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Comment l'Europe peut répondre à l'Inflation Reduction Act des américains? : Nadine Levratto économiste, directrice de recherche au CNRS est l'invitée de 6h20

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Transcription
00:00 Comment l'Europe compte-elle riposter aux mégasubventions américaines, près de 400
00:04 milliards de dollars, ça fait à peu près pareil en euros, pour doper les technologies
00:08 du futur ? Le sujet était au menu d'un sommet des 27 à Bruxelles.
00:12 Bonjour Nadine Levrato.
00:13 Bonjour.
00:14 Vous êtes économiste, directrice de recherche au CNRS.
00:17 Les européens ont commencé à en discuter hier, mais ils se sont quittés sans parvenir
00:21 à un accord.
00:22 Est-ce que c'est vraiment inquiétant pour l'industrie européenne ?
00:24 Alors oui, c'est inquiétant pour l'industrie européenne qui est déjà en difficulté,
00:30 notamment face aux deux géants américains et chinois.
00:34 Et depuis le sommet de Davos, l'Europe annonce un plan pour se protéger contre les conséquences
00:45 estimées dommageables de l'Inflation Reduction Act américain.
00:48 Mais pour l'instant, à part quelques pistes et les quatre grands piliers, on n'a rien
00:53 de précis à ce sujet.
00:54 Alors pour qu'on comprenne bien cet Inflation Reduction Act, cet IRA comme on dit, c'est
01:00 quoi ? C'est 400 milliards ou 370 je crois plus précisément, investis dans des technologies
01:05 vertes, c'est ça ? Alors en fait cet IRA, c'est un mix de trois
01:10 volets.
01:11 Un qui est arrivé juste après le Covid, un pilier sur la santé et celui dont on parle
01:17 est actuellement 369 milliards de dollars précisément sur le climat.
01:24 Donc en fait le titre chapeau est assez trompeur dans la mesure où l'essentiel consiste
01:33 à favoriser la production et les activités de fabrication américaine pour rebâtir un
01:41 socle industriel.
01:42 Mais dans quelques secteurs précisément, c'est pas toute l'industrie américaine ?
01:45 Non, ce n'est pas toute l'industrie américaine, ce sont les secteurs qui contribuent à la
01:49 transition énergétique et écologique.
01:51 Et ces secteurs, et le plan qui les accompagne, visent en fait à réduire les émissions
02:00 de gaz à effet de serre américain de l'ordre de 50 à 52% d'ici à 2030.
02:06 Voilà, c'est un plan extrêmement ambitieux qui mixe en fait une composante environnementale,
02:13 une composante climatique et une composante industrielle.
02:15 Et concrètement, comment il se traduit par des subventions directes aux entreprises ?
02:19 Il se traduit de différentes manières, par des subventions directes aux entreprises,
02:24 par des subventions aux consommateurs.
02:27 On a beaucoup parlé des 7500 dollars d'aide aux ménages américains qui achèteraient
02:33 des véhicules électriques fabriqués.
02:35 Alors au début, ça devait être uniquement aux Etats-Unis et puis ça a été élargi
02:39 au Canada et au Mexique, pour partie avec un caractère dégressif et par des restournes
02:48 fiscales également.
02:49 Et donc le risque, c'est quoi ? C'est que des entreprises européennes se disent
02:52 "comme il y a des subventions là-bas, je vais aller m'installer aux Etats-Unis" ?
02:55 Oui, d'autant qu'il y a déjà un mouvement inquiétant lié au prix de l'énergie,
03:02 qui est beaucoup moins cher aux Etats-Unis qu'en Europe.
03:06 Donc on a déjà vu, non pas des délocalisations directes, mais des projets qui étaient encore
03:12 en phase d'arbitrage, finalement se dirigeaient plutôt vers les Etats-Unis que vers l'Europe.
03:17 Et la crainte, bien entendu, c'est que ce mouvement s'accentue et que des entreprises
03:24 qui finalement ne sont pas territorialement ancrées en Europe se déplacent vers les
03:29 Etats-Unis.
03:30 Et quels secteurs sont les plus concernés ? L'automobile en numéro un ?
03:33 L'automobile, tout le secteur photovoltaïque, toutes les énergies renouvelables, le secteur
03:39 de la dépollution, capture de carbone, etc.
03:41 Donc tous ces secteurs dits "verts" dont on espère beaucoup de création d'emplois
03:48 puisque c'est l'industrie de la transition écologique qui est visée par ce plan.
03:54 Et donc le plan européen qui tarde à venir est mis à mal par ces décisions américaines.
04:01 Les européens sont très critiques vis-à-vis de ce plan.
04:04 Ils estiment qu'il y a distorsion de concurrence.
04:06 Que dit l'OMC ?
04:07 L'Organisation Mondiale du Commerce ?
04:08 Alors sur le fond, ils ont raison.
04:09 Sauf que ce que l'on voit, c'est qu'aujourd'hui, ni la Chine ni les Etats-Unis ne respectent
04:17 les règles de l'OMC.
04:20 Et l'Europe s'arc-boute pour essayer de les défendre.
04:25 Mais elle est bien seule.
04:26 Parce que l'OMC n'a pas les moyens de leur dire "non, vous n'avez pas le droit".
04:29 Le rapport de force n'est pas vraiment favorable.
04:33 Quand vous avez l'essentiel du commerce international qui est réalisé par la Chine
04:38 et par les Etats-Unis et que ces deux composantes ne respectent plus les règles, ça veut dire
04:44 qu'il n'y a plus de règles.
04:45 Et essayer de s'y raccrocher est un peu dérisoire face à l'urgence de la situation.
04:50 C'est qu'on est trop bon élève, c'est ça en Europe ?
04:51 Je ne sais pas si c'est être bon élève ou si c'est être trop verrouillé sur un
04:58 certain dogme et d'ailleurs même dans les quatre piliers qui ont été annoncés par
05:03 Ursula von der Leyen à Davos, le libre-échange, les accords internationaux, les accords bilatéraux
05:12 continuent de constituer un plan de défense de l'industrie européenne.
05:18 Parlons justement de ce plan, des pistes qui sont sur la table pour organiser la riposte
05:22 de l'Europe.
05:23 Il y a quoi par exemple ? C'est quoi en numéro un ?
05:25 En numéro un, c'est simplifier la réglementation pour faciliter l'installation d'usines,
05:35 donc essayer de faciliter l'entrée d'activités dans ces domaines-là.
05:41 Deuxième pilier, c'est les aides d'État, l'assouplissement du régime des aides d'État.
05:52 Alors pour très peu de temps, c'est seulement jusqu'en 2025, alors que les Américains
05:57 prévoient dix ans.
05:58 Et cet assouplissement des aides d'État qui a déjà commencé avec les projets d'intérêts
06:04 importants européens communs, en fait serait renforcé pour les secteurs qui contribuent
06:11 aux changements climatiques.
06:13 Ensuite, on a une proposition de création de fonds d'investissement européens, de
06:22 fonds d'investissement souverains, sur lequel on n'a pas vraiment d'informations.
06:26 Et puis, comme toujours, la formation et les compétences.
06:31 Mais alors, qu'est-ce qui coince ? Pourquoi les Européens n'arrivent pas à se mettre
06:33 d'accord ?
06:34 Alors, ce qui coince, c'est que surtout au niveau des aides d'État, on a vu après
06:40 le Covid déjà un assouplissement de ces aides.
06:43 Et bien sûr, ce sont les pays les plus riches qui ont pu les débloquer.
06:48 Alors, je crois, dans le bilan qui a été fait, 53% des aides ont été réalisées
06:55 en Allemagne, 24% en France, en Italie une vingtaine de pourcents aussi, et le reste
07:03 serait parti sur l'ensemble des autres pays.
07:05 Donc, on voit que ce sont les pays les plus riches qui peuvent le plus aider les entreprises.
07:10 Et ce que craignent une partie des 27, c'est que l'Allemagne, finalement, emportera encore
07:17 la victoire dans ce domaine.
07:19 Parce qu'il n'est pas possible d'imaginer une aide globale à l'échelle européenne ?
07:23 Si, c'est possible.
07:24 C'est ce qui a été fait pour gérer la crise post-Covid.
07:28 Mais pour l'instant, il n'y a pas d'accord.
07:30 Et surtout, sur le fonds qui avait été débloqué pour la crise post-Covid, une partie était
07:39 débloquée sous forme d'aide, une autre partie sous forme de prêts.
07:42 Et on voit que ces prêts n'ont finalement pratiquement pas été utilisés, sauf par
07:46 l'Italie, 120 millions d'euros, je crois.
07:49 Mais les autres pays ont été très réticents à cause du climat financier qui était trop
07:54 risqué.
07:55 Merci beaucoup Nadine Levratto pour vos explications sur cette contre-offensive européenne.
08:01 J'en perds ma voix aux mégasubventions américaines.
08:05 Je rappelle que vous êtes économiste et directrice de recherche au CNRS.

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