Réforme des retraites : "Des salariés ont aujourd'hui la rage" face à "l'entêtement du gouvernement", prévient Jean-Claude Mailly, ancien leader FO

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Jean-Claude Mailly, ancien secrétaire général de Force Ouvrière, était lundi 20 mars le Grand témoin de la matinale de franceinfo.
Transcript
00:00 - Des conflits sociaux, il en a connu quelques-uns durant ces 14 années passées à la tête de force ouvrière.
00:04 Que pense-t-il de la situation actuelle ?
00:06 Le gouvernement a-t-il raison de maintenir la réforme des retraites ?
00:09 Et va-t-on vers un blocage ou même un pourrissement de ce conflit social ?
00:13 Bonjour Jean-Claude Mailly. - Bonjour.
00:14 - Ancien secrétaire général de force ouvrière, vous l'avez dirigé.
00:17 De 2004 à 2018, la décision du gouvernement de recourir au 49-3,
00:22 a semble-t-il durci les positions.
00:24 Depuis jeudi dernier, on assiste à des manifestations spontanées dans plusieurs villes,
00:28 avec parfois des incidents, parfois également des violences.
00:31 Le conflit est-il en train d'échapper aux syndicats ?
00:33 - Non, je ne pense pas que le conflit soit en train d'échapper aux syndicats.
00:37 Je vous rappelle qu'ils ont eux-mêmes déclaré dans l'intersyndical
00:41 qu'on risquait le blocage, continuez le blocage du côté gouvernemental,
00:45 risquait de conduire à une situation explosive.
00:48 Donc ils ont prévenu d'une certaine manière.
00:50 Ils ont organisé différentes journées de mobilisation dans le calme,
00:54 sans incident majeur, etc.
00:56 Ils ont eux-mêmes dit et appelé les salariés à prendre des initiatives sans violence.
01:01 Puisque depuis le début, l'intersyndical refuse la violence le week-end dernier,
01:07 et puis le jour de manifestation le 23.
01:10 Donc après, il peut y avoir des dérapages.
01:12 - Vous avez vu les images ces derniers jours, des mannequins,
01:15 l'effigie d'Emmanuel Macron, certains ministres brûlés,
01:17 des permanences des Luca Yacet, ça a été le cas de celle d'Eric Ciotti ce week-end à Nice.
01:22 Est-ce que ça vous inquiète ?
01:23 - Oui, parce qu'il faut bien comprendre que c'est plus qu'une colère parfois.
01:28 On sent, moi les échos que j'ai, il y a des salariés qui d'habitude sont calmes,
01:32 ce ne sont pas des excités, qui aujourd'hui ont la rage.
01:35 - La rage ?
01:36 - Oui, ils ont la rage. Ils ont la rage parce qu'ils ne comprennent pas comment on peut s'entêter autant.
01:41 Qu'ils ont fait des journées dans le calme, etc.
01:44 Et que le gouvernement, c'est le président de la République,
01:46 parce que c'est quand même lui qui est à l'origine du problème, je dirais,
01:49 reste aussi bloqué sur ses positions.
01:51 Donc il y a un phénomène de rage.
01:53 - Est-ce que vous considérez comme certain que le 49-3 est une aberration démocratique ?
01:57 Ou bien une soupape qui permet de gouverner par tous les temps ?
02:01 - Ecoutez, le 49-3 c'est un outil constitutionnel.
02:04 Ce n'est pas forcément le meilleur outil en termes de démocratie, c'est une évidence.
02:08 Mais je crois que cette période montre qu'il y a un bug dans les institutions.
02:12 Il y a un bug dans les institutions.
02:13 Quand je dis "il y a un bug", on voit très bien que quand un gouvernement n'a pas une majorité
02:19 à l'Assemblée Nationale, c'est très compliqué, d'une manière ou d'une autre.
02:23 Et puis on sait très bien pourquoi le gouvernement a choisi ce véhicule.
02:27 Quand je dis ce véhicule, c'est un projet de loi de finances rectificative.
02:31 Uniquement pour pouvoir faire un 49-3.
02:34 Dès le départ, il a envisagé cette hypothèse de 49-3.
02:37 - Ça a été une erreur d'Emmanuel Macron pour vous, le 49-3 ?
02:40 - Ah écoutez, je pense qu'il aurait mieux...
02:43 Après, les députés prennent leurs responsabilités, ce sont les élus.
02:45 Mais il aurait mieux fallu aller au vote, oui, bien sûr.
02:48 - Sur les motions de censure, on voit que la CFDT et la CGT ne sont pas tout à fait sur la même longueur d'onde.
02:52 Philippe Martinez, côté CGT, appelle les députés à renverser Elisabeth Borne
02:57 pour faire tomber du même coup la réforme des retraites.
02:59 Laurent Berger dit ce matin dans Libération "ce n'est pas notre rôle".
03:02 À nous, syndicats, de demander la tête d'un gouvernement.
03:06 Quelle est votre position là-dessus, Jean-Claude Mailly ?
03:08 - Moi, je crois que ce sont les députés de se prononcer.
03:11 Ce sont eux les élus de la nation.
03:12 L'objet du mouvement, ce n'est pas de demander la tête d'un tel ou d'un tel.
03:18 L'objet du mouvement, c'est de faire tomber le projet, la loi sur les retraites.
03:23 Donc après, je ne pense pas que l'objet, c'est plus politique.
03:26 Là, on rentre dans autre chose.
03:27 On arrive à un moment où d'une crise sociale, ça devient une crise politique
03:31 et ça devient une crise institutionnelle.
03:32 Donc, moi je dis "attention, danger".
03:35 Celui qui peut arrêter les choses, il n'y en a qu'un, c'est le président de la République.
03:39 - Qu'est-ce qu'il doit faire aujourd'hui ?
03:41 - Je l'ai entendu, on a expliqué hier qu'il avait dit qu'il voulait que ça aille
03:45 jusqu'au bout du cheminement démocratique.
03:47 Alors, c'est quoi le cheminement démocratique ?
03:48 C'est aujourd'hui, est-ce que c'est...
03:51 Pour moi, ça couvre aussi le Conseil constitutionnel qui va être saisi.
03:54 On verra ce que le Conseil constitutionnel va faire.
03:55 - Vous estimez aujourd'hui que si Elisabeth Borne échappe à la motion de censure,
03:58 si le Conseil constitutionnel valide le texte dans quelques jours ou quelques semaines,
04:02 les manifestations devront cesser ?
04:04 - Non, je pense qu'y compris, il est encore temps de se rattraper, si vous voulez.
04:08 Vous savez, vous connaissez le vieil adage, "Qui veut voyager loin, ménage sa monture".
04:12 J'ai envie de dire, "Qui veut gouverner longtemps, ménage ses interlocuteurs".
04:15 Donc, même si la motion de censure est rejetée, même si, moi, je pense que le Conseil constitutionnel
04:21 va dire que telle et telle mesure n'avait pas à figurer dans ce projet, il peut toujours
04:26 être grand seigneur et dire "Bon voilà, je suis allé jusqu'au bout, mais allez,
04:29 on arrête et on se remet autour de la table".
04:31 - Vous imaginez Emmanuel Macron faire ça au risque de se lier les mains dans les...
04:35 - Je suis peut-être idéaliste ou utopiste.
04:37 Je pense que ce serait sage.
04:38 Sinon, il va être dans une situation où il a encore 4 ans.
04:42 4 ans de mandat.
04:43 4 ans de mandat dans une situation et une tension très importante.
04:46 C'est pas sérieux.
04:47 - Vous étiez à la tête de Force Ouvrière au moment de la réforme de 2010 qui a fait
04:51 passer l'âge légal à 62 ans.
04:53 A cette occasion, les syndicats avaient perdu.
04:55 Un peu plus tôt, en 2006, vous aviez gagné au moment du CPE, le contrat premier embauche.
05:00 La loi avait été promulguée et suspendue immédiatement par Jacques Chirac.
05:06 Vous imaginez aujourd'hui Emmanuel Macron faire la même chose ?
05:08 - Il peut le faire.
05:09 Mais ce qu'il voudra, c'est une autre paire de manches.
05:11 Pour le moment, vous savez, le sentiment que plus ça va, plus il y a une déconnexion.
05:16 Une déconnexion entre l'Elysée, déjà un bunker, mais là il y a une déconnexion avec
05:21 le monde réel.
05:22 Ce que vivent les gens.
05:23 Et on sent très bien que plus le mouvement dure, il y a la question des retraites, mais
05:26 il y a l'inflation qui vient.
05:27 Et puis, il y a une incompréhension.
05:30 Le président de la République, les gens ne le comprennent plus.
05:33 Ne comprennent plus son entêtement.
05:34 Et ça, il faudrait qu'ils réfléchissent.
05:36 - Est-ce que les syndicats, Jean-Claude Mailly, ont aussi une part de responsabilité dans
05:39 le blocage actuel ?
05:40 Est-ce qu'ils auraient pu, par exemple, pour la CFDT, dire "on n'est pas d'accord".
05:44 C'est même un constat très fort de désaccord.
05:47 Mais négocions pour adoucir la réforme.
05:49 Faisons 63 au lieu de 64, au lieu de 65.
05:52 - Ecoutez, quand vous...
05:53 Dans une vraie démocratie, mais c'est pas nouveau, ça date pas...
05:55 Il y a toujours eu un problème dans notre pays, dans les relations entre les confédérations
05:58 et l'exécutif.
05:59 - C'est-à-dire ?
06:00 - Ça veut dire que c'est pas une vraie négo.
06:02 Alors, on va pas signer à la fin, quand il y a une loi, c'est les députés qui votent
06:05 la loi, ou les sénateurs, c'est évident.
06:07 Mais on pourrait avoir un processus qui conduise à ce que ce soit une négociation sans signature.
06:12 Ça veut dire quoi du côté d'un gouvernement ? C'est de ne pas commencer une discussion
06:16 en disant "bon allez, on discute de ça, mais je vous préviens, tel point, il n'est pas
06:19 à discuter, ce sera décidé".
06:20 Exemple, les 64 ans.
06:22 Ça n'a pas été sur la table.
06:23 C'était à imposer.
06:24 Comment voulez-vous que ça marche ? A partir de là, faut pas être sorti de Saint-Cyr
06:28 ou de Polytechnique pour comprendre que ça va buguer.
06:30 - À chaque conflit social de grande ampleur, en France, on parle du spectre de 95, la France
06:35 bloquée pendant 3 semaines, la grève dans les transports, et au final Alain Juppé,
06:39 Premier ministre, qui retire sa réforme.
06:40 Est-ce que vous pensez vraiment qu'il peut se passer la même chose aujourd'hui, ou
06:43 est-ce que les temps ont changé ?
06:44 - Les temps ont changé...
06:46 Enfin, on n'est plus tout à fait dans le même contexte.
06:48 Il y a le télétravail, il y a toute une série de choses.
06:50 Il y a un changement dans la nature de la relation au travail.
06:53 D'ailleurs, le dossier aurait dû démarrer, je ne suis pas le seul à le dire, par une
06:57 question et un travail sur le travail en tant que tel, et la relation des salariés au
07:01 travail, c'est évident.
07:02 - 95, ça n'arrivera plus ?
07:03 - Je ne sais pas, ça peut arriver, des blocages, c'est pas la question.
07:08 Mais à un moment donné, quand vous manifestez tranquillement, je dirais, de manière nombreuse,
07:14 et qu'en face, vous avez un mur, comment voulez-vous ?
07:18 - C'est-à-dire, vous dites comme certains, avec la violence, les Gilets jaunes ont obtenu
07:22 davantage ?
07:23 - C'est pas moi qui dis ça, c'est les gens qui disent ça.
07:24 Les gens disent, attendez, ils étaient beaucoup moins nombreux aux manifestations, ils ont
07:28 cassé, ils ont obtenu des choses.
07:30 - Et ça, c'est le risque aujourd'hui ?
07:31 - Ah ben, il y a un risque, c'est évident, il y a un risque.
07:34 Les syndicats l'ont relevé d'ailleurs, quand ils parlent de potentiellement une situation
07:37 explosive.
07:38 - Merci à vous Jean-Claude Maillan, ancien secrétaire général de Force Ouvrière, grand
07:41 témoin de France Info.

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