Cette photo d’un faucon cache une histoire extraordinaire…
Photographe animalier au cœur du film "La Panthère des neiges" présenté au Festival de Cannes, Vincent Munier raconte.
Photographe animalier au cœur du film "La Panthère des neiges" présenté au Festival de Cannes, Vincent Munier raconte.
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Art et designTranscription
00:00Cette photo, c'est une histoire assez incroyable.
00:03J'avais aperçu une panthère qui s'était évaporée dans les rochers
00:08et j'ai passé donc la journée entière à tenter de la retrouver.
00:12Jusqu'à la nuit noire, rien !
00:14Pourtant je savais qu'elle était là.
00:16Et pendant cet après-midi, il y a un faucon qui est arrivé, qui s'est posé sur une pierre.
00:19J'ai juste, avec un téléobjectif, donc ça concentre énormément sur le rocher,
00:24et là je fais cette photo de faucon et puis rien, je rentre à l'attente en disant voilà, elle m'a eu.
00:29Et c'est deux ou trois mois après, en regardant mes images sur l'ordinateur,
00:34je regarde cette photo de faucon et derrière, j'ai eu vraiment le poil quoi.
00:39Le poil, derrière je vois finalement, le long du contour de la roche,
00:43la tête de la panthère qui m'observait.
00:44Donc elle était là, c'est complètement incroyable, comme un périscope là.
00:48Elle m'observait et ça fait un bien fou parce qu'une fois de plus elle m'a eu.
00:52C'est la reine, c'est son royaume et je me suis fait avoir comme un bleu.
00:57Combien de fois elle vous a eues ?
00:59Mais plein de fois, elle a un côté assez diabolique,
01:02enfin même pas, c'est qu'on se sent tellement petit dans ces milieux-là.
01:06C'est ce que je tente de faire à chaque fois lors de mes expéditions ou de mes aventures photographiques,
01:12c'est de réduire un peu le fossé entre nous et puis l'animal,
01:15et d'être un peu plus animal tellement on sent un peu nul dans ces milieux-là.
01:23Le souffle est coupé, j'ai du mal à me cacher,
01:26parce qu'on a quand même, on devrait être un prédateur,
01:29et donc j'utilise un peu les panthères ou ces grands prédateurs comme modèles
01:34et je tente de faire un peu comme eux, essayer d'être caché, d'être mimétique, de m'effacer.
01:37C'est la première fois quand même que je fais une photo sans voir que l'animal est dessus,
01:42je me rends compte quelques temps après qu'elle est sur la photo, c'est complètement fou.
01:46Esthétiquement elle a rien de fracassant,
01:49mais je suis content parce qu'une fois de plus c'est un pied de nez, elle m'a eu.
01:53C'est quoi l'affût ? En quoi ça consiste ?
01:57Ben l'affût, c'est une technique, moi j'ai grandi avec un père qui m'a vraiment initié
02:07à être au plus près du sauvage, à s'émerveiller devant ce qui s'offre à nous,
02:12donc les animaux tout près de chez moi.
02:14Le premier affût que j'ai fait, c'était un déclic, il m'a laissé tout seul,
02:22j'avais 12 ans au pied d'un arbre avec un filet de camouflage, donc c'est un affût,
02:26c'est se cacher, être un peu comme la panthère ou comme un prédateur.
02:29Et puis là j'ai pu voir arriver une bête toute proche, c'était des chevreuils, c'est tout simple.
02:35Et j'ai fait ma première image qui a été décisive, je me suis dit c'est quand même génial
02:39cette technique de l'affût justement, d'attendre et d'observer.
02:42Et de voir l'animal venir à nous, on a l'impression de rêver,
02:47c'est un mélange d'angoisse, un mélange de rêve, un mélange de satisfaction évidemment.
02:54Et on fait une photo, ça affiche ce mirage, parce qu'on a l'impression que c'est irréel,
02:58et après on peut le partager, c'est fabuleux.
03:00Un de mes premiers loups que j'ai pu voir à la frontière entre la Finlande et la Russie,
03:05je suis resté six jours et une nuit consécutives dans une toute petite cabane,
03:09avec une cheminée, donc la cabane était hermétique,
03:12une cheminée pour évacuer mon odeur pour pas que l'animal me voie.
03:15Et là je l'ai vu, ce fantôme, ce loup qui est passé juste pendant deux minutes devant mon affût,
03:21en plus dans une ambiance assez crépusculaire.
03:24Et là j'ai pas pu faire de photos tellement j'étais ému, j'en ai eu des larmes aux yeux.
03:28Et voilà, donc il m'est arrivé de passer des jours, des semaines d'affût,
03:34mais ça on compte plus, je pense que dans tout domaine on est un peu fêlé quoi.
03:38Quand on fait de l'affût comme ça, comme vous aussi longtemps,
03:41comment vous vous sentez quand vous retournez à la civilisation ?
03:45Ah ben là c'est brutal, c'est compliqué, c'est compliqué.
03:48Comme un peu je le dis dans le film, je me suis jamais senti aussi bien, aussi serein,
03:53aussi apaisé que dans ces endroits-là et avec vraiment le sourire,
03:58vraiment cette plénitude, cette zénitude que j'ai pas du tout dès qu'on rentre dans la société.
04:04J'ai un côté un peu ermite et c'est pour cette raison que je vis encore dans ma ferme isolée dans les Vosges.
04:09La brutalité de la nature qui fait qu'on se sent vivant
04:13et ça nous rappelle aussi notre fragilité parce qu'on a quand même,
04:17ce qui m'agace énormément dans notre société c'est cette hégémonie de l'espèce humaine.
04:21On a l'impression d'être les maîtres du monde
04:23et quand on est là-bas au Tibet face à la panthère,
04:26quand on est en Arctique dans le blizzard,
04:29on se prend des bonnes gifles et on se dit ben non, on n'est pas grand chose, on est une poussière.
04:33Et respect, respect pour les animaux qui sont là et qui vivent en permanence là.