Je me suis d’abord interrogé sur les notions de « territoire » et de «frontière». Si ces terminologies renvoient en premier lieu à l’espace, ce dernier est pour moi indissociable du concept de temps. Mais comment inscrire à l’image les notions de « temporalité » et d’« espace » ?
Pour résoudre l’équation temporalité/territoire français, ma première idée a été de photographier des distances historiques: en un seul acte photographique, une seule pose longue, parcourir une distance et l’inscrire sur l’émulsion photosensible. Mais le résultat trop abstrait n’était pas convaincant, je ne pouvais me satisfaire du seul concept en choisissant d’abandonner complètement la forme au profit du fond. La représentation palpable du lieu reste primordiale pour moi.
D’une façon générale, j’ai souvent du mal à définir précisé- ment un projet avant de m’y confronter photographiquement. J’ai besoin de savoir d’où je pars tout en ne sachant pas exactement où je vais. Mon point de départ était donc ce souhait de travailler autour de la temporalité dans la continuité de mes précédents travaux.
Paris
L’œuvre d’Eugène Atget est depuis longtemps une source d’inspiration et de questionnement. Alors qu’au début du xxe siècle apparaissaient des appareils plus légers et
plus rapides, Atget photographiait Paris à la chambre, ce qui exigeait des poses longues. Par son attachement au caractère documentaire de l’image, son œuvre a fortement influencé la plupart des photographes paysagistes. En parcourant son travail, je suis retombé sur un non moins illustre photographe qui immortalisa la capitale : Daguerre, et son «Inconnu du boulevard du Temple»,qu’il réalisa en 1838. Longtemps considéré comme celui de la première figure humaine enregistrée, ce cliché historique incarne alors les limites du procédé photographique. Dans un monde soumis à l’écoulement du temps, la vitesse de prise de vue apparaît comme un critère essentiel du réalisme de la représentation. L’idée n’était pas de chercher une filiation avec Daguerre, mais je suis parti de ce prétexte pour photographier la capitale cent soixante-quinze ans plus tard avec le même principe, à savoir des temps de pose longs (entre trente et soixante minutes). Le procédé est important, je crois que pour les photographes de ma génération (c’est-à-dire de l’argentique) la question du numérique et de sa manipulation est finalement un éternel questionnement. Dans l’acte photographique puis dans sa représentation finale.
Pour l’une de mes séries précédentes, j’avais photographié la mutation urbaine de Pékin avant les JO de 2008, et je m’étais attaché à photographier la ville de nuit (avec des temps de pose assez longs). Mon intention n’était pas d’esthétiser un paysage réel, et donc de travestir une réa- lité (même si par essence la photographie est une représentation non objective), mais de faire le portrait de Pékin. La capitale chinoise se transformait pour offrir au monde le visage d’une ville moderne, ses habitants n’étant plus que les fantômes d’un monde révolu. J’aimais l’idée que des gens passaient dans le champ sans pouvoir y être représentés. Un temps de pose donné, au final toujours un plan film, une seule image.
J’ai voulu faire de même en photographiant Paris. Je me suis rendu dans des lieux touristiques fréquentés par un flot perpétuel de passants. Avec une chambre grand format et à l’aide de filtres de densité neutre permettant d’allonger considérablement le temps de pose (trente à quarante-cinq minutes), la foule finit par disparaître. Paris se vide quelque peu, on devine juste des silhouettes impalpables, comme les âmes flottantes dont la capitale serait le purgatoire.
Retrouvez toutes les photos dans le livre de France(s) territoire liquide : http://www.fictionetcie.com/ouvrage/france-s-territoire-liquide/9782021158991
Pour résoudre l’équation temporalité/territoire français, ma première idée a été de photographier des distances historiques: en un seul acte photographique, une seule pose longue, parcourir une distance et l’inscrire sur l’émulsion photosensible. Mais le résultat trop abstrait n’était pas convaincant, je ne pouvais me satisfaire du seul concept en choisissant d’abandonner complètement la forme au profit du fond. La représentation palpable du lieu reste primordiale pour moi.
D’une façon générale, j’ai souvent du mal à définir précisé- ment un projet avant de m’y confronter photographiquement. J’ai besoin de savoir d’où je pars tout en ne sachant pas exactement où je vais. Mon point de départ était donc ce souhait de travailler autour de la temporalité dans la continuité de mes précédents travaux.
Paris
L’œuvre d’Eugène Atget est depuis longtemps une source d’inspiration et de questionnement. Alors qu’au début du xxe siècle apparaissaient des appareils plus légers et
plus rapides, Atget photographiait Paris à la chambre, ce qui exigeait des poses longues. Par son attachement au caractère documentaire de l’image, son œuvre a fortement influencé la plupart des photographes paysagistes. En parcourant son travail, je suis retombé sur un non moins illustre photographe qui immortalisa la capitale : Daguerre, et son «Inconnu du boulevard du Temple»,qu’il réalisa en 1838. Longtemps considéré comme celui de la première figure humaine enregistrée, ce cliché historique incarne alors les limites du procédé photographique. Dans un monde soumis à l’écoulement du temps, la vitesse de prise de vue apparaît comme un critère essentiel du réalisme de la représentation. L’idée n’était pas de chercher une filiation avec Daguerre, mais je suis parti de ce prétexte pour photographier la capitale cent soixante-quinze ans plus tard avec le même principe, à savoir des temps de pose longs (entre trente et soixante minutes). Le procédé est important, je crois que pour les photographes de ma génération (c’est-à-dire de l’argentique) la question du numérique et de sa manipulation est finalement un éternel questionnement. Dans l’acte photographique puis dans sa représentation finale.
Pour l’une de mes séries précédentes, j’avais photographié la mutation urbaine de Pékin avant les JO de 2008, et je m’étais attaché à photographier la ville de nuit (avec des temps de pose assez longs). Mon intention n’était pas d’esthétiser un paysage réel, et donc de travestir une réa- lité (même si par essence la photographie est une représentation non objective), mais de faire le portrait de Pékin. La capitale chinoise se transformait pour offrir au monde le visage d’une ville moderne, ses habitants n’étant plus que les fantômes d’un monde révolu. J’aimais l’idée que des gens passaient dans le champ sans pouvoir y être représentés. Un temps de pose donné, au final toujours un plan film, une seule image.
J’ai voulu faire de même en photographiant Paris. Je me suis rendu dans des lieux touristiques fréquentés par un flot perpétuel de passants. Avec une chambre grand format et à l’aide de filtres de densité neutre permettant d’allonger considérablement le temps de pose (trente à quarante-cinq minutes), la foule finit par disparaître. Paris se vide quelque peu, on devine juste des silhouettes impalpables, comme les âmes flottantes dont la capitale serait le purgatoire.
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