Ginette Kolinka, rescapée d'Auschwitz-Birkenau, publie "Une vie heureuse", un livre dans lequel elle raconte sa vie après le camp de la mort.
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00:00 Bonjour Ginette Kolanka.
00:01 Bonjour.
00:02 Vous publiez "Une vie heureuse", c'est chez Grasset.
00:05 Merci mille fois de prendre la parole ce matin sur RTL.
00:08 "Une vie heureuse", je le disais, c'est le titre de ce livre.
00:11 Quand on sait que vous avez passé trois ans dans le camp de Birkenau,
00:15 que ni votre père ni votre frère n'en sont revenus,
00:18 on est forcément interpellé par ce titre.
00:20 C'est volontairement que vous avez choisi ce titre
00:23 ou vous pensez vraiment avoir eu une vie heureuse ?
00:26 Attention, la vie heureuse c'est depuis le retour.
00:30 Mais même avant, je peux dire aussi que j'avais une vie heureuse.
00:36 C'est pendant la période de 42-45.
00:41 Là, ça ne peut pas dire que ça soit une vie heureuse.
00:44 Mais avant et après, oui.
00:46 Avant et après, et pourtant vous dites la déportation, tu y retournes.
00:50 Il n'y a pas un jour où vous n'y pensez pas ?
00:52 Non, non, il ne faut pas exagérer.
00:55 Je ne suis pas sans arrêt en train d'y penser.
01:00 Mais souvent, mais ce n'est pas triste.
01:03 Non, mais par exemple, dans le livre, vous racontez un moment
01:05 où vous croisez un bébé qui vous sourit dans la rue ?
01:07 Oui, d'accord, des petites choses comme ça, c'est vrai.
01:11 Et vous vous dites quand il rentrait dans les chambres à gaz,
01:13 si ça se trouve, les bébés souriaient.
01:15 Oui, exactement, c'est des petites choses comme ça qui font penser.
01:19 Mais il ne faut pas croire que c'est tous les jours, tous les jours.
01:21 Non, je ne suis pas tous les jours dans le camp.
01:24 Mais on ne peut pas oublier,
01:28 aucune personne qui a subi quelque chose d'important dans la vie peut effacer.
01:36 On n'efface pas, et on n'est pas obligé de vivre avec.
01:40 Mais comment on peut dire qu'on a eu une vie heureuse
01:42 quand on est comme ça hanté par ses souvenirs ?
01:45 Mais parce que, est-ce que vous avez le droit,
01:49 quand vous avez tellement de personnes de votre famille,
01:52 tellement d'amis qui n'ont pas eu cette chance d'en revenir,
01:56 est-ce que vous n'avez pas le droit de dire que vous avez une vie heureuse ?
02:01 Moi, je dis que j'ai une vie heureuse.
02:03 C'est le titre du livre, c'est peut-être pas moi qui ai choisi ce titre-là.
02:10 Mais c'est vrai, j'ai la chance d'avoir une vie heureuse
02:15 malgré une période de malchance.
02:17 C'est justement pour ça qu'elle est heureuse.
02:20 Une période de malchance, c'est comme ça que vous décrivez ces trois années ?
02:22 Eh bien oui ! D'abord, c'est pas trois ans.
02:25 Non, non, là il y a erreur.
02:27 Non, non.
02:28 Vous savez, ceux qui ont vécu trois ans,
02:32 en réalité, ils ont eu la chance d'avoir un travail
02:37 qui leur permettait de supporter trois ans.
02:41 Moi, j'ai fait un travail dans les camps,
02:45 j'ai eu la chance, on l'a encore, vous voyez, la chance
02:48 de le quitter assez tôt.
02:50 Sinon, à Birkenau, trois ans, c'était impossible de vêtre trois ans
02:56 si vous n'aviez pas la chance d'avoir un travail
02:59 qui vous permettait de tenir le choc.
03:01 Moi, mon travail, c'était le travail de terrassier.
03:06 J'ai cassé des pierres, j'ai fait des routes, j'ai installé des rails.
03:10 On n'aurait pas pu tenir trois ans avec un travail comme ça.
03:15 Surtout quand vous n'êtes pas nourri et quand vous êtes battu en plus.
03:20 - Vous faisiez ça de façon automatique, comme un robot,
03:22 vous ne pensiez plus à rien.
03:24 - C'est ça ou vous mourrez.
03:28 Alors bon, la chance que j'ai eue, c'est de ne pas mourir.
03:33 - Je reviens à "Une vie heureuse", ce titre.
03:35 "J'ai vécu avec mes possibilités, pas besoin de luxe", écrivez-vous.
03:39 "J'aurais pu avoir peut-être un magasin, une résidence secondaire,
03:42 mais ce que j'avais me suffisait, un gentil mari, un fils."
03:46 C'est ça être heureux, se contenter de ce que l'on a ?
03:50 - Vous savez, je suis très malentendante
03:54 et je n'ai pas très bien entendu ce que vous me disiez.
03:56 - Je dis, c'est ça être heureux, se contenter de ce qu'on a ?
04:00 - Mais oui, mais je n'ai pas le droit de dire que...
04:03 J'ai eu la chance de revenir et depuis, je suis heureuse.
04:11 Quand on a passé par un endroit comme ça,
04:16 on ne va pas se plaindre pour des petites...
04:18 Ça m'arrive quelquefois, à Giffroy, "Arrête Ginette,
04:23 c'est pas bon, arrête Ginette."
04:28 Mais ce n'est pas une obsession.
04:32 Et même, je le dis en riant, "Arrête Ginette",
04:36 parce que c'est vrai, on a mangé des choses tellement...
04:39 On aurait mangé n'importe quoi.
04:41 Et là, je me plains parce que c'est trop salé, c'est trop sucré,
04:45 c'est trop bon.
04:46 - Vous trouvez que les générations actuelles se plaignent trop ?
04:49 Les générations actuelles, elles se plaignent trop aujourd'hui ?
04:53 - Mais je ne peux pas me permettre de dire si elles se plaignent trop ou pas trop.
04:57 Mais j'estime que quand on a passé des choses très très très dures,
05:03 on ne doit pas se permettre de se plaindre pour des petits trucs
05:08 qui ne sont pas grand important.
05:11 Mais par contre, moi, ça n'a pas d'importance pour moi,
05:14 pour les autres, oui, c'est vrai, ça a de l'importance.
05:17 Ils savent se plaindre ou être contents.
05:20 Seulement, si tu te plains, il faut aussi savoir apprécier
05:24 ce que tu peux apprécier.
05:26 - C'est ça aussi, être heureux, apprécier le moment présent.
05:29 - Voilà, exactement.
05:32 - Dans ce livre, vous nous faites visiter l'appartement
05:35 de la rue Jean-Pierre Thimbault à Paris,
05:37 cet appartement dans lequel vous vivez depuis l'âge de 10-11 ans, je crois.
05:41 - Voilà, exact, oui.
05:42 - Que vous n'avez jamais quitté, sauf ces trois années pendant la guerre.
05:47 Pourquoi est-ce que vous êtes restée dans cet appartement ?
05:49 Il y a, j'imagine, plein de gens qui auraient dit
05:52 "ça me rappelle trop de choses, je veux m'en aller".
05:55 Vous, vous avez fait le choix d'y rester.
05:56 - Non, il faut dire aussi que s'en aller, c'est pas si facile maintenant.
06:01 Surtout quand moi je suis revenue, j'avais rien du tout,
06:06 donc où est-ce que j'aurais été ?
06:08 Moi, j'ai eu la chance de revenir et mes soeurs avaient pu récupérer l'appartement.
06:14 C'est une très grande chance.
06:16 - Mais cet appartement, vous y avez vécu avec vos parents,
06:18 avec vos soeurs et votre frère, et puis après avec votre mari, Albert.
06:22 - Oui, exactement.
06:23 - Mais vous auriez pu partir après, avec Albert, habiter ailleurs.
06:26 - J'aurais pu, mais pourquoi je serais partie ?
06:29 J'ai un appartement agréable, j'ai bien situé.
06:36 Et puis, il fut en 48, ces appartements, alors qu'on n'était que des locataires,
06:44 ont été vendus.
06:46 Et si quelqu'un avait acheté notre appartement, il est très agréable,
06:52 on aurait été obligés de partir.
06:54 Et où est-ce qu'on aurait été ?
06:57 J'étais avec ma mère, on a emprunté et on a acheté l'appartement.
07:03 - Mais est-ce que c'est un moyen aussi de garder le lien ?
07:06 - Non, je n'ai pas mon caractère d'être attachée à des choses...
07:14 Moi, on me dirait, tu t'en vas, je partirais.
07:19 Si on s'occupe de tout, il faudrait s'occuper.
07:23 Si mon fils me disait, maman, tu vas aller habiter là,
07:28 tu t'occupes de tout, et moi j'arrive, ça me serait absolument égal,
07:33 alors que j'ai vécu tellement d'années rue Jean-Pierre Thimbault,
07:37 d'aller n'importe où.
07:39 Ça ne me gênerait pas.
07:40 - Donc c'est un hasard finalement d'être restée là ?
07:43 - On ne peut pas appeler ça un hasard, parce que c'est quand même réfléchi.
07:49 Vous savez, je ne sais pas prendre de décision.
07:55 Et en fin de compte, vous ne prenez pas de décision,
07:58 mais ça s'est fait quand même.
08:00 J'ai constaté ça.
08:02 - Vous ne savez pas prendre de décision ?
08:04 - Non, je ne sais pas prendre de décision.
08:06 Si j'ai dit oui à mon mari, c'est parce que lui, je l'intéressais.
08:15 - Ce n'était pas parce que...
08:18 - Oui, naturellement, les coups de foudre, ça existe peut-être,
08:22 mais oui, entre nous, ça a été un coup de foudre,
08:25 mais au départ, ce n'était pas voulu.
08:30 J'avais des amis qui le connaissaient,
08:33 et d'un seul coup, ils ont dit, tiens, il y a quelqu'un...
08:37 D'ailleurs, ça m'a assez vexée.
08:40 Je suis capable de trouver toute seule.
08:42 - Vous aviez été vexée ?
08:44 - Vous pouvez vous dire capable de trouver,
08:47 alors qu'on vous dit, tiens, ça ne vous est jamais arrivé ?
08:51 - Ça ne vous est jamais arrivé ? J'ai un copain pour toi.
08:54 - C'est vrai que c'est parfois un peu vexant.
08:57 Votre mari, Albert, lui aussi, il a tenu la guerre.
09:01 Deux ans de service militaire, cinq ans de captivité,
09:04 et pourtant, vous n'en avez jamais parlé.
09:06 - Jamais, non.
09:07 - Pourquoi ?
09:08 - La seule chose que je sais de lui, c'est qu'il était avec des Asiatiques,
09:13 et il a appris à faire cuire le riz.
09:15 Le souvenir de mon mari, de captivité, il sait cuire le riz.
09:20 - Mais pourquoi vous n'en avez jamais parlé tous les deux ?
09:23 Par un pudeur ?
09:24 - Oh non !
09:26 Je crois que ça n'a pas été réfléchi.
09:30 Ça n'a pas été... C'est comme ça.
09:32 - Ça vous a marqué à vie ?
09:34 - Quand je suis rentrée de déportation,
09:37 je ne voulais plus parler de cette période-là.
09:41 J'ai la chance, je suis revenue, on n'en parle plus.
09:47 Je ne vais pas embêter les gens à raconter mon histoire,
09:50 qu'ils veulent écouter, ça leur casserait les pieds.
09:53 - Vous, il est avec votre mari, Ginette ?
09:55 - Mon mari a été prisonnier de guerre.
09:57 Je vais aller l'embêter à lui raconter mes histoires.
09:59 Il les connaît aussi.
10:01 Ça a été lu, ça a été...
10:03 Et lui, il a vécu cinq ans aussi.
10:06 Donc il a aussi connu des problèmes.
10:09 - Quand on est marié, quand on aime quelqu'un,
10:13 parfois on se confie parce qu'on a besoin ?
10:15 - Moi, je n'ai pas besoin de me confier.
10:17 Je ne suis pas le genre.
10:20 Je peux vous dire que maintenant, j'en parle.
10:22 - Mais oui, vous allez mettre 50 ans à en parler, Ginette Colanquin.
10:25 - Je vais rester des années sans en parler.
10:27 - Plus de 50 ans ? Pourquoi ?
10:29 Qu'est-ce que ça a été ?
10:31 Le déclic ? Maintenant, vous avez fait,
10:33 vous continuez des conférences,
10:35 vous allez dans les lycées, les collèges.
10:37 - Je ne pourrais même pas vous dire comment c'est arrivé,
10:40 comment cette popularité...
10:42 Je suis même un peu gênée.
10:44 Pourquoi moi ?
10:46 - Mais qu'est-ce qui fait que dans votre tête,
10:48 à un moment, vous vous êtes dit "Ok, maintenant, je parle".
10:51 Pourquoi tout d'un coup, vous vous êtes dit "Je parle".
10:54 - Mais non ! Non !
10:56 Je ne me suis jamais dit "Je parle".
10:58 Je fais partie d'une association
11:00 qui s'appelle l'Union des déportés de Schultz.
11:03 Je fréquentais cette...
11:05 J'ai toujours cotisé.
11:07 Du jour où elle a été créée, j'ai cotisé.
11:10 Mais par contre, je n'en faisais pas partie.
11:12 Pourquoi ? Parce que dans les associations,
11:15 les réunions, c'est toujours samedi ou dimanche.
11:18 Moi, je travaillais, je faisais les marchés.
11:21 C'était les meilleurs jours.
11:23 Je n'allais pas, pour voir des déportés,
11:25 abandonner nos recettes.
11:27 Donc, j'ai fréquenté quand j'étais,
11:32 non pas seulement à la retraite,
11:34 quand j'étais à la retraite, mon mari était là avec moi.
11:37 Donc, je ne vais pas l'emmener...
11:40 Une fois, je l'emmenais avec moi.
11:42 Pauvre homme, il était là au milieu de tout le monde.
11:45 Donc, je ne l'ai fait une fois jamais deux.
11:48 Donc, il n'y a que quand j'étais veuve.
11:50 Le hasard a voulu que mon association,
11:54 leur siège était dans un magasin,
11:56 avenue Parmentier,
11:58 que c'est le quartier où j'habite.
12:01 Et je passe un jeudi,
12:04 j'étais ouverte,
12:06 il y avait des personnes qui étaient là.
12:09 Jamais je ne serais rentrée.
12:11 Je suis assez timide, je n'aime pas déranger.
12:14 Je ne serais pas rentrée.
12:17 Eh bien là, je suis rentrée quand même.
12:19 Et j'ai été accueillie par...
12:21 Non pas par tous.
12:23 Il y en a qui étaient en train de discuter,
12:25 elles n'ont même pas levé la tête pour voir qui c'était.
12:28 Par contre, celles qui organisaient ces petites réunions,
12:31 elles m'ont bien reçue.
12:33 C'était un groupe de déportés qui travaillait en usine.
12:37 Et c'était très rare
12:39 que nous travaillions en usine.
12:41 Donc elles étaient très soudées.
12:43 Et moi qui ne travaille pas en usine,
12:45 elles m'ont acceptée quand même.
12:47 Et du coup, voilà, j'ai continué.
12:50 Et le directeur de cette association
12:55 qui amenait des élèves
12:57 de octobre-novembre jusqu'en avril,
13:01 eh bien il amenait toujours
13:03 quelques-unes de ces femmes
13:05 qui étaient là.
13:07 Et puis un jour, il y en a une qui n'est pas là,
13:10 qui est malade,
13:12 il veut la remplacer.
13:14 Il me voit venir régulièrement,
13:16 il m'a demandé de le faire.
13:18 Première chose, non.
13:20 Je n'ai pas besoin d'aller là-bas pour...
13:22 - Ressasser tout ça ?
13:24 - Non, des mauvais souvenirs comme ça,
13:26 je n'ai pas besoin de les faire ressurgir.
13:29 Et venir, ça m'aurait rendu service,
13:32 mais je ne peux pas t'obliger.
13:34 Alors là, comme il m'a dit
13:36 que ça m'aurait rendu service,
13:38 lui, il s'embête,
13:40 il a été déporté aussi,
13:42 et il a créé cette association,
13:44 ça lui donne du travail.
13:46 Pourquoi que lui, il fait des efforts,
13:48 moi aussi je peux en faire, et j'ai dit oui.
13:50 Et depuis, ça fait combien, 50 ans je crois,
13:54 je ne sais plus exactement.
13:56 - C'était pour rendre service au départ.
13:58 - C'était pour rendre service, voilà.
14:00 Et pour rendre service, je crois que c'est à moi
14:02 de faire du service.
14:04 - Parce que ?
14:06 - Parce que j'en parle beaucoup,
14:08 donc quand on me dit des cauchemars,
14:10 je n'ai pas de cauchemars,
14:12 puisque j'en parle.
14:14 - D'en parler, ça vous a aidé ?
14:16 - Je n'ai jamais étudié le pourquoi.
14:18 Vous savez, maintenant, pourquoi ?
14:20 Il n'y a pas toujours de réponse à tout.
14:22 Mais je crois que c'est ça la réponse.
14:24 C'est comme j'en parle tout le temps,
14:26 je n'ai pas de cauchemars,
14:28 et même quand j'en parle,
14:30 je devrais tomber en larmes,
14:32 et bien non.
14:34 Non, je raconte une histoire,
14:36 je ne sais même pas,
14:38 je n'ai même pas l'impression
14:40 que c'est moi qui l'ai vécue.
14:42 - Mais pourtant, c'est votre histoire,
14:44 Ginette Colin-Thiam.
14:46 - Et cependant, je l'ai vécue,
14:48 je peux vous le dire.
14:50 - Bien sûr.
14:52 - C'est comme ça, il n'y a pas d'explication.
14:54 - Dans ce livre, vous évoquez bien sûr votre vie,
14:56 vous parlez aussi de la mort,
14:58 vous y pensez souvent ?
15:00 - Oui, maintenant, tous les soirs.
15:02 Tous les soirs,
15:04 avant, il y avait ma culotte d'un côté,
15:06 ensuite une gorge de l'autre,
15:08 et maintenant, je pense à la mort,
15:10 ça peut arriver dans la nuit.
15:12 Alors si toutes mes affaires sont en désordre,
15:14 je dis "Oh, quel bordel chez Ginette !"
15:16 Donc tout est bien rangé.
15:18 - Vous rangez avant de vous coucher,
15:20 parce que vous pensez que vous risquez de mourir ?
15:22 - Si dans la nuit, il m'arrive quelque chose,
15:24 au moins, ça sera rangé.
15:26 - Vous ne vous inquiétez pas du tout ?
15:28 - Non, pas du tout. La mort doit arriver.
15:30 Je ne suis pas...
15:32 Quand elle sera près de moi,
15:34 quelle sera ma réaction ?
15:36 Mais personne, aucun...
15:38 Si une fois,
15:40 ma soeur est restée dans le commun,
15:42 et quand elle est sortie du commun,
15:44 elle dit "J'ai vu tout,
15:46 j'ai vu quelque chose,
15:48 c'était beau."
15:50 Alors est-ce que c'est ça, la mort ?
15:52 Tout est beau ?
15:54 - Je pourrais finir mes jours n'importe où,
15:56 c'est ce que vous écrivez, mais je ne veux pas les embêter,
15:58 c'est ma seule antis-lé,
16:00 ce sont vos enfants, vos petits-enfants, arrière-petits-enfants,
16:02 et vous ajoutez "Espérons que la chance
16:04 continue à me sourire,
16:06 que ma mort sera comme ma vie,
16:08 d'un seul coup, plus rien."
16:10 - Voilà, exact.
16:12 - Mourir dans votre sommeil, ce serait la plus belle des morts ?
16:14 - Mourir dans mon lit, d'un seul coup,
16:16 il doit y avoir un petit moment qui est désagréable,
16:18 je suppose,
16:20 mais aucune personne a dit
16:22 quand elle était morte, ce que c'était.
16:24 - Vous allez bientôt avoir 98 ans ?
16:26 Vous êtes en pleine forme ?
16:28 - Alors là, je peux dire que c'est bientôt,
16:30 puisque c'est le 4 février,
16:32 ça fait presque un mois
16:34 que je vais avoir 98 ans.
16:36 - Mais vous êtes en pleine forme ?
16:38 - On est quel jour ?
16:40 - On est quel jour ?
16:42 - On est toujours en janvier ?
16:44 - Vendredi, on sera le combien ?
16:46 - On est le 27.
16:48 - Ah ben, je suis encore jeune.
16:50 - Je suis encore les 98.
16:52 - Qu'est-ce qui fait que vous êtes comme ça,
16:54 comme vous êtes, en pleine forme, souriant ?
16:56 - Mais...
16:58 - Tout le monde rêverait d'être comme ça à votre âge.
17:00 - On me pose la question,
17:02 "Mais comment voulez-vous que je ne sois pas en pleine forme ?"
17:04 Quand j'ai...
17:06 Tout me sourit, maintenant.
17:08 De quoi je vais me plaindre ?
17:12 Oh, il fait froid,
17:14 et je vais faire la gueule ?
17:16 Maintenant, il fait froid, moi aussi, j'ai déjà eu froid.
17:18 Je n'ai pas à me plaindre.
17:20 Maintenant, j'ai un manteau, j'ai deux poulets verts,
17:22 j'ai mon petit damard.
17:24 Non, c'est ça.
17:26 Moi, j'ai tout clashé.
17:28 Mais je souhaite à tout le monde
17:30 d'avoir la chance
17:32 que j'ai maintenant.
17:34 - La chance,
17:36 c'est un mot qui revient tout le temps dans votre livre,
17:38 et c'est un mot que vous avez prononcé
17:40 je ne sais pas combien de fois depuis le début de cette interview.
17:42 - Oui !
17:44 On me parle de qualité
17:46 et je dis que je n'ai pas
17:48 courage, volonté,
17:50 mais ce n'est pas Ginette, ça.
17:52 - Mais vous n'êtes pas courageuse, vous n'avez pas de volonté.
17:54 - Non, pas du tout, je ne suis pas courageuse.
17:56 - Mais après avoir vécu ce que vous avez vécu,
17:58 il y en a plein qui auraient...
18:00 Et il y en a sans doute plein qui ont pris d'autres chemins.
18:02 - Mais il y en a malheureusement
18:04 beaucoup qui n'ont pas tenu choc.
18:06 Il y en a beaucoup,
18:10 il y a 6 millions de morts, quand même.
18:12 Alors, j'estime
18:14 que moi j'ai de la chance,
18:16 et voilà.
18:18 Mais il n'y a pas d'explication toujours à tout.
18:20 - S'il y a un message
18:22 que vous deviez passer aux jeunes
18:24 qui nous écoutent, vous leur diriez quoi ?
18:26 - Alors, ce message,
18:28 c'est que
18:30 tout ce qui s'est passé,
18:32 tout ce qui est arrivé,
18:34 le départ, la haine,
18:36 un monsieur
18:38 nommé Hitler
18:40 haïssait les Juifs.
18:42 Voilà.
18:44 C'est ça le départ.
18:46 Et le départ, attention, attention,
18:48 dès qu'on dit "j'aime pas cela,
18:50 j'aime pas cela, j'aime pas cela",
18:52 vous êtes dans Auschwitz.
18:54 Et Auschwitz, c'est ce que je vous ai raconté,
18:56 ou c'est ce que vous avez lu.
18:58 - Tout part de la haine.
19:00 - Le départ, c'est la haine.
19:02 Acceptons-nous,
19:04 je sais pas moi,
19:06 si j'ai un musulman à côté de moi,
19:08 pourquoi voulez-vous que je le haïsse ?
19:10 Et pourquoi que ce musulman
19:12 va me haïr ?
19:14 On est des êtres humains, tous les deux.
19:16 On se connaît pas,
19:18 et on va se haïr.
19:20 - Un grand merci. - Acceptons-nous.
19:22 - Un grand merci, Ginette Kolinka.
19:24 Je rappelle donc le titre de ce livre,
19:26 "Une vie heureuse", c'est à lire absolument.
19:28 Ça devrait être lu, d'ailleurs, dans toutes les écoles.
19:30 - Mais il est pas gros.
19:32 - Il est pas gros, dans toutes les écoles, on peut dire, c'est facile.
19:34 - Il coûte...
19:36 - 14 euros.
19:38 - Pas très cher.
19:40 - Pas trop cher.
19:42 - C'est magnifique.
19:44 - Je le disais, celui-là avant, "Retour à Bierquenau",
19:46 qui décrit celui-là.
19:48 Alors là, "Retour à Bierquenau", il décrit
19:50 la vie dans le camp.
19:52 Celui-là,
19:54 c'est autre chose.
19:56 - C'est l'après. - C'est ma vie, c'est la vôtre.
19:58 - "Une vie heureuse".
20:00 Un grand merci, Ginette Kolinka.