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00:00 Et deux invités du jour pour une même journée. C'est vous Farad Kostrokavar.
00:07 Bonjour, merci d'être à nos côtés. Vous êtes sociologue franco-iranien, directeur d'études des mérites à l'EHESS,
00:13 auteur par ailleurs de sept ouvrages, notamment le dernier à paraître, "Iran, la jeunesse démocratique contre l'État",
00:21 "Prédateur", on va en reparler dans quelques instants. On vient de résumer évidemment en quelques minutes
00:27 l'avancée et l'état de la contestation six mois après la mort de Marsa Armini.
00:33 Les jeunes qui sont en première ligne, qu'est-ce que ça nous dit ça déjà de cette société iranienne ?
00:39 Il y a une évolution de la société iranienne, si vous voulez, depuis 40 ans, qui va à l'encontre des souhaits de l'État théocratique en Iran.
00:49 Ils croyaient avoir jugulé la société, endoctriner les jeunes, faire en sorte que ce soit de bons et pieux musulmans
00:58 et de pieuses musulmanes soumises au pouvoir. C'est exactement l'inverse.
01:02 C'est le constat d'échec de la République islamique. C'est un échec total.
01:05 André Gaddé a servi sa société, sa jeunesse notamment.
01:07 Exactement. C'est un échec patent avec une société qui s'est sécularisée en dépit des mesures, si vous voulez,
01:17 du gouvernement théocratique et on le voit très bien dans cette espèce de rupture culturelle.
01:23 Il y a une rupture culturelle profonde chez les jeunes qui réclament la joie de vivre.
01:27 D'ailleurs, c'est une expression française qui traduit très bien la situation en Iran.
01:32 On voit bien les femmes danser, les hommes danser, sans voile et montrer en quelque sorte qu'ils ne veulent plus de cette espèce de culture
01:41 de deuil perpétuel qu'on appelle le martyr, etc. et qui veut vouer la société à une sorte de tristesse sans fin.
01:49 C'est vraiment la joie, l'explosion de cette joie.
01:51 On voit ces images derrière et ça fait écho à ce que vous dites derrière vous de ces femmes qui dansent.
01:54 Exactement. Ces jeunes filles, par exemple, il y en a beaucoup d'autres.
01:57 Il y a eu des couples, par exemple, qui ont été condamnés à 10 ans de prison pour avoir fait sur YouTube, si vous voulez,
02:04 des danses au rythme de chansons quelquefois iraniennes, d'autres fois occidentales.
02:10 Bref, on est dans une situation où cette jeunesse montre qu'elle ne suit absolument pas ce pouvoir.
02:15 Il n'y a pas seulement une rupture, c'est un abîme culturel entre le pouvoir et la société avec la corruption de ce pouvoir.
02:25 Un côté hyper répressif et une situation où on a l'impression que tout ce qui relève du bien-être de la société
02:34 est sacrifié en quelque sorte à un appareil de répression multidimensionnel.
02:39 Qui casse tout mais qui n'arrive pas à étouffer la société iranienne.
02:45 C'est pour ça que je parle dans le cas de l'Iran mais aussi de quelques autres sociétés du Moyen-Orient de totalitarisme mou.
02:52 Il s'agit d'un totalitarisme, vraiment de facto il s'agit d'un totalitarisme, une sorte de fascisme inébranlable de la part des dirigeants,
03:00 mais qui n'arrive pas à étouffer la société civile contrairement au totalitarisme dur qui était le cas, par exemple,
03:07 qui est le cas actuellement en Corée du Nord ou bien qui était le cas du fascisme, du nazisme ou du communisme sous Staline.
03:14 Je vais vous lire Farad Koussoukavar.
03:16 La veillilité dotée le foulard se transforme à mesure qu'elle rencontre les autres jeunes femmes sans voile.
03:22 Le mouvement n'est pas contre le voile.
03:24 Des femmes voilées l'ont rejoint mais contre le voile imposé et plus radicalement contre la dictature.
03:30 C'est ça finalement ?
03:31 Exactement, c'est la dictature qui commence par le rejet de la dictature du corps.
03:35 Des jeunes femmes qui ne veulent pas porter le foulard imposé, alors là elles se sont insurgées.
03:41 Et il y a des femmes qui portent le voile, qui portent le foulard et qui les rejoignent dans la dénonciation de ce pouvoir dictatorial.
03:47 Donc c'est d'abord l'appropriation du corps.
03:50 On commence par l'existence du corps et la liberté corporelle pour l'étendre ensuite à ce qu'on pourrait appeler la liberté politique.
03:59 De l'existentiel, on passe aux politiques.
04:03 Et ça c'est une innovation majeure de ce mouvement qui s'adresse en quelque sorte au corps d'abord des femmes mais aussi des hommes.
04:10 L'Iran, c'est ce paradoxe, une société de plus en plus sécularisée, un état de moins en moins à mesure de comprendre l'évolution de sa société.
04:19 Ça ce sont vos mots.
04:20 C'est une contestation qui s'est heurtée très vite à la répression très dure du régime.
04:25 Il y avait ces chiffres dans le sujet il y a quelques instants.
04:27 537 manifestants tués dont 71 mineurs.
04:31 Il faut le rappeler des enfants parfois très jeunes.
04:33 Plus de 20 000 personnes arrêtées, des condamnations à mort, des exécutions aussi depuis même si les chiffres sont évidemment extrêmement opaques.
04:41 Vous vous parlez dans votre livre de ce qui se passe dans les prisons iraniennes, la prison d'Evin notamment.
04:47 Il y a la prison d'Evin, il y a au moins une trentaine d'autres prisons.
04:51 Et d'ailleurs il y a une diversité de cas de gestion de ces prisons qui ne sont pas faits par le ministère de la justice,
04:57 qui sont faits par l'armée des pastorants, qui est faite par diverses instances de répression.
05:03 Il y en a au moins une quinzaine en Iran qui sont totalement autonomes.
05:06 Ils répriment si vous voulez comme ils veulent.
05:09 Et là on voit très bien comment dans ces prisons il y a la torture qui est vraiment courante, le viol des jeunes femmes mais aussi des jeunes hommes.
05:19 Et un certain nombre d'actions si vous voulez, par exemple le fait de condamner à mort et ensuite de tirer à balles non réelles sur les jeunes.
05:30 On veut briser les esprits de ces jeunes hommes et de ces jeunes femmes.
05:33 On veut briser et il y en a plusieurs qui en sortant de prison se sont suicidés parce que c'était intolérable.
05:39 Je veux dire c'est un système hyper répressif et la seule unité actuellement au sein du pouvoir c'est l'appareil de répression.
05:47 L'appareil de répression n'a pas montré de faille alors que dans la société c'est vraiment courant.
05:51 On sait très bien, d'ailleurs il y a des sociologues en Iran même qui l'ont dit et qui ont été condamnés à des prisons de 9-10 ans, par exemple Khomamini.
05:58 Alors on voit très bien comment dans la société on dit qu'il y a entre 80 et 95% de gens qui sont mécontents du régime.
06:06 Donc il y a une unanimité contre le régime répressif mais on n'arrive pas parce que précisément il n'y a pas d'organisation, il n'y a pas de leader.
06:14 Chaque fois qu'il y en a un, évidemment on l'arrête, on le torture, on le met hors jeu et c'est pour cette raison que le mouvement montre des signes de fragilité.
06:22 Alors fragilité mais pas pour autant éteint ?
06:25 Non, il n'est pas éteint.
06:27 C'est ce qu'on répète en tout cas nous ici depuis ce matin, il a pris d'autres formes.
06:31 Il y a aussi le soutien qui avait été très fort à ses débuts de la communauté internationale, les Occidentaux notamment, qui est aujourd'hui beaucoup plus discret.
06:39 On parle beaucoup moins d'Iran notamment dans les médias. Quels sont les retours qui vous parviennent de ces jeunes gens, mobilisés toujours encore ?
06:48 Il y a la mobilisation et la haine de ce pouvoir mais on n'arrive plus à l'exprimer parce que dès qu'on le veut, maintenant le pouvoir réprime en arrêtant l'internet.
07:00 Le seul moyen pour ces jeunes de communiquer c'est l'internet pour pouvoir organiser des manifestations.
07:05 Maintenant le pouvoir coupe. Et là l'Occident, surtout les Etats-Unis, auraient pu aider avec l'internet indépendant du pouvoir mais ils ne l'ont pas fait.
07:12 Ils ne l'ont pas fait pour de multiples raisons et puis on voit très bien comment il y a une dualité en Occident.
07:17 D'un côté, les sociétés civiles en Occident sont pour ce mouvement à 100%.
07:21 Je veux dire ces jeunes femmes, ces jeunes hommes qui demandent la démocratie.
07:27 Les sociétés civiles occidentales, européennes et françaises par exemple, pour ne citer que ce cas, sont dans une écrasante majorité pour ce mouvement.
07:36 Mais les pouvoirs, les gouvernements n'ont pas suivi.
07:39 Par exemple, le Parlement européen a demandé l'interdiction de l'armée des Pastarans, l'armée des gardiens de révolution, comme étant une organisation terroriste.
07:49 Les gouvernements européens ne l'ont pas suivi.
07:52 C'est donc cette espèce de double jeu. D'un côté, les sociétés civiles qui sont unanimement en Europe et même aux Etats-Unis en Occident pour ce mouvement de libération et d'émancipation démocratique.
08:07 Et d'autre part, les gouvernements qui hésitent parce qu'ils se disent qu'on a besoin de l'Iran pour éventuellement, dans un avenir pas très éloigné, signer le traité nucléaire de non-prolifération.
08:19 Merci beaucoup Farah Khosrowkavar, le temps passe vite à vous entendre.
08:22 Je rappelle le titre de votre ouvrage, "Iran, la jeunesse démocratique contre l'Etat, prédateur".
08:27 Vous étiez sur ce plateau à l'occasion de ces six mois, les six mois de la disparition de Marcel Amini.
08:32 On va continuer évidemment à en parler sur nos antennes.
08:34 Merci d'avoir été avec nous.
08:35 Avec plaisir.
08:36 Restez à nos côtés.