• l’année dernière
Transcription
00:00 Comment refuser ? Comment refuser quand vous faites de la radio, que vous parlez tous les
00:06 jours dans un micro ? Comment refuser de vous interroger sur ce qu'est une voix ? D'où
00:10 elle vient ? Qui parle ? Qu'est-ce que le silence ? Comment on crée un dialogue ? Et
00:16 quand vous mélangez tout cela à notre autre passion, ici au Book Club, celle des livres,
00:19 de la littérature, de l'écriture et de la lecture, le tout donne cette émission,
00:24 cette émission de mercredi que nous avons intitulée « Des voix singulières jusqu'à
00:28 13h30 » sur France Culture avec nos invités qu'on a accueillis dans un instant et avec
00:32 vous, les membres du Book Club.
00:34 C'est-à-dire qu'on a des mots qui sont associés et qui contredisent et la sémantique
00:40 et la syntaxe traditionnelle du français.
00:42 Totalement désharmonique au départ et progressivement le monde dans lequel évoluent les personnages
00:47 se réagence et c'est comme si on passait du brouhaha à la musique.
00:52 France Culture, le Book Club, Nicolas Herbeau.
00:58 Les voix de Julie et Anissia, lectrice du Book Club qui nous accompagnent ce midi.
01:03 Bonjour Peter Zendi.
01:04 Bonjour.
01:05 Vous êtes philosophe, musicologue, vous êtes avec nous en direct de la Côte-Est
01:09 des Etats-Unis.
01:10 Merci beaucoup de vous être réveillé très tôt et vous enseigner à l'université
01:13 Brown à Rhode Island et vous publier aux éditions de minuit un essai intitulé « La
01:18 voix par ailleurs, ventriloquie, bégaiement et autres accidents » coécrit avec Laura
01:23 Odello, philosophe et traductrice également et votre consoeur donc à Brown.
01:28 C'est donc un duo que nous lisons, un duo vocal, écrivez-vous, avec l'idée de faire
01:34 dans cet essai une généalogie de la voix à partir de ses défauts.
01:37 Peter Zendi, racontez-nous d'abord comment est née votre démarche.
01:40 Alors c'est un ouvrage auquel nous avons travaillé à deux voix.
01:45 On y a travaillé en fait pendant très longtemps, pendant beaucoup d'années, pas du tout,
01:51 c'est pas qu'on a fait que ça, mais enfin régulièrement.
01:56 On a profité, Laura Odello et moi, de conférences, d'invitations pour présenter ce travail
02:02 à deux voix sur la voix.
02:03 Donc finalement ça s'est écrit au fil de ces occasions et ce qu'on a essayé de
02:09 faire c'est à la fois de parler dans ce livre d'une voix mais qui soit habité
02:15 par la voix de l'autre.
02:17 Et donc il y a dans le livre des sortes d'apartés où l'un de nous deux raconte quelque chose
02:25 mais on a bien veillé à ce que ces apartés, ces sortes de parenthèses un peu autobiographiques
02:30 mais qui chaque fois illustrent quelque chose à quoi on tient beaucoup, un aspect de cette
02:37 structure de la voix qu'on essaye d'explorer, on a bien veillé à ce que ces apartés ne
02:41 soient pas identifiables, c'est-à-dire qu'on ne sache jamais si c'est moi ou Laura
02:46 Odello qui racontent quelque chose.
02:48 Et donc il y a ces parenthèses qui sont un peu dans le texte comme des espaces où une
02:56 voix habite l'autre, où une voix vient déranger l'autre sans qu'on puisse très
03:00 bien savoir laquelle.
03:01 Voilà, donc c'est un livre qui s'est construit au fil d'un long dialogue, au fil de toutes
03:07 ces années, presque 20 ans, et au fil aussi d'occasions qui ont été des occasions essentiellement
03:15 en public où on s'adressait à deux voix à un auditoire des conférences.
03:21 Donc ensuite on a retravaillé, enfin le livre n'est pas du tout simplement la transcription
03:25 des conférences mais je crois que c'est important de marquer qu'il y avait une sorte
03:28 d'oralité dans la situation d'adresse et qui s'est sans doute déposée dans le
03:35 livre, avec parfois des effets aussi d'écriture qui ont été calculés, par exemple pour
03:42 créer certains effets d'oralité comme une sorte de pseudo-béguément.
03:49 Enfin on a un peu imité aussi certains écrivains ou poètes dont on parle, je pense.
03:56 Et qu'on écoutera tout à l'heure au fil de l'émission, Peter Zandi.
04:00 Pour parler de la voix, nous avons convié au Book Club Cécile Lagialli.
04:05 Bonjour.
04:06 Vous êtes romancière et vous enseignez aujourd'hui la littérature et l'écriture dramatique.
04:09 Vous publiez un nouveau roman intitulé « La nuit est mon jour préféré » qui paraît
04:14 aux éditions Actes Sud.
04:16 Vous avez vous aussi une méthode très musicale, très sonore quand vous écrivez, même quand
04:21 vous relisez ce que vous avez écrit et vous dites « mes personnages sont d'abord des
04:26 voix ». Qu'est-ce que ça veut dire Cécile Lagialli ?
04:29 Avant d'être des corps, ça ça vient plus tard, l'incarnation, dans le processus d'écriture
04:35 chez moi, il y a une musique, il y a une conscience qui va s'énoncer au fil d'une syntaxe,
04:43 d'un rythme.
04:44 Et un personnage chez moi avant tout est un fantôme qui va recouvrer progressivement
04:53 une allure, une apparence pour exister au monde et à lui-même et être perçu par le
05:00 regard des autres.
05:01 Mais avant tout, il est une émanation d'une pulsion, d'une conviction, d'un ressenti
05:12 très fort en moi et il y a quelque chose d'à la fois très abstrait, puisqu'on n'est
05:18 pas dans le corps encore, et à la fois quelque chose de très concret, de très viscéral,
05:25 de très impérieux, de très pulsionnel dans le démarrage d'un personnage quand j'entre
05:31 en écriture.
05:32 Donc cette chose très, cette nasse d'où je pars, c'est peut-être avant tout une voix,
05:39 quelque chose de pas intellectuel du tout, mais quelque chose de très archaïque, de
05:43 très primitif, quelque chose qui part de la cave, de la grotte, de la caverne dont
05:49 parle si bien Peter Zendi.
05:51 Et je dois vous dire, monsieur, à quel point j'ai trouvé éblouissant votre ouvrage.
05:57 - Écoutez, j'en suis très touché.
05:59 Moi-même, j'étais vraiment très touché par le vôtre et j'espère qu'on aura quelques
06:04 moments de dialogue.
06:06 - Eh bien, c'est le principe du book club Peter Zendi, donc vous allez pouvoir dialoguer
06:11 bien sûr.
06:12 Vous allez nous expliquer dans un instant quelles sont ces caves, ces grottes qui débutent
06:17 votre ouvrage.
06:18 Mais d'abord, on va écouter la voix de Julie.
06:19 Julie, c'est l'une des membres de ce book club.
06:21 Elle a lu « La nuit est mon jour préféré » de Cécile Ladjali et voici ce qu'elle
06:26 en a retenu.
06:27 « La nuit est mon jour préféré » est un roman dont je suis sortie étonnamment apaisée.
06:31 Étonnamment parce que c'est un roman extrêmement étouffant au départ.
06:34 On est dans un service psychiatrique, Tom, le narrateur, enquête sur son existence inutéro,
06:40 on a le conflit de rail au palestinien en arrière-plan et une histoire d'amour quasi
06:44 impossible.
06:45 Tout concourt ici à renforcer les sentiments de solitude et d'enfermement des différents
06:48 protagonistes.
06:49 En fait, tout au long du récit, ils vont chercher une voie, à la fois pour communiquer
06:54 et pour aller de l'avant.
06:55 C'est ce qui m'a énormément plu dans le récit.
06:57 En mêlant les voix de tous ces personnages, vivants ou disparus, Cécile Ladjali crée
07:01 un chœur qui paraît totalement désharmonique au départ et qui progressivement va aller
07:06 vers l'unisson.
07:07 Morceau par morceau, une voix après l'autre, le monde dans lequel évoluent les personnages
07:12 se réagence et c'est comme si on passait du brouhaha à la musique.
07:16 Un extrait du texte, je trouve, reflète bien tout ça.
07:21 Je vais le lire, on est page 108 et Cécile Ladjali écrit « Celui qui joue ou celui
07:27 qui écrit réagence le monde selon sa volonté et y trouve une place toujours plus à dire.
07:31 Plus satisfaisante que celle que lui aurait offerte la vie sans cet aménagement grammatical
07:35 ou mélodique.
07:36 On est sculpté par les autres, par leurs mots, et eux le sont par ce qu'on leur donne.
07:41 Sans le langage ou la musique, on est glacé.
07:43 On a froid, on est froid.
07:46 Il faut écrire des soleils, jouer des soleils.
07:50 » Après cet extrait, j'aurais cette question pour Cécile Ladjali, est-ce que finalement
07:57 le dialogue suffit à réinventer un monde ?
07:59 En tout cas, s'il ne suffit pas à tout réinventer, il contribue très largement
08:09 à une harmonie et à un début d'espoir.
08:14 Ce roman signifie que sans le dialogue, il n'y a pas de demain possible, il n'y a
08:22 pas d'existence auprès de l'autre, celui qui nous fait peur, celui qu'on n'aime
08:26 pas forcément possible.
08:28 Donc, ce qu'apprend le héros psychiatre, dont le métier c'est vraiment le langage
08:34 à travers l'analyse, c'est qu'il apprend à se taire, à laisser résonner les silences
08:40 parce qu'il comprend très vite que les silences peuvent être terriblement éloquents.
08:44 Et surtout, il se remet beaucoup en question et il décide de laisser plus de place qu'il
08:51 ne l'a jamais fait jusqu'alors, plus de place à l'autre.
08:55 Parce que ce sont les mots des autres, si on sait les accueillir, qui nous confrontent
09:01 à nous-mêmes et qui nous permettent d'accéder à notre propre mystère.
09:06 Et en général, on n'a pas cette capacité, et moi la première, qui suis une véritable
09:10 mitraillette et qui parle beaucoup trop, parce qu'en plus je suis professeure de lettre
09:13 et je pousse le vice jusqu'à faire cours à des étudiants qui sont sourds, qui sont
09:17 malentendants et qui lisent sur mes lèvres, j'ai tendance à ne pas laisser suffisamment
09:21 de place à la parole de l'autre et au silence pour que le dialogue authentique s'installe
09:30 et lieu.
09:31 Et le livre parle de cette difficulté qu'on a à s'entendre les uns les autres.
09:36 - Alors je le laisse, le silence, pour vous, sur France Culture, dans le boucle-œuvre.
09:41 Au début de votre roman, le narrateur, donc Tom, ce psychiatre spécialiste, vous dites
09:45 de la communication entre la mère et son enfant pendant la vie intra-utérine, dit
09:50 "le silence peut tuer et on ne lui survit que par la recherche éperdue des voix".
09:56 C'est très beau.
09:58 Qu'est-ce que ça veut dire dans le lien qu'il y a entre une mère et l'enfant qui
10:03 est dans son ventre à ce moment-là ?
10:04 - Alors Tom est obsédé dans ses recherches en tant que médecin par la vie in utero.
10:11 Il est persuadé que ce qui s'est passé dans cette vie d'avant la vie est gravé dans
10:16 notre cortex et nous définit en tant qu'hommes et femmes adultes.
10:21 Mais malheureusement, ça s'appelle l'inconscient, ça s'appelle ces choses tellement anciennes
10:25 qu'elles nous collent à la peau et on ne s'en souvient pas, on n'en a pas de mémoire.
10:29 Et lui, il recherche ce qui, le concernant personnellement, a pu lui arriver quand il
10:36 était dans le ventre de sa mère.
10:38 Et il pressent qu'à ce moment-là, il s'est passé autour de lui mille et une petites
10:43 ou grandes tragédies qui sont les casseroles qu'il traîne aujourd'hui dans l'existence.
10:49 Donc il essaye de remonter à l'aune de sa propre vie, de sa propre existence en essayant
10:56 d'entendre ses voix.
10:57 Et puisqu'il n'en est pas capable lui-même, les truchements qu'il va s'inventer vont
11:02 être à l'asile de fous qui est un espace hors temps.
11:06 Il va s'inventer des truchements à travers ses patients et ce sont ces fous qui sont
11:12 si sages depuis Shakespeare, on sait très bien que ce sont les fous qui sont sages.
11:16 C'est-à-dire ces patients comme le musicien Ephraim Steiner ou la jeune patiente qu'il
11:22 soigne, palestinienne Rochan.
11:23 Ce sont eux qui vont avoir accès à ses voix d'outre-temps et d'outre-tombe et qui vont
11:29 le renseigner sur le mystère de cette vie d'avant la vie le concernant.
11:33 - La vie intra-utérine Peter Zandi, j'imagine que ça vous fait réagir puisqu'on parlait
11:39 des caves.
11:40 Est-ce que vous faites un lien entre les deux, avant la naissance et vous le principe, le
11:45 concept de ces caves, de la voix qui naît à cet endroit-là, est-ce que ça vous parle ?
11:50 - Alors moi j'étais vraiment fasciné par l'imagination de la cave et des contenants
12:01 et cette imagination océanique aussi, ou cet imaginaire océanique qui règne, qui
12:09 trame le livre de Cécile Lajali.
12:12 La question que ce livre m'a immédiatement posée, et que en effet je peux rapporter
12:22 au motif de la cave ou de l'antre qui traverse aussi le livre que nous avons co-écrit avec
12:30 Laura Odello, la question c'est in utero, je me demande est-ce qu'on entend la voix,
12:37 en l'occurrence la voix de la mer, ou est-ce qu'on en est traversé, est-ce qu'on est
12:44 atteint, rejoint par la voix de l'autre, comme on imagine, comme on se représente
12:50 l'écoute en général, une voix qui m'arrive, ou bien est-ce qu'on est en quelque sorte
12:54 dans la voix de l'autre, ou alors encore à l'inverse, est-ce que cette voix de l'autre,
12:58 du grand autre qui est la mer, est-ce qu'elle est en nous ? Donc ce qu'on imagine être
13:06 une distance ou un écart dans l'écoute, avec cette voix qui franchit des espaces,
13:11 et bien là c'est plutôt une espèce d'imbrication ou d'implication réciproque.
13:17 Et alors c'est ce que dans La voix par ailleurs, ce livre qu'on a écrit à deux, c'est ce
13:24 qu'on appelle l'entriloquie, enfin en tout cas on peut le rapprocher.
13:29 On parle d'entriloquie et non pas de ventriloquie, c'est-à-dire on essaye de dire que dans
13:36 le phénomène de la voix, de parler avec une voix, d'avoir une voix, de s'exprimer
13:42 par la voix, il y a une cave, il y a un entre, ce qu'on appelle un entre, on dit ça parce
13:48 que finalement il ne s'agit pas tellement pour nous de convoquer la figure du ventriloque,
13:55 qui est une figure relativement simple, même si elle est amusante et fascinante.
13:59 C'est-à-dire au fond le ventriloque c'est quelqu'un qui parle avec la voix d'un
14:03 autre, ou qui fait semblant de parler avec la voix d'un autre.
14:06 Nous ce qu'on essaye de dire c'est que les ventriloques sont une figure pour quelque
14:10 chose de beaucoup plus général, qui est le fait que pour pouvoir parler, pour avoir
14:15 une voix, on porte en nous une espèce de cave ou de creux, si quelqu'un ouvre la
14:21 bouche en face de vous, c'est ça que vous voyez quand même, c'est une espèce de
14:24 grotte ou d'entre, et c'est ce qu'un philosophe qui a beaucoup conté, et pour
14:30 moi et pour Laura Odello, qui est Philippe Lacou-Labarthe, c'est ce qu'il appelait
14:36 ce pur dehors en nous.
14:38 Et donc ce pur dehors en nous, cette espèce de poche d'extériorité vertigineuse qu'on
14:45 porte au plus profond de nous, c'est là que se joue, que se trame ce mystère qu'on
14:50 essaye d'explorer, qui est le fait qu'on a une voix.
14:54 Avoir une voix c'est au fond quelque chose de fou, si on y pense, qu'est-ce que ça
14:59 veut dire avoir dans ce cas-là ? Et je retrouve vraiment cette espèce d'étonnement devant
15:06 l'énigme de la voix dans les incroyables situations qu'imagine Cécile Lajali, par
15:14 exemple ce psychiatre qui a cette espèce de fantasme originaire d'entendre les voix
15:22 perdues de la mission Soyouz en 1995, depuis une situation intra-utérine.
15:30 Il fallait l'imaginer.
15:33 Vous nous racontez, Cécile Lajali, c'est la maman de Tom qui regarde à la télévision
15:39 la mission Soyouz et à un moment donné il y a un problème de son, c'est ça ?
15:45 Voilà, on est en 1995, le 11 septembre 1995, la maman de Tom, le narrateur, Mérédith,
15:53 la maman de Tom, est enceinte de Tom, qui n'est pas encore née à ce moment-là.
15:57 Elle est en train de regarder la télévision, c'est le soir où la navette Soyouz est en
16:02 train d'entrer dans l'atmosphère et à un moment donné l'astronaute Phil Anders
16:09 avec Houston, entend Houston, parle à Houston mais Houston ne l'entend plus.
16:12 La communication est interrompue.
16:14 Au même moment, cette femme Mérédith qui est enceinte, elle a ce petit être qui va
16:22 bientôt naître dans son ventre et qui sera le narrateur de cette histoire, Tom, le psychiatre
16:26 devenu grand et le bébé, lui, entend tout ce qui se passe dans la pièce mais évidemment,
16:33 et vous lecteurs, vous lisez le livre et à la faveur du flux de conscience que j'ai
16:38 inventé, vous entendez la voix du bébé mais le bébé, personne ne l'entend.
16:42 Et il y a un troisième personnage qui entend tout autour de lui mais que personne n'entend,
16:48 c'est que dans l'espace où se trouve Mérédith enceinte en train de regarder la télévision,
16:53 il y a aussi à côté d'elle sa soeur Anna qui est apnéiste et qui s'est noyée dans
17:00 la mer Rouge.
17:01 Elle a plongé beaucoup trop bas, elle est dans le coma, elle entend tout le monde, parce
17:05 que là on est à l'hôpital, dans la chambre d'hôpital autour d'elle et elle supplie
17:09 intérieurement les gens qui l'entourent de ne pas la débrancher, ce qui risque fort
17:14 d'arriver et vous lecteurs, vous entendez la voix d'Anna, elle pense, elle pense bien
17:19 même mais elle, personne ne l'entend.
17:22 Et puisque ce livre a pour thème le dialogue de sourds, la communicabilité, j'ai inventé
17:28 ces trois personnages qui incarnent vraiment le dialogue intransitif, la voix qui part
17:33 dans le vide et qui ne recueille aucun écho.
17:38 Il y a le bébé dans le ventre de la mer qui nage dans le placenta, il y a cette femme
17:44 qui est apnéiste, qui s'est noyée et qui nage dans son coma et il y a cet astronaute
17:49 qui est dans une espèce de flottement aussi.
17:51 Il y a cet élément à queue placentaire, la mer qui traverse et tout son flux le roman
18:00 parce qu'il y a entre ces personnages beaucoup de points communs relativement à ce motif-là
18:06 de l'eau justement.
18:07 Et vous savez que les astronautes pour s'entraîner très souvent plongent dans des piscines.
18:12 Donc vu que c'est un roman aussi sur la mer avec un E au bout et un accent grave, j'ai
18:18 beaucoup joué là-dessus sur l'élément marin et l'idée même de maternité, de
18:25 ventre.
18:26 - Peter Zendi, il y a beaucoup d'exemples aussi dans votre livre "La voix par ailleurs"
18:30 sur cette hétérophonie, sur cette polyphonie aussi avec des exemples philosophiques mais
18:35 aussi des exemples cinématographiques.
18:38 Vous nous en racontez un ? Vous nous en choisissez un ? Celui qui vous plaît le plus ?
18:41 - Oui, alors c'est vrai que c'est un livre qui s'est construit à partir de situations
18:49 vocales découvertes dans des opéras, dans des textes, dans la Bible, dans des films.
18:57 Effectivement, il y a plusieurs films au théâtre aussi, sur la scène du théâtre.
19:02 Il y a le magnifique film d'Abbas Kiarostami "Copie conforme" dans lequel on prête l'oreille
19:10 avec Laura Odello, on prête l'oreille au bégayement et un bégayement qui devient
19:14 en quelque sorte ontologique ou cosmique, un bégayement qui touche toutes les dimensions
19:20 du langage et de l'image.
19:24 Mais peut-être le meilleur exemple, puisqu'on parle de la voix de l'autre et de cette espèce
19:33 de ventriloquie, d'être habité par la voix de l'autre, c'est le film de Otto Preminger
19:39 en 1944, "Laura".
19:42 Dans ce film, il y a la voix du narrateur qu'on entend en tant que voix off et puis
19:53 on entend aussi le personnage qui est le narrateur dans l'histoire, un certain Waldo, Waldo
19:59 Leidecker, qui est magistralement incarné à l'écran par Clifton Webb.
20:05 Et donc à la fin, dans une scène tragique que je ne vais pas raconter en détail, l'essentiel
20:12 c'est qu'on entend à la fois la voix du narrateur, la voix du personnage, le même
20:19 personnage qui est dans l'histoire, qui vit ce moment tragique où dans un échange
20:29 de tir il va être touché par une balle, et puis on l'entend aussi à la radio puisque
20:36 ce personnage, Waldo, est quelqu'un qui parle à la radio.
20:43 Et donc à un certain moment, ces trois voix, la voix du personnage, la voix du même personnage
20:48 entendu dans la scène à la radio et la voix de ce même personnage devenu narrateur et
20:54 donc parlant depuis l'extérieur de la scène, racontant au fond la scène depuis une temporalité
21:00 qui est une espèce d'étrange futur dont Cécile l'a déjà dit pourrait nous parler,
21:05 une sorte de futur qui revient sur ce qui s'est passé, ces trois voix se hantent,
21:11 se dérangent, se contaminent et à la fin on ne sait vraiment plus qui parle.
21:16 Mais nous ce qui nous a intéressé c'est que ce ne pas savoir qui parle, au fond on
21:22 se dit que c'est quelque chose qui est constitutif de la voix.
21:25 Je veux dire par là qu'avoir une voix, parler avec sa propre voix, c'est cette espèce
21:31 de miracle ou d'énigme improbable qui se détache sur fond de cette coprésence de
21:39 toutes sortes de voix en nous.
21:41 Et le fait qu'elle s'unifie, pour reprendre cette belle expression qu'on entendait dans
21:48 la bouche de Julie, je crois qu'elle s'appelait, la lectrice du bouquin, quand elle disait
21:54 que dans le livre de Cécile Lajali, les voix formaient une sorte de cœur désharmonique,
22:01 j'ai noté l'expression, qui va vers l'unisson.
22:06 Alors moi en écoutant ces mots, que je trouvais très beaux, je me disais qu'au fond c'est
22:11 aussi ce qu'on essaye de décrire dans ce livre, la voix par ailleurs.
22:14 C'est-à-dire qu'au moment où j'ouvre la bouche et je forme une parole avec ma voix,
22:22 cette chose apparemment si immédiate et si évidente, c'est au fond le résultat d'un
22:27 processus qui est à la fois micro-temporel, apparemment immédiat, mais qui en réalité
22:33 est une machinerie extrêmement complexe, qui fait que je parle d'une voix unifiée,
22:38 avec une sorte d'unisson entre moi et moi, alors que finalement je suis ce cœur désharmonique
22:45 qui se forme dans cette espèce de cave ou d'antre qu'on porte en nous et qui résonne
22:50 de toutes sortes de voix.
22:51 - Cécile Lajali, sur cette idée d'unisson, au final quand on prend la parole, comme vient
22:57 de le décrire Peter Zendi, qu'est-ce que ça vous inspire, vous qui prenez la parole
23:03 tous les jours, puisque vous enseignez, vous le disiez, moi aussi je prends la parole tous
23:06 les jours ici à la radio, c'est quelque chose qu'on fait presque aussi automatiquement,
23:10 mais c'est intéressant de s'arrêter et de se dire comment ça fonctionne presque.
23:14 - C'est quelque chose qu'on vise, qu'on espère, l'harmonie, le sens, la clarté,
23:22 c'est une obsession chez moi et quand je m'écoute parler j'ai l'impression d'être très confuse
23:27 et de tomber dans les chaussettes-trappes du langage et de bailler, et en lisant le
23:32 livre de Peter Zendi j'ai compris que c'était parce que j'essayais de penser, donc c'est
23:37 plutôt bon signe.
23:39 En fait c'est peut-être dans nos bégaiements, dans nos lapsus, dans toutes nos plantades
23:47 à l'oral que se situe notre humanité et le début du commencement d'une pensée sérieuse.
23:53 Donc moi quand je ressors d'une émission comme celle-ci ou même d'un cours, je n'ai
23:58 que le souvenir physique d'un travail harassant et je ne suis jamais contente de moi.
24:03 J'ai l'impression d'avoir pas été claire du tout et que j'ai embêté tout le monde.
24:08 L'harmonie, idéalement, c'est ce que je vise, oui, une fois que j'éteins l'ordinateur
24:18 et que je rends le manuscrit à l'éditeur, mais tout ça est sorti d'un chaos incroyable.
24:25 C'est vraiment la séparation de la lumière des ténèbres, quelque chose qui ressemblerait
24:30 à une formation du monde pour parler de façon très grandiloquente.
24:34 - Alors je vous rassure, vous êtes très claire et vous n'ennuyez personne, évidemment,
24:39 dans cette émission.
24:40 On parlait de cinéma, on a parlé de théâtre tout à l'heure avec Peter Zendi, on a parlé
24:43 de télévision, 1989.
24:46 Votre attention, Peter Zendi, est attirée, écrivez-vous, la vôtre ou celle de Laura
24:51 Odello ? On ne le saura pas.
24:52 En tout cas, votre attention est attirée par ce qui semblait être un accident, une
24:56 anomalie dans le flux du discours télévisuel.
25:00 Dans sa parole fluide et bien huilée, il se passait quelque chose, quelqu'un bégaye.
25:05 [Musique]
25:07 Pa, pa, pa pa pa pa pa, pa pa, pa pa, papa !
25:13 Le pas, pas, le faux pas !
25:15 Le pa, pas, pas, le pas, le mauve !
25:19 Le mauvais pas, pa, pa, pa, le pas !
25:22 Le pas, pas, le mauvais pas, pas !
25:25 Le mauve, le pas, pas, passe,
25:28 Papa passe, passe, passe, il passe,
25:32 Il pa, pas, il passe !
25:35 Le pas du pas du pape, du pape sur le pape, du pas, du passe !
25:40 Passe, passe, passe, il le sur le pas, le pas, si, pas, si, pas, si !
25:46 Pisser sur le pape, sur papa, sur le, sur la, sur la pipe du papa, du pape !
25:53 Pisser en masse !
25:54 Je découvrais Agarra Azimuka, comme beaucoup, avec son poème "Prendre corps",
25:58 qui est pour moi le plus beau poème au monde.
26:00 Ce qui me plaît dans cette écriture, c'est
26:04 comment l'auteur va opérer une
26:07 déstructuration de la forme poétique,
26:10 mais aussi de la langue, c'est-à-dire qu'on a
26:13 des mots qui sont associés
26:16 et qui contredisent et la sémantique et la syntaxe traditionnelle du français.
26:20 Et c'est très fort, très puissant, et vraiment des images
26:24 qui se détachent, en fait, de ce que va écrire Agarra Azimuka.
26:29 Et c'est aussi une langue qui est très sonore,
26:33 c'est-à-dire qui est très basée sur le rythme,
26:36 le mouvement, le souffle, il y a quelque chose presque de la litanie dans son langage.
26:40 Et j'ai un petit souvenir, quand j'ai découvert Agarra Azimuka,
26:44 c'était avec un ami, on était à la fac, on avait 20 ans,
26:47 et je lui avais lu un poème.
26:49 Du coup, on avait passé la soirée à lire tous les poèmes de Agarra Azimuka,
26:53 et c'était assez fort et beau, parce que c'est pas forcément
26:56 quelque chose que j'avais l'habitude de faire, ni mon ami,
26:58 passer la soirée à lire des poèmes
27:02 contemporains, en plus.
27:03 Des poèmes tout courts, en fait.
27:05 - Gérard Simuluka, raconté par notre lectrice Anissia,
27:13 Peter Zendi, on a parlé de cette ventriloquie, de cette entriloquie,
27:17 c'était plus l'écho, la résonance que l'on décrivait.
27:21 Là, on est sur un problème dans le béguement, qui est un problème de temporalité,
27:25 c'est ça, de désynchronisation de la voix ?
27:29 - Exactement, oui.
27:30 La question, disons, elle est un peu symétrique
27:34 de celle de ce qu'on appelle l'entriloquie.
27:37 Donc l'entriloquie, oui, comme on le disait,
27:39 c'est tout simplement cette espèce d'entre, ou de grotte, ou de creux
27:45 qu'on porte en nous, et qui est une sorte d'espace,
27:48 ou d'espacement de toutes les voix qu'on a en nous,
27:51 qui miraculeusement se réunissent à partir de ce vide pour former une voix.
27:56 Alors que dans le béguement, ce qui se passe,
27:58 c'est au fond un écart.
28:00 C'est pas tellement un espace ou un espacement
28:03 qui creuse ce que j'imagine être ma voix,
28:06 ce que je fantasme être ma voix une ou unifiée,
28:09 mais c'est plutôt un écart temporel,
28:12 comme si au fond...
28:14 Il y a un texte magnifique qu'on cite,
28:18 "Attribué à Aristote", ou "pseudo-Aristote", comme on dit,
28:21 dans lequel il dit à la fois que le béguement, c'est le propre de l'homme,
28:27 ce qui est quand même assez incroyable,
28:29 sachant qu'il y a cette formule célèbre qu'on doit à Aristote,
28:34 qui dit que l'homme, c'est le seul parmi les vivants,
28:39 les animaux, plutôt les vivants,
28:41 puisque c'est le "zoon",
28:42 le seul parmi les êtres vivants qui a le langage.
28:46 Mais là, dans ce texte attribué au pseudo-Aristote,
28:49 on va pas rentrer dans les questions d'attribution,
28:51 ce qu'on lit, ce qu'on entend,
28:55 c'est que le propre de l'homme, c'est le béguement,
28:57 c'est-à-dire, en fait, c'est cet écart,
28:59 ou ce que je serais tenté d'appeler une sorte de différentiel de vitesse
29:04 entre un vouloir dire, ce qu'on veut dire,
29:08 et le dire lui-même.
29:10 Donc un différentiel de vitesse, pour le dire très simplement,
29:13 entre la pensée, la pensée qui cherche à se dire,
29:16 et la voix qui le dit.
29:20 Et ce différentiel de vitesse, ou cet écart,
29:23 c'est ça qu'on entend dans le béguement,
29:25 c'est ça que Gérasim Luka fait jouer de manière absolument virtuose.
29:29 Et donc, on s'est beaucoup intéressés à cette écriture de Gérasim Luka,
29:37 cette écriture dans laquelle Gilles Deleuze voyait, au fond,
29:42 un béguement qui n'est pas seulement de l'ordre de l'accident individuel,
29:49 mais un béguement qui devient en quelque sorte structurel,
29:53 enfin, qui se produit au niveau même du langage.
29:55 On l'entend très bien dans l'extrait que vous nous avez fait écouter.
29:59 Dans ce béguement, donc, dans cette voix qui se cherche,
30:03 cette voix qui est à la fois en retard sur elle-même et en avance sur elle-même,
30:06 donc dans cette voix qui est tirée vers l'avenir et vers le passé,
30:11 et bien dans cette voix désynchronisée d'elle-même, au fond,
30:14 ce qu'on entend, c'est des bribes de sens qui jaillissent de partout.
30:18 Et ça m'a beaucoup ému parce qu'en l'écoutant,
30:21 j'ai pensé à quelqu'un qui m'est très cher,
30:24 peut-être écoute-t-il cette émission d'ailleurs,
30:26 c'est le compositeur Georges Aperguis,
30:29 qui a ce même accent, qui roule le R.
30:34 Et j'ai vu, j'étais aussi très ému de voir qu'à la fin du livre de Cécile Adjali,
30:39 eh bien, Georges Aperguis s'est remercié, un des remerciements très émouvant.
30:44 "Merci à Georges Aperguis dont les voix m'ont accompagné, écrivez-vous."
30:49 J'étais très touché par ça.
30:50 Moi, j'ai travaillé beaucoup avec Georges Aperguis
30:53 pour un livret d'opéra notamment.
30:54 Et Georges Aperguis, c'est quelqu'un qui,
30:57 non seulement a une admiration immense pour Garzim Luka,
31:00 mais qui, au fond, dans son œuvre, dans sa musique,
31:04 eh bien, met en scène, travaille avec ce même type de bégayement,
31:12 enfin, ce bégayement ontologique, j'ai envie de dire, ou structurel,
31:16 qui est la source du sens et du non-sens, où les deux se confondent en quelque sorte.
31:21 - Cécile Adjali, sur le bégayement, sur la musicalité aussi,
31:25 j'imagine, ça vous fait réagir.
31:26 - En tant que lectrice, tout simplement, la pub belle des littératures
31:30 se situe toujours dans cet intervalle-là entre le vouloir dire
31:35 et ce qu'on parvient à dire au bout du compte.
31:37 Moi, je pense à la syntaxe, au rythme épileptique de Dovtoevski,
31:42 à la répétition chez Kierkegaard, au lapsus d'un Sganarelle,
31:46 au bégayement de Loki dans le fameux monologue d'« En attendant Godot »,
31:50 aussi au personnage féminin de Sarah Kane, qui sont des personnages qui bégaient.
31:56 Je pense à l'héroïne de « Anéantie ».
31:58 Donc, les plus grandes œuvres rangées dans notre bibliothèque
32:02 sont des œuvres qui bégaient.
32:04 Donc, c'est peut-être lui qu'il faut rechercher au bout du compte, le bégayement.
32:08 - Le bégayement qui nous fait penser, qui nous fait réfléchir.
32:12 On l'a bien compris.
32:13 Alors, on part aussi dans la voix par ailleurs.
32:17 Le lapsus bégayement, ça c'est tous les jours, c'est mon quotidien.
32:20 La voix par ailleurs de Peter Zendi et Laura Odello.
32:23 On parle aussi du chuchotement, des cris, bien sûr.
32:27 Et peut-être pour finir sur cette musicalité, aussi,
32:30 Peter Zendi, assez brièvement,
32:33 la musique, elle se retrouve dans la voix tous les jours, tout le temps,
32:37 dès qu'on s'exprime, c'est très musical.
32:39 - Oui, vous savez, pour moi, la musique à laquelle j'ai consacré
32:44 et je continue de consacrer une bonne partie de ma vie,
32:48 de mon temps en tant que musicologue,
32:50 pour moi, ça reste un mystère.
32:52 Et je ne sais pas très bien,
32:53 je le dis là en improvisant, vraiment, en répondant à votre question,
32:59 je ne sais pas très bien si dans la voix, on entend de la musique ou de la musicalité,
33:03 ou bien si dans la musique, on entend de la voix, de la vocalité.
33:07 Et finalement, après avoir beaucoup réfléchi en duo avec Laura Odello
33:13 sur ce qu'est la voix,
33:15 je me dis qu'au fond, c'est un énigme, une énigme, c'est un mystère.
33:20 Qu'est-ce que ça veut dire d'avoir une voix, de parler avec une voix ?
33:26 Et puis finalement, la musique, la musicalité aussi,
33:30 c'est vraiment une énigme que je ne saurais pas définir.
33:33 - Et c'est peut-être l'objet de votre prochain livre, en tout cas, Peter Zendi.
33:36 Merci beaucoup d'avoir été avec nous.
33:37 La voix par ailleurs aux éditions de minuit,
33:40 Ventriloquie, Béguément et autres accidents avec Laura Odello.
33:44 Je vais juste terminer, puisque nous sommes dans l'opération
33:47 un quart d'heure de lecture organisée par le Centre national du livre, le CNL,
33:51 l'événement symbolique qui vise à remettre la lecture au cœur de notre quotidien,
33:54 ce qu'on fait tous les jours ici dans le book club.
33:56 Cécile Adjali, qui vous a donné envie de lire ?
33:59 Un auteur, une professeure, quelqu'un en particulier ?
34:04 - Non, je n'ai pas eu dans le secondaire des super professeurs.
34:09 C'était justement l'absence de maîtres et de modèles
34:15 qui m'ont poussée à aller toute seule dans les bibliothèques chercher de la poésie.
34:19 Et j'ai jeté mon dévolu parce que j'avais 17 ans sur Rimbaud.
34:23 - Évidemment, on parlera poésie vendredi d'ailleurs.
34:26 Merci beaucoup, Cécile Adjali, d'être venue dans notre studio.
34:28 La nuit est mon jour. Préférez votre roman aux éditions Acteside.
34:33 Merci à tous les deux.
34:34 - #BookClubCulture
34:37 - Et on va donc poursuivre avec les quadritèmes de Charles Denzig.
34:42 Et d'ailleurs, dans un instant, on va entendre l'épilogue de ce book club.
34:45 On va entendre, vous allez entendre Peter Zendi et Cécile Adjali, votre propre voix.
34:50 Voilà, ça, c'est notre supplice.
34:52 Ne dites pas mon Dieu.
34:53 Charles Denzig nous parle de Shakespeare.
34:55 - Falstaff est gros, c'est dit par Shakespeare.
34:59 Il est aussi un gros vieux, ce qui n'est pas dit, mais que nous pouvons déduire.
35:03 Falstaff doit avoir entre 50 et 60 ans, ce qui est relativement âgé pour son siècle.
35:09 Gros, vieux et fêtard.
35:11 Il passe son temps dans les tavernes, un soifard, un ventard.
35:15 On le dit comique.
35:17 Je le trouve triste.
35:18 Il pratique une fausse allégresse.
35:20 Qu'est-ce qu'un vieux fêtard, sinon un blasé, un ricaneur, un flasque ?
35:25 Falstaff est accompagné, au début de la trilogie d'Henri IV, où il apparaît principalement, par un mince.
35:31 Voici un motif connu.
35:33 Le gros et le maigre.
35:34 Le maigre, disons donc mince, est le prince Hal, un merveilleux personnage, le dauphin futur Henri V.
35:41 On est mince dans sa famille, la maison de Lancastre.
35:44 Son grand-père, Jean de Gant, s'appelle en anglais John of Gaunt et Gaunt, en anglais, veut aussi dire décharné.
35:53 Je ne cherche pas à faire le malin à peu de frais sur des noms propres.
35:55 J'insiste sur un fait que Shakespeare mentionne lui-même, à savoir que la noblesse doit être svelte.
36:01 Nous sommes en 1400 avec des rois encore très chrétiens, maigres comme des croix.
36:08 C'est environ deux siècles plus tard que les rois s'épaissiront.
36:11 Regardez Henri VIII, le père de la reine Élisabeth, sous laquelle écrit Shakespeare.
36:16 Regardez le dernier roi d'Egypte, Farouk.
36:19 Falstaff est un membre de la petite noblesse.
36:23 Jeune, il était mince, mais voilà, il a négligé les devoirs de sa naissance, s'est laissé aller, agrossi.
36:29 Quand le prince Al lui donne du service dans l'armée, cela le fait marcher et il mincit un peu, mais pour à nouveau se laisser aller et redevenir le gros et lâche Falstaff.
36:40 Lors de la bataille de Shrewsbury, où il sert comme officier, il met une bouteille d'alcool à la place d'un pistolet dans son fourreau.
36:48 Et servir est beaucoup dire. Il fait semblant d'être mort plutôt que de se battre dans un combat risqué.
36:54 Il est de plus malhonnête, se servant du recrutement pour se faire payer.
36:57 Tout ce qu'il cherche, c'est la survie.
36:59 On connaît sa fameuse réplique.
37:02 L'honneur peut-il réparer une jambe ? Non.
37:04 Un bras ? Non.
37:05 Soulager la douleur d'une blessure ? Non.
37:08 Ainsi, l'honneur ne connaît rien à la chirurgie ? Non.
37:11 Qu'est-ce donc que l'honneur ? Un mot.
37:13 Il n'a pas tort. L'honneur est un rêve.
37:16 Il est dangereux. Faisant tout pour rester en sécurité, Falstaff est donc fatalement gros puisqu'il préfère bien manger et bien boire.
37:23 Presque toutes les images attachées à son personnage ont trait à la nourriture et à sa jouissance.
37:30 Lard, bœuf, beurre, chapon, sucre.
37:33 S'il reprend la figure connue du gros lâche et dont la grosseur est expliquée par la lâcheté, Shakespeare ne va pas jusqu'à la facilité de l'opposer au mince prince Hal.
37:44 L'opposition réelle se situe entre Hal et le révolté Oatespur et c'est parce qu'il l'a vaincu, plus que parce qu'il s'est détourné de Falstaff, qu'il peut devenir un grand roi.
37:54 Falstaff n'est qu'un obèse de passage.
37:57 Ce gros est d'un mince intérêt.
37:59 On remercie évidemment Charles Danzig et toute l'équipe du Book Club.
38:03 Oriane Delacroix, Zora Vignier, Jeannette Grappard, Didier Pinault, Alexandre Halabékovitch, Thomas Beau réalise cette émission et à la prise de son ce midi, Ruben Karmazine.
38:11 On termine comme tous les jours avec l'épilogue.
38:14 Cette nasse d'où je pars, c'est peut-être avant tout une voix, quelque chose de pas intellectuel du tout, quelque chose qui part de la cave.
38:23 C'est là que se trame ce mystère qu'on essaye d'explorer, qui est le fait qu'on a une voix.
38:29 Qui part dans le vide et qui ne recueille aucun écho.
38:34 Avoir une voix, c'est au fond quelque chose de fou.
38:36 Mais Houston ne l'entend plus. La communication est interrompue.

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