un maillage collectif d'un ensemble d'intervenants
23:47 en santé mentale.
23:48 Je loue tout à fait, moi, la création de la profession
23:52 d'infirmier de pratique avancée.
23:55 Je reçois dans mon cabinet, en stage, le mois prochain,
23:58 une infirmière de pratique avancée,
24:00 car ils ont besoin de faire des stages,
24:02 car ils vont pouvoir enrichir notre discipline,
24:05 certes, désobstruer les urgences,
24:08 mais ils pourront intervenir à beaucoup de niveaux.
24:11 Mais dans ce tissage, en fait,
24:13 où le psychiatre va peut-être devenir
24:16 un coordinateur de soins,
24:17 puisque leur pratique en santé mentale,
24:21 vous le savez, va reposer sur un contrat avec le psychiatre.
24:25 Donc le psychiatre coordonnera les soins,
24:28 mais ça se passera...
24:29 Il faut... On n'en est plus à la division.
24:32 De toute façon, c'est trop grave.
24:34 Il faut repenser le soin.
24:35 Sinon, on n'arrivera pas à soigner correctement les personnes.
24:39 -On vous a entendu. On va demander votre avis,
24:42 monsieur Bélivier, sur ce tissage, ce tressage.
24:45 Est-ce qu'on est conscient,
24:46 au niveau des pouvoirs publics,
24:49 qu'il faut intégrer les innovations,
24:52 les expérimentations,
24:54 parce que c'est pas...
24:56 J'allais dire, c'est pas une discipline ordinaire.
24:59 Elle nécessite toute l'imagination, la science, l'analyse, etc.
25:03 Et est-ce que vous facilitez cette chose-là ?
25:06 -Deux réponses à votre question.
25:08 La première, assez personnelle,
25:10 je me reconnais dans ce qui vient d'être dit.
25:13 Ces guerres théoriques sont un peu derrière nous.
25:15 J'appartiens à une génération de psychiatres
25:18 qui a fait l'intégration de ces différents savoirs
25:21 et qui font toute la richesse de la formation des psychiatres.
25:24 C'est vrai pour la génération qui arrive.
25:27 Ils ont réussi à faire l'intégration
25:29 de ces différents courants de pensée,
25:31 de techniques psychothérapiques,
25:33 et situer l'acte médical
25:35 un peu au carrefour de ces différents savoirs.
25:39 Je pense que c'est, au contraire,
25:41 quelque chose qui doit être revendiqué
25:43 comme une richesse de cette discipline.
25:46 Au niveau des pouvoirs publics, on est athéorique.
25:48 Le ministère de la Santé n'est pas une société savante.
25:51 Et donc, le raisonnement du ministère de la Santé,
25:57 c'est, comme dans les autres disciplines,
25:59 la promotion des recommandations de bonne pratique
26:02 et des données probantes.
26:04 D'une certaine manière, ça doit pouvoir s'appliquer
26:07 au champ des soins psychiatriques,
26:10 comme au champ des soins psychologiques, d'ailleurs,
26:14 pour les psychothérapies.
26:16 Donc, voilà, s'agissant des innovations,
26:19 il y a de la feuille de route santé mentale et psychiatrique
26:22 que je pilote au ministère,
26:23 qui fait une large place au soutien à l'innovation et à la recherche.
26:27 Et là encore, quand on parle de recherche,
26:29 on ne parle pas que de recherche fondamentale, neurobiologique,
26:32 mais tous les champs de recherche
26:34 sont embarqués par ce soutien à l'innovation.
26:38 -Je voudrais juste revenir sur ce qu'a dit M. Zaguri,
26:41 de ce moment très fécond où se cristallise
26:45 une pensée qui aboutit à l'organisation en secteur,
26:49 qui se...
26:50 Le mot que vous avez emprisonné, c'est "se déliterait".
26:53 En fait, je pense qu'il faut d'abord rappeler
26:58 que la doctrine promue,
27:01 les piliers de la loi de secteur
27:07 n'ont pas pris une ride.
27:09 Aujourd'hui, vous retrouvez les grands principes
27:11 promus par la loi de secteur
27:13 dans la feuille de route santé mentale et psychiatrique,
27:16 les malades dans la cité, etc.
27:19 Mais ce qu'il faut entendre,
27:21 c'est que le terme "secteur" en réalité recouvre trois choses.
27:24 C'est d'abord un territoire,
27:26 et ce territoire a beaucoup bougé depuis les années 60,
27:29 même si la loi de secteur a été confirmée en 90.
27:32 Aujourd'hui, les patients ne sont plus captifs d'un territoire.
27:35 Au sein d'un territoire,
27:36 l'acteur principal n'est plus que le secteur.
27:40 Il y a des territoires où il y a une offre non sectorisée,
27:43 privée, publique,
27:45 qui fait que les patients doivent aussi s'y retrouver.
27:48 Deuxièmement, le terme "secteur", c'est un projet.
27:53 C'est un projet dont le chef de service de secteur
27:56 avait la maîtrise,
27:57 et il avait à concevoir son projet de soins
28:02 pour les malades dont il avait la responsabilité.
28:05 Et ce, sans référence obligatoire
28:08 aux recommandations de bonne pratique ou aux données probantes.
28:11 Ces recommandations n'ont jamais été opposables.
28:14 Troisièmement, le secteur, c'est une organisation.
28:18 Et en fonction des politiques portées par les ARS
28:21 et par les établissements... -Les ARS et les agences régionales.
28:25 -Régionales de santé, on a vu naître des différences
28:28 d'un établissement à un autre et d'une région à une autre.
28:31 Et de tout cela, il résulte aujourd'hui
28:34 une somme de particularismes qui sont peu lisibles.
28:38 Et je pense que les réformes que nous portons,
28:40 aux ministères de la Santé,
28:42 visent à remettre un peu d'ordre dans tout ça.
28:45 -Oui, alors, écoutez, tout ça serait parfait
28:49 si on arrivait dans le meilleur des mondes,
28:52 mais c'est pas forcément le cas quand on regarde la psychiatrie.
28:56 Alors, je veux pas entrer dans des contradictions polémiques,
29:00 mais sur un plan politique, Jean-Dieuque Ervas-Doué,
29:04 sous le gouvernement de Nicolas Sarkozy,
29:09 alors président de la République,
29:11 et de madame Bachelot, à l'époque,
29:14 responsable de la santé,
29:17 une certaine confusion s'est opérée
29:21 entre santé mentale, délinquance, criminalité.
29:27 Est-ce que c'est ce qui a entraîné
29:30 une judiciarisation de la psychiatrie ?
29:34 Est-ce qu'il a éloigné de ces rails thérapeutiques
29:39 et qu'il peut expliquer le désenchantement
29:43 de monsieur Zaguri, aujourd'hui ?
29:45 -Zaguri en parlerait beaucoup mieux que moi,
29:48 mais la loi du 5 juillet 2011 est un drame.
29:52 Elle est un drame
29:54 parce qu'elle fait l'hypothèse
29:57 que les malades mentaux sont...
30:00 Certains malades mentaux sont des tueurs en puissance,
30:04 et ça, ça va contrôler les statistiques.
30:06 Les malades mentaux ne tuent pas plus les autres
30:09 sauf à l'intérieur de leur famille.
30:12 Mais la criminelle, en dehors des familles,
30:15 est la criminalité,
30:17 et donc ça, ça conduit à des procédures folles
30:21 qui prennent du temps administratif,
30:23 qui prennent du temps infirmier,
30:25 et qui font que ces mesures ne sont pas respectées,
30:28 parce qu'elles ne sont pas respectables
30:30 au sens des moyens en personnel
30:32 qu'il faudrait pour les respecter,
30:34 autant du côté des tribunaux
30:36 que du côté des services de psychiatrie.
30:39 Donc tout ça me paraît absolument dramatique.
30:43 Je ne suis pas certain
30:45 que les gens qui nous écoutent
30:48 soient bien conscients
30:50 des différentes armes thérapeutiques
30:53 à la disposition d'un secteur.
30:54 Je voulais juste en dire un mot
30:56 pour expliquer l'hétérogénéité.
30:59 Un secteur psychiatrique,
31:01 c'est pas seulement des lits.
31:04 C'est des lits de jour,
31:09 des lits de nuit, des consultations,
31:12 des centres médicaux pédagogiques, etc.
31:15 Il y a toute une série de gammes
31:17 sur lesquelles un secteur peut jouer,
31:20 et visiblement, il y en a qui jouent mieux que d'autres.
31:23 Le problème de la politique, c'est de faire en sorte
31:26 que tout le monde joue à peu près bien.
31:28 On en est relativement loin,
31:30 parce qu'il n'y a pas d'âme, pas de flamme.
31:33 Vous n'avez jamais entendu,
31:34 et ça, c'est une remarque générale,
31:36 et je vais m'arrêter là,
31:38 mais une chose qui me frappe
31:40 en me repenchant sur un peu plus de 50 ans
31:42 de politique de santé dans ce pays,
31:45 c'est que les partis politiques
31:47 ne parlent jamais d'organisation des soins.
31:50 Les partis politiques ne parlent uniquement
31:53 que d'accès des gens à la médecine,
31:55 et notamment le ticket modérateur, le financement, etc.
31:58 Mais vous n'avez pas un engagement
32:00 de la partie politique sur la santé mentale,
32:03 à ma connaissance, vous n'avez pas un engagement
32:06 sur le drame de ce que vit la médecine libérale,
32:09 et on va voir ça avec les problèmes de conventions,
32:12 et le drame de ce qui se passe à l'hôpital,
32:15 pas uniquement psychiatrique, mais les autres.
32:18 Je crois que, Daniel, et vous, monsieur,
32:20 vous êtes mieux adapté pour parler de la loi de 2011.
32:23 -Justement, Daniel Zaguri,
32:25 cette loi de 2011,
32:28 qui a fait un...
32:30 Qui a tressé, peut-être pas un lien,
32:33 mais en tout cas une direction
32:36 entre délinquance et psychiatrie,
32:38 elle a encore des conséquences aujourd'hui.
32:42 -Evidemment.
32:44 Alors, vous avez prononcé le nom d'un président de la République,
32:48 qui a, effectivement,
32:51 stigmatisé les malades mentaux.
32:55 Que peut...
32:58 Que peut signifier une politique d'Etat de déstigmatisation
33:03 quand le président de la République lui-même
33:06 stigmatise les malades mentaux
33:08 en associant criminalité et délinquance
33:11 et en instrumentalisant, tout au long de son quinquennat,
33:15 des faits divers, au point, d'ailleurs,
33:18 qu'il y a quelque chose d'assez étonnant,
33:20 dont je me suis rendu compte quand j'ai écrit mon livre,
33:24 c'est que la psychiatrie, en France, dans les médias,
33:27 c'est les services police-justice,
33:29 mais le service santé, de temps en temps,
33:32 ils font un très bon...
33:34 Un très bon reportage,
33:36 mais ça va pas plus loin,
33:39 et en définitive, c'est pas ça qui est central.
33:43 Donc, il y a eu, en effet,
33:45 durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy,
33:48 d'une part, la loi HPST,
33:51 c'est le directeur qui commande...
33:53 -Le directeur étant un administratif.
33:57 -Voilà, et c'est comme ça,
33:59 et qui nous a fait perdre une quinzaine d'années.
34:05 C'est ce que disait un ancien ministre de la Santé
34:08 récemment dans "Le Monde".
34:10 Il y a eu, donc, la loi HPST,
34:13 il y a eu la loi de 2011,
34:15 qui est une loi bureaucratique, de stigmatisation,
34:18 qui n'a pas du tout été discutée avec les psychiatres.
34:21 La loi de...
34:23 L'ancienne loi de 1838
34:28 a été discutée avec les aliénistes
34:32 pendant un an et demi.
34:33 Donc, là, elle a été imposée
34:36 contre les psychiatres,
34:39 donc...
34:40 Et vous avez, donc,
34:43 cette loi de 2011,
34:45 cette loi HPST,
34:48 et donc, ça a effectivement été
34:51 un accélérateur...
34:53 Un accélérateur... -Vous démandez...
34:55 Oui, mais Daniel Zaguri,
34:57 vous êtes expert auprès de la Cour d'appel,
35:00 et vous êtes très connu, d'ailleurs,
35:02 pour votre sagacité dans ce domaine,
35:04 mais quelquefois,
35:06 vous avez des personnes atteintes de troubles mentaux
35:10 qui se livrent
35:11 à des actes délinquants.
35:14 Ca peut arriver.
35:16 Bon, et là,
35:17 on vous soumet ces cas-là,
35:20 et la société est faite
35:22 de ces faits divers qui existent, etc.
35:26 Comment on peut faire pour rassurer
35:30 les opinions publiques, comme vous le savez bien,
35:33 qui sont inquiètes dès qu'il y a un crime ?
35:37 On l'a vu récemment avec un acteur célèbre...
35:41 Qu'est-ce qu'il faut faire, à ce niveau-là ?
35:44 -Ce qu'il faut faire, c'est un travail d'objectivation.
35:47 Savez-vous quel est le pourcentage des schizophrènes qui tue ?
35:52 -Il suffit d'un, et que ce soit médiatisé.
35:56 Vous savez bien l'opinion publique...
35:58 -Savez-vous le pourcentage des schizophrènes
36:01 qui ne tue pas ? C'est 99,70 %.
36:04 D'accord ? Donc on ne peut pas stigmatiser
36:07 une catégorie de patients
36:11 du fait d'un rapport avec la criminalité.
36:15 Il y a une objectivation.
36:17 La deuxième réponse,
36:18 qui me paraît la plus importante,
36:20 c'est que meilleur sera
36:24 le dispositif de santé publique,
36:27 moins il y aura ce type de...
36:30 -Excellent.
36:32 -De passage à l'acte criminel
36:34 lié à une affection psychiatrique.
36:36 Donc, si vous voulez,
36:38 l'une des raisons qui font
36:41 que la psychiatrie n'est pas
36:44 une spécialité comme les autres,
36:46 c'est justement ce lien dans l'opinion publique
36:49 entre violence et psychiatrie,
36:51 entre crime et psychiatrie,
36:53 lien qu'il faut, effectivement,
36:55 dont il faut dire dans quelle mesure,
36:58 objectivement, il existe et dans quelle mesure,
37:01 il n'existe pas, et lien, effectivement,
37:03 qu'il faut contrecarrer par un dispositif.
37:06 La réponse la plus rationnelle,
37:10 c'est ayons le meilleur dispositif de soins
37:13 et ce type de problème
37:16 sera diminué.
37:19 -Alors, Franck Bélévier,
37:21 j'aimerais avoir votre avis sur cette fameuse loi de 2011.
37:26 Et en même temps,
37:28 les prisons,
37:31 les prisons sont pleines
37:34 de malades mentaux.
37:36 -Et la rue. -Et la rue aussi.
37:39 Alors,
37:41 quelle est la politique de santé mentale
37:44 au regard de ce qui se passe dans nos prisons
37:47 et de ce qui se passe, comme vient de le dire
37:50 Jean-Denis Kervasdoué, dans la rue,
37:53 où il y a beaucoup de malades ?
37:55 -D'abord, sur la stigmatisation des malades mentaux
37:58 ou la désignation des malades mentaux
38:01 comme bouc émissaire d'un certain nombre de fantasmes sociétaux,
38:05 c'est en réalité une vieille histoire.
38:07 Quand un président de la République met son grain de sel dans cette affaire,
38:11 les représentations se trouvent encore renforcées,
38:14 là où on essaie de déconstruire ces représentations
38:17 du malade mental dangereux, puisque les chiffres sont éloquents.
38:21 Une minorité de...
38:23 -C'est clair, vous condamnez cette chose ?
38:25 -Les malades mentaux sont beaucoup plus victimes que auteurs,
38:29 si on reprend les données factuelles.
38:33 J'insiste sur les chiffres qu'a donnés Daniel Zaguri.
38:37 C'est moins de 1 % de patients schizophrènes
38:41 qui commettent un jour au cours de leur vie
38:45 un acte médico-légal.
38:46 Quand on prend le problème dans l'autre sens,
38:49 quel est le pourcentage d'actes médico-légaux pénalement répréhensibles
38:53 qui sont commis par des personnes ultérieurement reconnues
38:57 comme porteuses d'un trouble psychique ?
38:59 C'est moins d'un pour cent.
39:01 C'est l'angle par lequel on prend le problème.
39:03 Les faits contredisent ces représentations,
39:06 donc il faut lutter activement
39:08 pour déstigmatiser ces représentations.
39:12 C'est d'ailleurs un des axes...
39:14 -Qu'est-ce qu'on fait concernant les prisons ?
39:16 -S'agissant de l'inflation, puisqu'on a des données,
39:20 plusieurs enquêtes ont montré qu'effectivement,
39:22 le nombre de personnes porteuses d'un trouble psychique incarcéré
39:27 augmente considérablement.
39:30 Là aussi, c'est un phénomène complexe
39:32 et plusieurs facteurs y ont contribué.
39:36 La pénalisation des malades mentaux est un des aspects,
39:39 parce qu'il y a eu une évolution dans l'attitude des juges
39:43 et dans leur manière d'appliquer les peines
39:49 ou de prendre en compte certains degrés d'irresponsabilité.
39:53 Je pense qu'on a eu également un effet
39:56 des constats psychiatriques immédiats.
40:00 Ils ont globalement disparu,
40:02 je me tourne vers Daniel Zaguri,
40:05 et ils opéraient un premier filtre
40:07 qui soustrayait un certain nombre de personnes
40:10 objectivement malades de l'instruction.
40:12 Pour ces personnes dont l'instruction se poursuivait,
40:16 pour un certain nombre d'entre eux, ça se terminait en prison
40:20 et on se retrouve avec un nombre croissant
40:25 de malades mentaux en prison.
40:27 Ce qui pose deux questions.
40:29 Le premier, c'est l'organisation des soins en prison
40:32 dans un contexte de pénurie,
40:34 parce qu'on a aussi, là encore,
40:37 un point d'inadéquation entre les besoins des personnes en prison
40:42 et l'offre que l'on peut mettre en face.
40:44 Deuxièmement, il y a tout l'enjeu des sortants de prison
40:48 pour mettre...
40:49 -Vous êtes en train de dire
40:51 qu'il faut créer des hôpitaux psychiatriques
40:54 qui soient en lien avec les prisons ?
40:58 -Ce que je suis en train de dire, c'est que oui,
41:01 des moyens supplémentaires sont nécessaires
41:04 pour les équipes soignantes.
41:06 Après, il faut décider des priorités.
41:09 Je pense qu'une des priorités qu'on essaie de soutenir,
41:13 c'est des dispositifs renforcés de prise en charge
41:16 des sortants de prison pour prévenir la désocialisation
41:19 et pour prévenir la réincarcération,
41:22 parce qu'on sait qu'on a des taux de réincarcération
41:24 qui sont importants, mais particulièrement importants
41:28 chez les personnes porteurs d'une pathologie psychique.
41:31 C'est plus de 60 % de réincarcération
41:33 chez les malades mentaux. -Je vais vous permettre
41:36 de lui poser une question. Est-ce que, quand même,
41:39 on ne peut pas dire que beaucoup de gens qui sont en prison
41:42 ne devraient pas être en prison ?
41:44 -Je... Enfin, une fois que la condamnation
41:47 est prononcée, je pense qu'il faut revoir
41:50 les moyens de...
41:54 Les moyens d'instruire ces dossiers
41:58 en amont de la condamnation pour faire valoir...
42:02 -Si c'est en aval de la condamnation
42:04 qu'on constate le trouble mental, ça pose un problème.
42:07 -Bien sûr. -Mais alors, Marie Jacardi,
42:10 sur cette question, vous, dans votre exercice,
42:13 est-ce que vous avez constaté
42:15 qu'il y a plus de violence chez les adolescents,
42:19 aujourd'hui, les adolescents,
42:21 qui sont traités pour des troubles mentaux ?
42:24 -Oui. -Et comment vous procédez
42:26 dans ce cas-là ? -Oui.
42:27 Je vais faire juste un pas de côté,
42:29 parce que moi, je vais centrer mon propos
42:32 sur votre question sur la violence auto-infligée,
42:36 parce que c'est ça qui fait le coeur de notre quotidien
42:40 dans la clinique actuelle, avec...
42:42 -Auto-infligée, c'est-à-dire que les malades...
42:45 -De crise suicidaire, de tentative de suicide.
42:48 Les derniers chiffres que j'ai lus,
42:50 c'est 25 morts par jour en France par suicide
42:53 et aux alentours de 700 passages à l'acte suicidaire, grave.
42:56 -Et surtout chez les jeunes. -Et surtout chez les jeunes,
42:59 c'est-à-dire les 11-25 ans, particulièrement les 11-17 ans,
43:04 et maintenant, nous voyons des enfants de 10 ans
43:07 avoir des conduites suicidaires
43:09 en exprimant une réelle intention de mourir.
43:12 C'est ça qui a changé.
43:13 Ca n'est plus scénarisé comme avant,
43:15 comme une appelle à l'aide extérieure.
43:18 Ca peut. Mais de plus en plus,
43:20 les personnes expriment une réelle souffrance dévastatrice
43:24 avec une réelle intention de mort
43:26 et des scénarios très précis pour ne pas se rater.
43:29 Donc nous, nous gérons au quotidien
43:31 des crises suicidaires chez les jeunes,
43:33 avec une inflation des passages aux urgences d'environ 30 %,
43:37 pour des passages à l'acte suicidaire
43:39 ou des idées suicidaires très scénarisées.
43:42 Donc c'est cela, notre quotidien,
43:45 plus que les violences hétéro-agressives.
43:48 Nous avons une flambée des violences auto-agressives,
43:52 qu'elles soient passages à l'acte suicidaire
43:54 ou gestes auto-agressifs.
43:56 -Pour préciser ça à l'égard des téléspectateurs,
43:59 ces passages à l'acte,
44:01 est-ce qu'à votre avis, ils sont liés aux réseaux sociaux ?
44:05 Est-ce qu'ils ont été particulièrement forts
44:08 au moment du Covid ?
44:09 D'où vient que...
44:11 Il faut le dire, le mot n'est pas très joli,
44:15 mais il y a un incertain ensauvagement
44:17 qui pénalise nos jeunes générations en même temps.
44:21 -Donc, durant le Covid,
44:24 pendant le premier confinement,
44:26 il y a eu une baisse nette des passages aux urgences
44:29 concernant les passages à l'acte suicidaire.
44:32 -Les gens étaient confinés.
44:33 -Pendant le confinement, il y a eu un effet de sidération
44:37 de cette crise pandémique
44:38 qui nous rappelait que nous étions vulnérables et mortels.
44:43 Donc, il y a eu une sidération, une recherche de solidarité
44:46 et de partage collectif.
44:48 Mais après, en effet, avec la durée de la crise sanitaire,
44:53 bien sûr, les passages à l'acte ont flambé.
44:55 Vous me posez la question des réseaux sociaux.
44:58 Les réseaux sociaux, c'est à double tranchant.
45:01 A la fois, la personne qui souffre psychiquement
45:04 est très isolée dans sa souffrance.
45:06 Donc, ça peut être positif
45:08 quand ça, là, relie à une interactivité,
45:11 à un partage des souffrances,
45:13 l'impression de se sentir moins seule.
45:15 C'est le bon aspect des réseaux sociaux.
45:18 L'aspect, nous, qui nous préoccupe,
45:20 c'est autour des procédés de harcèlement
45:23 qui vont maintenant au-delà du temps scolaire
45:26 mais qui se continuent sur les réseaux sociaux
45:29 avec des process d'intimidation très graves,
45:31 d'une part, et d'autre part,
45:33 la contagion de symptômes anxio-dépressifs
45:38 et des comportements chez les adolescents
45:42 par mimétisme,
45:45 qui crée donc un collectif de souffrances
45:50 et une... qui peut être inductible, en fait,
45:54 qui peut induire le trouble anxio-dépressif.
45:58 Et quelque chose de beaucoup plus dangereux encore,
46:01 c'est sur un certain réseau, TikTok en particulier,
46:05 pour ne pas le citer, mais bien obligé,
46:07 parce que ça nous est rapporté par beaucoup de jeunes,
46:10 où il y a des scénarisations de passage à l'acte
46:13 où on peut vous expliquer comment ne pas se rater.
46:16 "Tu as des idées suicidaires ? Je vais t'expliquer
46:19 "comment ne pas te rater."
46:21 Et ça, c'est très grave.
46:22 Il n'y a pas assez, à mon avis, de contrôle public là-dessus.
46:26 On voit ça au quotidien.
46:27 -Jean de Kervasdoué, qu'est-ce que vous pensez
46:30 de cette aggravation
46:32 de la situation des Français,
46:35 notamment des jeunes générations ?
46:38 Est-ce que c'est habituel qu'une crise,
46:40 en l'occurrence le Covid, qui était une crise majeure,
46:43 provoque autant d'aggravation ?
46:47 -Alors, ce que vous avez dit, madame,
46:50 c'est un phénomène...
46:51 Dans le premier épisode, ça a été l'inverse,
46:54 comme pendant les périodes de guerre.
46:56 Pendant les périodes de guerre, on a beaucoup moins
46:59 d'expressions de la maladie mentale,
47:01 de tentatives de suicide.
47:02 La France a toujours été un pays
47:04 où on se suicide beaucoup,
47:06 avec de très fortes variations régionales.
47:10 J'avais regardé ça dans une région
47:12 qui est chère à mon cœur, la Bretagne,
47:15 et on n'explique pas
47:18 qu'entre la partie bretonnante de la Bretagne,
47:21 qui est au Far-Ouest,
47:23 et la partie galop, comme on dit,
47:27 il y a des variations de taux de suicide
47:29 qui varient de 1 à 4.
47:31 En gros, on est aux Villaines, où on se suicide comme en France,
47:34 mais dans le Finistère, on se suicide 3 à 4 fois plus,
47:38 pour des raisons qu'on n'explique pas,
47:40 et qui sont anciennes.
47:43 Il y a des variations culturelles.
47:45 Je n'ai pas de chiffres sur les jeunes générations
47:48 et sur cette violence,
47:51 mais il est clair qu'en France, ça ne va pas bien,
47:56 qu'on a beaucoup de signes,
47:57 et notamment, effectivement, cette activité.
48:00 Je voudrais juste, avant, peut-être,
48:02 que cette émission ne se termine,
48:05 évoquer un problème qu'on n'a pas encore touché,
48:09 qui est celui de l'autre côté d'une vie,
48:13 c'est-à-dire celui des problèmes psychiatriques
48:16 des personnes âgées.
48:18 Parce que...
48:19 Parce que...
48:20 Une de mes grandes critiques
48:22 aux nombreux ministres de la Santé,
48:24 notamment ceux d'il y a 20 ou 30 ans,
48:27 parce qu'on paye leur incompétence aujourd'hui,
48:30 c'est qu'ils n'ont pas vu les conséquences
48:33 du vieillissement de la génération du baby-boom.
48:36 Or, il y a trois âges importants en politique sociale.
48:39 Il y a l'âge de l'artètre, dont je ne parlerai pas,
48:42 il y a 70 ans, qui est l'âge moyen à l'hôpital,
48:44 et il y a 83-85 ans, qui est l'âge d'entrée en dépendance.
48:48 Donc, quand vous regardez...
48:49 Or, il y a une partie sentimentale
48:53 de la dépendance, qui est très, très...
48:55 Et la prévalence.
48:57 Et donc, on va rentrer dans une période de 2030,
49:01 le début de la génération du baby-boom,
49:03 avec une demande de soins psychiatriques
49:06 qui va être très, très forte pour les personnes âgées.
49:09 -Alors, écoutez, il nous reste peu de temps.
49:11 Je vais vous donner d'ailleurs la parole.
49:14 Monsieur Franck Béliger,
49:16 je voudrais que vous concluiez sur ce point-là.
49:20 Le tableau de la psychiatrie en France...
49:26 n'est pas en bon état.
49:28 Il est naufragé, il est massacré,
49:31 selon M. Zaguri.
49:33 On venait d'entendre ce que vient de dire
49:37 Marie Jaccardi au niveau du terrain, etc.
49:40 Est-ce qu'il faut une loi cadre,
49:42 aujourd'hui, pour réenchanter la psychiatrie
49:46 et redonner espoir
49:48 sur une santé mentale
49:50 qui serait plus considérée comme un déchet humain,
49:54 en quelque sorte ?
49:56 Parce qu'on parle beaucoup de réforme, de réforme, de réforme,
50:00 mais est-ce que là, il n'y a pas une urgence ?
50:02 -Je vais commencer par un propos un peu général,
50:06 puisque vous m'avez taquiné tout à l'heure.
50:09 Si vous me permettez, je vais vous taquiner à mon tour.
50:12 -Allez-y. -Parce qu'il se trouve,
50:14 je suis marin.
50:15 Et le naufrage,
50:17 c'est quand on ne peut plus rien faire,
50:20 sur un bateau.
50:22 Et je pense que la situation de la psychiatrie,
50:25 aujourd'hui, c'est tout le contraire.
50:28 On a des vents défavorables,
50:30 un avis de tempête,
50:32 et il faut que tout le monde soit sur le pont.
50:35 Et je trouve qu'on a, aujourd'hui,
50:37 quand je dis "c'est tout le contraire",
50:39 c'est qu'on a une situation assez inédite, me semble-t-il,
50:43 pour que la psychiatrie puisse répondre
50:47 à tous ces défis.
50:48 Un engagement politique et financier
50:51 tout à fait inédit.
50:52 On n'a jamais eu un président de la République
50:55 qui nous a commandé des assises, qui est venu les conclure.
50:58 -On dit toujours ça.
50:59 A chaque fois qu'il y a un nouveau président,
51:02 on dit que...
51:03 -Le fait est que nous avons, aujourd'hui,
51:06 un programme de réforme qui se poursuit dans le temps,
51:09 depuis 2018. Je ne dis pas qu'il a produit des effets
51:12 qui permettent de répondre à cette situation,
51:15 mais je voulais aussi donner les signes de vitalité.
51:20 Je pense que cet engagement politique
51:22 est un premier signe de vitalité.
51:24 Je note, après deux tours de France,
51:26 un engagement, à mon avis, assez nouveau aussi,
51:29 des administrations décentralisées,
51:31 que sont les agences régionales de santé.
51:33 Et pour animer les références santé mentale,
51:36 le sujet est pris également par les administrations régionales.
51:40 La jeune génération,
51:42 qui montre...
51:43 dont la voie commence à porter,
51:46 et qui a des idées
51:49 et veut faire valoir cette psychiatrie
51:51 qu'elle veut porter pour demain.
51:53 On a l'habitude de dire que la relève ne sera pas là,
51:56 mais j'ai plein d'indicateurs qui me laissent penser
51:59 que la relève est là. -Une loi cadre...
52:01 -Il y a eu beaucoup de choses, ces dernières années,
52:04 depuis le lancement de cette feuille de route,
52:07 avec des... -Mais manifestement,
52:09 c'est insuffisant. -Je vais répondre.
52:11 Avec des réformes en profondeur qui se déployent,
52:14 réformes du mode de financement,
52:16 des organisations territoriales,
52:18 réformes des autorisations,
52:20 une incitation à l'innovation,
52:23 les équipes mobiles, les stratégies intersectorielles,
52:27 je pense que ça part un peu dans beaucoup de directions.
52:30 Je ne sais pas si c'est une loi cadre qu'il faut,
52:32 mais il faut un discours
52:34 qui réunifie l'ensemble de cette vision,
52:37 qui l'explicite,
52:39 qui donne le sens de cette démarche
52:42 et qui réactualise ces grands principes
52:45 qui ont été donnés par la loi de secteur,
52:47 mais qui les mette au goût du jour,
52:49 avec les défis d'aujourd'hui,
52:51 parce que les attentes ont changé, la société a évolué.
52:54 -Il nous reste très peu de temps.
52:56 -Sur la question des violences,
52:58 que vous avez posée tout à l'heure...
53:00 -Très brièvement, si vous voulez bien.
53:02 -Il y a un sujet qu'il va falloir prendre
53:05 en considération de manière très importante,
53:07 c'est le sujet de la montée des addictions,
53:10 en particulier des addictions chez les jeunes,
53:13 qui sont pourvoyeuses de violences.
53:15 -Merci, monsieur Zalguris.
53:16 Vous êtes convaincu ou pas, mais on a très peu de temps.
53:20 Qu'est-ce que vous proposeriez ?
53:22 Mais vraiment...
53:23 Désolé de vous poser cette question en une minute, mais voilà.
53:26 -C'est important ce que vient de dire Franck Bélivier.
53:29 Nous sommes sortis d'un déni d'Etat.
53:32 J'ai participé à une émission de télévision
53:34 avec Agnès Buzyn.
53:35 J'ai vu à quel point elle était...
53:37 Elle n'est pas restée longtemps ministre de la Santé,
53:41 mais elle a sorti l'Etat du déni.
53:42 Ca me paraît extrêmement important.
53:45 Alors, ce que je proposerais,
53:47 c'est la suppression de la loi HPST,
53:50 qui est une loi bureaucratique,
53:52 la suppression de la loi de 2011
53:56 avec une loi en concertation avec les psychiatres,
54:01 et une loi cadre sur la psychiatrie,
54:04 ça me paraît extrêmement important,
54:06 pour restaurer le lien
54:08 entre le pays et sa psychiatrie publique.
54:12 Et donc, c'est déjà trois réformes,
54:15 et surtout, surtout,
54:16 une modification du rapport
54:19 entre la gestion et le soin,
54:22 parce que le drame dans ce pays,
54:24 c'est qu'on a confié toutes les rênes du pouvoir
54:28 à la gestion, à l'administration,
54:32 au détriment des intelligences collectives
54:35 et de la créativité. -Merci, monsieur Zaguri.
54:38 Vous pourriez souffler ces trois réformes
54:40 au ministre de la Santé, monsieur Braun,
54:43 ou peut-être plus haut, à monsieur Macron.
54:45 C'est à vous de le savoir. Merci, madame, merci, messieurs,
54:49 d'avoir participé à cette émission.
54:51 Mais d'abord, une bibliographie.
54:53 Je voudrais rappeler Daniel Zaguri.
54:57 Vous avez publié "Comment on massacre
54:59 "la psychiatrie française"
55:01 aux éditions de l'Observatoire.
55:03 Vous montrez là-dedans cette dégradation
55:06 qui s'est faite dans le cours du temps
55:08 et notamment en impliquant les politiques.
55:11 Jean De Kervasdoué,
55:12 vous venez de publier "La santé à vif".
55:16 Ca fait plusieurs années que vous cherchez
55:19 à sauver le système de santé,
55:21 mais vous n'êtes pas lassé de faire ce travail-là ?
55:24 -Non, parce que j'ai cherché un moyen
55:27 de l'expliquer de manière simple
55:29 et de ne pas écrire uniquement pour mes collègues
55:32 sociologues, politologues, universitaires,
55:35 mais d'expliquer au grand public.
55:37 Tout ça a été compréhensible.
55:39 -Très bien. Alors, une critique
55:42 de la psychiatrie et de la situation.
55:44 Mathieu Bélarcen et Rachel Knebel,
55:48 "La révolte de la psychiatrie
55:51 "aux éditions de La Découverte",
55:53 c'est une critique de notre modèle psychiatrique.
55:56 Et je voudrais signaler
55:59 de Franck Bélivier et Emmanuel Afen.
56:03 Vous avez publié "Actualité
56:05 "sur les maladies dépressives",
56:08 chez Lavoisier Médecine.
56:11 Est-ce que, finalement, vous n'avez pas le sentiment,
56:14 monsieur Bélivier, que le mot "dépression"
56:17 recouvre pour la population
56:19 l'ensemble des problèmes de santé mentale ?
56:22 -Je pense quand même
56:24 qu'on peut trouver des délimitations,
56:28 même si elles ont été constatées par ma collègue,
56:31 entre des grands registres de symptômes.
56:34 Donc, voilà, les troubles de l'humeur
56:37 sont une vaste famille de troubles.
56:39 Non, on ne peut pas résumer la souffrance psychique
56:42 à la dépression, même si le terme est polysémique
56:45 et employé dans le langage courant,
56:49 il recouvre souvent des réalités différentes.
56:52 -Merci, madame, merci, messieurs.
56:54 Avant de nous quitter,
56:56 je voudrais remercier l'équipe de LCP
56:58 d'avoir permis la réalisation de cette émission.
57:01 Vous laissez avec cette citation
57:04 "Les maladies de l'homme ne sont pas seulement
57:07 "des limitations de son pouvoir physique,
57:11 "ce sont des drames de son histoire."
57:13 A votre avis, c'est de qui ?
57:15 Vous saisissez. Pourtant,
57:19 c'est d'un grand ancêtre,
57:21 Georges Canguilhem.
57:23 -Hum.
57:24 Rires
57:26 ...