L'interview d'actualité - Lauren Bastide

  • l’année dernière
Pour marquer cette journée internationale des droits des femmes, c’est la créatrice du podcast « La poudre » et autrice de « Futur : comment le féminisme peut sauver le monde », Lauren Bastide qui accepté notre invitation. Les fondations du patriarcat sont-elles branlantes ? C’est la question qui a été posée à cette militante convaincue que les droits des femmes avancent dans le bon sens : « La société a pris conscience de certains sujets qui étaient encore invisibles notamment dans les médias il y a quelques années comme la violence sexuelle grâce au mouvement #MeToo mais aussi les féminicides, les stéréotypes de genre… Les mentalités avancent ». En revanche, elle tire la sonnette d’alarme sur les violences conjugales qui n’ont pas désempli malgré la prévention et les dispositifs d’aide aux femmes battues : « On en est à 24 féminicides depuis le début de l’année. C’est beaucoup trop. Les plaintes pour violences conjugales augmentent. Il y a très peu d’auteurs de violences qui sont traités par la justice » commente notre invitée. Ce 8 mars 2023, Lauren Bastide sera à la tête du cortège pour manifester et faire entendre la voix des femmes. Pourquoi ce rassemblement est-il essentiel ? La réponse avec Lauren Bastide.
Transcript
00:00 - Bonsoir à tous, bienvenue à la salle de presse,
00:02 c'est 8h14, c'est l'interview d'actualité.
00:04 Julia, vous recevez ce matin Lorraine Bastide,
00:06 qui est journaliste et créatrice du podcast "La Poudre"
00:09 et auteur de "Futur. Comment le féminisme peut sauver le monde"
00:13 publié chez Alari Éditions. Bonjour et bienvenue.
00:15 - Bonjour Lorraine Bastide, merci d'avoir accepté notre invitation
00:18 en ce 8 mars, lors de la journée internationale des droits des femmes.
00:23 Selon vous, justement, première question très large,
00:26 on en est où en termes de droits des femmes ?
00:29 - Eh bien, parce que je pense que la société, ces dernières années,
00:33 a vraiment pris conscience de certains sujets qui étaient encore
00:35 complètement invisibles, notamment dans les médias il y a quelques années,
00:38 notamment les violences sexuelles grâce au mouvement #MeToo,
00:41 mais aussi le féminicide, les stéréotypes de genre, donc on a avancé.
00:45 - Les mentalités avancent, mais dans les faits.
00:47 - Les mentalités avancent, mais dans les faits.
00:48 Malheureusement, les choses changent peu, elles ont même parfois l'air de s'empirer.
00:52 On en est à 24 féminicides depuis le début de l'année,
00:55 c'est encore évidemment beaucoup trop.
00:57 - 246 en 2022.
00:59 - Oui, voilà, les plaintes pour violences conjugales augmentent,
01:02 il y a toujours très peu d'auteurs de violences qui sont traitées par la justice,
01:07 les inégalités persistent.
01:08 - Pourquoi elle est si importante pour vous, la journée du 8 mars ?
01:11 Pourquoi c'est important d'aller dans la rue comme vous allez le faire aujourd'hui ? Pourquoi ?
01:15 - Manifester déjà, c'est important, parce que ça permet de se rappeler
01:17 qu'on n'est pas seul et qu'on est nombreux et nombreuses à porter ces combats,
01:21 à vouloir une société plus égalitaire.
01:24 Et puis le 8 mars, c'est aussi un intérêt médiatique.
01:26 Je pense qu'il y a beaucoup d'avancées qui ont été obtenues ces dernières années
01:29 grâce au 8 mars où les féministes, d'un seul coup, on nous tend le micro,
01:32 on s'intéresse à nos revendications, on rappelle ces chiffres qu'on oublie sinon.
01:36 Donc c'est important, même si c'est évidemment trop peu, ça devrait être toute l'année.
01:40 - Nous sommes dans un contexte évidemment extrêmement particulier en ce 8 mars,
01:43 avec la réforme des retraites.
01:45 Dans la rue aujourd'hui, il y a des associations féministes
01:47 qui demandent le retrait du texte qui est jugé injuste pour les femmes.
01:51 Les syndicats appellent carrément à une grève féministe historique.
01:55 C'est quoi votre position sur le sujet, notamment par rapport aux femmes et à la retraite ?
01:59 - Je trouve que c'est vraiment génial que les luttes convergent en ce 8 mars.
02:03 Au contraire, ça n'invisibilise pas du tout les luttes féministes.
02:06 Ça montre que ce sont des luttes qui sont évidemment des luttes sociales,
02:09 ce sont aussi des luttes écologistes.
02:12 Et la retraite, la réforme des retraites va pénaliser les femmes,
02:16 les personnes les plus pauvres plus que les personnes les plus riches.
02:19 Et parmi les plus pauvres, il y a une majorité de femmes.
02:21 On sait qu'aujourd'hui, les femmes à la retraite touchent infiniment moins
02:24 que les hommes à cause des discriminations au fil de leur carrière.
02:28 - Différence de salaire, de choix de métier qui sont moins rémunérateurs,
02:31 comme l'a dit Axel de Tardy tout à l'heure.
02:32 - Beaucoup plus de métiers précaires, de temps partiels,
02:34 les carrières s'arrêtent plus tôt.
02:36 Il y a aussi tous les métiers du soin, les métiers d'accompagnement
02:38 qui sont des métiers très pénibles physiquement et qui ne sont pas reconnus.
02:41 Donc évidemment que cette grève et cette lutte sociale est aussi une lutte féministe.
02:48 - Alors à l'occasion de la journée internationale des droits des femmes,
02:51 Elle Born a déjà annoncé certaines mesures pour lutter contre les violences conjugales.
02:55 Elle prévoit notamment la création de 200 pôles spécialisés dans les tribunaux.
02:59 Elle souhaite également doubler le nombre de maisons des femmes
03:02 et veut la mise en place d'un fichier des auteurs de violences.
03:04 Qu'est-ce que vous pensez pour le moment de ces annonces ?
03:06 Est-ce que c'est suffisant pour lutter contre les féminicides et les violences conjugales ?
03:10 - Alors suffisant, certainement pas.
03:12 On sait que les associations féministes réclament un milliard d'euros
03:15 pour lutter contre les violences.
03:16 Ce milliard n'est toujours pas là.
03:18 Ce sont des mesures qui sont évidemment importantes,
03:21 qui vont probablement permettre à certaines femmes d'échapper aux violences.
03:24 Mais ce sont des mesures d'urgence.
03:26 Ce qu'il faut, c'est des mesures de fond.
03:28 C'est un changement complet de paradigme
03:31 pour qu'on cesse de créer des hommes pour qui les violences sont un réflexe,
03:37 pour qu'on cesse de créer des femmes qui sont dans la soumission.
03:41 Et puis ce qui est important aussi, c'est de permettre aux femmes d'être autonomes économiquement.
03:44 Parce que même si on va pouvoir répondre à l'urgence en leur proposant un logement temporaire,
03:49 si elles n'ont pas l'argent, l'autonomie, l'indépendance pour pouvoir quitter leur foyer,
03:53 pour pouvoir se réinventer une vie ailleurs,
03:55 ces mesures-là ne serviront à rien.
03:57 - Alors dans votre livre, vous dites carrément que le féminisme peut sauver le monde.
04:00 Expliquez-nous comment, pourquoi ?
04:02 - Alors c'est vrai qu'on a souvent l'impression que le féminisme ne traite que des hommes et des femmes,
04:07 des inégalités de genre,
04:09 alors qu'en réalité, depuis plusieurs décennies, voire plusieurs siècles,
04:12 les penseuses féministes pensent tous les pans de la société.
04:16 Le féminisme réfléchit au travail, à la justice, à la santé, à la famille, au logement,
04:21 évidemment aussi à l'environnement.
04:23 Donc ce que j'ai voulu dans ce livre, c'est montrer que finalement,
04:25 s'intéresser à ce que les penseuses féministes avaient produit,
04:28 ça permet en fait de réformer complètement la société,
04:31 de repenser chaque pan de notre société,
04:34 et de construire un monde meilleur,
04:36 où notamment on pense en termes de soins, d'empathie, de durabilité,
04:40 et voilà, je pense que c'est un monde où on ne serait pas trop bémol.
04:43 - Et c'est ce que vous faites très bien d'ailleurs dans votre podcast "La Poudre",
04:46 qu'on peut retrouver en exclusivité sur Spotify, votre dernier épisode,
04:50 avec une femme passionnante, historienne et féministe qui s'appelle Michelle Perrault.
04:55 Qu'est-ce que l'histoire peut nous enseigner à propos du féminisme ?
04:58 Je crois que le matrimoine a été totalement oublié.
05:01 - Complètement, et d'ailleurs j'adore que vous employiez ce mot "matrimoine",
05:04 qui est un néologisme féministe, mais qui dit bien ce qu'il veut dire.
05:09 Ce que montrent notamment Michelle Perrault,
05:11 mais aussi beaucoup d'historiennes du féminisme et des femmes,
05:13 c'est que les femmes sont effacées.
05:15 Systématiquement, il y a comme un oubli.
05:17 Quand une femme marque l'histoire par son art, par ses prises de décision, etc.,
05:22 généralement au bout de quelques générations, son nom disparaît des registres.
05:26 Donc il y a tout un travail à faire d'archivage de vécu,
05:30 - De réhabilitation.
05:31 - De réhabilitation, de rappeler aussi que les combats qu'on porte aujourd'hui
05:34 ont été portés autrefois par des générations de femmes précédentes.
05:38 Et dans "La poutre", j'essaye de faire ça, de graver ces voix pour pas qu'on les efface.
05:42 - Alors parmi les grandes féministes de l'histoire, il y a Gisèle Halimi.
05:45 Un hommage national est organisé aujourd'hui en sa mémoire.
05:49 Qu'est-ce que vous retenez de son combat ?
05:52 - Gisèle Halimi, elle a déterminé à peu près tout ce qui se produit aujourd'hui pour nous.
05:57 Elle a été la première à parler du viol comme quelque chose de systémique.
06:04 Elle a été déterminante dans les violences sexuelles en tant qu'avocate.
06:07 Évidemment, elle a aussi agi sur l'IVG, avec ce fameux procès de Bobigny
06:11 qui a tout changé pour les femmes.
06:13 - L'IVG qui est tout à fait dénoncé aux États-Unis.
06:17 - Qui est complètement remis en cause.
06:19 - C'est pas gagné.
06:20 - Qui montre aussi que nos acquis sont très fragiles et qu'il va falloir les protéger dans les années à venir.
06:23 Parce que ce qui arrive aux États-Unis, ça pourrait tout aussi bien arriver en France aujourd'hui.
06:27 Mais ce que je trouve important de rappeler, c'est que Gisèle Halimi, à l'époque,
06:29 elle a été très critiquée, elle était très attaquée.
06:32 Elle a été vue comme quelqu'un d'extrêmement radical.
06:35 Et je trouve qu'aujourd'hui, de vouloir l'institutionnaliser, c'est une bonne chose.
06:40 - C'est merveilleux, mais il ne faut pas oublier qu'à l'époque,
06:42 elle a été attaquée et critiquée comme les féministes dites radicales d'aujourd'hui
06:46 et qu'on est véritablement ses héritières.
06:48 - Eh bien, merci beaucoup Lorraine Basti d'avoir été notre invitée.
06:51 Je rappelle votre livre "Futur", comment le féminisme peut sauver le monde.
06:59 Et c'est publié chez Alari Éditions.
07:01 Je vous profite aussi pour rappeler le 3919, c'est le numéro national
07:04 pour les femmes victimes de violences et c'est accessible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.
07:09 Merci. - Merci Julia.

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