"Le rap, c'est l'école de la liberté, de l'expression, de l'écriture."
Après son roman à succès "Petit Pays", il revient avec un nouvel album. Un jour avec Gaël Faye à Versailles, là où sa passion est née.
Après son roman à succès "Petit Pays", il revient avec un nouvel album. Un jour avec Gaël Faye à Versailles, là où sa passion est née.
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00:00Ici, quand je marche là, tout est musical.
00:04J'avais commencé mon adolescence au Burundi.
00:06J'ai dû fuir le pays et je suis arrivé ici et je ne connaissais plus personne.
00:12Être artiste, ça n'a jamais fait partie de mes plans.
00:15La musique, c'est pour conjurer le sort.
00:24Il n'y a pas un côté Brooklyn quand même ?
00:26Quand j'étais dans ma musique, j'écoutais Nas, je passais là,
00:30j'écoutais le Queens Bridge, puis je passais ici, et là ça y est, j'y suis en fait.
00:36J'étais le seul à avoir un baguie dans tout le territoire.
00:41De mes 13 ans à mes 18 ans, je suis resté à Versailles.
00:45Dans l'imaginaire collectif, c'est une ville aristocratique, bourgeoise.
00:52On pense au château, on pense à la grande noblesse,
00:57mais il y a aussi beaucoup de quartiers, on va dire, banals.
01:02Quand j'arrive en France avec ma petite sœur, ma mère habite déjà ici,
01:07et donc on s'installe là.
01:10Waouh, putain.
01:13C'est la première fois que je reviens ici.
01:15C'est dingue.
01:16Mes parents étaient séparés.
01:18Ma mère rwandaise vivait ici, à Versailles.
01:21Mon père français vivait au Brondy.
01:24Mon père en plus est herpétologiste, spécialiste de reptiles.
01:28Chez moi, il y avait plein d'animaux.
01:31C'était un grand jardin, des arbres, de la nature.
01:34On était tout le temps fourrés dehors, tout le temps pieds nus, tout le temps dans le quartier.
01:39Donc c'est comme si mon monde s'était rétréci quand j'étais arrivé ici.
01:42D'un coup, pfiou.
01:45Et avec une difficulté à expliquer aussi aux gens ici d'où je venais,
01:51leur faire sentir, ressentir, c'était tellement loin des réalités,
01:56non seulement des gamins de ma classe, de mon âge,
01:59mais même des adultes finalement.
02:01C'est aussi dans cet appartement que j'ai découvert le rap.
02:06Donc il est important parce que c'est là que j'écris mes premiers textes.
02:11Ma mère avait des cassettes de Francis Cabrel, je les prenais.
02:15J'enregistrais des émissions de rap à la radio, Génération.
02:20Du coup, parfois les chansons de rap s'arrêtaient,
02:22on entendait un peu « Petite Marie » et ça reprenait sur nos chansons de rap.
02:31« Étranger ».
02:33Là, c'était le lien avec le Burundi.
02:36C'était là.
02:37Ici.
02:39Là, je me souviens de ce trajet où je vais à l'école, il fait nuit.
02:42Je reviens de l'école, il fait nuit.
02:44Il n'y a pas beaucoup d'arbres, il y a du bitume partout.
02:49J'ai eu du mal à m'adapter à cet environnement-là.
02:59Je me souviens d'un jour où on était tous descendus dans la cour
03:03pour faire une minute de silence, tout le collège,
03:06pour François Mitterrand qui venait de mourir.
03:09Et moi, dans ma tête, François Mitterrand était associé au génocide au Rwanda.
03:17Et il était l'ami des gens qui avaient commis le génocide
03:20parce qu'au Burundi, dans plein de milieux, on l'appelait « Tonton Machette ».
03:25Quand je vois ce collège-là, je pense à ça.
03:28Je pense au génocide des Tutsis, parce que j'étais là pendant que ça se passait.
03:33Je pense ensuite à cette minute de silence.
03:39Je pense à la guerre qu'il y avait au Burundi, qui continuait à y avoir.
03:42Et moi, je venais là, j'étais avec des gens qui étaient dans un autre environnement,
03:46mais j'avais des lettres qui arrivaient du Burundi.
03:48Le Burundi était sous embargo, continuait à être en guerre.
03:51Donc c'est vrai que j'ai aussi un rapport un peu particulier avec cet endroit
03:55parce qu'intérieurement, je me sentais vraiment tiraillé
04:00entre cette paix, ce calme, cette banalité du quotidien.
04:06Et puis le lieu d'où je venais, qui était un brasier.
04:10Je n'ai jamais rêvé d'être rappeur, à aucun moment.
04:14Ce n'était pas un métier.
04:15On est dans l'AMJC, où j'ai commencé à rapper.
04:21La première fois que je suis venu ici, c'est grâce à un garçon qui était dans ma classe,
04:26qui s'appelle Anthony, donc c'était en seconde.
04:30Et c'était le premier jour de la rentrée, et moi j'étais contre le mur.
04:36Et j'étais avec mon workman, j'étais en train de rapper.
04:40Puis il arrive vers moi, et il me dit « Toi tu rappes ? »
04:45J'avais pas envie de lui parler, parce que j'étais dans mon monde.
04:48Je sortais du collège, j'étais un peu impressionné par le lycée.
04:51La chose qui nous a rapproché, c'est que lui était aussi récemment arrivé en France,
04:55enfin en métropole, parce qu'il était Guadeloupéen.
04:59Et il m'a parlé de cet AMJC où il venait danser avec plein de danseurs, le samedi.
05:06Il y avait presque un destin sociologique.
05:10Parce que, qu'est-ce qui fait que je vais dans cet AMJC ?
05:14C'est que je rencontre une personne, je parle de ce copain Anthony, qui est Guadeloupéen,
05:20qui est aussi arrivé en France à l'âge de 10 ans, qui a une double culture.
05:25Et à ce moment-là, je suis en recherche de quelqu'un qui comprend ce que c'est qu'avoir une double culture.
05:30Ici, on est dans un studio à Porte-des-Lilas, dans le nord de Paris.
05:33C'est un lieu qui est important pour moi, parce que mes trois derniers projets,
05:372EP, Rythme et Botanique, Des Fleurs et mon album Lundi Méchant,
05:42ont été pensés, enregistrés, mixés dans ce studio.
05:49C'est un lieu où j'ai passé beaucoup de temps ces dernières années, une fois que je suis là.
05:56Le rap, c'est toujours là, c'est mon école.
05:59C'est là que j'ai pu me révéler à moi-même et au monde.
06:08C'est-à-dire, passer d'un petit gamin à 3-4-5-6-7-8-9-10-11-12-13-14.
06:22C'est cette musique-là qui m'a ouvert, qui a fait la personne que je suis,
06:28qui m'a permis aussi de toujours prendre du plaisir à écrire.
06:33Parce que le rap, c'est vraiment l'école de la liberté, de l'expression, de l'expression.
06:42Il n'y a pas de classicisme en rap.