"Ce visage de madone que tu as. C’est aussi ça qui les emmerde..." - Philippe Djian

  • il y a 4 ans
Philippe Djian est né à Paris. Son roman, "37°2 le matin" a marqué les années 1980. Dans cette lettre adresse à Greta Thunberg, il prend la défense de la jeune activiste et la présente comme l'emblème d'un renouveau nécessaire.


Lecture par Augustin Trapenard.


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Transcript
00:01Biarritz, le 21 avril 2020.
00:04Ma chère Greta, ma chérie. Je suis un vieil homme à présent, ne crains
00:08rien. Tu es loin, je peux te donner du ma chérie sans que ton père ne cherche à
00:11m'étrangler. C'est bien qu'il veille sur toi, qu'il traverse l'océan en bateau
00:15pour t'accompagner. J'en serais malade s'il arrivait quelque chose.
00:18La nuit viendrait. C'est pas le moment.
00:21Ce n'est pas une plaisanterie, c'est juste une mauvaise plaisanterie que nous
00:24vivons. Comme de marcher dans du miel et en foutre partout sous ses semelles.
00:28Au-delà des images, il y a une drôle d'odeur.
00:30Je ne devrais pas la sentir à mon âge, je devrais perdre l'odorat, mais je ne
00:33respire que ça.
00:35Ce doux parfum de pourriture, j'en perçois toutes les saveurs.
00:39Pandemic is not for sissies.
00:42Heureusement que t'es là.
00:43C'est quand même drôle ce qu'une bande de connards a pu dire sur toi, j'ai halluciné.
00:46Ils me dégoûtent. Mais qu'est-ce qu'ils ont dans la tête, ces gens-là ?
00:49Comment font-ils pour se maintenir en vie ?
00:51Ils sont écœurants, n'est-ce pas ? Ils donnent envie de changer de trottoir, de
00:54respecter les distances. Pour une fois. Je suis désolé pour eux,
00:57ils se sont allongés dans leurs tombes et ce sont eux-mêmes couverts de terre,
01:00tout confits d'orgueil. On n'y peut rien.
01:03On ne discute pas avec des zombies.
01:05Les gens ne s'arrangent pas en vieillissant. C'est une vraie tragédie.
01:09J'aime ton sourire. Tu es plus belle que le ciel et la mer.
01:12Dommage que Cendrars ait trouvé ça avant moi.
01:14Lis Cendrars, c'est la meilleure chose à faire pendant le confinement.
01:17Et puis Sur la route, bien sûr. Et quelques poèmes de Walt Whitman avant de
01:20s'endormir. Ton sourire me fait du bien.
01:23Je suis touché par ta beauté.
01:25Tu as une beauté apaisante.
01:27J'emporterai ta photo avec moi, quand j'irai en Ephad.
01:31Je te soutiens à 100% dans ton combat,
01:33mais j'aime tes yeux aussi, et tes nattes.
01:35Je viens de terminer un roman où je parle de toi, sauf que tu as la trentaine et
01:38qu'on y boit du vin importé du nord de la Suède.
01:40Je voyais aussi Naomi Klein en l'écrivant, c'était pas toujours très gai comme
01:43roman, mais tu restais dans les parages et elle aussi.
01:46Et ça m'aidait. Je me sentais en bonne compagnie. Ce visage de
01:50madone que tu as. C'est aussi ça qui les emmerde.
01:53Cette partie qu'ils ont perdu d'avance, ces ténèbres vers lesquelles ils glissent
01:57quoi qu’ils dégoisent. Je te l'enverrai quand les postes marcheront.
02:02On m'a demandé de tenir un journal de confinement, mais pourquoi on ne demande
02:05pas ça à un type qui dort dans la rue ? Si on veut savoir comment ça se passe. On voit
02:08bien que ce monde doit changer, les choses deviennent trop absurdes
02:11au bout d'un moment. Rien ne me convient.
02:14Aucun parti, aucune figure.
02:17Je me suis réveillé un soir et tu passais à la télé, et avant même de savoir
02:21qui tu étais, je me suis levé et je me suis approché de l'écran pour te voir de plus
02:25près. Je pensais que tu portais un masque de porcelaine.
02:29Bref, voilà. Cette lettre,
02:33ma chérie.
02:35Fais-en ce que tu veux.
02:37Ph. - Philippe Djian.

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