• il y a 5 ans
« L’énigme de la chambre 622 » est le cinquième roman de Joël Dicker. Un livre d’autant plus attendu que sa sortie a été repoussée à cause de la pandémie. Interview.
Transcription
00:00 [musique]
00:14 Oui, très impatient de sortir ce livre repoussé par l'épidémie de coronavirus 19.
00:19 Ça a été très particulier, parce que le livre était vraiment sur le point de sortir.
00:26 J'étais vraiment prêt, j'avais cette espèce de trac,
00:29 c'est-à-dire ce trac de l'artiste, quand le livre est prêt, il va sortir, il est dans les cartons.
00:34 On est à quelques jours de l'apparition, donc voilà, je me dis « je ne peux plus rien faire pour ce livre »,
00:39 et là il va sortir, les gens vont se l'approprier, puis tout d'un coup, paf, il y a tout qui s'arrête.
00:45 Et on est… alors voilà, c'est évidemment pas grand-chose quand on compare à toutes les souffrances sociales,
00:53 économiques, physiques, que beaucoup de gens ont connues pendant ces mois difficiles.
00:57 Mais comme expérience personnelle par rapport à ce livre, qui sort presque deux fois,
01:03 c'était vraiment tellement sur le point de paraître que cette sortie, deuxième sortie, là maintenant,
01:11 le 27 mai, c'est comme s'il était paru deux fois, c'est assez particulier.
01:15 [musique]
01:25 Non, quand j'écris, je ne pense pas forcément à mon lecteur,
01:29 je n'ai pas une obsession du lecteur et de me dire « mon lecteur va croire » ou « mon lecteur va penser »
01:33 ou « il faut que mon lecteur imagine ou fasse ci ou ça ».
01:37 S'il y a quelque chose auquel je pense, c'est vraiment le jeu, c'est-à-dire laisser un roman suffisamment ouvert,
01:43 avec suffisamment d'éléments qui sont des éléments à décider par un tiers, c'est-à-dire par un lecteur,
01:49 pour que le lecteur, une fois qu'il le lise, puisse s'approprier les éléments qui sont des éléments importants pour lui,
01:56 c'est-à-dire que je vais volontairement éviter de trop décrire un lieu si la description n'est pas importante pour l'intrigue,
02:03 ou de trop décrire un physique de personnage si ce n'est pas important pour l'intrigue.
02:08 Pourquoi ? Justement pour que ces parties-là soient du ressort du lecteur qui lui va décider si le personnage est blond, ou brun, ou petit, ou grand,
02:17 ou s'il porte des lunettes ou pas, et si la maison a deux étages, ou trois étages, ou pas d'étage du tout,
02:23 ou s'il est en bois, ou en pierre. Tout ça, ce sont des éléments de l'imaginaire du lecteur,
02:28 et donc ce qui est important, en tout cas pour moi, c'est de laisser une part de responsabilité et de jeu à mon lecteur.
02:34 Vous, lecteur, vous décidez de tout. Le tempo, c'est vous qui le donnez, parce que vous décidez de lire ce livre en une nuit,
02:40 ou en trois jours, ou en trois mois, ou en une année. Donc ça va être une lecture plus ou moins rapide, plus ou moins dense.
02:47 C'est vous qui décidez de ça. Vous décidez de comment sont les personnages, vous décidez de, quand les éléments ne sont pas clairs,
02:55 c'est vous qui les clarifiez. L'interprétation, c'est la vôtre.
03:03 Pour mon métier d'écrivain, je suis plutôt solitaire. Je n'interroge pas beaucoup les autres. Je ne me renseigne pas tellement.
03:12 C'est-à-dire que, quand j'écris, j'ai vraiment un rapport à l'imaginaire et une envie de liberté de création qui est importante.
03:20 J'ai envie d'être libre, d'écrire mon roman comme je le veux, de faire vivre à mes personnages les péripéties qui me plaisent,
03:30 qui m'attirent, qui m'intriguent, qui m'appellent. Mais je n'ai pas envie de me heurter à la réalité qui va me dire
03:34 « Mais ça, ce personnage-là, il ne peut pas faire ça parce que dans la réalité, je ne sais pas, une enquête de flic, par exemple,
03:40 dans la réalité, un flic ne ferait pas ça. » Donc pour moi, la réalité, elle est un peu l'ennemi de la fiction,
03:46 parce qu'elle est très empêchante. Elle est un mur qui obstrue cette liberté de création en vous disant
03:54 « Non, là, tu ne peux pas aller plus loin que ça. La réalité te pose une limite. »
03:59 [Musique]
04:05 Je parle de quelques anecdotes et de souvenirs un peu émus que j'ai avec mon éditeur Bernard De Fallois, qui est décédé en 2018.
04:12 C'est comme ça que ce livre commence. Quand je l'écris, parce que je travaille sans plan, quand je commence à écrire ce livre,
04:19 j'ai envie de parler de Bernard, qui à ce moment-là est décédé, vient de décéder. J'ai envie de parler de lui, de lui rendre hommage.
04:26 Et de lui rendre hommage comment ? Je me pose la question et je me dis qu'une autobiographie de Bernard sera un peu artificielle,
04:34 ne rendra peut-être pas vraiment hommage à l'homme que j'ai connu, moi. Donc je me dis que je vais raconter des souvenirs
04:40 qui ne seront, en guillemets, que mes souvenirs et qui permettront de raconter un peu toute la tendresse et l'amitié du lien qu'on a eu ensemble.
04:47 Il m'a appris beaucoup. Je dirais que si je devais garder une leçon de lui, il m'a appris à être curieux.
04:53 Il m'a appris à poser des questions. Il m'a appris à être curieux de tout, à interroger tout le monde.
04:58 Mais d'une façon qui était, il avait cette façon de poser des questions assez fascinante.
05:03 D'abord parce que quand il vous parlait, il vous donnait l'impression qu'il n'y avait que vous.
05:07 Il avait cette relation où il vous donnait le sentiment que vous étiez quelqu'un de très important,
05:12 alors que moi je ne me sentais que petit auteur un peu minable à côté de lui, le grand Bernard de Fallois,
05:18 qui a été le monstre sacré de l'édition française, qui a connu tout le monde, qui a été l'inventeur du livre de poche,
05:25 qui a vraiment été un élément très important de l'histoire de l'édition française des cinquante dernières années.
05:32 Et quand il parlait, j'avais l'impression que j'étais son égal.
05:42 Je devais faire une tournée de 75 dates, qui pour l'instant ne peut pas avoir lieu.
05:48 C'est ce qui me rend triste, c'est-à-dire que l'apparition du livre, que le livre paraisse en mars ou en mai, finalement ce n'est pas très grave.
05:54 Par contre, de ne pas pouvoir pour le moment aller à la rencontre de mes lecteurs, qui est un moment important pour moi,
05:59 rencontrer les lecteurs et les libraires aussi. C'est vraiment pour moi un moment important d'aller dans les librairies,
06:05 qui est un lieu que j'aime tellement, d'amener des gens dans les librairies, de créer ces rencontres
06:11 qui sont des moments humains très forts, parce que je passe deux, trois ans tout seul, plutôt enfermé, à écrire un livre.
06:18 Et les dédicaces, c'est le moment où au fond, je pose ce livre, il est fini, il est fait, il est écrit, je ne le touche plus,
06:24 il est imprimé et il y a une rencontre humaine qui se fait.
06:27 Paradoxalement presque, je suis écrivain, un écrivain qui s'isole, comme je vous le disais,
06:32 qui écrit et qui recherche une solitude quand il écrit.
06:37 En même temps, je suis un homme de contact qui aime cette rencontre, qui aime l'autre,
06:41 qui a envie d'être avec des êtres humains.
06:44 Et du coup, je suis attristé de ne pas pouvoir pour le moment rencontrer mes lecteurs.
06:50 Merci.
06:51 [SILENCE]

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