"C'est un pays où on crève avec l'espoir."
En s'inspirant du meurtre de George Floyd, Louis-Philippe Dalembert raconte le racisme présent dans la société américaine dans son roman "Milwaukee Blues". Il en discute pour Brut avec Augustin Trapenard.
En s'inspirant du meurtre de George Floyd, Louis-Philippe Dalembert raconte le racisme présent dans la société américaine dans son roman "Milwaukee Blues". Il en discute pour Brut avec Augustin Trapenard.
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00:00Salut Brut, c'est Augustin et je suis accompagné de Louis-Philippe d'Alembert,
00:03dont le roman s'appelle Milwaukee Blues.
00:05Salut Brut.
00:06On en parle tous les deux ?
00:07On en parle.
00:08Votre livre, il se passe aux Etats-Unis.
00:10Il fait écho au meurtre de George Floyd à Minneapolis en mai 2020.
00:14Qu'est-ce que vous racontez de ce pays, de cette culture spécifiquement ?
00:18C'est bien que vous m'ayez posé la question comme ça,
00:19parce que justement, je voulais parler de ce pays-là, de cette culture-là.
00:23C'est un pays où à la fois tout est permis, où tout est possible.
00:27On se dit, tiens, on peut y arriver jusqu'à la fin.
00:29Il y a un des personnages de Milwaukee Blues, par exemple,
00:32qui dit que c'est un pays où on a, comme dans tous les pays du monde,
00:37on va crever, mais on crève avec l'espoir.
00:39De toute façon, on a toujours, on croit qu'on peut y arriver.
00:41Qu'est-ce qu'on fait, Louis-Philippe, face à une histoire qui bégait, qui se répète ?
00:46C'est l'un des grands sujets de ce roman, je crois.
00:47Ce qu'on a toujours fait, je pense que chaque génération invente ses formes de lutte.
00:53C'est ce qui donne sens à la vie de chaque génération ou chaque être humain.
00:57J'ai envie de dire, mes femmes, chaque génération cherche son combat pour pouvoir tenir.
01:03Parce que sinon, quel sens aurait l'existence s'il n'y a pas de combat ?
01:06En fait, ça ne peut pas être juste je nais, je vis et je meurs.
01:10Non, il y a quelque chose qui donne sens.
01:12Pourquoi aujourd'hui, les jeunes sont tellement impliqués dans la lutte
01:17pour la sauvegarde de la planète, par exemple ?
01:20Ça, c'est quelque chose qui est presque naturel chez un certain nombre de jeunes.
01:23Donc, chaque génération invente vraiment ses combats et ses luttes.
01:27Mais précisément, vous, nous, tout le monde,
01:29qu'est-ce qu'on fait face à ce qui se joue et se rejoue surtout ?
01:33Ce que je dis souvent, c'est que les choses avancent.
01:35On ne s'en rend pas compte, c'est lent.
01:37À l'échelle d'une vie, on aimerait que ça aille plus vite.
01:39Mais je ne désespère pas, d'une part.
01:41Et d'autre part, surtout de plus en plus, je vois comment les jeunes s'accaparent de ces sujets-là.
01:46Et ce qui est très important, peut-être pas de la même façon que ma génération,
01:50mais c'est beaucoup plus spontané pour eux.
01:53C'est quelque chose, j'ai presque envie de dire, de viscéral, en fait,
01:57parce qu'ils parlent de leurs tripes.
01:58Et je me rappelle, pour revenir à ce type de discussion,
02:01quand il y a eu le premier attentat contre Charlie Hebdo,
02:05et moi, je n'habitais pas trop loin de la République,
02:07donc j'avais été à la manifestation,
02:09et je voyais les jeunes qui disaient tout de suite,
02:11pas d'amalgame, pas d'amalgame.
02:13Et pour eux, c'était quelque chose de spontané,
02:15il n'y avait pas de mot d'ordre, personne ne leur avait dit ça.
02:17Donc, c'est quelque chose qui était ancré en eux.
02:20C'est ce côté viscéral de la chose.
02:22On ne peut pas le faire du jour au lendemain.
02:24C'est vraiment quelque chose qui prend du temps
02:26parce que, je ne sais pas si vous avez vu
02:29pour les progrès qu'on a pu faire dans les 20-25 dernières années.
02:32Moi, j'ai commencé à écrire avec une machine mécanique,
02:35vraiment mécanique.
02:36Après, il y a eu la machine à écrire électronique
02:39avec quatre pages de mémoire.
02:41Il y a eu les CD-ROM et puis les clés USB.
02:45En 25 ans, il y a eu un progrès énorme d'un point de vue technologique.
02:50Mais au niveau des mentalités, c'est beaucoup plus lent.
02:53Amener l'être humain vers plus de tolérance,
02:56c'est quelque chose qui prend du temps
02:58et il faut accepter que ça prenne du temps.
02:59Sinon, on risque d'essayer de trop boustuler les gens
03:04et d'obtenir l'effet inverse.
03:06– Au fond, qu'est-ce que la littérature peut changer concrètement ?
03:10– Ça, c'est une très bonne question qui est très difficile.
03:12C'est-à-dire que si j'arrive à toucher deux ou trois individus,
03:17moi, le plus beau compliment qu'on puisse me faire en tant qu'écrivain,
03:21c'est quand quelqu'un vient me voir en me disant que,
03:23vous savez, votre livre m'a aidé à réfléchir, ça m'a aidé à progresser.
03:27Et ça, pour moi, c'est vraiment le Graal.
03:30– En quoi, pour vous, l'un des enjeux, c'est d'inventer un nouveau langage ?
03:33– Quand vous parlez de langage, pour moi, je ne pense pas forcément à la langue.
03:37C'est-à-dire que le rapport, justement, entre nous, les êtres humains.
03:41C'est-à-dire comment nous parler
03:44et comment arriver à se dire les choses sans être dans le déni.
03:49Et ça, c'est important.
03:50Faire en sorte que chaque être humain puisse vivre avec dignité.
03:53C'est important de vivre digne en tant qu'homme,
03:56ou en tant que femme, ou en tant que noir, ou en tant que blanc,
03:58en tant qu'asiatique, ou en tant que juif, ou musulman, tout ce qu'on veut,
04:01mais vivre dans la dignité, en fait.
04:03– C'est une tentative pour rendre la dignité la littérature aussi, pour vous ?
04:08– Ah oui, sinon, il n'y a pas de littérature.
04:12Le mot que je pourrais utiliser, qui n'est peut-être pas approprié,
04:17mais j'ai envie de savoir que quand j'écris un livre,
04:20que je n'ai pas écrit sur un coup de tête,
04:22j'ai pensé à ce livre-là, j'ai envie que ce soit, entre guillemets,
04:27quelque chose de vital, de nécessaire, vraiment nécessaire.
04:31Ce n'est pas juste parce que j'avais une envie comme ça,
04:34tiens, voilà, je vais écrire, non.
04:35Quelque chose de nécessaire, qui fasse partie d'un processus
04:39et qui puisse peut-être, encore une fois,
04:41quand une ou deux personnes lisent, se dire tiens, j'ai appris quelque chose.