"On regarde notre copain, on se demande : 'Je suis capable de le manger s'il meurt avant moi ?'"
Quand la nourriture a commencé à manquer lors de son expédition au pôle Nord, l'aventurier Mike Horn a tout envisagé. Et cette expérience l'a marqué à vie. Il raconte.
Le podcast "Osez l'aventure avec Mike Horn" produit par Paradiso Podcasts est à écouter sur Audible.
Quand la nourriture a commencé à manquer lors de son expédition au pôle Nord, l'aventurier Mike Horn a tout envisagé. Et cette expérience l'a marqué à vie. Il raconte.
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00:00Je rigole toujours en disant que quand on regarde notre copain qui est à côté de nous dans la tente,
00:07on se demande si je suis capable de le manger, s'il meurt avant moi.
00:12Et ça c'est vraiment pousser notre pensée et pousser notre corps au bout de lui-même.
00:21Quand j'ai mangé mon dernier jour de nourriture, il n'y avait plus rien dans ma luge.
00:27Ça m'a marqué la vie.
00:29Le Pôle Nord, pendant l'hiver, il fait extrêmement froid.
00:33On est vraiment dépendant de la nourriture qu'on prend avec nous.
00:37Et dès qu'on commence à perdre beaucoup d'énergie et de calories,
00:43c'est là où on a vraiment moins de chances d'arriver vivant de l'autre côté.
00:49Parce que personne ne peut venir vers nous pour nous donner de la nourriture.
00:53Au bout de combien de temps vous vous êtes rendu compte que vous alliez manquer de nourriture ?
00:57Quand on a commencé l'expédition, on a pris pour 85 jours de nourriture.
01:04Et puis en arrivant au Pôle Nord, on était déjà 15 jours en retard.
01:08Ça veut dire que là, 15 jours en retard, on a pris un peu la nourriture en réserve,
01:14mais pas autant que ça.
01:16Après 45 jours, quand on a calculé la distance qu'on a faite,
01:21et la distance qui nous restait à faire, c'était sûr qu'on ne pouvait pas arriver au bout.
01:28Et c'était là où j'ai décidé de changer mon horloge biologique.
01:33En disant qu'un jour ne peut plus avoir 24 heures, mais un jour doit avoir 30 heures.
01:41Ça veut dire que chaque quatrième jour, j'ai gagné un jour de nourriture.
01:47Maintenant, quand on change notre horloge biologique, il faut changer les heures qu'on marche.
01:55On ne va pas dormir plus.
01:57En 30 heures, je dors toujours 5 heures.
02:00En 30 heures, je mange toujours 5 heures par jour.
02:05Mais j'avance 20 heures par jour.
02:09Et c'est là où tu gagnes des calories que normalement tu perds en dormant.
02:14Dès qu'on devient trop fatigué et qu'on a vraiment faim, c'est là où on va se geler.
02:22Et puis, une fois que tu commences à geler les doigts,
02:26comme ça a déjà arrivé dans ma vie où dans la tente je dois amputer mes doigts,
02:32ce qui est moins drôle et moins intéressant,
02:35c'est plutôt là où tu dois manger beaucoup pour que tu puisses rester vivant pendant.
02:42Pendant, tu as encore la nourriture dans la luge.
02:45Ça vous a plus marqué de manquer de nourriture que de devoir vous amputer un doigt ?
02:50Les doigts, on peut amputer.
02:52Quand on a 10 doigts, il y a toujours un doigt qui nous reste.
02:57Et puis, s'il n'y en a plus, on peut amputer un peu d'isorté.
03:01C'est sûr que la nourriture, c'est quelque chose que quand il n'y en a plus, il n'y en a plus.
03:08Pendant 30 ans dans mes expéditions, j'ai cassé presque toutes les os de mon corps.
03:15Et puis, pour moi, c'est presque normal.
03:18Mais d'arriver dans une situation où tu ne peux plus ressourcer cette machine
03:28qui doit avancer, qui doit gravir les obstacles, pour moi, c'est beaucoup plus difficile.
03:34Et quand tu commences à penser que peut-être un jour, tu dois presque manger tes chaussures,
03:42et si tu as bouffé tes chaussures en cuir, tu dois manger ton culotte parce qu'il y a un peu de sel.
03:48Et puis après, si ton copain n'est plus là, peut-être que tu dois manger ton copain.
03:55C'est plutôt ça qui nous donne l'espoir.
03:59Plutôt que de dire que tout est fini.
04:04Est-ce que vous avez l'impression d'avoir frôlé la mort ?
04:07Jamais. Il n'y a rien entre la vie et la mort.
04:11Peut-être que j'ai choisi une vie tout près de la falaise.
04:17On a des choix dans la vie.
04:19On peut marcher loin de la falaise où on peut faire plein d'erreurs.
04:23Et puis dire que cette vie loin de la falaise, c'est une vie très longue et très sûre.
04:31Autrement, on peut choisir une vie où on marche vraiment sur la falaise.
04:35Ça, c'est une vie normalement courte et large.
04:39La seule différence entre les deux vies, c'est que sur la falaise, tu vois beaucoup mieux.
04:46Ça veut dire qu'il y a une récompense qui est satisfaisante pour moi.
04:52Je ne veux pas marcher loin de la falaise parce que je ne vois rien.
04:56La vie est chiante.
04:57Pour revenir à la question de l'alimentation, est-ce qu'aujourd'hui, vous avez un autre rapport à la nourriture ?
05:03C'est sûr que la nourriture, pour moi, c'est la seule source d'énergie.
05:09Parce qu'on vit, il fait moins 50, la nuit noire, dans des conditions d'extrême, froid.
05:22Une fois, j'ai été mis en prison en Russie, en Sibérie.
05:27Et j'ai été mieux en prison que dans la tente.
05:31Les Russes pensaient que c'était une punition.
05:34Mais pour moi, c'était bien.
05:36J'étais en prison et il n'y avait pas d'ours qui pouvaient venir me bouffer.
05:41À l'intérieur de la prison, il faisait plus chaud que dans ma tente.
05:46Il y avait quelqu'un qui m'amenait un peu les rires tous les jours.
05:50Il ne faut jamais à 100% compter sur la nourriture.
05:55Parce qu'un jour, quand tu n'as plus de nourriture,
05:59il faut avoir cette possibilité de voir la nourriture que tu as plus.
06:06Comme la chose avec le plus de valeur que tu peux avoir dans la vie.
06:12À la fin de l'expédition, on faisait des journées de plus de 58 heures sans dormir.
06:20C'est-à-dire que quand tu te bats pour rester en vie,
06:26c'est là où l'homme est capable de faire tellement de choses.
06:31Et c'est là où l'impossible devient presque possible.
06:41Tous les jours, je dois survivre.
06:43Je pense que chacun de nous essaie de rester vivant un peu.
06:46Chacun dans son domaine.
06:49Ce n'est pas vraiment l'homme qui décide, c'est la vie qui décide pour toi.