De la Première Guerre mondiale au début des années 1930, le grand reporter Albert Londres s'est battu pour éclairer l'opinion publique, pour donner à voir un monde encore inaccessible et dénoncer quelques-uns de ses scandales. Pionnier, il a défendu des valeurs démocratiques et l'exercice noble de son métier. Mais il a aussi inventé une nouvelle forme de journalisme pour se rapprocher de ses lecteurs. Albert Londres a parcouru le monde, ses zones de conflits, avec sensibilité et humanisme. Au coeur de ses reportages, il plaçait les hommes et les femmes qu'il rencontrait.
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00:00Mai 1932, au large de l'océan Indien, un navire sombre,
00:16emportant avec lui le plus grand reporter du XXe siècle, Albert Londres.
00:22Il mourra comme il l'avait vécu, loin de chez lui,
00:25couvrant lors d'un long voyage une zone de conflit.
00:30Avant de disparaître, entrevit-il une dernière fois les visages qui le hantèrent toute son existence ?
00:40Pionnier, comment ce jeune poète révolutionna-t-il le journalisme,
00:48à une époque où la presse tirait à des millions d'exemplaires ?
00:53Aventurier, il explora pendant 20 ans, tel un nouvel Ulysse,
00:58des contrées périlleuses pour ouvrir ses lecteurs à la marche du monde.
01:05Il s'est accompli à travers ses reportages, seul témoignage de sa vie.
01:11Son héritage, ce sont ses mots, la singularité de sa voix, de son regard.
01:16Dans son bureau, où il faisait escale entre deux traversées,
01:23de correspondants de guerre à grands reporters,
01:26il écrivit des articles de plus en plus engagés.
01:28De la Russie bolchevique à l'extrême-orient,
01:35des bagnes à la persécution des juifs,
01:37il s'efforça d'éclairer l'opinion publique,
01:40de décrire un monde inaccessible,
01:42et de dénoncer quelques-uns de ces scandales.
01:48Visionnaire, Albert Londres plaça au cœur de ses reportages,
01:50son humanisme.
02:031904.
02:04Un jeune homme discret arrive à Paris dans l'indifférence générale.
02:09Provincial d'origine modeste,
02:11Albert Londres ne connaît rien à l'univers de la presse.
02:14Simple journaliste parlementaire,
02:16il rêve de poésie et d'aventure.
02:18Sa vie bascule en septembre 1914.
02:23Alors que les Allemands sont aux portes de Paris,
02:25il décide de rester.
02:26Il a 30 ans et a envie de témoigner.
02:30La rédaction du matin lui donne sa chance.
02:34Il ignore alors que la guerre le transformera définitivement.
02:39Il arrive au cœur de la bataille de la Marne.
02:43Très ébranlé, il griffonne ses impressions sur son carnet de poésie.
02:46Profondément humain,
02:49son premier article rend hommage aux vaincus.
02:51La plaine était encore chaude.
02:59Derrière une meule,
03:00des cadavres d'ennemis marquaient l'extrême limite de l'avance allemande.
03:05Abattus dans les poses les plus diverses,
03:08ils se mariaient sinistrement à la terre.
03:13Nous ne pûmes leur refuser une pitié
03:14à cause des parents qui ignoreront toujours
03:17l'endroit où s'acheva leur destin.
03:23Une offensive allemande se prépare à Reims,
03:27lieu symbolique du sacre des rois de France.
03:30Impuissant face au bombardement,
03:32il a entre les mains une seule arme,
03:35ses mots,
03:37sa langue de poète.
03:38La cathédrale profilait la majesté de ses lignes
03:49et chantait dans le fond de la plaine
03:51son poème de pierre.
03:55Et tirant ses lignes vers le ciel,
03:57elle prie ardemment.
04:00Elle recommande son âme à Dieu.
04:02Les photographies ne vous diront pas son état.
04:10Les photographies ne donnent pas le teint du mort.
04:15Nous vîmes tomber des gouttes d'eau.
04:17Ce n'était pas la pluie.
04:18C'était la cathédrale pleurant sur elle-même.
04:24La qualité de son écriture est immédiatement remarquée.
04:27Son article paraît, signé,
04:30à la une du matin.
04:30Le style Albert Londres est né.
04:35L'impact est immédiat.
04:37La France rassemble alors 10 millions de lecteurs.
04:39C'est l'âge d'or de la presse.
04:41Albert Londres est promu,
04:43envoyé spécial dans le Nord.
04:51Il déclare,
04:52écrire, c'est se battre.
04:55Pour toucher un large public,
04:57il incarne l'histoire avec des témoins
04:59auxquels le lecteur puisse s'identifier.
05:01Le petit garçon avait 11 ans.
05:09Son métier de fortune était de crier les journaux.
05:13Ce matin, il avait bien vendu.
05:16Arrêté sur le trottoir, il comptait sa monnaie.
05:18Une bombe tomba du ciel à ses pieds.
05:22Un des éclats lui enleva un morceau du crâne.
05:26Il croula.
05:28Une dame ramassa les sous et vint les glisser dans la poche de l'enfant.
05:33L'enfant avait les yeux ouverts.
05:36Il dit « Merci » et mourut.
05:39En mars 1915,
05:44les Alliés préparent une offensive en Orient.
05:46Albert Londres pense que c'est le tournant de la guerre.
05:49Le matin refuse de le laisser partir.
05:52Il claque la porte et entre au petit journal.
05:56Il peut enfin répondre à l'appel du large,
05:59à son désir d'aventure.
06:00Son odyssée commence à bord d'un navire militaire.
06:05Il écrit à ses parents
06:06alors qu'il suit les manœuvres de nuit.
06:10Il m'est défendu de m'éclairer
06:12même le temps de deux allumettes.
06:14Je sors cependant mon carnet,
06:15mon crayon
06:16et, en pleine ténèbre,
06:19ne voulant pas oublier
06:20tel cri que j'ai entendu,
06:22tel coup que j'ai ressenti,
06:24une ligne par page.
06:26Je me mets à écrire.
06:30Albert Londres s'est replié à Salonique
06:35avec l'armée d'Orient.
06:37Il rêvait de liberté
06:38et se trouve piégé dans une ville assiégée.
06:43Parti depuis deux ans,
06:45il se tourmente.
06:46Il aimerait tant revoir sa petite Florise.
06:50Ressemble-t-elle toujours à sa mère ?
06:54Veuve à 21 ans,
06:56inconsolable.
06:57Il avait vécu seul avec sa fille
06:59avant de la confier à ses parents
07:00au début de la guerre.
07:05Savait-il que son départ en Orient
07:06lui avait brisé le cœur ?
07:09Pour compenser son absence,
07:11il lui écrira des centaines
07:12de cartes postales
07:13de tous les continents.
07:22Le Parthénon,
07:23ou rien qu'en le regardant,
07:25on apprend à bien écrire.
07:29Le thermomètre éclate
07:30à 55 degrés au soleil.
07:32C'est exceptionnel,
07:33paraît-il.
07:34Il n'arrive que des choses exceptionnelles
07:36partout où je me trouve.
07:37C'est la sixième carte que je t'envoie.
07:39De retour en France en juin 1917,
07:45Albert Londres intègre fièrement
07:47pour le petit journal
07:48la mission de presse
07:49créée par le ministère de la guerre.
07:53Soumis au code de la justice militaire,
07:55les faits et gestes des correspondants,
07:57les brassards verts,
07:58sont contrôlés
07:59et leurs articles censurés.
08:03Sur ses archives inédites,
08:05Albert Londres accompagne
08:06Georges Clémenceau
08:07lors d'une visite à Bonneuil-en-Valois.
08:15Épuisé par quatre années de terrain,
08:17confronté à une atmosphère
08:19de fin du monde,
08:20il ne s'habitue ni à la guerre,
08:22ni à la censure.
08:24L'homme libre s'impatiente.
08:25Aviez-vous vu le désert,
08:44le seul connu jusqu'à ces dernières années
08:46et qui généralement se trouvait hors d'Europe ?
08:48Si vous l'aviez vu,
08:50il vous faudra entreprendre un autre voyage.
08:53Une seconde sorte de désert
08:55vient apparaître à la surface du globe.
08:57Il est dans la Somme.
08:59Pas d'oasis,
09:01mais des pancartes.
09:03Ce sont des pancartes
09:04qui remplacent les villages.
09:05Albert Londres est devenu un autre homme.
09:13Il affirme le moteur de son existence,
09:15son indépendance d'esprit.
09:18Avec une certaine arrogance,
09:19il met en cause un de ses supérieurs
09:21et se fait renvoyer de la mission de presse
09:23en juin 1918.
09:26La guerre finit.
09:28Il retourne enfin à Vichy
09:29pour retrouver les siens.
09:30Il reconnaît à peine Florise.
09:36Elle a 14 ans.
09:41Cependant,
09:42au lieu de l'emmener à Paris
09:43pour rattraper le temps,
09:44il décide de mettre sa vie
09:46au service de sa passion.
09:48Le grand reportage.
09:50Écoute ton père.
09:52J'ai un nom à présent.
09:54Un nom et une tribune.
09:56Je vais aller regarder,
09:58écrire tout ce que je verrai.
10:00Il y a trop de malheurs
10:02dans le vaste monde
10:03pour qu'on se permette de s'asseoir.
10:06Deux années plus tard,
10:08il devient grand reporter
10:09pour l'Excelcior,
10:10un quotidien populaire
10:12pionnier du photojournalisme.
10:16Devenir une signature
10:17signifie prendre des risques.
10:20Justement,
10:21Albert Londres aime l'aventure.
10:23Fasciné par la révolution
10:25d'octobre 1917,
10:26puisqu'aucun journaliste français
10:28n'a pénétré en Russie,
10:29il veut être le premier.
10:33À la recherche d'un sauf-conduit,
10:35il explore Berlin,
10:37Copenhague,
10:37Tallinn,
10:38Helsinki.
10:4252 jours
10:43et 19 visas plus tard,
10:45il entre dans le pays interdit.
10:46Dans quel monde
10:50allait-il être emporté ?
10:52À Moscou,
11:03sous haute surveillance,
11:04il préfère aux réunions de cellules
11:06se mêler à la foule.
11:08Il invente sa méthode,
11:11traîner,
11:11observer,
11:12noter,
11:13trouver une image
11:14pour attaquer son prochain article.
11:17Sur les trois correspondants
11:18étrangers vivant en Russie,
11:20deux sont devenus communistes.
11:24L'homme n'est pas arrivé
11:26au XXe siècle
11:27pour posséder
11:28des libertés individuelles.
11:30Les cobayes de Lénine,
11:32ce sont des hommes.
11:34La révolution française
11:35avait proclamé
11:36les droits de l'homme.
11:38La révolution bolchevique
11:39proclame
11:40les droits de l'État
11:41sur l'homme.
11:51Albert Londres
11:52traverse un cauchemar éveillé.
11:55Dans ses articles,
11:56ses mots d'esprit
11:57masquent son inquiétude,
11:58sa gravité.
11:59C'est une ville
12:04assassinée depuis deux ans
12:06et laissée là
12:07sans sépulture
12:08et qui lentement
12:09se décompose.
12:12Il faut interrompre
12:13sa marche
12:14vingt fois par heure
12:15tant est impérieuse
12:16la nécessité
12:17de se certifier
12:18à soi-même
12:18que ce n'est pas
12:19votre esprit
12:19qui déraille.
12:22300 000 personnes
12:24y ont trépassé
12:25cet hiver.
12:26Ce ne sont pas
12:26les voitures
12:27qui les ont écrasées,
12:28il n'y en a pas.
12:29C'est le typhus.
12:35Les gens circulent
12:36portant l'infâme bouillon
12:38dans des choses hygiéniques.
12:40Avidement,
12:41ils l'avalent.
12:43C'est le dernier degré
12:44de la dégradation.
12:46Ce sont des étables
12:47pour hommes.
12:49C'est la troisième
12:50internationale.
12:52À la quatrième,
12:53on marchera
12:54à quatre pattes.
12:55À la cinquième,
12:57on aboiera.
12:59la police politique
13:14tente de le supprimer.
13:16Cet assassinat manqué
13:17fait-il partie
13:18de son mythe ?
13:19Ces articles illustrés
13:23font sensation
13:24alors que la presse
13:26traverse une crise profonde.
13:28Le lectorat est méfiant
13:29depuis la propagande
13:30de la Grande Guerre.
13:34De retour en France,
13:35il s'enferme
13:36dans son bureau,
13:37lieu unique
13:38d'écriture
13:38et de création.
13:39dans ce refuge,
13:43il reprend son souffle
13:44pour poursuivre
13:45son odyssée.
13:47Il rêve
13:47de réinventer
13:48le journalisme
13:49d'aventure
13:49et se prépare
13:50à une course folle
13:51autour du globe.
13:58Albert Londres
13:59réalise enfin
14:00son rêve de jeunesse
14:01en embarquant
14:02à 37 ans
14:03pour 11 mois
14:04en Extrême-Orient.
14:05Il ambitionne
14:08de décrire
14:09à son lecteur
14:10un monde
14:10inaccessible,
14:11de l'instruire
14:12et de le faire rêver
14:14sur des destinations
14:14exotiques.
14:22Il ignore
14:23tout du Japon.
14:29Tout ce qu'on savait
14:30de ce pays,
14:31c'est qu'il faisait
14:31effectivement partie
14:32de ce qu'on appelle
14:33le système solaire.
14:35Pour faire face
14:50à ce climat
14:50d'étrangeté absolue,
14:52Albert Londres
14:53écrit ses articles
14:53à la première personne
14:54du singulier.
14:56C'est le seul moyen
14:57de ne pas perdre pied.
14:59Il se met en scène
15:00pour provoquer
15:01l'empathie du lecteur.
15:03Son utilisation
15:04du jeu
15:04est révolutionnaire.
15:07Il vient d'inventer
15:08le journalisme moderne.
15:13Tout de suite,
15:14je fus l'objet
15:15d'un singulier étonnement.
15:17Je m'aperçus
15:18que j'étais un homme
15:19qui venait de perdre
15:19son nom.
15:21Subitement,
15:21je n'étais plus rien.
15:23Français.
15:24C'est comme si
15:25je m'étais écrié
15:26et je suis l'envoyé
15:27extraordinaire
15:28de la planète Mars.
15:30Que dans une foule,
15:31je tire une cigarette
15:32de ma poche
15:33et mes effarouchées
15:35petites voisines
15:35à pince de homard
15:36subitement se garent.
15:38Il part deux mois en Chine.
15:55Il écrit à Florize.
15:57Bon vivant,
15:58connu pour ses notes
15:59de frais légendaires,
16:01réputé séducteur,
16:02il sacrifie néanmoins
16:03sa vie privée
16:04à sa vocation.
16:08Il doit traverser
16:09des régions frappées
16:10par des guerres civiles.
16:13La Chine est alors
16:13un pays déliquescent
16:14où règnent
16:15des seigneurs de la guerre
16:16comme Tan Tio Ling,
16:18fameux coupeur de tête.
16:22Il a frôlé la mort,
16:24mais il aime repousser
16:25les limites.
16:27Il arrive enfin
16:28à Shanghai.
16:30Comment supporter
16:31son climat de violence,
16:33son luxe
16:33et son extrême pauvreté,
16:35son énergie
16:36et sa décadence ?
16:40Fois d'homme libre,
16:43la Chine a perdu la tête.
16:44Fleuve,
16:45chemin de fer,
16:47temple.
16:47Pour chacun,
16:48le pays est un butin.
16:50À Shanghai,
16:51on fait de l'argent.
16:54De New York,
16:55Londres,
16:56Hambourg,
16:56Constantinople,
16:57Bagdad,
16:58tous les gentlemen
16:59des banques
16:59se jetèrent ventre à terre
17:00sur la ville promise.
17:01la piraterie,
17:04le jeu,
17:05les cocktails,
17:07l'opium,
17:08la cocaïne,
17:08l'héroïne,
17:09trouvent dans Shanghai,
17:11la ville de leur éternel printemps.
17:13Comment survivre à cette atmosphère de folie,
17:19d'hallucination,
17:21d'extravagance ?
17:24Albert Londres est oppressé.
17:27Il voudrait fuir la réalité.
17:28Au fait,
17:35pourquoi suis-je en Chine ?
17:39Es-tu bien sûr,
17:39me dis-je,
17:40que les lecteurs de ton journal
17:42attendent chaque matin
17:43le cœur battant
17:44des nouvelles
17:45de Zhang Zoulin ?
17:47Un beau crime
17:51à Minilmontant
17:52l'emportera toujours
17:53sur un massacre
17:53dans la province du Chili.
17:575 000 cadavres
17:58n'ont pas la même valeur
17:59suivant qu'ils pourrissent
18:00à 500
18:01ou à 20 000 kilomètres
18:02de Paris.
18:03Que l'on me réveille,
18:12que l'on me fasse passer
18:13par les baguettes
18:14s'il le faut,
18:15mais je veux être appelé
18:16à la réalité.
18:18Je dois dormir encore.
18:20Mon chapeau,
18:21toujours mon chapeau,
18:23ma canne
18:24et mon manteau.
18:28J'ai soif de lumière.
18:33Cette lumière,
18:37il la trouve en Indochine,
18:39poursuit son périple en Inde
18:40et prend le chemin du retour.
18:46Après 11 mois d'absence,
18:48Albert Londres a retrouvé Florise,
18:50ses parents,
18:51son antre.
18:53Cependant,
18:54il veut aller plus loin,
18:56plonger dans les bas-fonds
18:57de l'âme humaine
18:58et prendre le relais
18:59de la presse anglo-saxonne,
19:01pionnière de l'aventure sociale.
19:04Un jour,
19:05il se sent prêt.
19:09Sa notoriété lui ouvre
19:11toutes les portes.
19:13Il choisit le quotidien,
19:14un journal socialiste d'opinion
19:16qui revendique son indépendance.
19:18Mais il refuse d'en suivre
19:19la ligne éditoriale.
19:21Messieurs,
19:22vous apprendrez à vos dépens
19:23qu'un reporter
19:24ne connaît qu'une seule ligne,
19:26celle du chemin de fer.
19:27Grâce à son ami
19:31Élie-Joseph-Bois,
19:32il entre alors
19:33aux petits parisiens
19:34qui tirent à 2 millions
19:35d'exemplaires.
19:36Une tribune exceptionnelle
19:37pour accueillir
19:38ses plus grands reportages.
19:39673 forçats
19:45réunis à Saint-Martin-de-Ré
19:46vont être embarqués
19:48sur le Lamartinière
19:49à destination de la Guyane.
19:52Un seul désir l'anime.
19:54Dénoncer les dysfonctionnements
19:55de la justice,
19:57influencer l'opinion publique,
19:59interroger notre humanité.
20:02Pendant deux mois,
20:02l'administration pénitentiaire
20:04lui ouvre ses portes.
20:107000 condamnés
20:11vivent sous l'autorité
20:12de 600 surveillants.
20:18C'était Cayenne.
20:24Puisqu'il refuse
20:25de dormir dans un hôtel miteux,
20:27le gouverneur le loge.
20:30Il photographie.
20:32Son ombre se profile
20:34sur certaines images.
20:36Il a franchi
20:37la porte des enfers
20:38et se raccroche
20:39à son amour infini
20:40pour Floris.
20:43Achetez le petit Parisien.
20:45Je vais faire 25 articles.
20:48Je rapporte
20:49un tonneau de rhum.
20:54Je n'avais encore jamais vu
20:56d'hommes en cage
20:56par cinquantaine.
20:58Cela grouillait
20:59dans le local.
21:02Ils jouent aux cartes.
21:05Ce n'est pas pour passer le temps,
21:05c'est pour gagner de l'argent.
21:08Papier et monnaie
21:09sont tassés dans un tube.
21:11Ce tube se promène
21:12dans leurs intestins.
21:14Quand ils le veulent,
21:15ils s'accroupissent.
21:16Albert Londres
21:20circule librement.
21:22La légende raconte
21:23qu'il méprisait le danger.
21:28Le matin,
21:29quand on ouvre la cage,
21:30on trouve un homme,
21:31le ventre ouvert.
21:32Qui l'a tué ?
21:33C'est leur loi d'honneur
21:34de ne pas se dénoncer.
21:36Un des quatre buts
21:37du législateur
21:37quand il inventa Cayenne
21:38fut le relèvement moral
21:40du condamné.
21:41Le bagne ?
21:44C'est Sodome et Gomorre
21:45entre hommes.
21:48Ils s'enfoncent
21:49dans la nuit guyanaise.
21:55Quelle magnifique route.
21:57On y travaille
21:57depuis plus de 50 ans.
21:59Elle a 24 kilomètres.
22:02C'est le bout du monde.
22:08Albert Londres
22:09attaque la seconde partie
22:10de son reportage.
22:11Les îles du Salut
22:12où vivent les condamnés
22:13à perpétuité.
22:15Une partie des bagnards
22:16libérés
22:16doit rester sur place
22:18un temps égal
22:19à leur peine.
22:20Si celle-ci dépasse
22:218 ans,
22:22ils sont obligés
22:23de vivre à Cayenne
22:24jusqu'à leur mort.
22:28On n'enterre pas,
22:29on immerge aux îles.
22:31Autrefois,
22:32on sonnait une cloche,
22:33on ne sonne plus.
22:35Les requins connaissaient
22:35ce signal
22:36et accouraient,
22:36dit-on.
22:38Ils accourent toujours.
22:40Le cadavre
22:41ne flotte pas longtemps.
22:45Comme dans la Russie
22:46des soviets,
22:47les hommes
22:47qu'ils rencontrent
22:48marchent à quatre pattes.
22:54Ici,
22:56morts vivants
22:56dans des cercueils,
22:57je veux dire,
22:58dans des cellules,
23:00des hommes
23:00expient solitairement.
23:03Ils passent
23:0320 jours du mois
23:04dans un cachot
23:04complètement noir
23:05et 10 jours,
23:07autrement,
23:07ils deviendraient aveugles,
23:08dans un cachot
23:09demi-clair.
23:11Un surveillant
23:12annonça dans les couloirs
23:13« Quel chien est-là
23:14qui vient de Paris ?
23:16Il entendra librement
23:17ceux qui ont quelque chose
23:18à dire. »
23:21Celui-là
23:21était vieux.
23:23J'ai perdu
23:24la liberté,
23:26j'ai perdu la lumière,
23:27j'ai perdu mon nom.
23:29Et il s'immobilisa,
23:32les yeux baissés,
23:34comme un mort debout.
23:36C'est un spectre
23:37sur fond noir
23:38qui me poursuit encore.
23:42À la porte d'une cellule,
23:44un nom.
23:45Dieu donné.
23:48Il se souviendra longtemps
23:49des larmes silencieuses
23:50du condamné.
23:52Des années plus tard,
23:53il parviendra
23:54à l'innocenté
23:55et le ramènera
23:56du Brésil
23:56où, évadé du bagne,
23:58il avait trouvé refuge.
23:59C'est ici
24:04qu'est roue 5.
24:07Le bagne
24:08est entré en moi.
24:10Je ne suis plus un homme.
24:11Je suis un bagne.
24:13Je ne peux pas croire
24:14que j'ai été
24:14un petit enfant.
24:15Un bagnard
24:15ne peut pas avoir
24:16été un petit enfant.
24:19Je lui dis
24:19des pauvres mots
24:20d'homme libre.
24:22Et il me répondit
24:23« Ouais,
24:25je finirai
24:26dans un requin. »
24:29mais je veux revoir
24:29le soleil.
24:34Il demande
24:34à pénétrer
24:35sur l'île
24:36où personne
24:36n'a le droit
24:37d'accoster.
24:39En croisant
24:39les premiers visages,
24:41il est pris
24:41de nausées.
24:4220 forçats
24:45lépreux
24:45étaient en train
24:46de perdre ici
24:47leur figure humaine.
24:49Aucun surveillant.
24:51Tous les deux jours,
24:51la barque de vivres arrive,
24:53alors ils la partagent
24:54en frères.
24:56Pas de cuisine commune.
24:58Ils se dégoûtent
24:59les uns les autres.
24:59Quelque chose
25:03tête recouverte
25:04d'un voile blanc
25:05était assis.
25:07Ses doigts
25:08étaient comme
25:09des cierges
25:09qui ont coulé.
25:11Lève ton voile
25:12un peu,
25:12mon ami,
25:12que je regarde.
25:14Il le releva
25:15tout doucement.
25:17Ses yeux
25:17n'étaient que
25:18deux pétales
25:19de rose.
25:21Nous reprime
25:22la barque.
25:23Sur la rive,
25:23un homme attendait
25:24assis sur l'herbe.
25:25« Qu'est-ce
25:26tu fais là,
25:27toi ? »
25:28On voyait
25:28une petite tache
25:29rose sur son front.
25:32« Je suis le nouveau. »
25:36Je rêve encore
25:39chaque nuit
25:40de ce voyage
25:41au bagne.
25:43C'est un temps
25:43que j'ai passé
25:44hors la vie.
25:47J'ai regardé
25:47les cent spectacles
25:48de cet enfer
25:49et maintenant
25:51ce sont eux
25:51qui me regardent.
25:55pour franchir
25:56à pied
25:56la distance
25:57de Royal
25:57au diable,
25:58trois minutes suffisent.
26:00Nous n'avons
26:01presque pas décollé
26:03de Royal.
26:04Il écrit son reportage
26:06de retour en France.
26:08Feuilletonant,
26:09les articles
26:09sont publiés
26:10quotidiennement
26:11pour tenir en haleine
26:11les lecteurs
26:12dont il reçoit
26:13des centaines
26:14de courriers.
26:16Les tirages
26:16augmentent,
26:17les lettres
26:17des bagnards
26:18se multiplient,
26:19l'enquête
26:19déstabilise
26:20le pouvoir.
26:22Albert Londres
26:23est devenu
26:23une figure nationale
26:24et publie un livre
26:25au bagne.
26:28Grisé par son succès,
26:29il court les librairies
26:30avec Florize
26:31pour vérifier
26:32la mise en place
26:32des exemplaires.
26:36Après les pénitenciers
26:38civils,
26:38il se tourne naturellement
26:40vers les pénitenciers
26:40militaires.
26:43Il parcourt
26:44la Tunisie,
26:45le Maroc
26:45et l'Algérie.
26:49Mon livre
26:50va fort bien.
26:51Albin Michel
26:52a inauguré
26:52en mon honneur
26:53les réclames
26:54lumineuses
26:55la nuit
26:56aux portes
26:57des libraires
26:57de Paris.
27:00Sous le nom
27:00de Biribi,
27:01plusieurs prisons
27:02incarcèrent
27:033500 soldats
27:04bagnards.
27:07Que voulez-vous voir ?
27:09Tout ?
27:10Nous partîmes
27:11à travers
27:11le pénitencier.
27:13Des Sénégalais
27:13veillaient
27:14sur un chemin de ronde.
27:16L'œuvre
27:16des condamnés militaires
27:17n'est pas un mythe.
27:19Elle est écrite
27:19dans la terre dure.
27:20L'une des bases
27:22de l'institution
27:23est le relèvement
27:23par le travail.
27:25Ration ordinaire
27:26un jour sur quatre,
27:27le reste du temps
27:28une gamelle par jour,
27:29c'est-à-dire la famine.
27:32Le lieu des punis
27:33est une verrue
27:34à l'extrémité du camp.
27:35C'est un petit carré
27:36de sol
27:36entouré d'épines.
27:38Il est aussi une corde
27:39qui donne à l'homme
27:40l'apparence du crapaud.
27:41Albert Londres
27:44dénonce la torture
27:46sans se montrer
27:46anti-militariste.
27:49À Cayenne,
27:50c'était la détresse.
27:52Ici,
27:53la terreur.
27:56On ne buvait
27:57que tous les sept jours
27:58quand passait
27:59la corvée de lavage.
28:00On se jetait
28:01sur les paquets de linge
28:02pour en sucer l'eau.
28:04Le reste du temps,
28:05on buvait
28:05ce que vous supposez.
28:06On se la vendait,
28:07même.
28:08Il donnait
28:08un quart de pain
28:09pour en avoir.
28:11Qui pourra croire
28:12à de tels témoignages ?
28:15Son ombre
28:15apparaît de nouveau
28:16sur le sable,
28:17comme s'il voulait
28:18donner une preuve
28:19supplémentaire
28:19de ce qu'il avait vu.
28:22Il ne peut faire son travail.
28:24Alors on le met
28:24sur le bord de la route,
28:25la tête en bas,
28:26les pieds sur un tas
28:26de cailloux,
28:27une pierre sur le ventre.
28:29Il reste au soleil
28:30toute la journée.
28:32Il demande à boire.
28:33C'est du sel fondu.
28:35Le soir,
28:36on le ramène au camp
28:36dans une brouette.
28:38Le pouls ne battait
28:39déjà plus.
28:39une demi-heure
28:41après,
28:41il était mort.
28:43Il avait,
28:43attendu,
28:44mangé du mauvais champignon
28:45au cours de la journée.
28:50Il publie
28:5119 articles
28:52et un livre,
28:53Dante n'avait rien vu,
28:55qui connaît
28:56autant de succès
28:57qu'aux bagnes.
28:59Une commission
29:00d'enquête
29:00est dépêchée.
29:02Les bagnes
29:02civils et militaires
29:03seront supprimés
29:04en 1937.
29:12Il a 40 ans
29:13et poursuit
29:14sa descente
29:15aux enfers.
29:17Dans l'intimité
29:18de son bureau,
29:19il sent parfois
29:20la lumière déclinée
29:21naturellement
29:21autour de lui,
29:23comme si les ténèbres
29:24de l'âme humaine
29:25le recouvraient
29:26peu à peu.
29:34Après la justice,
29:35il veut explorer
29:36la santé mentale.
29:37Il ignore tout
29:50de la maladie
29:51et craint
29:51de perdre ses lecteurs.
29:54Il aspire
29:55à ébranler la société
29:56sans la faire vaciller.
29:57L'agité
30:12peut être calmé
30:13ou réduit.
30:16Les médecins
30:16réduisent
30:17par la camisole,
30:18le fislage
30:19sur le lit,
30:20le cabanon
30:20et le drap mouillé.
30:22Il arrive ainsi
30:23que l'on atteigne
30:23le résultat.
30:25Le malade
30:26ne crie plus,
30:26il expire.
30:27Les docteurs
30:30calment par la
30:30balnéothérapie.
30:32Camisoles,
30:33bracelets,
30:34liens,
30:35bretelles
30:36remplacent les fers.
30:39Il a écrit
30:40sur l'exclusion
30:40des hommes,
30:41il veut décrire
30:42le calvaire
30:43des femmes.
30:45Onze femmes
30:46ficelées
30:46sur onze chaises.
30:49Pour quels entrepreneurs
30:50d'épouvante
30:50étaient-elles en montre ?
30:53Cela pleurait,
30:55cela hurlait,
30:56leurs bustes
30:57se balançaient
30:57de droite
30:58et de gauche
30:58et métronome
31:01en mouvement
31:01semblait battre
31:02une mesure funèbre.
31:05La bave
31:05huilait les mentons,
31:08des étangs
31:08se formaient
31:09sous les sièges.
31:10« Dans quel musée
31:13préhistorique
31:14et animé
31:15étais-je tombé ? »
31:19Jamais il n'avait
31:20pu imaginer
31:20de tels supplices.
31:23Il prend ses repas
31:24avec les aliénés
31:25pour gagner
31:26leur confiance.
31:29Ce qu'il y a
31:30de plus poignant,
31:31c'est le fou
31:32persécuté.
31:33Sa folie
31:34ne lui laisse pas
31:34de répit.
31:35Elle le tenaille,
31:36le poursuit,
31:37de torture.
31:40Leur douleur
31:41ne se traduit pas
31:41toujours par une excitation.
31:43Leur folie
31:43est circulaire.
31:45C'est alors
31:46la période
31:46de dépression.
31:48À ces moments,
31:50leur souffrance
31:50est muette.
31:51Ils en sont
31:52comme inondés.
31:55Si j'ai perdu
31:56ma raison,
31:58je continuerai
31:58jusqu'à ce que
32:00je perde ma folie.
32:00Êtes-vous
32:10le général
32:10inspecteur
32:11des cinémas ?
32:12Eh bien,
32:12mon général,
32:13je suis la reine
32:13des cinémas
32:14car je possède
32:15la radiographie.
32:17Tous ces ennemis
32:17qui m'acramponnent,
32:19c'est la faute
32:19du cinéma
32:20et du nitrate
32:20d'argent.
32:22La plus tragique
32:23est encore
32:23cette dame,
32:24mince et douloureuse.
32:25Elle souffre
32:25terriblement.
32:27C'est l'électricité
32:28qui la diminue.
32:30« De cinq centimètres
32:32par jour »,
32:33me dit-elle.
32:35Elle s'approche
32:35de moi
32:35et murmure
32:36« Ils sont venus
32:37s'installer chez moi. »
32:39Qui donc,
32:40madame ?
32:40Les fluides.
32:44Dans son dernier article,
32:46il sort du cadre
32:47du reportage
32:47pour écrire
32:48un réquisitoire.
32:50Sur 80 000 internés,
32:5250 000
32:53pourraient être libres.
32:55Sans danger pour
32:55ni pour la société.
32:59Ce monsieur
33:00est-il encore digne
33:02de demeurer
33:02parmi les vivants
33:03ou doit-il être
33:05rejeté
33:05chez les morts ?
33:08D'êtres inoffensifs,
33:10on a fait
33:10des prisonniers
33:11à la peine illimitée.
33:13Bref,
33:15nous vivons
33:15sous le préjugé
33:16que les maladies mentales
33:18sont incurables.
33:20Alors,
33:20on jette
33:21dans un précipice
33:22les gens
33:22que l'on a déclaré atteints.
33:23Albert Londres
33:39est désormais
33:40une légende.
33:42Pourtant,
33:42il perd confiance
33:43en lui.
33:44Le petit Parisien,
33:45effrayé par ses dénonciations,
33:47publie seulement
33:4812 articles.
33:49Mais son destin
33:52est de repartir
33:52et de poursuivre
33:53son odyssée.
33:55Il se sentira
33:55vivant seulement
33:56à ce prix.
34:07Il a découvert
34:08l'existence
34:09d'un réseau
34:09de prostitutions
34:10lors de son reportage
34:11sur Marseille,
34:13plaque tournante
34:13du trafic de femmes
34:14vers l'Amérique du Sud.
34:15En 1927,
34:18il prend la mer
34:19pour l'Argentine.
34:21Lorsqu'il fait
34:21ses adieux à Florize,
34:23il ne la quitte pas
34:24des yeux.
34:29L'admirable métier
34:30que le nôtre.
34:32Ma vieille valise
34:33en peau de cochon,
34:34ma couverture de voyage
34:35et le monde est à moi.
34:4030 bateaux
34:40marchent
34:41sur Rio
34:42et Buenos Aires.
34:43Des Russes,
34:44des Polonais,
34:44des Allemands,
34:45des Espagnols,
34:46des Portugais
34:46s'en vont
34:47par la grande route
34:48de l'eau
34:48mendier une patrie.
34:52Les océans
34:53ne sont plus
34:54des déserts.
34:56Maintenant,
34:56c'est la bousculade.
35:02Puisqu'il est célèbre,
35:04il se lance
35:04un nouveau défi.
35:06S'immerger
35:06dans un milieu interlope
35:08en enquêtant incognito.
35:09L'escale
35:15à Rio
35:16de Janeiro
35:16au Brésil
35:17l'enflamme.
35:19C'est la ville
35:20qui possède
35:21le plus joli visage.
35:22Elle est grande
35:23et lancée,
35:24éblouissante.
35:25Et sa végétation
35:26lui pend
35:27jusqu'au talon.
35:29Un rocher
35:29apocalyptique,
35:31le corcovado,
35:32met à son front
35:33comme une crête
35:34altière
35:34et fantasque.
35:35Un autre
35:36qui, malheureusement,
35:38a été baptisé
35:38dans une épicerie,
35:39le pain de sucre,
35:40a jailli de la mer.
35:43Ce pain de sucre
35:44est dans la ville
35:45comme le nez
35:46dans la figure
35:47de Cyrano.
35:52Les débuts
35:53de l'enquête
35:53sont difficiles.
35:55C'est grâce
35:55à ses liens
35:56avec d'anciens
35:56banniards de Cayenne,
35:58réfugiés à Buenos Aires,
35:59qu'il parvient
36:00à s'introduire
36:00dans le milieu
36:01des proxénètes français.
36:04Il le respecte.
36:05Il était grand,
36:12beau garçon,
36:13brun,
36:14mat,
36:15élégant
36:15de l'aisance.
36:17Il me regarda,
36:18je le regardais,
36:20il retira son chapeau.
36:23« Monsieur Londres ? »
36:24demanda-t-il.
36:26« Comprenez-vous
36:27ce que je veux ?
36:28Vivre parmi eux,
36:29étudier
36:30leurs mœurs obscures
36:31comme s'ils étaient
36:32des insectes
36:33et que je fusse
36:33un peu savant.
36:35Il tira une carte
36:36de son portefeuille.
36:38Camille Foucaire,
36:40importador.
36:43De Cayenne
36:44au patronat
36:44de Buenos Aires,
36:45le mortel fleuve
36:46de la Guyane
36:47passait de nouveau
36:48lentement
36:49devant ses yeux.
36:49Le milieu est une société
36:55d'hommes
36:56qui exploitent la femme
36:57simplement
36:57comme d'autres
36:58exploitent des forêts,
36:59des brevets,
37:00des mines.
37:02Ils n'ont pas la peur
37:03du travail,
37:03ils en ont le mépris.
37:05Ils fouillent
37:06les balmusettes,
37:07ils commencent à les acheter
37:08d'un café crème,
37:10elle est dans le filet.
37:10On la prend,
37:12on la lave,
37:13on la récure.
37:15Leur première prison,
37:17c'est le chemin
37:17de Buenos Aires.
37:22Il écrit son reportage
37:23pendant les 50 jours
37:24que dure son voyage
37:25du retour.
37:27Son livre,
37:28plus proche du pamphlet
37:29que de l'enquête,
37:30est salué
37:31comme un événement
37:31tandis que la presse
37:32argentine
37:33le juge indigne
37:34d'un grand reporter.
37:35J'ai voulu descendre
37:38dans les fosses
37:39où la société
37:40se débarrasse
37:41de ceux qui la menacent
37:42ou de ce qu'elle
37:43ne peut nourrir.
37:45Regarder
37:45ce que personne
37:46ne veut plus regarder.
37:49Je pensais
37:49qu'il était louable
37:50de prêter une voix
37:51à ceux qui n'avaient
37:52plus le droit de parler.
37:54Suis-je arrivé
37:55à les faire entendre ?
38:05Notre métier
38:11n'est pas
38:11de faire plaisir,
38:13non plus
38:13de faire du tort.
38:15Il est
38:16de porter la plume
38:17dans la plaie.
38:22Albert Londres
38:22a lu les récits
38:23de voyages
38:23d'André Gide
38:24qui dénoncent
38:25le colonialisme
38:25en Afrique.
38:27Cette observation
38:28sur le chemin
38:29de fer Congo-Océan,
38:30effroyable consommateur
38:31de vie humaine,
38:33le décide sans doute
38:34à partir 4 mois
38:35pour ce nouveau continent.
38:42C'était
38:43l'Afrique,
38:44la vraie,
38:46la maudite,
38:47l'Afrique noire.
38:5120 millions
38:51de Noirs,
38:52sujets français,
38:53deux empires,
38:55il y a de quoi
38:56se promener.
38:59Ce serait
38:59le Sénégal,
39:00la Guinée,
39:01le Soudan,
39:01la Côte d'Ivoire,
39:02le Congo,
39:04les grands fleuves,
39:05que l'on ne finit plus
39:06de remonter.
39:09Les lapteaux
39:10nous font avancer
39:11sur le Niger.
39:12Ils pèsent
39:12de toutes leurs forces
39:13sur leurs perches,
39:15s'encourageant
39:15du chant de leurs plaintes
39:16pour que le blanc,
39:18ce dieu visible,
39:19soit satisfait.
39:20Soudain, devant vous,
39:39un grand fleuve de sable,
39:41le Sahel,
39:44Tombouctou.
39:45Rien ne la précède,
39:47rien ne l'entoure
39:47que l'immensité,
39:49c'est un amas
39:49de terre grisâtre
39:50et mal battue.
39:53Tombouctou,
39:54brûlant,
39:55labyrinthe,
39:56tous y sont allés
39:57pour y voir le mystère
39:58et, paraît-il,
39:59ne l'ont point vu.
40:01Le mystère
40:01ne se voit pas,
40:02mes amis,
40:04il se sent,
40:05il s'exprime,
40:06s'envoie.
40:07Voilà que tout s'agitait
40:19entre la boue du plafond
40:20et la boue du plancher.
40:22Le grand tournoi
40:23des chauves-souris
40:23commençait.
40:31Vlan,
40:32des morceaux de plafond
40:33me tombaient sur la tête.
40:34Quelle est la chose
40:37qui frémit ?
40:38C'est mon pantalon.
40:39Il traînait sur le sol.
40:41Les termites
40:42étaient en train
40:42d'en faire de la charpie.
40:47L'âme sera sérénée
40:49quand, soudain,
40:50un cri
40:50s'est élienne
40:54de chaque nuit.
40:55Albert Londres
41:04arrive au bout
41:04de son voyage
41:05et de sa quête
41:05initiatique.
41:08Il manie
41:08les effets
41:09de surprise
41:10pour décrire
41:10la folie humaine
41:11à l'œuvre
41:12à travers
41:12les ravages
41:13du colonialisme.
41:14Soudain,
41:25la forêt parle.
41:30Je tombe
41:31sur la chose.
41:32sang noir
41:44nu
41:44attelé
41:45à une bille
41:45essaie
41:46de la tirer.
41:49Le capitat
41:51bat la mesure
41:52avec sa chicote.
41:53Il hurle.
41:55Une dégelée
41:56de coups
41:56de manigolo
41:57tombe
41:57sur leur dos
41:58nu.
41:58Les forêts
42:10de Côte d'Ivoire
42:11ne sont pas
42:11des buts
42:12de promenade
42:12mais des lieux
42:13grandioses
42:14et sournois
42:14où de la décomposition
42:16des feuilles
42:17s'élève
42:18le parfum
42:18de la mort.
42:28Le chemin de fer
42:30doit relier
42:30le bassin
42:31du Congo
42:31à la mer.
42:33Il reste
42:33300 kilomètres
42:34à construire.
42:36L'administration
42:37française
42:37recense
42:378000 morts.
42:39Albert Londres
42:4017000.
42:42Il n'est pas
42:42hostile
42:43à la politique
42:43coloniale
42:44mais à sa
42:45mise en œuvre
42:45sanguinaire.
42:48La France
42:48a le droit
42:49de savoir.
42:51Un drame
42:51se joue.
42:52Il a pour titre
42:53Congo-Océan.
42:55J'ai vu
42:56construire
42:56les chemins
42:56de fer.
42:57On rencontrait
42:58du matériel
42:58sur les chantiers.
43:00Ici
43:00que du nègre.
43:02Le nègre
43:02remplaçait
43:03la machine,
43:04le camion,
43:04la grue.
43:06Pourquoi pas
43:06l'explosif aussi ?
43:09Il se traîne
43:09le long de la voie
43:10comme des fantômes
43:11nostalgiques,
43:13épuisés,
43:13maltraités,
43:14loin de toute
43:15surveillance européenne.
43:18Blessés,
43:19amaigris,
43:19désolés,
43:20les nègres
43:21mouraient
43:22en masse.
43:28Son livre
43:33Terre d'Ebène
43:34connaît
43:34un grand succès
43:35de librairie.
43:36Le reportage
43:37provoque un débat
43:38à l'Assemblée nationale
43:39et une commission
43:40d'enquête
43:40et des péchés.
43:43Cependant,
43:43lors de son inauguration
43:44en 1934,
43:46les actualités
43:47taisent le scandale.
43:48Albert Londres
44:09rentre épuisé
44:10de son voyage.
44:12Ses yeux rêveurs
44:13se sont endurcis.
44:14Il s'enferme
44:15dans son bureau
44:16et se montre peu.
44:16il songe
44:18à son enfance.
44:21La mort
44:22lui est apparue
44:22en rêve.
44:25Ce qu'il a vu
44:26et entendu
44:26le consomme
44:28de l'intérieur.
44:36Il trouve
44:37en lui
44:37l'énergie
44:37de repartir
44:38pour deux mois
44:39en Europe centrale.
44:42Lors d'un voyage
44:42à Jérusalem,
44:43il avait perçu
44:44les tensions
44:44entre Arabes
44:45et Juifs.
44:46par ailleurs,
44:48couvrant un coup
44:49d'État
44:49en Pologne,
44:50il avait découvert
44:51la réalité
44:51des ghettos.
44:55Visionnaire,
44:56il s'inquiète
44:57du sort
44:57des millions
44:58de Juifs
44:58d'Europe de l'Est.
45:04Avant de partir,
45:05il a donné
45:06des consignes
45:06à son éditeur
45:07concernant Floriz.
45:09Elle ne doit
45:10manquer de rien.
45:10ainsi,
45:18bonhomme de neige
45:19allège
45:19dans Prague.
45:20Le pays
45:21était momifié
45:22par l'hiver.
45:23La neige
45:23étouffait tout.
45:27Il ne faut pas
45:28grande imagination
45:28pour voir rôder
45:29près de ces pauvres pierres
45:30la détresse
45:31du peuple maudit.
45:32Quand on n'a pas
45:35de patrie
45:35et qu'un pays
45:36vous repousse,
45:37où va-t-on ?
45:39Devant soi.
45:43Je quitte
45:43le monde civilisé
45:44et je descends
45:45au pays
45:46des ghettos.
45:48J'armais
45:49mon appareil
45:49photographique
45:50et me mis
45:50en batterie.
45:51A Liv,
45:53200 000 Polonais
45:54sont contre
45:5580 000 Juifs.
45:57La vie
45:58qu'ils émènent
45:58est infernale.
45:59Tous désirent fuir.
46:01Mais les Etats-Unis,
46:03le Canada
46:03viennent de fermer
46:04leurs portes.
46:05L'Argentine
46:05exige 150 dollars.
46:08La France
46:08se montre difficile.
46:10La Palestine
46:11ne tente que les jeunes.
46:14Les fils d'Israël,
46:15vautours à pied,
46:16rôdent la nuit.
46:18Et le jour,
46:19dans les ruelles
46:20comme cherchant
46:20des déchets,
46:21ils boisent
46:22ce ghetto
46:22plutôt qu'ils ne l'animent
46:24de leur seconde
46:25silhouette de cyprès
46:26tourmentée.
46:28Savez-vous
46:28que de la Transylvanie
46:29à l'Ukraine,
46:31de Varsovie
46:31à Vinna,
46:33ils sont plus
46:33de 6 millions
46:34dans cet état physique
46:35et moral ?
46:38Un spectre
46:43nous barre la route.
46:45Il s'appelle
46:46Pogrom.
46:47Le Pogrom moderne
46:48est né en Russie
46:49en 1881.
46:51Un Pogrom
46:52est comme
46:53un incendie
46:53de forêt.
46:54Le premier arbre
46:55flambe
46:56et allume
46:56tous les autres.
46:581903,
47:00l'Abbès Arabie.
47:01Après,
47:01ce fut 1905.
47:04Puis,
47:04le Grand Pogrom,
47:051918-1920,
47:07en Ukraine
47:08et Galicie-Orientale.
47:091927,
47:10en Roumanie.
47:11plus de 150 000
47:17tués,
47:18plus de 300 000
47:19blessés,
47:21plus d'un million
47:22de battus
47:23et pillés,
47:25rien que pour
47:25les années 18 et 19.
47:27un juif.
47:29Un juif,
47:34pour l'Européen
47:35oriental,
47:36est l'incarnation
47:37du parasite.
47:47Le seul espoir
47:48consiste à partir.
47:49Albert Londres
47:50embarque
47:51avec les migrants
47:51qui rêvent
47:52de ressusciter
47:53le royaume d'Israël.
48:02Voilà le soleil.
48:05La Méditerranée
48:06est traversée.
48:07Devant nous,
48:08la Palestine.
48:10Voilà le sol sacré.
48:12Les juifs
48:12tombent à genoux
48:13et le baissent.
48:14Tel Aviv.
48:20Du jour
48:21de sa première pierre,
48:22l'Arabe
48:23a répondu
48:23« Tu seras détruite ».
48:26La seule ville
48:27au monde
48:28comptant
48:28100%
48:29de juifs.
48:33Ils marchent
48:34au bon milieu
48:35du trottoir
48:36sans plus s'occuper
48:37de céder la place
48:38aux Polonais,
48:39aux Russes
48:39ou aux Roumains.
48:40Miracle !
48:42Tous les dos
48:42ont rejeté
48:43l'invisible fardeau
48:44de la race.
48:49Je suis allé
48:50me promener
48:51en Palestine.
48:56Comment vivent-ils ?
48:58J'ai vu ces juifs
49:00la charrue à la main
49:00et j'ai jeté
49:02un coup d'œil
49:02dans leur maison.
49:04Constatant que chacun
49:05avait un lit
49:06où la nuit
49:07ils pouvaient s'étendre,
49:09j'ai vu leur meule
49:09de blé
49:10et que leurs enfants
49:11étaient des enfants
49:12magnifiques.
49:14heureux,
49:17profondément
49:18heureux
49:19d'être juifs.
49:23Le juif de Moïse
49:24comme au temps
49:25de mages
49:26défraîchis,
49:28s'en faufilés
49:29par les rebelles,
49:30le voûté,
49:31marchait digne,
49:32marchait dignement
49:34comme...
49:35tandis qu'Albert Londres
49:36rédige ses articles
49:37et prépare un livre
49:38dont il lit
49:39des extraits
49:39à Florise,
49:40l'actualité
49:41le rattrape.
49:43En août 1929,
49:44la presse fait état
49:45de massacres
49:46à Safed et à Hébron.
49:48133 juifs
49:49et 116 arabes
49:50sont tués.
49:52Ils se précipitent
49:52sur place
49:53pour couvrir l'événement.
49:55Il conclut son reportage
49:56en exprimant
49:57ses craintes
49:58sur l'avenir
49:59de la Palestine.
49:59Albert Londres
50:03veut enquêter
50:04sur la Mecque
50:05et le monde musulman,
50:06mais cette fois-ci,
50:07il n'obtient pas
50:08d'autorisation.
50:10Il se retire
50:10dans sa cabine terrestre
50:12et s'effondre.
50:14Pendant deux ans,
50:15il cherche
50:16d'autres sujets.
50:17Il évoque la dépression,
50:19le trou noir.
50:21À 48 ans,
50:22il pourrait s'inventer
50:23une seconde vie.
50:26Pour être romancier,
50:28il faut le temps
50:28de méditer,
50:29et d'écrire.
50:31Cela suppose
50:32qu'on s'arrête
50:33un moment.
50:35Et j'ai bien peur
50:35de ne m'arrêter,
50:36jamais.
50:39Il rêve
50:40d'un dernier reportage
50:41en Amérique
50:41et veut revoir
50:43les mers de Chine.
50:45Il joue à pile ou face.
50:52Floris doit se marier
50:53à la fin de l'année
50:54avec un lieutenant
50:55de vaisseau.
50:57Il lui confie
50:57son affreux pressentiment.
50:59Je vais crever
51:00un jour,
51:02quelque part,
51:03tout seul.
51:05Ah,
51:06le fier
51:07et grand sacerdoce.
51:10Le reportage.
51:11à demain.
51:19Depuis 1927,
51:20l'armée rouge
51:21de Mao a proclamé
51:22la république
51:22des soviets chinois.
51:23en 1932,
51:25le journal
51:26le laisse partir
51:27en Chine
51:27pour enquêter
51:28sur un sujet
51:29qu'il refuse
51:29de dévoiler.
51:31Albert Londres
51:32couvre la guerre
51:33sino-japonaise
51:34et télégraphie
51:35quotidiennement
51:35ses dépêches.
51:36Le spectacle est ahurissant.
51:41Brouettes
51:41et rickshaws
51:42plient sous le poids
51:43des femmes,
51:43des concubines,
51:44des rejetons,
51:44des matelas
51:45et des bols
51:45de porcelaine.
51:47Tireurs et pousseurs
51:48transfigurés
51:48par la sueur
51:49foncent
51:50dans cette marée
51:50roulante.
51:53Des cadavres.
51:55Personne ne ramasse
51:55les cadavres chinois.
51:58Les voici tués
51:59et nus
51:59au travers
51:59de la rue.
52:01Les japonais
52:02les déshabillent
52:02avant de les fusiller.
52:03L'affaire
52:06de Shanghai
52:07n'est pas terminée.
52:09Ce sont
52:09les dernières lignes
52:10publiées de son vivant.
52:12Albert Londres
52:12disparaît ensuite
52:13pour son reportage
52:14tenu secret
52:15qu'il qualifie
52:16d'explosif.
52:19Un mois plus tard,
52:20il embarque
52:20pour la France
52:21sur le Georges Philippard
52:22après avoir posté
52:24une carte pour Floris.
52:26Il s'enferme
52:26dans sa cabine
52:27pour écrire
52:27ce qu'il considère
52:28comme son chat d'œuvre.
52:33L'incendie du navire
52:39fait la une des journaux.
52:42Parce que le sujet
52:43de son enquête
52:43restera une énigme,
52:45les rumeurs
52:45les plus folles
52:46courent
52:46sur les circonstances
52:47de sa mort.
52:49Attentats,
52:50incendies criminels,
52:52accidents.
52:52Martyr de la profession,
53:09il disparaît
53:09au fond de l'océan,
53:11laissant en héritage
53:12sa foi
53:13dans l'humanité.
53:20Voilà la vérité.
53:21Comme un marin
53:23faire un trou dans l'eau
53:24et éternellement
53:26promener sa vieille âme.