Sa nouvelle série, sa vision du monde et ses projets... Xavier Dolan se dévoile dans cette interview exclusive.
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00:00Salut, c'est Cécile. Aujourd'hui, je suis avec...
00:02Xavier Dolan.
00:03Et on va se parler d'une série.
00:04Votre série, elle s'appelle comment ?
00:06La nuit où Laurier Gaudreau s'est réveillé.
00:07Moi, écrire des histoires, je ne sais plus quoi dire.
00:09L'urgence que j'ai, c'est celle de vivre ma vie, en fait.
00:13J'ai envie de prendre soin de moi aussi.
00:14La dernière fois qu'on s'est vus, c'était à l'automne 2019,
00:17pour la sortie de Mathias et Maxime.
00:19Je vous adore.
00:20Je vous adore, Mathias.
00:21Je suis bonheur, je suis plaisir d'aller à la rencontre des gens.
00:24Depuis, on a eu le Covid et tous les confinements.
00:30Comment ça va ?
00:32Comment vous avez traversé toute cette période-là ?
00:35J'ai traversé quand même dans l'inspiration.
00:37Je sais que c'était une période de souffrance pour beaucoup.
00:40Donc, je ne vais pas la banaliser non plus,
00:42mais pour moi, c'était une période de remise en question,
00:45puis de beaucoup de réflexion sur ma vie,
00:49d'abord personnelle, mais aussi professionnelle,
00:51sur ce que j'allais faire ensuite, puis comment j'allais le faire.
00:54Puis, la pandémie m'a permis de me déposer un peu,
00:59de me reconstruire, de réfléchir à comment j'approchais mon métier.
01:03Puis, en quelque sorte, pour moi, ça a été assez positif.
01:10Avec la mort de ma mère, maintenant que ma famille est fragile.
01:18Quand j'ai terminé le visionnage de la série,
01:20j'ai eu la sensation que c'était votre oeuvre la plus aboutie.
01:25Est-ce que c'est quelque chose que vous ressentez aussi ?
01:31Je ne sais pas si je le formulerais comme ça,
01:35mais il y a un sentiment en moi de plénitude, d'accomplissement.
01:41C'est des grands thèmes aussi.
01:42C'est la vie, la mort, la rédemption, le deuil, la fraternité, la filiation.
01:48C'est un peu une série qui parle de la vie, finalement.
01:51Les gens me parlent de mes thématiques, mes thématiques, mes thématiques,
01:54mais ma thématique, c'est la vie.
01:57La famille, c'est la vie.
02:01Donc, oui, j'ai l'impression que quelque chose qui s'est complété en moi,
02:06que moi, j'ai complété quelque chose avec cette série,
02:11que je suis prêt à passer à une autre étape de ma vie.
02:15Je me sens repu.
02:16Je me sens satisfait, puis d'une façon pédante, je suis satisfait,
02:21mais ça me remplit, ça m'a vidé en même temps.
02:26Et puis donc, avec cette série, c'est une sorte de point à une longue phrase
02:31qui s'est entamée en 2009.
02:35Et puis, ce sera le début d'une autre, éventuellement.
02:38Je ne sais pas quand, je ne sais pas comment,
02:40ni par quel projet, ni dans combien de temps.
02:42Puis, c'est très bien comme ça, pour moi.
02:45Vous l'avez dit au journal de Montréal en novembre,
02:48que c'était peut-être, je vais reprendre vos mots,
02:51« Le monde a drastiquement changé.
02:52Dans ce monde-là, je ne ressens plus nécessairement
02:54le besoin de raconter des histoires et de me raconter. »
02:58Je le pense encore.
02:59Ça fait juste deux mois.
03:02Oui, oui.
03:04Vous avez dit tout ce que vous aviez envie de dire ?
03:07Oui, je pense que oui.
03:08Je pense que j'ai dit...
03:10Oui, j'ai dit pas juste ce que j'avais envie de dire,
03:12j'ai dit ce que j'avais à dire.
03:15J'aurais probablement d'autres idées qui me viendront.
03:18Je me suis commis à un ou deux projets de séries
03:20qui sont en développement.
03:22Est-ce qu'ils vont voir le jour ?
03:23Je n'en ai aucune idée.
03:24En tant que réalisateur ?
03:25Oui, en tant que réalisateur.
03:27Et puis, je les ferai de façon rigoureuse et passionnée
03:29si l'occasion se présente.
03:31Mais sinon, moi, écrire des histoires,
03:33je ne sais plus quoi dire.
03:35Je ne sais plus quoi...
03:36J'ai envie de faire autre chose.
03:38J'ai envie de m'intéresser à d'autres champs d'intérêt,
03:41l'architecture, la décoration,
03:43j'ai envie de voyager.
03:44J'ai envie de prendre soin de moi aussi.
03:46Dans l'épisode 4, il y a une réplique qui m'a marqué
03:48de votre personnage.
03:49Vous dites, moi, s'il ne se passe rien, j'ai peur.
03:52Vous n'avez plus peur, du coup, maintenant,
03:54s'il ne se passe plus rien,
03:56s'il se passe des choses différentes ?
03:57C'est un personnage.
03:58Ce n'est pas moi.
04:00C'est la différence.
04:02Moi, s'il ne se passe rien,
04:04présentement, je suis très content.
04:06C'est tout ce que je demande.
04:08Parce que vous avez été...
04:10Vous avez été fatigué ?
04:11Vous êtes fatigué ?
04:12Non, mais j'ai beaucoup travaillé
04:13dans les dernières années.
04:14Il y a eu une saturation.
04:15Comme je dis, c'est ce sentiment
04:16d'être rempli, d'être repu,
04:18mais aussi d'être vidé, d'être drainé.
04:21Un projet, c'est long à préparer.
04:25C'est long ensuite à peaufiner.
04:27C'est long à mettre en boîte.
04:29C'est long à parfaire.
04:31Après, il faut faire des affiches.
04:33On les trouve l'aide.
04:35Il faut recommencer.
04:36Après, on les trouve encore l'aide.
04:38Il faut encore les refaire.
04:39On fait le film à nom de soi-même
04:41parce que sinon, on ne l'aime pas.
04:43Ce n'est pas à la hauteur de la série
04:45qu'on s'est tous efforcés de faire.
04:47Après, les sous-titres anglais
04:49ont été mal écrits.
04:50Il n'y a pas de différence de langage
04:52entre les adolescents en 1990
04:54et les adolescents en 2019.
04:56Il faut refaire les sous-titres,
04:58les réécrire.
04:59Après, c'est juste que ça ne finit jamais.
05:02Ça n'en finit plus.
05:04La nuit n'en finit plus,
05:06comme dirait Petula Clark.
05:09Il y a une saturation.
05:11Il y a un non-désir.
05:13Aussi, l'idée,
05:15hormis d'un point de vue administratif,
05:17technique,
05:18les choses dont je n'ai plus envie
05:20de m'occuper en post-production
05:22ou peu importe,
05:23le fait d'avoir fait le tour du chapeau,
05:25d'avoir fait beaucoup de films en peu de temps.
05:27J'aurais pu en faire un à chaque 5 ans,
05:29mais je ne l'ai pas fait.
05:31Je l'ai fait plus rapidement.
05:33Personne ne m'y a forcé.
05:35J'ai créé au rythme de ma passion
05:37et de mon urgence de créer.
05:39Maintenant, l'urgence que j'ai,
05:41c'est celle de vivre ma vie.
05:43À quoi d'affaire de venir ici
05:45et brosser de la marbre,
05:47sortir des enfants du passé
05:49qui n'ont pas d'affaire dans le présent.
05:51Le temps arrange ces choses-là.
05:53Ce projet est arrivé comment dans votre vie?
05:55À l'été 2019, j'ai vu la pièce de théâtre
05:57de Michel Marc que j'avais déjà adaptée dans le passé.
05:59J'avais adapté son travail à l'époque
06:01de Tom à la ferme.
06:03Je pense que ce qui m'a plu
06:05dans la pièce,
06:07c'est l'idée de pouvoir montrer
06:09tout ce qui n'était qu'évoqué au texte,
06:11mais aussi de pouvoir plonger
06:13vraiment dans
06:15les notions complexes
06:17de conflit
06:19dans la fraternité
06:21entre frères et sœurs.
06:23Encore une fois,
06:25la communicabilité
06:27des sentiments, des choses qu'on ressent.
06:29Être incapable de dire
06:31je t'aime, de dire je m'aime,
06:33de pouvoir s'accepter tel que l'on est,
06:35d'accepter les autres tels qu'ils sont.
06:37Le projet de la série, ça a tout de suite été un projet de série
06:39dans votre esprit?
06:41Oui, parce que même la pièce de théâtre était jalonnée
06:43de façon à ce qu'à chaque 30 minutes
06:45il y avait des cliffhangers, des pivots
06:47qui m'ont immédiatement évoqué
06:49l'univers de la télésérie
06:51parce que je voyais des fins d'épisodes,
06:53des débuts, d'autres.
06:55C'était pour moi, le langage
06:57de la télévision s'imposait.
06:59On vous a beaucoup interrogé sur votre cinéphilie,
07:01sur les films qui vous ont marqué.
07:03C'est quoi les séries qui vous ont marqué,
07:05qui vous ont forgé?
07:07Six pieds sous terre,
07:09que j'ai revu au fil du temps
07:11plusieurs fois,
07:13que je vais découvrir à des amis,
07:15The Night Of,
07:17une série que j'adore sur HBO,
07:19de HBO.
07:23J'adore Succession,
07:25White Lotus de Mike White,
07:27quoi d'autre?
07:29J'ai grandi avec la télévision
07:31quand j'étais enfant,
07:33quand j'étais ado, jeune adulte,
07:35la télévision a toujours fait partie de ma vie.
07:37J'ai grandi avec Roswell,
07:39Smallville, Buffy, Charmed,
07:41c'est mon enfance, c'est qui je suis.
07:43Avant de lire cette pièce,
07:45vous vous étiez déjà dit,
07:47tiens, la série, j'ai envie de m'y frotter un jour
07:49ou pas du tout?
07:51La première chose que j'ai jamais écrite,
07:53c'est une télésérie.
07:55La première chose que j'ai écrite dans ma vie,
07:57c'était une télésérie.
07:59Et ça racontait quoi?
08:01La vie d'une famille ordinaire
08:03qui vivait des bouleversements,
08:05disons, eux,
08:07plutôt extraordinaires.
08:09Ça s'appelait Des gens ordinaires.
08:11La musique originale, elle est signée
08:13Hans Zimmer et David Féming.
08:15Comment le travail, ça s'est passé avec eux?
08:17Est-ce que vous leur avez donné des indications,
08:19des intentions?
08:21À quel moment ils sont intervenus?
08:23C'est vrai qu'ils sont très tard,
08:25comme souvent en musique.
08:27Parfois, ils ont le luxe de composer bien en amont
08:29en écrivant le scénario,
08:31mais ce n'était pas le cas.
08:33En fait, pour la petite histoire,
08:35ça devait être quelqu'un d'autre
08:37que Hans et Dave,
08:39qui s'est légisté à la dernière minute.
08:41Puis Hans a eu la générosité
08:43de me faire un peu de place
08:45dans son planning qu'on devine très chargé.
08:47J'ai travaillé avec eux de façon très...
08:49On a même composé certaines pièces presque ensemble.
08:51Je chante très mal, j'ai une oreille,
08:53mais composer et chanter, aucun rapport.
08:55Mais je n'ai pas ce talent-là du tout.
08:57Mais par contre,
08:59j'étais, oui, présent.
09:01J'étais présent à l'enregistrement à Londres,
09:03mais j'étais présent pendant la création aussi.
09:05Puis c'était bien de pouvoir
09:07donner des indications pendant
09:09qu'eux composaient,
09:11parce qu'on pouvait orienter le travail
09:13puis éviter de perdre le temps l'un de l'autre
09:15du temps qu'on n'avait pas
09:17parce que c'était très dernière minute.
09:19Puis de pouvoir comme ça
09:21construire, poser,
09:23déposer sur
09:25la table de musique chaque détail,
09:27chaque pièce, chaque sonorité, choisir ensemble des textures,
09:29discuter de certaines idées.
09:31Ça a créé une musique
09:33qui nous ressemble à nos trois
09:35puis qui est très cohérente, je pense,
09:37avec le produit qui a été tourné
09:39et qui lui a donné sa voix, en fait,
09:41à cette série-là. La musique fait partie
09:43de ma vie.
09:45J'écris avec, je tourne
09:47avec, je monte
09:49avec. Elle est là du début
09:51à la fin. Il y a même des idées de films
09:53qui viennent après avoir entendu
09:55une pièce de musique, une chanson.
09:57La musique, pour moi,
09:59elle est très très présente
10:01puis c'est l'élément, c'est l'art le plus
10:03avec l'image
10:05parce qu'évidemment, il y a
10:07l'art de la photographie,
10:09de la danse, du jeu, toutes sortes
10:11d'arts, en fait, dans le cinéma, mais celui qui est le plus
10:13complémentaire de l'image, pour moi, c'est
10:15la musique. C'est ce qui accompagne le mieux
10:17la photographie, l'image,
10:19c'est ce son musical
10:21qui transporte
10:23à la fois le récit, l'action du film,
10:25les personnages, mais
10:27le spectateur aussi, qu'il l'interpelle
10:29de façon très intime
10:31pour des raisons
10:33presque mystiques. Donc, la musique
10:35est partout pour moi.
10:37Dans cette série, vous êtes réalisateur,
10:39vous êtes acteur aussi
10:41et ce n'est pas la première fois.
10:43Quel regard vous portez
10:45sur vous, sur le plateau et comment se
10:47comporte Xavier le réalisateur
10:49avec Xavier l'acteur et vice-versa?
10:51Ils se comportent
10:53comme avec tous les autres.
10:55Il y a un remis exigeant et puis
10:57moi, je n'ai aucune difficulté
10:59à regarder mon travail de façon frontale
11:01puis à aimer ce que j'ai fait
11:03ou à détester ce que j'ai fait.
11:05Je suis entouré de gens bienveillants
11:07qui ont un oeil et un sens critique
11:09très développé
11:11qui est insensible à notre proximité,
11:13à notre familiarité, donc qui n'ont aucun problème
11:15à me dire qu'ils m'ont trouvé
11:17mauvais ou à côté de mes pompes.
11:19Donc, on travaille dans
11:21la critique constructive du travail
11:23l'un de l'autre tout le temps, puis dans l'objectif
11:25de raconter l'histoire la plus
11:27intéressante,
11:29la plus complexe.
11:31Et pour ce faire,
11:33il n'y a aucun compromis, aucun
11:35obstacle ne peut se dresser entre nous, surtout pas l'amitié.
11:37De toute façon, les gens
11:39que j'aime puis que j'appelle mes amis
11:41sont les gens qui sont authentiques
11:43avec moi puis qui me
11:45parlent sans détour.
11:47Anne Dorval, que vous retrouvez
11:49là pour la sixième fois, c'est votre mère
11:51à l'écran pour la quatrième fois.
11:53Y a-t-elle qui peut être votre mère?
11:55Non,
11:57mais
11:59c'est une personne
12:01qui porte en elle tellement de personnages,
12:03tellement de talents. Il y a autant
12:05de personnages de mères sur Terre qu'il y a de femmes,
12:07qui sont des personnages
12:09différents les uns des autres, qui se renouvellent
12:11à chaque fois, qui sont différents.
12:13On peut y voir une redite artistique, mais
12:15c'est juste que ce que j'aime avec Anne, c'est qu'on
12:17peut toujours recommencer à zéro, puis on peut toujours raconter
12:19une nouvelle histoire.
12:21Elle a toujours la curiosité, puis le désir
12:23d'explorer, de créer,
12:25de se renouveler, de se
12:27transformer, de devenir quelqu'un d'autre,
12:29comme moi, aussi.
12:31J'ai ce même désir. Quand vous regardez
12:33le chemin que vous avez parcouru depuis
12:352009, depuis J'ai tué ma mère,
12:37qu'est-ce que vous vous dites? Est-ce que
12:39vous êtes fier de ce que vous avez
12:41réalisé?
12:43Oui.
12:45Oui, je suis fier.
12:47Il y a
12:49la fierté globale, puis il y a la fierté
12:51pour chacun de ces projets. C'est pas toujours
12:53la même. Il y a des projets...
12:55Je suis fier de tous mes projets.
12:57J'ai honte d'aucun d'eux.
12:59Je les aime tous pour des raisons
13:01différentes. Il y en a que je regarde
13:03plus douloureusement. Je trouve
13:05qu'ils ont mal vieilli.
13:07Je les trouve mal éclairés. Je les trouve maladroits.
13:09Puis en même temps, on évolue aussi.
13:11On change. C'est parce qu'on fait
13:13des erreurs qu'on les répète pas, idéalement
13:15évidemment.