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Daphné Roulier reçoit Corinne Herrmann, avocate spécialiste des cold cases.
Devenue avocate un peu par hasard, plaider était contre sa nature.
Corinne Herrmann a d'abord défendu les tueurs en série avant de les traquer. Dans cet entretien, elle raconte ses débuts comme avocate de Francis Heaulme, défense dont elle a beaucoup appris. Puis, livre ses souvenirs sur l'affaire des disparues de l'Yonne, lors de laquelle elle a basculé du côté des victimes.
Corinne Herrmann retrace ici l'évolution du traitement des affaires de tueurs en série par la justice française. Si la France a longtemps été dans le déni de ce type de criminel, avant une vague d'arrestations successives entre 1995 et 2000, l'avocate se réjouit de la création récente d'un pôle judicaire dédié aux cold cases en réponse à une perte d'expertise depuis une éclipse judiciaire ayant eu lieu entre 2000 et 2005.
Cet entretien est aussi l'occasion pour Corinne Herrmann de nous interpeller sur la présence de tueurs en série actifs sur le territoire ainsi que l'inaction du système et duo enquêteurs/magistrats, qu'elle s'épuise à stimuler en tant qu'avocate.
Évoquant les moments forts de sa carrière, Corinne Herrmann confie son mal-être face à un Michel Fourniret mort avec ses secrets, le sentiment de « mal absolu » qu'incarne pour elle sa femme Monique Olivier ou encore les souvenirs glaçants de son face-à-face avec Francis Heaulme.

La justice, son sens, son essence et sa pratique sont sans cesse discutés et débattus. Loin de l'image figée d'une statue, notre époque montre que l'interprétation de la justice est mouvante et qu'elle doit parfois être elle-même protégée.
Daphné Roulier reçoit des ténors et des « ténoras » : des avocats de grands faits divers ou de grandes causes qui ont consacré leur carrière et leur vie à défendre, qui ont « La défense dans la peau » : Marie Dosé, Serge Klarsfeld, Henri Leclerc, Julia Minkowski, Thierry Moser, Hervé Temime..
Quelle conception ont-ils de leur rôle ? Quel rapport ont-ils avec leurs clients et leur conscience ? Quelles affaires ont marqué leur vie ?
Quelle est la place des femmes pénalistes aujourd'hui ? Que pensent-ils des polémiques autour de la prescription et de la présomption d'innocence ?
Dans « Les Grands Entretiens » ces champions de l'art oratoire nous livrent leur idée du droit et de la justice et de la société qu'ils impliquent.

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Transcription
00:00 Musique douce
00:02 ...
00:18 -Corinne Hermann, comment devient-on
00:21 madame Colqueis, madame affaire non résolue en VF ?
00:25 -Un peu par hasard.
00:28 -Oui, un peu par hasard,
00:30 parce que j'avais pas prévu de faire ce métier.
00:33 -C'est un métier qui est venu par effraction.
00:36 Un peu, non ? -Oui, on m'a forcé la main.
00:38 Le sort, la destinée m'a forcé un peu la main.
00:42 -Au départ, c'était un boulot temporaire,
00:44 mais ça vous a appé.
00:46 -Oui, j'avais fait des études de droit,
00:48 j'avais un bac +5 en droit,
00:50 j'avais la base juridique,
00:51 et c'est vrai que je suis rentrée dans un cabinet d'avocats
00:55 parce que j'aimais pas beaucoup les avocats,
00:57 ce qu'ils faisaient. -Pour quelle raison ?
01:00 -Parce que je trouvais que c'était personne
01:02 qui la ramenait tout le temps,
01:04 qui avait toujours quelque chose à dire sur tout,
01:07 et je trouvais que de défendre des criminels,
01:09 ça posait problème, que je savais que je pourrais pas le faire,
01:13 parce que j'aurais plutôt envie...
01:15 J'étais jeune, mais j'aurais plutôt envie
01:17 de me retourner vers eux, leur dire leur cas de vérité.
01:20 Je m'étais pas préparée à faire ce métier,
01:23 et parler en public, c'est quelque chose qui m'est difficile,
01:26 contrairement à ce qu'on pourrait penser,
01:29 plaider, c'était quelque chose qui était contre ma nature.
01:32 Je suis rentrée par hasard dans un cabinet d'avocats
01:35 pour quelques semaines, le temps de trouver un travail différent.
01:39 Et j'en suis pas ressortie depuis 27 ans.
01:41 Comme quoi, le provisoire dure.
01:44 -Le provisoire, c'est que vous êtes devenue, en 27 ans,
01:48 la cousine française de Liliane Roche,
01:51 la héroïne de "Feu, la série", Colcais,
01:53 aux côtés de Maître Seban.
01:54 L'ironie de l'histoire, c'est que vous avez commencé
01:57 par être du côté de la défense des tueurs en série
02:00 avant de les traquer. L'un de vos premiers clients
02:03 a été Francis Holm, le routard du crime.
02:06 -C'est vrai que dans le cabinet où je suis rentrée,
02:09 celui de mon oncle, Pierre-Gonzalez de Gaspart,
02:12 il avait deux tueurs en série en magasin.
02:15 Il avait Pierre Chanal,
02:17 qui était celui qui, on suppose,
02:19 était l'auteur des "Disparues de Mourmelon".
02:22 Et puis, il y avait Francis Holm,
02:25 mais il m'occupait beaucoup le cabinet,
02:27 puisqu'il y avait plusieurs instructions en cours.
02:30 Il était une fois en reconstitution,
02:32 une fois en instruction, une fois en cours d'assises.
02:35 Ca m'a permis de voir ce métier, de voir le pénal de l'intérieur.
02:39 Petit à petit, je suis rentrée dans la défense de Francis Holm.
02:42 J'ai beaucoup appris de cette défense,
02:45 mais je me sentais pas là.
02:46 -C'est lui qui vous a fait toucher du doigt
02:49 ce que pouvait être un prédateur au sens propre ?
02:51 C'est lui qui vous a donné envie de creuser le sujet ?
02:54 -Oui, on ne rencontrait pas beaucoup de tueurs en série.
02:58 Il n'y avait même pas de livres qui parlaient des tueurs en série.
03:01 Il fallait les chercher à l'étranger.
03:04 Aux Etats-Unis, en Afrique du Sud, en Autriche,
03:06 il y avait de très bons profilers.
03:08 Je suis allée chercher, suivre des formations,
03:11 chercher des informations pour savoir quel était ce phénomène
03:15 qui avait tué une dizaine de fois et peut-être beaucoup plus.
03:18 Certains disaient une quarantaine de fois.
03:21 Beaucoup se moquaient de lui, de ses attitudes.
03:23 Il était un peu particulier.
03:25 Néanmoins, j'avais le sentiment que si j'étais seule
03:28 dans une pièce avec lui, j'avais aucune chance.
03:31 C'est comme rentrer dans la cage d'un lion
03:33 sans être dresseur, sans avoir de fouet.
03:35 Vraiment, je ressentais cette dangerosité.
03:38 Quand je suis rentrée dans l'équipe de défense,
03:41 ce qu'il était dans notre dos, je la ressentais à toute minute.
03:45 Il y avait des policiers dans la cour d'assises,
03:47 mais pas autour de la cour d'assises,
03:49 au coeur de la cour d'assises,
03:51 ce qu'on avait décidé de faire à chaque fois,
03:54 mais parce qu'il restait dangereux, même dans un box.
03:57 -L'affaire qui vous fera basculer du côté des victimes,
04:00 c'est celle des disparus de Lyon, datant des années 70,
04:03 autant dire, aux yeux du parquet, une affaire classée et enterrée.
04:07 -Alors, à la fois, c'était une affaire classée
04:10 et enterrée pour le parquet,
04:11 et à la fois, on nous disait qu'il n'y avait pas de dossier.
04:15 Ca, c'est très intéressant, en tout cas intellectuellement,
04:18 c'était intéressant de décrypter les courriers du parquet
04:21 qui nous disaient qu'il n'y avait pas de dossier,
04:24 qu'on n'avait pas de procédure, mais qu'on l'a classée.
04:28 -Comment avez-vous fait pour remettre en haut de la pile
04:31 ce non-dossier ?
04:32 -C'est mon premier vrai dossier pénal,
04:34 la première plainte pénale que je vais rédiger.
04:37 Je mets trois mois à la rédiger, c'est pas efficace.
04:40 C'est une plainte pénale,
04:42 c'est 10 plaintes pénales qui vont dans le même sens,
04:44 avec 7 familles différentes.
04:46 Il fallait que tout converge pour qu'on puisse aller vers Émile Louis,
04:50 qu'il montait qu'il était le dernier à les avoir vus.
04:53 Donc, déjà, le fait d'avoir 7 familles,
04:55 ces 10 plaintes, c'était déjà une façon de construire le dossier,
04:59 de montrer son importance.
05:00 Et puis, ensuite, c'est Pierre Monnoir,
05:02 qui était président de l'association,
05:05 c'est notre binôme qui a fonctionné autour de cette plainte,
05:08 et puis c'est la presse.
05:10 L'affaire des disparus de Lyon, certes, n'existe pas
05:12 sans Pierre Monnoir et son travail,
05:14 mais l'affaire des disparus de Lyon n'existe que parce que la presse
05:18 va s'y intéresser et qu'elle va empêcher la justice.
05:21 -Finalement, sans votre obstination,
05:23 Corine Hermann, Émile Louis aurait coulé une retraite heureuse
05:27 pendant des années. C'est vous qui l'avez fait tomber.
05:30 -Vous êtes gentille de me le dire.
05:32 Je le revendique pas toute seule,
05:34 mais c'est vrai qu'Émile Louis, ça a été...
05:38 Émile Louis, ça a fonctionné parce que, aussi,
05:40 ça a été des heures et des heures de travail, d'analyse.
05:44 Mes parents me rappelaient que, quand ils rentraient
05:47 dans mon appartement, les photos étaient à terre
05:49 avec des dossiers, des convergences,
05:51 des choses comme ça. Ca a été un travail...
05:54 On ne se rend pas compte du travail qu'on a effectué,
05:57 que j'ai effectué derrière ce dossier,
05:59 et de la relation avec Pierre Monnoir,
06:01 qui portait la parole pendant que j'étais plus dans l'ombre
06:05 à travailler les dossiers.
06:07 -C'est grâce à vous que la France a découvert l'existence
06:10 de tueurs en série en France.
06:11 La France a été très longtemps dans le déni.
06:14 Chez nous, ça n'existe pas.
06:16 Ca existe aux Etats-Unis, mais pas en France.
06:18 -C'est vrai qu'à l'époque, on entendait systématiquement
06:22 "il n'y a pas de tueurs en série en France",
06:24 et devant le nombre de tueurs en série
06:26 qui ont été identifiés, ce ne sont pas les mêmes
06:29 qu'aux Etats-Unis, mais ils répondent
06:31 à une société spécifique.
06:33 Ensuite, ça n'a plus tenu.
06:35 J'allais encore à des conférences,
06:37 dans les années 2000-2005, où des pseudo-spécialistes
06:39 disaient qu'on n'avait pas de tueurs en série,
06:42 alors qu'on en avait un certain nombre en prison.
06:45 C'est pas moi qui les ai révélés.
06:47 Ca a été une période entre 95 et 2000
06:49 où on arrêtait successivement des tueurs en série.
06:52 Il y a eu Guy Georges, il y a eu Allègre,
06:54 il y a eu Francis Saume, qui a été identifié
06:57 comme un tueur en série, mais il y en a eu d'autres.
07:00 Tous ces tueurs ont fait qu'on a pris conscience,
07:03 je croyais que la justice avait pris conscience,
07:05 en tout cas, la presse, qu'on avait des tueurs en série.
07:08 -Vous croyez ? -La justice a mis longtemps
07:11 à accepter qu'on avait des tueurs en série,
07:13 on parlait de criminels multirécidivistes,
07:16 je préfère ce terme-là.
07:17 C'était chaque fois un phénomène exceptionnel et rare.
07:20 C'est faux. Il a fallu la création de ce Paul Colquez...
07:23 -Un Paul spécialisé dans ces affaires-là ?
07:26 -Un Paul Colquez spécialisé aussi dans les affaires
07:29 en sérialité de tueurs en série. -C'est une avancée majeure.
07:32 C'est un gros mot dans le code,
07:34 parce que c'était un mot qu'on ne prononçait pas.
07:37 C'est la reconnaissance que ces tueurs existent.
07:40 On est loin de savoir les traiter.
07:42 On a perdu l'expérience qu'on avait dans les années 90-2000.
07:45 -Dans les années 80, on était déjà à la traîne.
07:48 Il y avait un policier scientifique pour 60 en Allemagne.
07:51 Cette discipline est restée pour nous de la science-fiction.
07:55 -Alors, on est à la traîne toujours.
07:57 -Encore maintenant ? -Ca plaira pas,
07:59 mais on est à la traîne toujours.
08:01 Il faut qu'on se saisisse de la création
08:03 de ce Paul spécialisé pour pouvoir remettre les choses en ordre,
08:07 pour pouvoir travailler les dossiers,
08:09 pour pouvoir rechercher ces criminels en série
08:12 qui restent actifs sur le territoire.
08:14 Tout cela vient aussi de ce que les vieux dossiers,
08:17 ou en tout cas, les dossiers criminels,
08:19 étaient abandonnés par nos juges d'instruction.
08:22 Quand on abandonne un dossier au bout de 2 ou 3 ans,
08:25 évidemment qu'on laisse le criminel dehors
08:28 et qu'il peut récidiver. Je dis toujours que nous les créons.
08:31 Il y a une espèce d'éclipse judiciaire
08:33 entre les années 2000-2005 et aujourd'hui,
08:36 qui fait qu'on a parlé de très peu de tueurs en série
08:39 depuis 15 à 20 ans.
08:40 -Avez-vous une estimation du nombre de tueurs en série
08:43 en circulation en France ? -On pourra...
08:46 Je n'en ai pas, mais on pourra avoir une estimation
08:49 des séries criminelles
08:51 lorsque l'on aura établi un fichier
08:53 des affaires non résolues en France.
08:56 -Pour l'instant, ça n'existe pas. -Ce fichier n'existe pas.
08:59 -Est-ce que vous avez un ordre d'idées ?
09:01 -En tout cas, moi, je suis, depuis 15 à 20 ans,
09:07 une quinzaine de séries en France.
09:09 Je ne comprends pas qu'elles ne soient pas retravaillées,
09:13 mais ce sont des séries anciennes, des années 90.
09:15 Il y en a une ou deux plus récentes.
09:17 Je suis ces dossiers. -Comment expliquez-vous
09:20 que ces enquêtes soient bâclées ? C'est un manque de moyens ?
09:24 -Je crois qu'elles ne sont pas bâclées,
09:26 elles ne sont pas menées. -Pourquoi ?
09:28 -C'est un sujet auquel je n'ai jamais su répondre.
09:31 Je pense que, d'abord, c'est des dysfonctionnements
09:34 internes à notre système, c'est un manque d'envie,
09:37 c'est un manque de formation, de connaissances.
09:40 Ce n'est pas le complot, comme souvent on veut le penser,
09:43 comme souvent on va le voir sur les sites,
09:45 mais c'est des magistrats qui n'ont pas le temps,
09:48 qui n'ont pas envie de reprendre des vieux dossiers,
09:51 qui n'ont pas les techniques, qui ne connaissent pas
09:54 les techniques criminelles.
09:56 C'est des magistrats qui ne connaissent pas
09:58 la criminalistique, la police scientifique.
10:01 Quand on fait des demandes, on est obligé d'expliquer
10:04 aux magistrats qu'on peut utiliser telle technique.
10:07 Ils ne connaissent pas la criminologie non plus,
10:09 la notion de l'acte criminel, du comportement du tueur,
10:12 et à fortiori du tueur en série.
10:14 On a beaucoup de retard sur la formation de nos magistrats.
10:18 Ils n'en ont pas envie, parce que souvent,
10:20 leur cabinet déborde de dossiers, il faut traiter en priorité
10:24 parce qu'on a des risques de libération.
10:26 Et puis, se plonger dans un dossier qui fait des fois
10:29 10 tomes, 15 tomes, 20 tomes,
10:31 soit on n'en trouve pas le temps, soit on n'en a pas envie,
10:34 et donc, avant tout le reste,
10:36 on a tout un système qui est défaillant.
10:38 On a le parquet qui ne poursuit pas,
10:41 qui ne stimule pas les magistrats.
10:43 On a le juge d'instruction qui n'a pas envie de le faire
10:47 et qui ne le fait pas, et qui, finalement,
10:49 se dit "je vais être là 3 ans, je le refilerai".
10:52 -Dans cette configuration, votre rôle d'avocat est primordial
10:55 pour réveiller et rouvrir ce dossier.
10:58 -C'est vraiment notre travail.
11:00 On essaie de restimuler ce système,
11:02 sauf qu'on s'y épuise, moi, je m'y épuise depuis 27 ans.
11:05 C'est pour ça que je voulais depuis longtemps
11:08 la création d'un pôle spécifique où on aurait des magistrats
11:11 qui restent longtemps et qui ont les techniques,
11:14 qui vont se spécialiser, comme le pôle antiterrorisme,
11:17 et qui vont avoir envie de le faire.
11:19 -Vous êtes d'accord avec l'ancien procureur de Reims,
11:22 Yves Charpenel, que notre institution judiciaire
11:25 n'est pas capable de gérer un meurtrier
11:27 du calibre de Fourniret. Elle est pensée
11:30 pour les crimes de proximité sur un même ressort.
11:33 -Non. Il a eu l'occasion de changer les choses.
11:36 Il a eu l'occasion, puisqu'il a traité le dossier Fourniret
11:39 et le volet français et le volet belge,
11:41 puisque les Belges nous avaient confié le volet.
11:44 Ils ont eu l'occasion d'apprendre de Fourniret,
11:47 de Michel Fourniret, et ils ont tous participé
11:50 à la fermeture du dossier Fourniret après le procès de 2008,
11:53 ce qui nous amène à aujourd'hui toutes les difficultés
11:56 qu'on a dans les dossiers Estelle et autres.
11:58 Il y a eu un rapport qui a été fait à l'époque,
12:01 qui a été demandé par le ministère sur les tueurs en série,
12:04 qui n'a été suivi de rien, mais absolument de rien,
12:07 parce qu'on a considéré qu'on avait peu de tueurs en série,
12:11 que c'était un épiphénomène
12:12 et qu'il n'y avait pas lieu de dépenser des moyens.
12:17 -Vous êtes allée jusqu'à organiser, Corine Hermann,
12:20 des manifestations sur les fenêtres des palais de justice
12:23 pour que les magistrats consentent à rouvrir de vieux dossiers.
12:27 La méthode sit-in, l'agit-propre, ça marche ?
12:30 -Je l'ai peu fait, c'est plus nos clients qui nous demandent,
12:33 qui veulent le faire. On l'a encore dit récemment,
12:36 qu'on avait des clients qui voulaient s'enchaîner au tribunal.
12:40 C'est plus des associations de victimes qui vont le faire,
12:43 mais je ne vais pas les lâcher dans ces démarches-là.
12:46 -Ca marche ? -Oui, parce que la presse
12:48 s'y intéresse. Ca marche parce qu'un tribunal n'a pas envie
12:51 qu'on donne cette image de lui et les magistrats encore moins.
12:55 -Ce que vous dites, c'est qu'il y a vraiment
12:57 une justice de classe.
12:59 -Ah oui, il y a une justice de classe.
13:01 Et donc, il n'y a que la manifestation
13:03 qui peut être utile, mais il y a d'autres façons
13:06 de se comporter dans le bureau d'un magistrat.
13:08 Croyez-moi que ça peut être très efficace.
13:11 Je peux me mettre en colère dans le bureau d'un magistrat.
13:14 Ce qui est le plus dur pour les victimes,
13:16 c'est toutes ces fausses promesses qu'on relaie,
13:19 et donc on fait attendre nos clients des fois des années.
13:22 Mais la manifestation, c'est quand même
13:25 une façon de dire les choses pour que les autres entendent,
13:28 pour que les autres usagers entendent.
13:30 C'est pas très bien vécu en France,
13:33 c'est pas toujours très bien suivi.
13:35 C'est mieux d'avoir la presse avec nous.
13:37 La manifestation va amener une presse
13:39 qui va faire pression sur les magistrats et sur les politiques.
13:43 -Vous aviez coutume, et peut-être encore aujourd'hui,
13:46 d'arpenter par tous les temps les scènes de crimes.
13:48 Elles ont toujours quelque chose à nous dire,
13:51 même des années après. -Oui.
13:53 Il faut absolument retourner sur les scènes de crimes.
13:56 -On voit le château de... -Il est glaçant, ce château.
13:59 -A Donchéry, dans les Ardennes. -Oui.
14:01 C'est un endroit très particulier, quand même.
14:04 En lui-même, il y a une...
14:06 Il y a une atmosphère avec ces grands arbres,
14:09 qui est... C'est très sombre, c'est très...
14:11 C'est une atmosphère particulière.
14:13 Moi, j'y suis retournée sur... -Le château de Lodre ?
14:16 -Oui, oui, oui. Plus de 20 ans.
14:19 Mais...
14:20 Ce qui était intéressant... -Ce n'était pas
14:22 encore des frissons. -Non, c'est...
14:24 C'est...
14:26 C'est comme si... Quelque part, ça vous pénètre.
14:29 C'est... La noirceur vous pénètre quand même par moments.
14:32 Ca, c'est un des rares endroits où, vraiment,
14:35 elle vous pénètre, parce que d'abord,
14:37 on a trouvé le corps de victime,
14:39 que sur la victime que nous représentions,
14:41 à l'époque, avec Didier Seban,
14:43 il roulait tous les jours sur son corps, ou quasiment.
14:46 Elle était à l'entrée de cette longue allée
14:49 qui fait presque 500 m.
14:50 Et puis, il y avait une petite, toute petite jeune fille,
14:54 toute petite fille, de 8-9 ans,
14:56 qui a été enterrée devant sa cuisine,
14:59 dans une bâtisse qui est sur le côté.
15:02 Euh...
15:03 Il y a une empreinte dans ce lieu
15:05 qui est particulière, parce que, en fait,
15:08 Michel Fourniret comme Émile Louis ont eu un château.
15:11 Et donc, de...
15:14 Comme ce sont des familles...
15:16 Ils étaient issus d'une famille très pauvre,
15:19 souvent avec des problèmes liés à la guerre,
15:21 avec des femmes qui ont été tondues après la guerre,
15:24 donc toute une atmosphère de vie très marquante.
15:27 La mère de Michel Fourniret servait dans un château,
15:30 pas celui-là, un autre pas très loin.
15:32 Émile Louis, il était adopté,
15:35 il était placé dans une famille,
15:38 il venait... Il n'avait pas de moyens,
15:40 il aspirait à devenir quelque chose,
15:42 c'est d'ailleurs typique des tueurs en série,
15:44 et tous deux, dans leur château,
15:46 quand on y va, on comprend le fonctionnement
15:50 de Michel Fourniret. -De toute puissance ?
15:53 -Euh...
15:54 De toute puissance...
15:57 La relation au pouvoir.
15:59 La toute puissance, on pourrait penser,
16:02 c'est pas tout à fait pareil, mais l'importance
16:05 qu'il avait prise dans la société autour de lui.
16:08 -Encore une fois, les scènes de crime
16:10 ont toujours quelque chose à nous dire ?
16:12 -Toutes les scènes de crime nous apprennent quelque chose,
16:15 soit sur le comportement du tueur sur les lieux,
16:18 soit sur les difficultés qu'il a rencontrées,
16:21 soit sur le passage de vie,
16:22 quel était leur passage de vie à ce moment-là,
16:25 dans quel état d'esprit ils étaient,
16:27 et comment ils fonctionnaient.
16:29 Quand je suis allée au château de Villepargeau,
16:32 que j'ai tout compris,
16:33 j'ai tout compris de son fonctionnement.
16:35 J'ai rebâti tout ce qu'on pouvait lui poser comme question.
16:39 -En fonction de ce que vous aviez constaté ?
16:41 -Oui, parce que c'était un château un peu différent de ce château-là,
16:45 mais les propriétaires n'étaient jamais présents, très peu,
16:48 donc ils bénéficiaient de tous les bâtiments de ce château.
16:52 Et jouant ce châtelain avec les petites jeunes filles
16:55 qui étaient handicapées mentales,
16:56 cette puissance qui les emmenait dans un lieu magnifique
17:00 et elles vivaient dans des foyers,
17:02 il faut partir de là pour comprendre ce qu'il nous dit.
17:05 C'est une façon de les comprendre,
17:07 de comprendre comment ça s'est passé,
17:09 les difficultés qu'ils ont eues, les difficultés qu'ils ont rencontrées,
17:13 le temps qu'ils passent sur les lieux avec une victime.
17:16 Ca change toute la façon d'appréhender l'acte criminel,
17:20 les difficultés du criminel, comment il a fonctionné.
17:23 -En 2021, Michel Fourniret a emporté une partie de ses secrets
17:26 dans la tombe. Comment vivez-vous cela, vous ?
17:29 -Je le vis très mal.
17:30 -Vous vous êtes battue pendant 15 ans
17:32 pour que son nom soit relié au meurtre d'Estelle Mouzin ?
17:37 -Je le vis à titre personnel mal,
17:41 parce que j'aurais aimé qu'on nous entende plus tôt.
17:44 Alors là, pour le coup, on a déployé...
17:47 -Un partenaire lourd. -J'ai travaillé
17:51 des week-ends, des nuits,
17:52 pour convaincre les clients de former appel
17:55 quand il y avait des mauvaises décisions.
17:57 Il y a trois affaires qui ont été condamnées,
18:00 qui sont l'affaire Joanna Parish, Marie-Angèle Domech
18:03 et Estelle Mouzin.
18:04 -Estelle que l'on voit ici.
18:06 -Oui, Estelle. Moi, j'ai vécu avec cette photo
18:09 presque depuis l'origine,
18:10 mais en tout cas, on avait été saisis en 2006.
18:13 Et...
18:14 C'est un échec pour tout le monde, c'est un échec pour nous,
18:18 parce que...
18:20 Il est parti avec ses secrets.
18:23 D'autres victimes n'auront pas de réponse,
18:25 mais surtout, on avait le temps de le faire.
18:28 La justice l'a abandonnée pendant dix ans,
18:31 puisqu'on nous dit que notre système judiciaire
18:33 ne sait pas faire.
18:35 Mais quand on ne fait rien,
18:36 quand on ne fait pas d'instruction,
18:38 quand on ne continue pas à chercher,
18:40 on va aller à l'échec de vainture en série.
18:43 Les affaires Joanna Parish et Marie-Angèle Domech,
18:46 la femme de Michel Fourniret les avaient avouées,
18:49 mais elles nous manipulent.
18:50 Les premiers avereux n'ont jamais été remis en cause.
18:53 Lui, il a fini par écrire un courrier pour s'accuser.
18:57 Il y a un criminel en série qui s'accuse.
18:59 Ca nécessite des vérifications.
19:01 Pourquoi en 2008, tout a été arrêté ?
19:03 Il a fallu qu'on se batte,
19:05 mais j'y ai passé du temps pour qu'on puisse rouvrir
19:08 le dossier Joanna Parish, et les autres dossiers ont suivi.
19:11 Mais ces dix ans de vide, c'est pour moi incompréhensible
19:14 que dans une période moderne de justice moderne,
19:17 on n'ait pas continué à travailler sur ce thème.
19:20 C'est pas la mort de Fourniret que je vis mal, évidemment,
19:23 mais c'est le fait qu'on a perdu tellement, tellement de temps
19:26 qu'on n'a pas le corps d'Estelle, de Marie-Angèle Domesse
19:29 et qu'on n'aura peut-être pas le corps d'autres victimes.
19:33 -Corinne Hermann, votre petite soeur a été enlevée
19:36 quand vous aviez 14 ans.
19:37 Difficile de ne pas y voir un lien
19:39 entre cet événement et votre vocation.
19:42 -Chacun analysera, comme il entend.
19:46 J'ai eu... -Comment vous l'analysez ?
19:48 -J'en ai parlé, et depuis, j'ai eu même des agressions,
19:52 des mails agressifs là-dessus. -C'est-à-dire ?
19:57 -Des gens qui se servent de ce que vous dites dans les médias
20:00 pour essayer de, par malveillance,
20:02 vous faire du mal ou vous faire peur, mais...
20:04 C'est la raison pour laquelle je ne voulais pas être avocate.
20:09 Donc, est-ce que c'est ce qui fait, qui m'anime aujourd'hui ?
20:12 Ce qui est certain, c'est que ce que j'ai vécu avec ma soeur,
20:15 ce que ma famille a vécu avec ma soeur,
20:18 a fait que j'ai peut-être une façon d'écouter
20:20 et de rassurer les victimes, qui est différente,
20:23 mais qui a un langage commun avec les victimes.
20:25 Que ce soit un enlèvement de quelques heures
20:28 ou un enlèvement où on ne retrouve pas la personne,
20:31 la marque reste en vous, et une famille,
20:35 quelles que soient les violences que vous vivez,
20:38 une famille reste marquée par de telles violences.
20:41 Ca, c'est bien fini, puisqu'on a retrouvé ma soeur.
20:44 Néanmoins, les traces de ce qui s'est passé restent aujourd'hui.
20:47 Il reste dans notre famille une souffrance qui reste,
20:51 qui n'est pas celle que peut ressentir la famille
20:54 d'Estelle Mouzain ou des disparus de l'ISER.
20:58 Moi, ça m'a plutôt éloignée de l'envie d'être avocate.
21:02 J'ai jamais eu envie de l'être,
21:05 mais en tout cas, plus magistrat ou policier,
21:08 mais ça m'a plutôt éloignée de ça.
21:10 C'est peut-être un outil de compréhension,
21:12 mais je ne pense pas à ça quand je travaille.
21:15 -Après 22 ans, à traîner vos guêtres
21:17 dans les salles d'audience,
21:19 qui a été le face-à-face qui vous a le plus marquée ?
21:22 -Le plus fort dans ma carrière, c'est Monique Olivier.
21:25 -La femme de Michel Fournier.
21:26 -Qui, pour moi, est une tueuse en série,
21:29 au même titre que lui.
21:30 Et...
21:31 C'est...
21:33 J'ai pas les mots, mais c'est Monique Olivier,
21:37 parce que d'abord, elle nous ramène
21:40 à des actes commis par une femme
21:43 qui sont difficiles à supporter pour d'autres femmes.
21:46 Et elle est quand même celle qui a armé Michel Fournier
21:49 et qui lui a permis d'agir et de commettre des crimes,
21:52 parce que sans elle, il était quand même démuni,
21:55 il était pas très doué.
21:56 Et puis, elle est...
21:58 Elle est impressionnante...
22:00 dans sa façon d'être et de...
22:05 d'écarter tout ce qui est émotions concernant les victimes.
22:09 Elle est très difficile à interroger,
22:11 c'est très intéressant à faire, évidemment,
22:13 dans le cas de la partie civile, quand on est face à elle,
22:16 sur des fouilles, parce qu'on a des échanges humains,
22:19 c'est très troublant avec elle, ces échanges humains naturels
22:23 de femmes où on va parler de coiffure,
22:25 de maquillage, de sa vie en prison,
22:27 et où on va parler d'une petite fille
22:29 qu'elle a accompagnée à la mort, qu'elle aurait pu libérer.
22:33 Donc, c'est vraiment, pour moi, peut-être la criminelle
22:36 ou le criminel...
22:37 la plus...
22:38 qui m'interroge le plus et qui est la plus impressionnante.
22:42 -Elle incarne pour vous le mal absolu ?
22:44 -Pour moi, Monique Olivier, c'est vraiment le mal absolu,
22:47 véritablement, parce qu'elle aurait pu interrompre
22:50 quand elle voulait la progression de Michel Fourniret
22:54 et qu'elle y a trouvé son plaisir, sans aucun doute.
22:56 C'est pour moi le mal absolu.
22:58 -Vous avez longtemps assimilé votre travail
23:01 à un bras de fer avec la justice, c'est encore le cas ?
23:04 -Le bras de fer avec la justice, c'est malheureusement le cas,
23:07 tous les jours, y compris pour que des dossiers
23:10 soient spécialisés à Nanterre, des colquaises,
23:13 c'est la souffrance des familles,
23:16 la façon dont elles sont niées par la justice,
23:19 c'est toujours la même chose.
23:22 Je le supporte encore moins aujourd'hui,
23:24 c'est-à-dire que moi, je commence à plus du tout supporter
23:27 qu'un magistrat méprise comme ça des familles, des...
23:31 Je trouve qu'on a une justice de classe
23:33 qui est encore plus importante aujourd'hui,
23:36 le fossé est encore plus grand.
23:38 Cette justice imprime et impose aux familles
23:41 de telles violences que parfois leur souffrance
23:44 est plus due à ce comportement d'une justice
23:47 qu'elles attendaient,
23:48 ils auraient dû les reconnaître et les entendre,
23:51 que peut-être à l'acte principal au départ.
23:54 C'est une double peine.
23:56 -Comment expliquez-vous ce mépris ?
23:58 Est-ce que ce n'est pas à mettre sur le compte
24:01 les moyens dont ils disposent, du manque de moyens ?
24:04 -La justice manque de moyens, c'est une évidence,
24:07 mais elle n'a pas la raison.
24:08 Quand on veut, on peut.
24:10 Je dis toujours que quand les magistrats ont envie,
24:13 et les enquêteurs aussi,
24:14 parce qu'on a des difficultés,
24:16 quand ces deux forces-là se réunissent et ont envie,
24:19 moi, j'ai plus rien à faire.
24:21 Ca va très vite.
24:22 On résout une affaire très vite.
24:24 On peut la résoudre...
24:25 On a résolu une affaire qui avait 36 ans en cinq mois.
24:28 Et au fond, ce que vous me dites,
24:30 c'est qu'il n'y a pas d'affaires insolubles,
24:33 il n'y a que de mauvais magistrats ou policiers.
24:36 Il y a très peu d'affaires qui résistent à l'enquête.
24:39 Il faut l'enquêter.
24:40 -En 2014, Corine Herrmann,
24:42 vous vous présentiez comme, je vous cite,
24:45 "une éboueuse de la justice".
24:47 Diriez-vous la même chose ?
24:49 -Oui, je disais aussi la voiture balaie,
24:51 qui... Oui, toujours.
24:53 Très clairement, toujours.
24:55 -Les choses n'ont pas changé.
24:57 -Elles évoluent. Enfin.
24:59 On les voit évoluer.
25:00 On les voit évoluer depuis quelques années,
25:03 mais surtout depuis un an.
25:05 On a des magistrats qui sont ouverts
25:07 et qui entendent la voix des victimes
25:10 et la voix de la nécessité de continuer
25:13 à travailler ces affaires.
25:15 Et comme je sais qu'il y a beaucoup d'avocats
25:18 qui sont choqués par ce qu'on peut faire côté victime,
25:21 je rappelle que dans ces affaires, il y a toujours eu des suspects
25:24 qui, eux, pendant 30 ans, 35 ans, 20 ans,
25:27 sont restés les suspects de leurs voisins, de cette famille,
25:30 qui sont restés suspects dans leur propre famille
25:33 et qui ont besoin aussi qu'on écarte cette suspicion d'eux.
25:36 Et nous, on aime bien,
25:38 quand ces personnes viennent aux audiences,
25:40 nous dire qu'ils vont pouvoir vivre autrement,
25:43 parce que même si on me croyait,
25:45 je sais qu'on me croyait pas, cette suspicion était toujours là.
25:48 Donc, il faut pas oublier que donner une réponse à une victime,
25:52 c'est aussi parfois protéger des suspects de la justice
25:55 ou des suspects qui ont souffert, mais je dirais
25:58 que je suis plus une courroie de transmission aujourd'hui
26:01 que d'autres moyens.
26:03 Parce qu'on a sorti des dossiers,
26:04 parce que j'ai dit des choses qui se sont avérées justes
26:08 et bien analysées, il y a aussi des échecs,
26:10 mais les échecs nous aident aussi.
26:12 Je suis plus la courroie de transmission
26:15 entre tout le monde.
26:16 Quand cette courroie fonctionne pas,
26:18 on prend d'autres moyens. -Merci.
26:20 SOUS-TITRAGE : RED BEE MEDIA
26:23 Générique
26:25 ...

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