Mais au fait, ça veut dire quoi être français ?
On a posé la question à l'historien Nicolas Offenstadt.
On a posé la question à l'historien Nicolas Offenstadt.
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00:00 Quand on se lève le matin, on ne se demande pas forcément si on est français ou pas.
00:03 L'identité nationale en soi, unique, n'existe pas.
00:06 Elle est toujours plurielle, elle est construite par les individus.
00:09 Elle est forcément faite aussi de la diversité.
00:12 Diversité d'histoire, diversité régionale, diversité d'expérience de vie, diversité d'engagement.
00:18 Et je crois que justement, la capacité d'une nation à construire un projet,
00:21 c'est justement de tisser ensemble cette histoire.
00:23 Ce qu'il faut rappeler, c'est que d'abord, être français, c'est un fait.
00:29 C'est-à-dire que c'est une nationalité, avec des droits et des devoirs.
00:33 Et donc, indépendamment de ce que vous pensez, indépendamment des discussions,
00:37 indépendamment des valeurs morales, indépendamment de la manière dont vous voulez charger
00:40 la notion de France et la notion de français, vous l'êtes ou vous ne l'êtes pas par rapport aux droits.
00:45 La citoyenneté française, c'est évidemment de porter tout un ensemble de valeurs.
00:49 Tout un ensemble de valeurs qui sont parfois résumées dans la devise,
00:53 liberté, égalité, fraternité, qui sont ensuite déclinées.
00:57 Donc tout un ensemble de valeurs républicaines, on fait partie de la laïcité.
01:00 Cette révolution française, avec l'héritage des valeurs, des enjeux, des débats politiques qu'elle a donnés au pays,
01:06 c'est une spécificité française qui marque évidemment la conception de la nation d'abord,
01:11 et aussi la conception de la citoyenneté.
01:12 La question juridique de la citoyenneté française commence à se formaliser au moment
01:17 où la Troisième République va organiser en quelque sorte toute une construction d'une identité nationale,
01:23 et notamment dans un rapport évidemment de tension avec l'Allemagne.
01:26 [Musique]
01:31 La République est née d'une défaite et donc il faut se reconstruire,
01:35 et donc à ce moment-là, les choses se formalisent.
01:36 [Musique]
01:50 La Troisième République en particulier a créé ce qu'on a appelé le récit national,
01:55 ou alors le roman national.
01:56 Donc c'était l'idée qu'il y avait une grande histoire de France
01:59 que tous les petits Français devaient apprendre, connaître.
02:01 Donc une histoire qui était plutôt centrée sur la gloire, sur la gloire militaire et politique,
02:06 sur l'histoire des gouvernements et de la diplomatie, sur les guerres.
02:09 Une histoire aussi vue d'en haut, qui était celle souvent des hommes,
02:12 qui était celle souvent du centre aussi, Paris plus que les régions,
02:15 et plutôt une histoire glorieuse.
02:17 L'être français, ça a varié selon les époques,
02:21 et puis surtout, ce qui est encore peut-être plus important,
02:23 c'est que la question ne se pose pas avec la même intensité selon les périodes.
02:27 Être français en temps de guerre, ce n'est pas la même chose qu'être en temps de paix.
02:30 Et d'ailleurs, notamment pendant les deux guerres mondiales,
02:33 il y a évidemment des assignations à être français.
02:36 Par exemple, en 14-18, évidemment, être français devient un enjeu fondamental,
02:40 une partie du territoire est occupée, il y a une xénophobie très forte,
02:44 évidemment tout ce qui ressemble de près ou de loin à un nom allemand,
02:47 à une consonance allemande, doit se justifier d'être français.
02:50 Donc il y a une pression qui s'exerce en quelque sorte.
02:52 Être français, c'est être du côté de ceux qui se battent pour défendre le territoire,
02:56 pour lutter pour la victoire, pour lutter comme le droit,
02:58 comme on croyait à l'époque, pour la démocratie et la république contre des empires.
03:02 Aujourd'hui, une bonne conception de l'histoire dans l'espace public,
03:04 c'est au contraire de se dire "ben oui, il y a beaucoup de récits
03:07 qui n'ont pas tous la même temporalité".
03:08 Il y a des gens qui sont en France depuis très longtemps,
03:11 qui ont été ancrés dans un village,
03:12 il y en a qui sont arrivés récemment et qui ont tout autant contribué à l'histoire du pays.
03:16 Et donc, accepter des récits pluriels,
03:18 c'est fondamental pour créer évidemment un projet collectif.
03:22 D'ailleurs, parce que dans un récit historique,
03:24 c'est très difficile aujourd'hui en particulier de mélanger les victimes et les bourreaux.
03:28 Vous ne pouvez pas raconter la même histoire
03:30 s'il s'agit de gens qui ont servi dans la Waffen-SS ou de juifs qui ont été persécutés.
03:34 Vous ne pouvez pas raconter la même histoire
03:36 si vous parlez de maîtres négriers ou de gens qui ont souffert de l'esclavage.
03:40 Vous ne pouvez pas non plus raconter la même histoire
03:43 si vous avez été un ouvrier exploité qui a souffert dans son travail
03:47 ou si vous avez participé à la répression des grèves.
03:50 Donc, tous ces récits doivent être tissés ensemble.
03:53 Et tisser ensemble, ça ne veut pas dire que ce sont les mêmes.
03:55 Ça ne veut pas dire qu'on arrivera à un récit commun.
03:57 Ça veut dire qu'on écoute des histoires différentes
03:58 et qu'elles participent à une histoire nationale et même parfois à une histoire mondiale.
04:02 Je crois que plus un espace public est capable de discuter collectivement
04:06 des contradictions, des oppositions, des pages difficiles,
04:10 des pages douloureuses, des pages sombres,
04:11 plus la nation en fait est mature et plus elle est capable de construire du collectif.
04:15 [Générique de fin]
04:17 [SILENCE]