Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Jeudi 17 avril 2025 : la navigatrice Marie Tabarly. Elle publie le livre "Cavalcade océane" aux éditions Arthaud.
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00:00Bonjour Marie-Tabarly.
00:02Bonjour Elodie.
00:03Évidemment, quand on prononce votre nom de famille, votre descendant s'apparaît immédiatement
00:06et nous renvoie à cet homme indissociable de l'histoire de la navigation française,
00:10votre père Eric Tabarly.
00:12Comme lui, vous êtes navigatrice, mais pas comme lui, vous êtes aussi comportementaliste équin.
00:17La mer, la nature, l'environnement sont au centre de votre vie.
00:19En 2021, soit 50 ans après votre père, vous avez redonné vie et réarmé Pendwick 6
00:25pour participer à l'Open Race 2023, cette fameuse course autour du monde en équipage
00:29et avec escale qui se déroule sans GPS, sans satellite, sans moyens de communication modernes.
00:35Exactement ce que vous aimez.
00:36Le 11 avril 2024, votre arrivée en tant que grand vainqueur dans la nuit entre l'île de White
00:41et la côte sud de l'Angleterre s'est faite comme un papillon de nuit,
00:46sans tambour ni trompette, sans feu à main, privée d'accueil à la hauteur de cet exploit
00:51après 8 mois de course et 145 jours de mer.
00:54Oui Marie, vous l'avez fait dans les traces d'eux, mais avec votre manière et avec votre instinct à vous
00:58et votre équipage, c'est d'ailleurs ce que vous racontez dans votre livre Calvaca de Océane
01:03chez Artho Editions.
01:06À quoi vous avez pensé d'ailleurs quand vous avez remporté cette course incroyable
01:10à laquelle au départ vous aviez dit non ?
01:13Oui, alors une petite précision.
01:14Nous, on gagne la course en temps réel, mais j'aime beaucoup dire quand même
01:17que Maïden gagne en temps compensé, donc on est quand même deux vainqueurs sur cette course.
01:22Et à quoi on a pensé ? En fait, pas à grand chose, parce qu'une fois qu'on arrive,
01:30nous on savait depuis, sauf gros accidents majeurs, par, je ne sais pas, dématage
01:37ou si on coule le bateau, ça faisait une bonne semaine qu'on était, même plus d'une semaine
01:42qu'on était en tête et que personne, on avait tellement d'avance que personne ne pouvait
01:46nous rattraper.
01:46Enfin, là, ce n'était pas il y a un moment.
01:49Donc, et puis on voyait que nous, on allait continuer à avoir du vent, donc on savait
01:52que les autres, on savait qu'ils étaient dans les anticyclones.
01:54Donc, la tête a le temps de se faire à l'idée que, bon, là, voilà quoi.
02:01C'est vrai qu'une fois qu'on passe la ligne d'arrivée, il y a eu un petit moment
02:07d'une fusion de joie, mais en fait, c'était déjà intégré et digéré.
02:12Et puis, on était vraiment passés en mode, on profite, on savoure vraiment ces derniers
02:18moments de navigation entre nous avec ce beau bateau.
02:21Quasiment deux ans, passés tous ensemble dans 9 mètres carrés, si on compte les entraînements,
02:27ce que vous racontez d'ailleurs, Marie, il y a une forme de comblage des moments tristes,
02:36il n'y a plus de solitude, tout est en suspens quand on est ensemble sur le bateau.
02:39En fait, il n'y a pas de vie perso, vie pro, on fait groupe, on fait corps.
02:48Et ce qui est top, c'est qu'on doit vraiment connaître son propre mode de fonctionnement
02:54pour savoir où on met les limites de son espace personnel et en même temps comprendre
02:58où sont les limites de l'autre.
03:00Mais c'est un bateau où il n'y a pas de cabine, donc on rentre dans le bateau,
03:03il y a deux coursives et il y a sept bannettes dans chaque coursive.
03:05Donc on dort, tout le monde dort ensemble, sauf qu'en plus on dort à des horaires décalés
03:11parce qu'on a un système de car, parce que le bateau avance jour et nuit
03:14et doit être performant jour et nuit.
03:16Donc dans le Grand Sud, on met à peu près 45 minutes pour se lever, s'habiller.
03:22C'est 45 minutes sur lesquelles il ne faut pas déranger les autres, ne pas faire trop de bruit.
03:25Et du coup, on vit en permanence pour nous, pour le bateau, pour les autres.
03:31Et chacun, on développe la tolérance, on va dire.
03:35Le métier de marin, c'est d'être absent.
03:38Vous l'écrivez, vous l'avez appris très jeune avec votre père, Hector Berdy,
03:41passionné par la voile de ses trois ans.
03:44Il vous a transmis le virus, qui a contribué aussi à développer, d'ailleurs,
03:48de par ses victoires qui ont mis fin à la domination anglaise
03:52dans le domaine des courses au large, à développer les activités nautiques en France.
03:57Est-ce que c'était une évidence, j'ai la réponse,
03:59mais est-ce que c'était une évidence aussi instinctive que vous suiviez ces traces ?
04:06Non, non, pas du tout.
04:08Pas du tout.
04:09Moi, ma passion, c'était la passion d'éclarer gamine.
04:13C'est les chevaux et ce sera toujours les chevaux.
04:15Je reviens toujours à...
04:18Ils ne peuvent pas quitter ma vie, c'est quelque chose pas possible.
04:19Mais j'ai mis beaucoup, beaucoup de temps à comprendre que j'aimais aussi naviguer
04:23et que j'avais besoin de ça.
04:25Et même encore maintenant, je me pose des questions à des moments.
04:28Alors, je ne me pose jamais de questions sur l'équitation,
04:31mais comme ce n'est pas le même engouement, la même passion,
04:36la même façon de vivre, ce n'est pas la même vibration non plus.
04:40On se demande, mais en fait...
04:41Puis il y a des choses, quand on les fait tout le temps et instinctivement,
04:43on se demande si on les aime ou si on ne les aime pas, en fait.
04:47Il y a des...
04:49Je ne sais pas, j'ai toujours eu ce petit côté...
04:52C'est peut-être trop évident pour aimer ça.
04:55Mais non, non, je suis très, très bien quand je suis sur l'eau, en tout cas.
05:00Quand on vous a soufflé l'idée éventuelle de participer à cette course,
05:05vous avez dit non dans un premier temps, Marie.
05:07Pourquoi ?
05:07Parce que prendre le commandement d'un bateau comme ça pour une course aussi dure,
05:13ça se réfléchit.
05:15Et ça se réfléchit...
05:16Parce que ce n'est pas juste que j'emmène ma propre petite personne
05:20et mon petit bateau autour du monde.
05:21C'est que j'ai 22 personnes qui vont venir se relayer sur le bateau
05:26et que je dois ramener.
05:27Et qu'à chaque fois, dès qu'on part en mer, j'ai la famille qui me dit
05:32« Bon, vous nous les ramenez, hein ! »
05:34Ben oui, on va tout faire pour.
05:37Et voilà, c'est une pression.
05:40Enfin voilà, ça ne s'apprend pas.
05:43Et on peut la porter ou on n'est pas capable de la porter.
05:46Je pense que de toute manière, j'ai jamais connu un marin
05:49qui a perdu quelqu'un pour qui ça s'est bien passé.
05:52Ça reste un traumatisme à chaque fois très important.
05:56À l'époque, vous disiez que vous étiez en colère,
05:59que vous aviez mal à l'aise en révolte.
06:02Aujourd'hui, vous en êtes où, Marie ?
06:04Non, ça va, je suis sociable.
06:05J'ai un pari, je me lève tout le bata,
06:08il faudra venir voir des gens, ça va.
06:11Mais c'est sûr que je n'aurais pas parié il y a 10-15 ans
06:16que j'aurais pu faire ça.
06:17C'était pas encore...
06:19Encore, dès les 15 ans, c'était déjà mieux.
06:23Il y a 20 ans, j'étais quand même un dossier.
06:26Mais ouais, il fallait ça.
06:28En fait, j'ai pris tellement de...
06:31J'avais déjà un caractère très...
06:35J'étais pieds nus tout le temps, les cheveux en vrac.
06:38J'étais une petite sauvageonne et ça m'allait très bien.
06:44Pendant toute la première partie de ma vie,
06:47je n'avais rien qui me demandait de me cadrer plus que ça.
06:50Après, il est arrivé beaucoup, beaucoup, beaucoup d'agressions.
06:56Et moi, la seule chose que j'ai trouvée à ce moment-là
06:58pour me protéger de ça, c'était de renvoyer de l'agression.
07:04Je ne suis pas du tout un tempérament agressif, au contraire.
07:08Mais c'était à ce moment-là la seule façon que j'avais
07:12de garder de la douleur et de ne pas perdre un parent.
07:19Il n'y a jamais de bon âge pour perdre un parent.
07:21Ce n'est pas...
07:2213 ans, c'est un peu pourri quand même.
07:23Ce n'était pas...
07:26Perdre un parent quand il y a la France entière qui vous regarde
07:28et que ce parent devient une icône,
07:30ce n'est pas le même travail.
07:31Ce n'est pas le même travail du tout.
07:34On fait du social derrière.
07:35Et tout le monde vient nous raconter leur vie,
07:38de comment il a rencontré Éric.
07:40C'est très bien, ça qu'on nous jette.
07:44Mais il y a un moment, quand on a 14, 15 ans,
07:46et puis que ça continue, que ça continue, que ça continue,
07:49et qu'il y a un parent qui se pose la question
07:50de savoir si ça nous dérange ou pas,
07:53il y a un moment, c'est un peu compliqué.
07:54C'est une déclaration d'amour à la vie, à la mère,
07:58à votre père, à son courage aussi ?
08:02Je dirais plus à mon bateau,
08:05s'il y a plus de la gratitude envers lui,
08:09une déclaration d'amour à mon équipage,
08:11à mon bateau et à la vie.
08:13Et c'est surtout, pour terminer,
08:15j'ai l'impression, une belle déclaration d'amour
08:17à la liberté.
08:19Et alors ça, la liberté, c'est indissociable
08:21de Marie-Tabale, si j'ai bientôt compris.
08:24Je pense qu'on choisit ses contraintes.
08:25On n'est personne, on n'est complètement libre.
08:28On n'est pas libre.
08:29Mais après, si on choisit ses contraintes,
08:33ça, c'est une sacrée liberté.
08:34Ça vous a fait du bien négler ce livre ?
08:36Ça m'a fait rentrer du tour du monde.
08:39J'ai quand même mis 11 mois,
08:41mais j'ai mis 11 mois pour rentrer.
08:43Mais ouais, c'est fait.