Dorothée Blanck
@DBlanck
" (...) naît en 1961 dans Cléo de 5 à 7, à 6 heures 10 précisément, lorsque son amie Cléo, lasse d'errer dans les rues de Paris, passe la prendre à l'atelier de sculpture où elle pose nue, pour faire un tour. Les vingt minutes qui suivent sont le point de départ, le "cogito", la séquence d'origine. La jeune femme y révèle un corps, une voix, un regard, un pas surtout, qui sont de la philosophie pure: comment mettre un pas devant l'autre, vivre, habiter ce monde ? Le corps lourd de Cléo (Dorothée Blanck dira de Corinne Marchand qu'elle était la seule actrice à pouvoir rivaliser avec les grandes stars américaines), alourdi encore du poids du souci, accentue, par antithèse, la légèreté de Dorothée Blanck, "celle qui vient à pas légers" (Jacques Réda), celle qui porte sa tête en marchant comme une devise silencieuse, celle qui court joyeusement vers le grand escalier, et vous laisse réconcilié et étourdi sur le bord du chemin, grâce à cette réponse échappée. Car elle passe, et ne fait que passer: "Je suis la femme d'un plan", différente mais toujours la même, dans ce plan unique qui marque, qui irrigue le film, en particulier ceux qu'elle a tournés avec Jacques Demy, comme un lien silencieux, ténu, invisible pour celui qui regarde distraitement, mais le plus tenace semble-t-il puisque Dorothée Blanck est la seule à passer quatre fois dans les différents chapitres de la comédie humaine de Demy, montrant à la fois que tout se tient, que le monde est comme tissé, et que tout est possible, que tout peut advenir. Minuscule et fugace symbole de liberté, et tellement légère qu'aucune histoire, aucune dramaturgie n'a prise, si bien qu'elle n'a pas à jouer (on a dit qu'elle jouait faux), mais seulement à être là, attestant par sa seule présence l'infini des histoires, des parcours, des chemins: elle ne fait que passer, mais elle reste. Elle est toujours là d'ailleurs, 25 ans plus tard, prenant une douche chez elle dans l'évier de sa cuisine. Politique en acte cette fois (ou image politique), première leçon de ce petit manifeste essentiel réalisé par Haydée Caillot, Qui êtes-vous Dorothée Blanck ? Comment se laver quand on n'a pas de salle de bain ? Comment vivre sans travailler ? Comment se déplacer à Paris ? Comment aimer sans posséder ? Comment porter sa tête avec la même grâce ? Comment conserver le pas, ce pas léger et libre, sans même avoir à refuser les chaînes d'un système presque ignoré ? Pas de militance, seulement des ficelles, un regard et un maintien qui font de Dorothée Blanck le plus grand professeur de philosophie politique du Marais. Un professeur qui a toujours écrit, mais n'a commencé à publier qu'en 1991. Jérôme Reybaud"
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