• il y a 2 ans
Le 19 février 2019, Karl Lagerfeld nous quittait, laissant derrière lui un héritage créatif exceptionnel. Parmi ces œuvres, on trouve la décoration de deux suites à l’hôtel de Crillon à Paris. Car au-delà de la mode, Karl Lagerfeld avait l’œil et la main pour tout. L’architecte Aline Asmar d’Amman, directrice artistique du projet, nous en livre les secrets. 
Transcription
00:00 [musique]
00:03 Bonjour Elle Décorations, je suis Alina Smardaman, architecte.
00:07 Bienvenue à l'hôtel de Crion.
00:08 Je vais vous faire visiter les grands appartements par Karl Lagerfeld
00:12 avec qui j'ai eu l'immense privilège de collaborer.
00:15 [musique]
00:20 Nous sommes ici dans l'entrée des grands appartements.
00:23 Derrière moi, vous voyez l'écriture de Karl Lagerfeld.
00:26 Il a voulu appeler ces deux suites les grands appartements
00:29 en référence à Versailles, bien entendu.
00:31 Je m'arrête un tout petit peu sur ces portes qui ont une histoire très particulière.
00:34 C'étaient les portes du garde-meubles du roi
00:36 puisque le souverain Louis XV avait commandé à Angeac Gabriel la place de la Concorde
00:41 où est niché l'hôtel de Crion.
00:43 Il fallait être évidemment Karl Lagerfeld pour savoir que ces archives-là
00:47 étaient donc chez Guillaume Feyo.
00:49 Elles ont été reprises.
00:50 Nous avons reproportionné avec Karl toutes les boiseries
00:54 pour que cela soit parfait dans un décor beaucoup plus bas de plafond
00:58 parce qu'à l'origine, elles sont énormes.
01:00 Nous sommes dans l'entrée du grand appartement Concorde.
01:03 Cette entrée a de particulier qu'elle est beaucoup plus basse de plafond.
01:06 Évidemment, Karl Lagerfeld a voulu amplifier ce volume avec un jeu de miroirs.
01:11 Ce sont les mêmes miroitiers qui travaillent depuis des siècles à Versailles.
01:15 Karl aimait beaucoup le miroir sur le miroir.
01:17 Toutes les photos dans les grands appartements
01:19 sont des photos par Karl Lagerfeld qui était évidemment photographe aussi.
01:23 Pour la première fois, elles sont tirées sur toile
01:25 pour évoquer cette émotion d'un tableau 18e siècle.
01:29 Nous sommes dans le salon du grand appartement
01:31 vu sur la place de la Concorde.
01:33 Ce qu'il a de particulier, c'est que les boiseries ont été également choisies
01:36 par Karl Lagerfeld sur la base des boiseries
01:39 qui étaient au château de Crécy-Couvée pour Madame de la Pompadour.
01:43 La modernité vient du fait qu'il a voulu effacer quelques décors, quelques fleurs,
01:48 le rendre un peu plus minimal.
01:50 Surtout, c'est la patine qui est appliquée dessus par Christophe Martin,
01:54 notre peintre-décorateur qui a travaillé pendant une trentaine d'années
01:57 auprès de Karl Lagerfeld et qu'on a eu la chance d'avoir avec nous sur ce chantier.
02:01 Christophe Martin a inventé des peines comme pour peigner les cheveux sur les murs
02:06 avec neuf couches différentes.
02:08 C'est ce qui donne cette vibration.
02:10 Cette enveloppe grise rappelle le gris du ciel de Paris.
02:14 Karl l'appelait le gris du ciel du bassin parisien.
02:16 Il en était amoureux, il voulait lui rendre hommage.
02:19 Et puis c'est pour ça qu'on est dans cette grisaille avec les tissus, avec les mobiliers.
02:24 Là, c'est une marquetterie de cristal de roche assez exceptionnelle sur la table
02:28 qui a un côté très bijou.
02:30 Le gris légèrement rosé du velours.
02:32 Karl disait que si ce n'est pas du velours, ce n'est pas français.
02:35 Et évidemment, les tissus d'ama.
02:38 Donc, toute la variété du mobilier qui les met tant et qui connaissait parfaitement
02:42 parce que son érudition et sa connaissance sur les arts décoratifs français
02:46 et sur le mobilier français est évidemment dantesque.
02:48 Donc, nous avons des bergères, des duchesses brisées, des fauteuils cabriolets,
02:52 du canage, du damas, des soirées.
02:55 Vraiment l'idée du grand genre et l'idée de cet esprit 815-816
02:59 appliqué à la décoration à la manière de Karl Lagerfeld.
03:02 Là, c'est une vue imprenable sur la colonnade en Jacques-Gabriel
03:07 de la façade de l'hôtel de Crion.
03:09 Et je me souviens de ce moment en 2013, fin d'une journée, coucher de soleil,
03:14 où Karl Lagerfeld a visité l'hôtel de Crion pour la première fois
03:17 pour choisir l'endroit où il intervient.
03:19 Puisque toute mon histoire avec Karl Lagerfeld a commencé autour d'une lettre.
03:23 J'étais déjà en charge de la direction artistique de l'hôtel de Crion
03:26 et j'étais obsédée par l'idée que seulement Karl Lagerfeld
03:29 pouvait faire ce lien entre notre rénovation, la mode,
03:33 parce que Paris, c'est aussi quand même la capitale de la mode,
03:36 un endroit très couture dans l'hôtel de Crion,
03:38 mais aussi les arts décoratifs français.
03:39 Et donc, quand je lui ai écrit cette lettre, je rencontre Karl
03:42 presque dans la foulée, 24 heures après, il m'appelle et puis je le rencontre.
03:46 Il émet quand même deux conditions.
03:47 La première, c'est celle de visiter l'hôtel de Crion,
03:49 de choisir le lieu où il intervient.
03:52 Et la deuxième, c'est celle d'être accompagnée par un architecte
03:55 pour implémenter ses idées.
03:56 Je me souviens quand Karl a visité pour la première fois,
03:59 il s'est arrêté ici et il a fait cette photo avec son téléphone
04:02 de cette colonnade de la façade,
04:04 puisque évidemment, c'était un rappel direct de ce que Karl aimait le plus,
04:08 c'est à dire la référence à la Grèce antique,
04:10 la référence à l'architecture classique,
04:12 qui pour lui était l'origine de la beauté.
04:15 Là, je suis debout devant cette photo qui, elle, est aussi très particulière.
04:19 C'est un tableau qu'il citait souvent, qui lui a fait découvrir,
04:22 disons, l'idée de l'art de vivre à la française à l'âge de 11 ans.
04:26 Donc ce tableau de Menzel, qui lui avait cette scène de dîner
04:29 avec Frédéric II et puis Voltaire au château de Sanssouci,
04:33 a été reproduit par Karl Lagerfeld pour cette photo faite par lui,
04:37 qui est la seule grande photo, en fait, sur tous ces murs dans ce grand salon.
04:41 Karl, c'était le grand goût, la maîtrise parfaite des codes
04:43 de la haute décoration française,
04:45 mais c'était aussi la modernité et les livres.
04:48 Donc pour rendre hommage à ça, l'idée était d'avoir une bibliothèque un peu magique,
04:52 un petit clin d'œil à Versailles, comme les Portes secrètes de Versailles.
04:54 Ce qui est assez fou, c'est que c'est une bibliothèque
04:57 qui est en inox polymiroir,
04:59 complètement surréelle, presque dans ce décor de boiserie classique,
05:03 et qui s'ouvre très, très lentement en emportant les livres sur le dressing.
05:08 Pour le dressing, la coque est très simple, très moderne,
05:12 mais les effets de patine sont des effets de patine à la main
05:15 qu'on a développés avec l'entreprise du patrimoine vivant Goa.
05:20 Bien évidemment, Karl Lagerfeld, c'était aussi les métiers d'art.
05:22 Donc dans chacun des détails, chacune des patines, chacune des boiseries,
05:25 il y a toujours une histoire d'un métier d'art
05:27 et d'une entreprise du patrimoine vivant derrière.
05:30 Ici, il y a un effet de patine un peu textile,
05:33 et puis surtout, il y a cette ligne qui continue de la boiserie classique
05:37 qu'on retrouve dans le décor des grands salons,
05:40 mais qui est en négatif et qui raconte quand même la rencontre de la modernité
05:44 et aussi du classicisme.
05:46 Karl disait toujours, on pose les bases du classique d'abord et on casse après.
05:50 Et ça, c'est un petit clin d'œil, je pense, à ça.
05:52 Nous rentrons dans la chambre à coucher.
05:54 Avant d'y arriver, une petite niche, le goût exquis de Karl,
05:57 des objets d'art, des vrais objets d'art, des vraies antiquités,
06:00 toutes chinées, chez les antiquaires parisiens.
06:03 Et voici la chambre à coucher.
06:04 Il y a beaucoup de détails, beaucoup d'histoires à raconter.
06:07 D'abord, je m'arrête sur le ciel de lit et sur cette tête de lit
06:10 qui, elle, a été réalisée par un grand ouvrier de France, Bruno Pilet,
06:14 qui travaillait aussi beaucoup avec Karl Lagerfeld.
06:17 Le tissu du ciel de lit est vraiment exceptionnel.
06:19 C'est une archive qui provient de la maison Pierre Fray,
06:22 qui s'appelle Bouquet de Rose, du XIXe siècle,
06:24 qui, elle, a été retissée spécialement à la demande de Karl Lagerfeld
06:28 pour les grands appartements.
06:29 Mais la petite histoire, c'est qu'un jour, on arrive en séance de travail chez Karl.
06:32 Il nous avait demandé des recherches sur des tissus 815, 816,
06:37 dans le goût 18e, 19e,
06:38 et puis dans des très, très grands bacs, sur une table infinie.
06:41 Il a réussi à retrouver, plié sur un centimètre de tranche,
06:45 ce tissu précis, dont l'archive a dû être reproduite pendant 18 mois.
06:50 Parce que pour teindre les fils, pour retisser,
06:52 à chaque fois, on faisait des tests.
06:54 Ça sortait un petit peu trop violet, un petit peu trop grisé.
06:57 Et Karl voulait le rose parfait.
06:59 Et ce rose parfait qu'on va retrouver sur les murs,
07:02 ça s'appelle le rose cuisse de nymphe et farouché.
07:06 C'est cette histoire que Karl racontait, évidemment, merveilleusement bien,
07:09 de Vénus qui se baignait dans un lac qui est surprise par Bacchus,
07:14 ivre-mort, elle va se cacher dans les buissons de rose.
07:17 Sa cuisse est écorchée, piquée par les épines des roses.
07:23 Son sang qui perle sur les pétales, c'est la naissance du rose.
07:27 C'est le rose cuisse de nymphe et farouché.
07:29 Et donc, c'est ce rose-là que Christophe Martin, peintre-décorateur,
07:33 a donc apposé sur les murs de cette boiserie.
07:35 C'est pour ça qu'on se sent très enveloppé.
07:37 Il y a un effet, évidemment, très couture, très doux,
07:41 une poésie absolue avec ce ciel de lit, ce dessin, les rideaux.
07:45 Là, c'est encore une autre entreprise du patrimoine vivant,
07:47 un autre tapissier, Philippe Coudray, pour les rideaux en taffeta de soie.
07:51 Le même taffeta de soie qui est utilisé pour les fenêtres à Versailles.
07:55 Alors là, sur le tapis, on voit un motif de dama effacé.
07:58 Ce motif de dama, on l'a retrouvé dans les archives,
08:01 sur un fauteuil que Karl Lagerfeld avait.
08:04 Et donc, avec ces indications, le motif a été agrandi.
08:07 Il a été cousu main avec de la mousseline et des fils de soie par l'entreprise Pinton.
08:13 Avec un geste comme une mousse à raser, en fait,
08:16 on arrive à trouver ce côté très, très laiteux sur le tapis.
08:19 De ce même motif repris en lithophanie sur les lampes.
08:23 Donc, partout, il y a des détails qui évoquent ce souci de retrouver le geste de la main,
08:29 l'excellence, la haute décoration française réinterprétée de manière très moderne.
08:33 Le lustre raccourci sur mesure, exprès,
08:36 pour pouvoir dialoguer avec le ciel de lit.
08:39 Toutes ces courbes qui jouent ensemble,
08:41 celles de ce dessin, mais celles de la photo aussi de Karl,
08:44 avec ses grandes robes coutures.
08:46 Le clin d'œil, justement, à ce mouvement, à cette élégance.
08:49 C'est une élégance typiquement française.
08:51 C'est une sensation de modernité totale,
08:53 parce qu'il y a de la photographie, il y a un tissu ancien réinterprété,
08:57 il y a ces matières un peu effacées, érodées par le temps.
09:00 Tout ça avec la proportion parfaite et le chic parfait,
09:03 dont Karl avait le secret.
09:05 Alors là, nous sommes dans le salon des bains.
09:09 C'est la salle de bain, mais qu'on appelle évidemment salon de bain,
09:12 à la manière de Karl Lagerfeld.
09:14 Je pense que c'est l'une des plus belles salles de bain du monde.
09:16 Qu'est-ce qu'il a voulu Karl, ici ?
09:17 Il a voulu d'abord un petit clin d'œil à la salle de bain du roi George,
09:22 qui elle, est au musée d'Orsay.
09:23 Donc il y a ce grand rond du miroir.
09:25 Il y a évidemment une référence au roi Soleil aussi.
09:28 Nous sommes dans une réalisation architecturale d'exception.
09:31 C'est des marbres rares, dont la carrière est épuisée,
09:34 qui sont cachés comme des antiquités en Italie et qu'il faut trouver.
09:37 Donc je faisais des longs voyages, comme une longue quête pour Karl Lagerfeld,
09:41 pour retrouver ce marbre qu'il a voulu très laiteux.
09:44 Pas noir et blanc, mais il y a ces tons de gris
09:47 qui rappellent encore une fois le gris du bassin parisien.
09:49 Ce qu'il y a d'exceptionnel aussi, c'est que cette baignoire,
09:51 elle a été elle, sculptée dans un bloc unique.
09:55 Elle est rentrée évidemment par la fenêtre.
09:57 Elle est surélevée pour avoir une vue imprenable sur la place de la Concorde.
10:01 Quand on est dans le bain, mais pas que.
10:02 Nous sommes debout sur les salons historiques,
10:05 classés, le salon Marie-Antoinette en bas.
10:07 Et donc, il a fallu évidemment consolider, surélever,
10:10 mais ça donne cet effet aussi très théâtral de la scénographie de la salle de bain.
10:14 Karl avait une phrase très drôle, il l'a citée, malaparte,
10:18 qui disait que lorsqu'il traversait la place de la Concorde,
10:21 il regardait vers l'hôtel de Crion, enfin vers ce bâtiment, l'U15,
10:25 et il disait "c'est ce qui se fait encore aujourd'hui de mieux à Paris".
10:28 Donc il y avait toujours des petites anecdotes
10:30 et je pense que toute cette enfilade dans les grands appartements,
10:34 qu'elle soit celle qui relie le salon des bains à la chambre à coucher,
10:38 au salon et puis aussi à la salle à manger,
10:40 c'est l'enfilade classique de cet apparat de l'architecture classique et française grand genre.
10:46 Là, nous sommes dans la salle à manger.
10:48 C'est un trait d'union entre les deux grands appartements.
10:51 Je ne sais pas par quoi commencer.
10:52 Tout est magique, tout est théâtral.
10:54 D'abord, il y a les mêmes boiseries, mais surtout cette patine gris-orageux.
10:58 Donc là, c'est le sens de la théâtralité, c'est un peu plus dramatique.
11:02 Une patine beaucoup plus foncée, très osée de la part de Karl Lagerfeld,
11:05 mais qui donne un effet incroyable.
11:07 Et puis surtout, le lien encore une fois avec Versailles.
11:09 L'œil du photographe, les deux grandes photos tirées sur toile dorée de Versailles.
11:14 Le lustre géant, tous ces lustres ont été refaits dans le goût de Karl,
11:18 sur la base de modèles classiques.
11:20 Ensuite, le mobilier aussi, mobilier très français.
11:24 Et là, une histoire merveilleuse.
11:26 Karl voulait du velours frappé.
11:27 Donc gaufré.
11:28 Il a demandé un jour en séance de travail
11:30 à ce que nous arrivions avec le grand catalogue des gaufrages.
11:33 Il faut savoir que c'est un métier quasiment perdu.
11:35 En fait, il reste un gaufreur ou deux en France,
11:38 mais un seul ouvrage de la maison Bourg-Vallée qui regroupe tous les gaufrages.
11:42 Et Karl demande, avant d'ouvrir l'ouvrage, si tout est possible.
11:44 Et je lui dis qu'on m'a dit que tout était possible.
11:46 Et en feuilletant les pages, il tombe sur ce motif-là,
11:50 qu'il a souhaité sélectionner.
11:52 Le lendemain, on appelle l'entreprise Bourg-Vallée.
11:54 Et là, ils nous disent, nous sommes désolés, mais c'est le même cylindre
11:58 qui a été utilisé pour le mariage de Marie-Antoinette et du Dauphin,
12:02 et de Louis XVI, et qu'il est très usé, très fragile et qu'on ne peut plus le ressortir.
12:06 Mais bien entendu, pour Karl Lagerfeld, tout était possible.
12:10 Pour Karl Lagerfeld à l'hôtel de Crion, les deux noms magiques associés ensemble.
12:14 On passe dans le salon des grands appartements.
12:16 Donc, angle, voici, d'angle là, vu sur la Concorde toujours.
12:19 L'effet aussi incroyable de découvrir cette grande pièce,
12:22 la cheminée, choisie par Karl également, la pendule.
12:25 Tous ces petits détails, c'est parce que c'était la vie de Karl à Paris.
12:29 Donc, c'était les antiquaires qu'il aimait, c'était les métiers d'art qu'il aimait.
12:32 L'idée, c'est que quand on rentre dans ces pièces,
12:34 c'est comme si Karl venait de quitter la pièce.
12:36 On ressent vraiment son esprit.
12:37 C'est son décor, c'est son goût, c'est son dessin.
12:40 Alors, il y a des histoires encore partout, mais surtout ici, cette fameuse chauffeuse.
12:44 Là, c'est un dessin particulier que Karl a voulu pour l'hôtel de Crion.
12:48 Évidemment, ça reprend cette attitude divine de pouvoir à la fois imaginer
12:52 qu'on s'allonge ou qu'on s'assoie très confortablement.
12:55 Je me souviens d'une aventure très drôle.
12:58 Je reçois une lettre de Karl avec ce dessin de ce canapé.
13:01 Il y avait tout dans ce dessin.
13:03 Quand on regarde le dessin en détail, je repensais à tout ce qu'on racontait
13:07 sur Karl dans La Mode, qu'on retrouve tout dans son croquis.
13:09 Karl, architecte, c'est exactement la même chose.
13:12 Il y avait un croquis qui était parfait parce qu'il y avait la proportion juste,
13:15 il y avait toutes les explications, il y avait tous les essais qu'il fallait faire.
13:18 On agrandit ce croquis, on le met à l'échelle,
13:20 on l'envoie à l'entreprise Siégère qui se met à travailler dessus pendant le week-end
13:25 parce qu'il y avait une très belle rencontre avec Karl ici sur le chantier.
13:28 On voulait le surprendre et avoir le prototype du croquis qu'il venait de faire.
13:32 Et l'entreprise m'appelle le dimanche, il travaillait le dimanche
13:35 pour pouvoir être prêt à temps et me dit « nous sommes en face d'un chef-d'œuvre,
13:38 il n'y aura rien à changer ».
13:39 Et en effet, c'est presque le prototype de base.
13:42 Et Karl a juste ajouté ce petit creux parce que soudain lorsqu'on s'assoie,
13:47 évidemment, c'est un autre rapport à l'élégance et à l'attitude avec la hauteur des épaules,
13:53 cette quête d'élégance dans la proportion de tout, que ce soit un fauteuil, un canapé,
13:57 ici ce grand canapé aussi.
13:59 Quand je m'assois dessus, en fait, toute la recherche a été menée
14:03 et toutes les demandes de Karl étaient de regarder précisément la hauteur des pieds.
14:07 On était à un centimètre près pour arriver à la juste attitude,
14:10 pouvoir se croiser les jambes, avoir une belle élégance naturelle.
14:14 Ça, c'est aussi une lettre que j'avais reçue une fois de lui.
14:17 Il avait découpé la couverture d'un livre pour montrer la hauteur du fauteuil d'une bergère
14:21 et la jupe d'une femme assise dessus, comme elle était élégante parce que ce n'était pas très haut.
14:26 Et c'est comme ça qu'on est arrivé à la hauteur de cette pièce de mobilier.
14:29 Tout ça, ça donne évidemment une allure aux pièces.
14:32 Ça, c'était le mot de Karl.
14:33 Il parlait de l'allure d'une pièce, de l'allure d'un meuble.
14:36 Et de rapporter ce mot, en fait, de la haute couture à la haute décoration, c'est génial
14:41 parce que c'est ce qu'on ressent quand on rentre dans une pièce qui a été imaginée,
14:44 dessinée, conçue par Karl Lagerfeld.
14:46 Elle a une autre allure et c'est une élégance folle.
14:49 On passe à la chambre.
14:50 Donc chacun des grands salons est ouvert sur sa chambre.
14:53 Il y a toujours deux passages vers la chambre.
14:56 Et ça, ça fait partie aussi du chic et de l'attitude dans un palace comme l'hôtel de Crion.
15:01 Et ce que Karl a voulu aussi faire, c'est toujours préserver l'intimité.
15:04 Donc nous avons une porte qui rentre directement depuis l'entrée,
15:07 une autre porte qui rentre depuis le grand salon.
15:10 Et ici, on est dans une pièce beaucoup plus basse, beaucoup plus cocon.
15:14 Et c'est drôle parce que lorsqu'on travaillait sur le projet,
15:17 Karl a souhaité à chaque fois visiter le chantier.
15:19 C'est ça qui était magique.
15:20 Et pour cette pièce-là précisément, il faisait référence au traité d'architecture de Blondel du XVIIIe siècle.
15:26 C'est le premier grand traité de l'architecture qui décrivait en fait la couleur,
15:29 les patines qu'il fallait choisir par rapport à la hauteur d'un plafond,
15:32 par rapport aux proportions des pièces.
15:34 On a l'impression que c'est la même patine, que c'est la même chromie, mais en fait, pas du tout.
15:38 C'est soudain un peu plus foncé.
15:40 Les motifs sont légèrement plus grands pour accentuer justement cet effet,
15:44 toujours le même, d'intime, mais aussi de théâtral.
15:47 Là, nous traversons le dressing.
15:49 Nous sommes dans la deuxième grande salle de bain, le salon des bains,
15:54 le code noir et blanc, donc une salle de bain en arabescato fantastico.
15:58 Celle-là en river black avec de l'onyx miel,
16:02 cette petite référence à l'antique, mais à un côté très classique et à la fois très artistique
16:07 puisque Karl a voulu au sol reconstituer exactement la grande dalle
16:11 avec sa grande rivière, le grand dessin.
16:14 Toujours tout ce qui rappelait en fait ses croquis, ses esquisses,
16:17 qui étaient tellement poétiques, tellement belles, tellement justes,
16:20 et là qu'on retrouve dans la pierre.
16:21 Il aimait beaucoup cette baignoire avec la pierre découpée.
16:24 Ce n'est pas de la mosaïque.
16:25 Il trouvait que ça donnait un confort assez exceptionnel.
16:28 Évidemment, la finition des robinetteries, toujours très Karl Lagerfeld,
16:31 des canons de fusil, noirci.
16:36 Là, je vais vous montrer une petite curiosité.
16:39 Nous sommes dans le powder room.
16:41 Ce qu'il y a de particulier dans ce powder room,
16:43 c'est cette fontaine provenance Versailles.
16:45 J'ai eu l'instinct de les proposer à Karl Lagerfeld
16:47 en me disant, je suis sûre qu'il va trouver une idée merveilleuse.
16:50 Eh bien, cette idée de génie, c'est d'en faire des lave-mains dans le powder room
16:54 de l'entrée de chacun des grands appartements.
16:57 Alors là, je vous amène dans un endroit très particulier,
16:59 la suite Choupette, comme le nom du chat de Karl, qu'il affectionnait tant.
17:03 Choupette a visité aussi l'hôtel de Crion.
17:05 C'était un grand moment de tendresse.
17:06 Toute cette histoire a commencé lorsqu'on dessinait l'agencement
17:10 de l'emplacement des grands appartements par rapport à ce hall d'arrivée.
17:13 Soudain, cette pièce s'est retrouvée connectée à ces grands appartements.
17:17 Et vraiment, avec une toute première plaisanterie,
17:20 j'avais un petit porte-clés Choupette, je le mets dans cette chambre sur la maquette.
17:24 Et là, je dis, et si on faisait une chambre Choupette ?
17:26 Et Choupette a donc sa suite à l'hôtel de Crion.
17:30 Alors là, nous sommes dans le couloir de la suite Choupette, très intime.
17:34 Boiserie très contemporaine, le tapis gris noir, un peu griffé.
17:40 Et puis, les photos de Karl partout.
17:42 Là, on est vraiment dans le regard du photographe
17:44 et dans l'intime de sa relation avec Choupette.
17:47 Nous rentrons donc dans la suite Choupette.
17:49 Un petit cocon très intimiste, tout doux comme Choupette.
17:53 Évidemment, le ton est donné par cette très grande photo en noir et blanc.
17:57 À partir de cette photo, tout le décor s'est construit.
17:59 Le tapis au sol, comme si Choupette l'avait griffé,
18:02 qui va du blanc au noir avec des grandes griffures.
18:05 Les rayures noir et blanc.
18:06 Et puis, évidemment, un ciel de lit dessiné sur mesure,
18:09 le canapé dessiné sur mesure que Karl a voulu.
18:12 Très, très doux, comme des oreilles de chat.
18:14 Le bureau par le studio Glittero en papier mâché, beaucoup de délicatesse.
18:19 Dans ces grands appartements et dans cette suite Choupette,
18:21 on retrouve tout l'esprit de Karl Lagerfeld.
18:23 Il disait toujours "l'antique, c'est moderne".
18:26 Un jour, en séance de travail, en regardant les plans, les plans d'agencement,
18:30 toute l'évolution du projet, il me regarde et il me demande si je connaissais Elsie de Wolf.
18:34 Je réponds oui, mais je trouve la question un peu curieuse.
18:37 Je demande pourquoi.
18:39 Il me dit parce que lorsqu'elle dessinait un plan, elle disait "il n'y a pas de deuxième option".
18:43 "There is no second option".
18:44 Avec vous, il n'y a pas de deuxième option.
18:46 Et ce cadeau de la confiance de Karl, en fait, pour cette collaboration,
18:50 est un cadeau immense, évidemment.
18:52 Ce que je souhaiterais qu'on retienne ici, c'est son génie créatif,
18:55 son attachement aux arts décoratifs français, sa précision d'architecte.
18:59 Pour moi, ça a été une aventure humaine extraordinaire.
19:01 Évidemment que l'héritage de Karl Lagerfeld perdure.
19:05 Ici, à l'Hôtel de Crion, nous avons une chance énorme.
19:08 C'est vraiment un endroit où il a témoigné de son amour de la France,
19:12 de son amour de Paris, en fait, et de cette élégance toute française
19:15 qu'il nous transmet avec cette leçon de haute décoration.
19:18 - Bonne journée, messieurs-dames. - Bonne journée.
19:20 Sous-titrage Société Radio-Canada
19:22 www.société-radio-canada.com
19:24 Voir une autre vidéo ...

Recommandations