Le témoignage intégral de Marina De Van, ex-addicte à la cocaïne

  • l’année dernière
Marina De Van, réalisatrice, auteure de "Stéréoscopie" et ex-addicte à la cocaïne, livre son témoignage ce vendredi soir, en direct sur BFMTV.
Transcript
00:00 -Votre témoignage, Marina Devane, bonsoir.
00:02 Vous êtes réalisatrice, auteure de stéréoscopies
00:04 aux éditions Alia.
00:05 Vous êtes ancienne toxicomane, vous avez réussi à vous en sortir.
00:09 Pendant combien de temps avez-vous été dépendante à la drogue ?
00:13 -Bonjour. Il y a eu deux phases, en fait.
00:17 Il y a eu une première phase quand j'avais 30 ans,
00:20 qui a duré sur quelques mois de manière vraiment très intense,
00:26 avec des quantités de cocaïne telles que je ne pouvais plus marcher,
00:29 je ne pouvais plus rien faire.
00:31 Et puis, j'ai arrêté pendant des années, j'ai arrêté seule.
00:35 Et c'est reparu en 2009.
00:38 Oui, 2009.
00:40 Et là, ça a duré jusqu'en 2015.
00:42 Et voilà.
00:45 Toujours avec des quantités assez impressionnantes de drogue.
00:48 Et voilà.
00:50 -Qu'est-ce qui fait que vous avez replongé ?
00:52 -Alors, ce qui fait, c'est qu'en fait, quand vous êtes addicte,
00:59 vous êtes persuadé que vous allez vivre du bonheur
01:02 quand vous allez prendre la substance.
01:04 Vous vous rappelez des premières fois,
01:06 parce qu'en fait, c'est seulement les premières fois
01:08 qui sont vraiment jouissives.
01:10 Mais ensuite, le cerveau, je ne sais pas ce qu'il fait,
01:12 je ne sais pas comment il s'en incommode,
01:13 mais en tout cas, le plaisir n'est plus le même.
01:16 Et en fait, on prend de plus en plus de quantités
01:19 pour courir derrière ce plaisir.
01:22 Et quand on arrête, quand on n'a pas eu un déclic
01:26 sur la volonté de mettre fin à ça dans sa vie,
01:30 tant qu'on n'est pas arrêté, on a toujours ces souvenirs
01:32 qui sont comme des faux souvenirs d'une idylle,
01:35 de quelque chose de paradisiaque,
01:37 avec laquelle c'était formidable.
01:39 Alors qu'en vérité, quand du coup, vous craquez et que vous prenez,
01:42 vous êtes frustré, donc vous rachetez, vous reprenez.
01:45 C'est un engrenage, c'est une quête du plaisir
01:47 qui est vouée à échouer.
01:49 Et donc, vous êtes comme un animal, quoi,
01:53 qui court derrière ses croquettes.
01:54 Vous êtes vraiment...
01:55 Et puis un jour, vous vous réveillez.
01:58 -Est-ce que ça vous arrivait, quand vous preniez de la drogue,
02:00 de parfois mettre en danger les autres,
02:02 ce qui est le cas dans l'histoire de Pierre Palmade ?
02:04 L'impression d'être surpuissant, de tout contrôler,
02:07 et peut-être, après, de créer un drame ?
02:10 -Alors, ça ne m'est pas arrivé.
02:14 C'est-à-dire que l'impression de surpuissance
02:16 et d'être la meilleure version de moi-même,
02:21 j'avais ça,
02:23 mais ça ne se reportait pas sur des actions
02:24 qui pouvaient abîmer les autres.
02:26 C'est-à-dire que j'ai jamais pris le volant,
02:29 je crois que j'ai jamais rien fait,
02:31 j'ai jamais frappé personne,
02:33 j'ai jamais volé personne,
02:34 j'ai jamais violé personne.
02:36 Donc non, moi, c'était vraiment, de l'ordre de la relationnelle,
02:41 le bénéfice que j'avais,
02:42 mais j'éprouvais pas forcément le besoin
02:44 de sortir de l'endroit où j'étais pour aller ailleurs.
02:48 Et je pense même que je n'aurais pas pu le faire
02:50 parce que moi, je voulais absolument
02:52 prendre la dose suivante toutes les 15 minutes.
02:55 Donc, un trajet en voiture, c'est pas possible.
02:57 Il aurait fallu s'arrêter sur le bord du trottoir tout le temps.
03:00 -Et maintenant, la question que tout le monde se pose,
03:02 comment vous vous en êtes sortie ?
03:03 Comment vous avez fait ?
03:05 -Ah !
03:06 Eh ben, la 1re fois, je m'en suis sortie en m'enfermant
03:09 et en mangeant des Grands Flex
03:11 et en regardant "Hollywood Story",
03:12 qui était une émission que j'aimais bien à l'époque.
03:14 Ça, c'était la 1re fois.
03:15 Donc, uniquement par une décision de "ça suffit".
03:19 Et puis, quand j'ai replongé que ça s'est aggravé,
03:23 donc dans les années les plus récentes,
03:25 sachant que j'ai arrêté en 2015,
03:28 à ce moment-là, j'ai...
03:30 Attendez, j'ai oublié votre...
03:32 -Qu'est-ce qui m'avait envie d'arrêter ?
03:34 -Oui.
03:35 Voilà, voilà.
03:36 Et en fait, sur cette dernière période après 2009,
03:41 je ne m'en suis pas sortie seule,
03:43 c'est-à-dire que j'ai été accompagnée,
03:45 pas par un seul thérapeute, par 3 thérapeutes.
03:48 J'ai été vraiment accompagnée presque quotidiennement.
03:51 J'ai fait 9 cures dans une clinique,
03:55 la clinique Montevideo à Boulogne.
03:57 Et sans les thérapeutes, je ne m'en serais pas sortie.
04:01 J'étais dans une spirale tellement effrénée
04:05 que si j'avais pas eu des gens pour me dire
04:07 "Attention, tu crois que tu t'amuses,
04:09 mais en vérité, tu souffres,
04:11 en vérité, c'est pas...
04:13 Tu vis un cauchemar, mais tu t'en rends pas compte",
04:15 et à force d'entendre des paroles allant dans ce sens des thérapeutes,
04:19 ça combiné aux médicaments,
04:21 ça m'a permis de finalement m'en sortir
04:22 et de... J'ai jamais rechuté.
04:24 -Vous dites que c'était aussi difficile
04:26 qu'au service d'addictologie de Villejuif, par exemple,
04:28 vous trouviez qu'ils étaient très infantilisants.
04:30 -Ah, ça, c'était...
04:31 Oui, infantilisant et puis irresponsable,
04:35 puisque moi, ce que j'ai pas aimé au service de Villejuif,
04:37 c'est que le psychiatre, on la voyait un quart d'heure,
04:41 tous les lundis matins, en présence de 9 étudiants
04:43 qui prenaient des notes.
04:44 Qu'est-ce que vous voulez faire en un quart d'heure par semaine
04:46 pour une personne qui souffre, qui a une addiction,
04:49 qui a une addiction,
04:51 l'addiction, c'est un symptôme, donc il y a un terrain,
04:54 je sais pas si c'est neurologique, psychologique, psychiatrique,
04:57 mais en tout cas, il y a un terrain.
04:58 Donc, avoir simplement un quart d'heure de conversation par semaine
05:03 avec la psychiatre chargée de moi,
05:08 moi, je pouvais pas le tolérer,
05:09 j'avais besoin d'un accompagnement beaucoup plus sérieux
05:12 que j'ai trouvé à la clinique Montevideo,
05:14 mais bien sûr qu'une clinique privée, donc qui était payante,
05:16 c'est pas accessible à tout le monde.
05:18 -Oui, ça vous a coûté combien ?
05:19 C'est quel budget pour s'en sortir ?
05:22 -Je ne sais pas, c'est ma mère qui a fait un emprunt bancaire
05:26 pour financer cette cure.
05:28 Et ensuite, pour les cures suivantes,
05:33 la clinique a eu la gentillesse de me faire le tarif
05:35 sécurité sociale, donc je n'avais plus de problème pour payer ça.
05:39 Mais en tout cas, moi, je ne m'en serais pas sortie
05:43 si je n'avais pas eu la possibilité tous les jours
05:46 d'envoyer un texto à un thérapeute, de dire "là, je me sens mal,
05:49 là, j'ai une envie pressante, qu'est-ce que je fais,
05:52 qu'est-ce que ça veut dire, comment faire pour que ça passe ?"
05:57 Et je recevais toujours la réponse,
05:59 quel que soit le jour, l'heure, le week-end, le machin,
06:03 j'ai reçu un accompagnement merveilleux de tous les instants,
06:07 et j'étais très fragile, et puis je m'en suis sortie superbement.
06:12 Et depuis, ce qui est bien aussi, c'est qu'il y a des gens qui s'en sortent,
06:15 mais qui continuent à lutter, qui vont tous les jours
06:17 aux alcooliques anonymes, aux narcotiques anonymes,
06:19 pour qui ça continue d'être un combat et une tentation.
06:22 Moi, la chance que j'ai, c'est que quand j'ai arrêté,
06:24 c'est quand j'ai compris à quel point je souffrais,
06:28 et je n'ai jamais eu à me battre pour éviter les rechutes.
06:31 C'est-à-dire que c'est très facile pour moi,
06:34 aussi bien la cocaïne que l'alcool.
06:36 Je peux être dans des soirées avec de la cocaïne, de l'alcool,
06:38 je m'en fous complètement, je ne suis pas attirée,
06:41 je ne suis pas intéressée, cette période de ma vie est close.
06:45 Et elle était finalement rétrospectivement très désagréable,
06:48 et non pas jouissive, comme je le croyais.
06:50 Et ma vie d'aujourd'hui, avec la sobriété, est bien meilleure.
06:54 Donc voilà.
06:55 Mais en tout cas, il faut être accompagnée, je pense, pour s'arrêter.
06:58 Ne serait-ce que pour entendre que c'est raisonnable de s'arrêter,
07:03 parce que vous n'en avez pas conscience, vous vous dites
07:04 "Oui, je fais encore ce soir, mais demain, je ne prendrai pas.
07:07 Oui, mais là, pendant le week-end, je n'ai pas pris, donc là, je peux."
07:11 Vous arrêtez de faire ces petites négociations
07:12 pour masquer que vous êtes complètement addicte,
07:15 et vous prenez conscience que vous êtes dans une situation
07:18 qui est une planche savonneuse où vous allez en fait vers la mort,
07:21 vers les accidents et la mort.
07:22 Et moi, ce qui m'a beaucoup aidée aussi,
07:24 c'est que j'ai eu plusieurs accidents physiques
07:26 suite à ma consommation de drogue,
07:28 et que là, j'ai entendu que mon corps me disait
07:31 "Je vais lâcher, je vais te lâcher."
07:33 Et donc, parce qu'il n'y a pas que la mort,
07:35 l'overdose, il n'y a pas que la mort,
07:36 vous pouvez vous retrouver paraplégique, hémiplégique,
07:40 faire un AVC et vous retrouver comme ça
07:42 dans un fauteuil roulant pour le reste de votre vie.
07:44 Des choses comme ça, des pensées comme ça,
07:46 qui me sont venues tardivement,
07:48 m'ont aidée aussi à me dire que je souhaitais pour moi-même
07:51 un meilleur futur que cette espèce d'explosion en pleine route.
07:56 -Vous nous avez raconté comment vous vous en êtes sortie,
07:59 vous nous avez expliqué aussi comment vous avez replongé en 2009,
08:02 mais si on remonte au tout début de l'histoire,
08:04 qu'est-ce qui fait qu'à 30 ans,
08:06 vous commencez à prendre de la drogue ?
08:08 Vous êtes artiste, est-ce que c'est ce milieu-là
08:10 qui favorise ce type d'excès ?
08:12 Est-ce que vous faites le lien ou pas ?
08:14 -Non, parce que j'ai découvert ça, en fait,
08:18 dans une soirée en 2001, je pense.
08:22 Oui, non, même avant.
08:24 Enfin bon, je me rappelle plus la date exacte,
08:26 mais autour de 2000.
08:28 Et en fait, c'était des amis
08:31 qui n'avaient rien à voir avec le cinéma.
08:32 Moi, j'ai pas été confrontée tellement dans le cinéma à la drogue.
08:37 Et donc, c'était un autre milieu,
08:40 d'autres genres de profession, etc.
08:42 Mais ça se fait lentement, parce que la première,
08:44 je me rappelle, la première ligne, j'ai rien senti.
08:46 Je me suis dit, ça fait rien.
08:48 La deuxième ligne, j'ai commencé à avoir le plaisir,
08:50 et puis j'ai continué comme ça dans des soirées avec ces gens.
08:53 Et le plaisir est devenu de plus en plus grand, à mes yeux.
08:57 Et puis, c'est ensuite que la chute commence
09:01 et que le plaisir devient de plus en plus fuyant.
09:03 Mais au début, il y a une idylle avec la substance.
09:07 Avec la drogue, c'est la lune de miel.
09:09 Et malheureusement, pas malheureusement, elle se finit,
09:13 puisqu'il vaut mieux qu'elle se finisse
09:14 pour qu'on puisse arrêter de se détruire le cerveau.
09:17 Mais en tout cas, d'un point de vue personnel,
09:20 on se dit, mais merde, c'est plus aussi bien qu'avant.
09:23 C'était tellement merveilleux avant.
09:25 Enfin, voilà. Donc, je sais pas si ça répond à votre question.
09:29 -Si, ça répond très bien.
09:30 Et je vous remercie mille fois pour ce témoignage très éclairant
09:33 qui nous offre tellement de pistes.
09:34 Merci mille fois d'avoir été avec nous, Marina Devane.

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