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Jézabel Couppey-Soubeyran, économiste, spécialiste du secteur bancaire, était mercredi 29 mars la Grande témoin de la matinale de franceinfo. Elle répondait aux questions de Marc Fauvelle.

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Transcription
00:00 150 enquêteurs, 16 magistrats, le parquet national financier a déployé les grands moyens hier
00:05 pour perquisitionner les sièges de 5 grandes banques soupçonnées de fraude fiscale.
00:09 La BNP est l'une de ces filiales, la Société Générale, Natixis et HSBC,
00:13 toutes soupçonnées d'avoir mis en place un système de fraude fiscale qui aurait coûté 1 milliard d'euros.
00:18 Bonjour Gisabelle Coupet-Souberan.
00:20 - Bonjour.
00:20 - Économiste, maîtresse de conférences à l'Université Paris, un panthéon s'orbonne,
00:24 et spécialiste du secteur bancaire et de sa régulation.
00:27 D'abord, de quoi parle-t-on précisément dans cette affaire ?
00:29 Les banques sont donc soupçonnées d'avoir mis en place un dispositif
00:32 pour permettre à certains de leurs clients de payer moins d'impôts.
00:35 Pouvez-vous nous expliquer comment ça marche ?
00:37 - Oui, on parle d'un montage d'opération, si vous voulez, qui est en fait à la limite du légal.
00:44 Vous prenez deux investisseurs qui détiennent des titres, qui détiennent des actions, d'accord ?
00:48 Et l'investisseur étranger qui détient des actions est soumis à une taxe sur les dividendes.
00:54 Les dividendes, c'est ce que rapportent les actions.
00:59 Il est en relation avec une banque, qui est un autre investisseur,
01:02 mais qui est résidente et qui donc n'est pas astreinte à la taxe sur les dividendes.
01:06 Et donc l'opération consiste à faire en sorte que l'investisseur étranger,
01:10 qui est soumis à la taxe sur les dividendes,
01:12 prête pendant un moment ses actions à la banque résidente.
01:17 - Tu payes moins d'impôts ?
01:19 - Alors, il faut que ça se fasse juste avant la distribution de dividendes,
01:22 comme ça c'est la banque qui va percevoir ses dividendes, qui ne sera pas astreinte à la taxe.
01:26 Et une fois que ceci est passé, les actions sont restituées à l'investisseur étranger initial,
01:33 et puis on se partage l'économie réalisée.
01:35 - Qui sont les fraudeurs présumés ?
01:36 Ça concerne des petits épargnants ou c'est plutôt des fonds d'investissement ?
01:39 - Les fraudeurs présumés, ce sont des grandes banques, d'accord ?
01:42 Ce sont des grandes banques systémiques,
01:44 ce sont ces colosses aux pieds d'argile qui caractérisent la structure du marché bancaire européen.
01:50 Ces banques systémiques, on connaît le danger qu'elles font porter.
01:55 Et pour autant, même depuis la crise financière de 2007-2008,
02:01 même depuis qu'on a réalisé le danger que font peser ces établissements,
02:06 on continue d'encourager leur croissance.
02:09 Leur poids correspond à un pouvoir de marché énorme.
02:12 Et ce pouvoir de marché, en fait, leur donne une impunité
02:16 qui évidemment n'est pas sans lien avec toutes ces affaires.
02:18 - Vous avez dit il y a quelques instants, on est à la limite de quelque chose.
02:21 Est-ce que c'est de l'optimisation fiscale, légale ou de la fraude ?
02:24 - Ça, si vous voulez, c'est la justice qui le dira.
02:27 Bien sûr que s'échanger des actions entre résidents et non-résidents,
02:30 ce n'est pas quelque chose d'interdit, d'accord ?
02:33 Donc les financiers pourront toujours, en fait, se prévaloir de ça,
02:37 en disant "eh bien, nous faisons des opérations comme ceci au quotidien".
02:41 Mais on voit bien, si vous voulez, que c'est un contournement du principe de la taxe.
02:46 - Il y a quelques années, c'était en 2018, une enquête menée par plusieurs médias internationaux
02:49 avait déjà évoqué ces soupçons.
02:51 A l'époque, on parlait d'une dizaine de pays impliqués
02:53 et d'un préjudice total de 140 milliards d'euros sur 20 ans.
02:57 Depuis cette enquête, que s'est-il passé ?
02:59 - Depuis cette enquête, il y a, si vous voulez, ce travail du parquet financier.
03:06 Donc je pense qu'il faut vraiment saluer l'enquête qui avait été réalisée
03:12 par ce consortium de 16 médias, dont Le Monde.
03:16 Grâce à cette enquête, l'alerte a été donnée
03:23 et aujourd'hui, la justice est en train de s'emparer de cette affaire.
03:27 - La justice et les États qui ont les moyens aujourd'hui d'enquêter tranquillement sur ces banques ou pas ?
03:32 - Les moyens d'enquêter tranquillement, je pense que c'est toujours compliqué,
03:36 cela étant, je pense que c'est finalement, si vous voulez, une bonne période
03:40 pour faire sortir cette affaire, parce qu'on est en train de réaliser, justement,
03:46 la fragilité de ces établissements et les manipulations auxquelles ils peuvent s'adonner.
03:55 - Un mot, les conséquences pour les autres clients de ces banques, ceux qui n'ont pas fraudé, quelles sont-elles ?
04:00 - Je pense que c'est d'abord, si vous voulez, la conséquence pour les clients de ces banques
04:05 qu'il faut analyser. C'est au fond, c'est un peu la double peine.
04:10 Alors c'est la double peine, vous avez raison, pour tous les clients, en tant que contribuables.
04:13 Parce que le manque à gagner de recettes fiscales est juste énorme.
04:19 Pour ce qui est de la France, on parle, et on a du mal à estimer ça, donc c'est sans doute assez minimaliste,
04:24 mais on parle de 33 milliards d'euros de manque à gagner de recettes depuis 2000.
04:32 D'accord ? Cela veut dire, à peu près, si vous voulez, entre 1,5 milliard, 3 milliards par an.
04:38 C'est de l'argent qui manque.
04:39 - Donc quelque part, tous les autres contribuables payent cet argent-là ?
04:42 - Bien sûr, c'est de l'argent qui manque pour l'hôpital, pour l'école, pour les universités, pour les retraites.
04:48 Donc ça, c'est la première chose.
04:49 Et puis la deuxième chose, c'est que bien entendu, si la preuve est faite de l'illégalité de ces opérations,
04:57 et il faut espérer que la preuve sera faite, et bien ce sera sanctionné, d'accord ?
05:02 Et à juste titre, ce sera sanctionné.
05:04 Mais ensuite, ces établissements ayant un pouvoir de marché énorme,
05:08 lorsqu'ils ont des sanctions, le coût que représentent ces sanctions,
05:13 ils le reportent très facilement sur le client, puisque ces établissements...
05:16 - Donc qu'est-ce qu'on fait ?
05:17 - Donc qu'est-ce qu'on fait ?
05:18 En fait, on s'attaque au problème de structure du secteur bancaire,
05:22 et en particulier du secteur bancaire européen.
05:24 Ce problème de structure n'a pas été du tout, si vous voulez, un problème.
05:29 Au cœur, des réformes qui ont été entreprises depuis 2007-2008.
05:33 Il y a eu des réformes, c'est vrai, depuis 2007-2008,
05:36 mais qui sont vraiment restées dans la droite ligne, en fait,
05:39 des dispositions qui prévalaient.
05:41 Donc on a demandé aux établissements bancaires d'avoir un petit peu plus de fonds propres,
05:45 on leur a demandé d'avoir un peu plus d'actifs liquides,
05:47 de regarder la stabilité de leurs ressources.
05:50 On a fait ça de façon plus ou moins complexe,
05:53 de façon plus ou moins ambitieuse, je dirais, moins que plus.
05:56 En revanche, ce problème de structure,
05:58 le fait que le secteur bancaire européen soit concentré
06:02 autour d'un petit nombre de très gros établissements
06:05 avec un pouvoir de marché démentiel qui opère en toute impunité,
06:08 ça, on n'a rien fait pour ça.
06:10 Ces perquisitions interviennent alors que le secteur bancaire
06:12 est déjà fragilisé par la faillite récente de plusieurs banques américaines.
06:15 Est-ce qu'il faut s'attendre à des secousses à la bourse
06:18 ou est-ce que les investisseurs s'en fichent comme de leur première action ?
06:20 Écoutez, hier, la réaction a été faible à la bourse.
06:23 Petite hausse, petite baisse ?
06:25 Oui, c'était vraiment léger.
06:27 Les courses ont resté à peu près stables en fin de journée.
06:32 Ça n'étonne personne.
06:33 Ça veut dire que pour les financiers, finalement,
06:35 c'est ces opérations, ces montages financiers,
06:38 c'est monnaie courante.
06:40 Et donc ça, ça ne les inquiète pas.
06:42 En tant que citoyen, en tant que contribuable,
06:44 ça doit sérieusement nous inquiéter et ça doit nous inciter
06:46 à réclamer une régulation financière beaucoup plus forte.
06:49 Merci à vous, Gézabelle Coupez-Souberan,
06:51 économiste spécialiste de la régulation du secteur bancaire.
06:54 Grand témoin de France Info, bonne journée à vous.

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