Passer au playerPasser au contenu principalPasser au pied de page
  • 25/03/2025
"C'est un pays où on crève avec l'espoir."

En s'inspirant du meurtre de George Floyd, Louis-Philippe Dalembert raconte le racisme présent dans la société américaine dans son roman "Milwaukee Blues". Il en discute pour Brut avec Augustin Trapenard.
Transcription
00:00Salut Brut, c'est Augustin et je suis accompagné de Louis-Philippe d'Alembert,
00:03dont le roman s'appelle Milwaukee Blues.
00:05Salut Brut.
00:06On en parle tous les deux ?
00:07On en parle.
00:08Votre livre, il se passe aux Etats-Unis.
00:10Il fait écho au meurtre de George Floyd à Minneapolis en mai 2020.
00:14Qu'est-ce que vous racontez de ce pays, de cette culture spécifiquement ?
00:18C'est bien que vous m'ayez posé la question comme ça,
00:19parce que justement, je voulais parler de ce pays-là, de cette culture-là.
00:23C'est un pays où à la fois tout est permis, où tout est possible.
00:27On se dit, tiens, on peut y arriver jusqu'à la fin.
00:29Il y a un des personnages de Milwaukee Blues, par exemple,
00:32qui dit que c'est un pays où on a, comme dans tous les pays du monde,
00:37on va crever, mais on crève avec l'espoir.
00:39De toute façon, on a toujours, on croit qu'on peut y arriver.
00:41Qu'est-ce qu'on fait, Louis-Philippe, face à une histoire qui bégait, qui se répète ?
00:46C'est l'un des grands sujets de ce roman, je crois.
00:47Ce qu'on a toujours fait, je pense que chaque génération invente ses formes de lutte.
00:53C'est ce qui donne sens à la vie de chaque génération ou chaque être humain.
00:57J'ai envie de dire, mes femmes, chaque génération cherche son combat pour pouvoir tenir.
01:03Parce que sinon, quel sens aurait l'existence s'il n'y a pas de combat ?
01:06En fait, ça ne peut pas être juste je nais, je vis et je meurs.
01:10Non, il y a quelque chose qui donne sens.
01:12Pourquoi aujourd'hui, les jeunes sont tellement impliqués dans la lutte
01:17pour la sauvegarde de la planète, par exemple ?
01:20Ça, c'est quelque chose qui est presque naturel chez un certain nombre de jeunes.
01:23Donc, chaque génération invente vraiment ses combats et ses luttes.
01:27Mais précisément, vous, nous, tout le monde,
01:29qu'est-ce qu'on fait face à ce qui se joue et se rejoue surtout ?
01:33Ce que je dis souvent, c'est que les choses avancent.
01:35On ne s'en rend pas compte, c'est lent.
01:37À l'échelle d'une vie, on aimerait que ça aille plus vite.
01:39Mais je ne désespère pas, d'une part.
01:41Et d'autre part, surtout de plus en plus, je vois comment les jeunes s'accaparent de ces sujets-là.
01:46Et ce qui est très important, peut-être pas de la même façon que ma génération,
01:50mais c'est beaucoup plus spontané pour eux.
01:53C'est quelque chose, j'ai presque envie de dire, de viscéral, en fait,
01:57parce qu'ils parlent de leurs tripes.
01:58Et je me rappelle, pour revenir à ce type de discussion,
02:01quand il y a eu le premier attentat contre Charlie Hebdo,
02:05et moi, je n'habitais pas trop loin de la République,
02:07donc j'avais été à la manifestation,
02:09et je voyais les jeunes qui disaient tout de suite,
02:11pas d'amalgame, pas d'amalgame.
02:13Et pour eux, c'était quelque chose de spontané,
02:15il n'y avait pas de mot d'ordre, personne ne leur avait dit ça.
02:17Donc, c'est quelque chose qui était ancré en eux.
02:20C'est ce côté viscéral de la chose.
02:22On ne peut pas le faire du jour au lendemain.
02:24C'est vraiment quelque chose qui prend du temps
02:26parce que, je ne sais pas si vous avez vu
02:29pour les progrès qu'on a pu faire dans les 20-25 dernières années.
02:32Moi, j'ai commencé à écrire avec une machine mécanique,
02:35vraiment mécanique.
02:36Après, il y a eu la machine à écrire électronique
02:39avec quatre pages de mémoire.
02:41Il y a eu les CD-ROM et puis les clés USB.
02:45En 25 ans, il y a eu un progrès énorme d'un point de vue technologique.
02:50Mais au niveau des mentalités, c'est beaucoup plus lent.
02:53Amener l'être humain vers plus de tolérance,
02:56c'est quelque chose qui prend du temps
02:58et il faut accepter que ça prenne du temps.
02:59Sinon, on risque d'essayer de trop boustuler les gens
03:04et d'obtenir l'effet inverse.
03:06– Au fond, qu'est-ce que la littérature peut changer concrètement ?
03:10– Ça, c'est une très bonne question qui est très difficile.
03:12C'est-à-dire que si j'arrive à toucher deux ou trois individus,
03:17moi, le plus beau compliment qu'on puisse me faire en tant qu'écrivain,
03:21c'est quand quelqu'un vient me voir en me disant que,
03:23vous savez, votre livre m'a aidé à réfléchir, ça m'a aidé à progresser.
03:27Et ça, pour moi, c'est vraiment le Graal.
03:30– En quoi, pour vous, l'un des enjeux, c'est d'inventer un nouveau langage ?
03:33– Quand vous parlez de langage, pour moi, je ne pense pas forcément à la langue.
03:37C'est-à-dire que le rapport, justement, entre nous, les êtres humains.
03:41C'est-à-dire comment nous parler
03:44et comment arriver à se dire les choses sans être dans le déni.
03:49Et ça, c'est important.
03:50Faire en sorte que chaque être humain puisse vivre avec dignité.
03:53C'est important de vivre digne en tant qu'homme,
03:56ou en tant que femme, ou en tant que noir, ou en tant que blanc,
03:58en tant qu'asiatique, ou en tant que juif, ou musulman, tout ce qu'on veut,
04:01mais vivre dans la dignité, en fait.
04:03– C'est une tentative pour rendre la dignité la littérature aussi, pour vous ?
04:08– Ah oui, sinon, il n'y a pas de littérature.
04:12Le mot que je pourrais utiliser, qui n'est peut-être pas approprié,
04:17mais j'ai envie de savoir que quand j'écris un livre,
04:20que je n'ai pas écrit sur un coup de tête,
04:22j'ai pensé à ce livre-là, j'ai envie que ce soit, entre guillemets,
04:27quelque chose de vital, de nécessaire, vraiment nécessaire.
04:31Ce n'est pas juste parce que j'avais une envie comme ça,
04:34tiens, voilà, je vais écrire, non.
04:35Quelque chose de nécessaire, qui fasse partie d'un processus
04:39et qui puisse peut-être, encore une fois,
04:41quand une ou deux personnes lisent, se dire tiens, j'ai appris quelque chose.

Recommandations