Pierre de Ronsard - Hymne de l'automne

  • il y a 11 ans
Le jour que je fus né, le Démon qui préside
Aux Muses me servit en ce Monde de guide,
M'anima d'un esprit gaillard et vigoureux,
Et me fit de science et d'honneur amoureux.
En lieu des grands trésors et de richesses vaines,
Qui aveuglent les yeux des personnes humaines,
Me donna pour partage une fureur d'esprit,
Et l'art de bien coucher ma verve par écrit.
Il me haussa le cœur, haussa la fantaisie,
M'inspirant dedans l'âme un don de Poésie,
Que Dieu n'a concédé qu'à l'esprit agité
Des poignants aiguillons de sa divinité.
Quand l'homme en est touché, il devient un prophète,
Il prédit toute chose avant qu'elle soit faite,
Il connaît la nature, et les secrets des deux,
Et d'un esprit bouillant s'élève entre les Dieux.
Il connaît la vertu des herbes et des pierres,
Il enferme les vents, il charme les tonnerres,
Sciences que le peuple admire, et ne sait pas
Que Dieu les va donnant aux hommes d'ici-bas,
Quand ils ont de l'humain les âmes séparées,
Et qu'à telle fureur elles sont préparées,
Par oraison, par jeûne, et pénitence aussi,
Dont aujourd'hui le monde a bien peu de souci.
Car Dieu ne communique aux hommes ses mystères
S'ils ne sont vertueux, dévots et solitaires,
Éloignés des tyrans, et des peuples qui ont
La malice en la main, et l'impudence au front,
Brûlés d'ambition, et tourmentés d'envie,
Qui leur sert de bourreau tout le temps de leur vie.
Je n'avais pas quinze ans que les monts et les bois,
Et les eaux me plaisaient plus que la cour des Rois,
Et les noires forêts épaisses de ramées,
Et du bec des oiseaux les roches entamées :
Une vallée, un antre en horreur obscurci,
Un désert effroyable, était tout mon souci,
Afin de voir au soir les Nymphes et les Fées
Danser dessous la Lune en cotte par les prées,
Fantastique d'esprit, et de voir les Sylvains
Être boucs par les pieds, et hommes par les mains,
Et porter sur le front des cornes en la sorte
Qu'un petit agnelet de quatre mois les porte.
J'allais après la danse et craintif je pressais
Mes pas dedans le trac des Nymphes, et pensais,
Que pour mettre mon pied en leur trace poudreuse
J'aurais incontinent l'âme plus généreuse,
Ainsi que l'Ascréan qui gravement sonna,
Quand l'une des neuf Sœurs du laurier lui donna.
Or je ne fus trompé de ma douce entreprise,
Car la gentille Euterpe ayant ma dextre prise,
Pour m'ôter le mortel par neuf fois me lava,
De l'eau d'une fontaine où peu de monde va,
Me charma par neuf fois, puis d'une bouche enflée
( Ayant dessus mon chef son haleine soufflée )
Me hérissa le poil de crainte et de fureur,
Et me remplit le cœur d'ingénieuse erreur,
En me disant ainsi : Puisque tu veux nous suivre,
Heureux après la mort nous te ferons revivre,
Par longue renommée, et ton los ennobli
Accablé du tombeau n'ira point en oubli.
Tu seras du vulgaire appelé frénétique,
Insensé, furieux, farouche, fantastique,
Maussade, mal plaisant, car le peuple médit...

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