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"Il est temps désormais que nous ayons une reconnaissance pour tout le travail que nous faisons ici."

La ministre de la Santé a rendu une visite surprise, sans caméra, aux urgences de l'hôpital Saint-Antoine à Paris. Infirmier, Théo raconte comment ça s'est passé et ses difficultés au quotidien.
Transcription
00:00Ça faisait une semaine que je dormais plus, que je m'alimentais mal, j'étais fatigué,
00:05j'en avais des douleurs chroniques, musculaires, au dos.
00:09Et au bout d'un moment, on m'a dit d'aller voir mon médecin.
00:12Je suis allé voir mon médecin et il a décidé de m'arrêter quelques jours
00:15parce qu'en fait, il fallait faire un arrêt.
00:18Il fallait s'arrêter parce que si on ne s'arrête pas, c'est la machine qui craque.
00:30Elle est venue à l'improviste, personne n'avait été prévenu, ça a dû durer
00:43une quinzaine de minutes d'entretien avec elle, sans compter le temps où elle est allée
00:50serrer les mains des patients, pour ceux qui ont accepté de lui serrer la main.
00:54Certains ont refusé de lui serrer la main, oui.
00:57Quel message vous lui avez fait passer aujourd'hui ?
00:59Celui qu'on fait passer depuis des mois, c'est-à-dire qu'on est fatigué,
01:02qu'on n'en peut plus, que les équipes sont à bout, à flux tendu,
01:07et qu'on a à cœur de faire valoir la spécificité de notre travail ici aux urgences
01:13et qu'on n'est pas prêt de lâcher le morceau.
01:17Aujourd'hui, sur le terme des symptômes, c'est quoi aujourd'hui ce que vous ressentez,
01:22ce qui fait qu'il y a un mal-être dans ces urgences dont on parle depuis plusieurs mois,
01:25mais peut-être même aussi depuis plusieurs années ?
01:28Qu'est-ce qui fait qu'on ne va pas bien ?
01:30C'est les manques de lits sur l'hôpital, c'est la surpopulation des urgences.
01:35Aujourd'hui, il y a un tiers des Français qui sont passés au moins une fois aux urgences dans l'année.
01:41On n'a pas les services qui sont extensibles, donc les locaux sont bondés,
01:47les équipes sont tendues parce que nous sommes en sous-effectif,
01:51et avec des patients toujours plus compliqués à prendre en charge,
01:55la biologie certes, mais aussi des patients qui se complexifient
01:58avec des pathologies qui sont de plus en plus compliquées à prendre en charge,
02:02et surtout aussi des années et des années avec des alarmes qui ont été sonnées
02:08par toutes les organisations urgentes, des urgences,
02:12et avec aucune réaction du pouvoir, que ce soit les différents gouvernements,
02:18et encore plus celui qui est en place aujourd'hui.
02:20Est-ce que cet engorgement des urgences, il est aussi lié au fait que depuis des années,
02:24il y a un changement dans l'évolution des profils qui viennent ici ?
02:28C'est-à-dire qu'avant, on allait peut-être chez le médecin,
02:30et maintenant, dès qu'on a le moins de petits bobos, on va tout de suite aux urgences, c'est un peu ça ?
02:34Il y a une désertification de la médecine générale, ça c'est clair.
02:39Sur Paris, on est dans la capitale d'un des plus grands pays d'Europe, du monde,
02:49et on arrive aujourd'hui à avoir du mal à trouver des rendez-vous chez des médecins.
02:53On n'a plus de médecins généralistes, donc du coup, les gens viennent aux urgences.
02:57Il y a aussi une misère sociale, donc des patients qui préfèrent s'orienter sur des urgences,
03:01où les soins vont être, dans l'imaginaire, gratuits, plus facilement,
03:06accessibles plus facilement, plus rapidement aussi.
03:09On a une diversification des patients qui est claire et nette,
03:14avec aussi beaucoup de patients dans une misère sociale
03:17qui viennent de plus en plus ici aujourd'hui aux urgences.
03:19Vous, vous avez pu vous adresser directement, Madame le Ministre ?
03:22J'ai pu m'adresser directement à elle, oui.
03:24Je lui ai rappelé nos engagements, je lui ai rappelé que nous étions là pour soigner tout le monde.
03:31Vous étiez là tout le temps, nous sommes là tout le temps,
03:33nous sommes des personnels le plus que qualifiés, nous prenons en charge absolument tout,
03:37que ce soit la maladie psychiatrique en manque de traitement,
03:40qui peut être violente, qui est souvent violente,
03:43et qui blesse nos équipes dans leur chair et dans leur psyché.
03:47Nous prenons en charge les patients qui sont infectieux, les grandes épidémies,
03:51l'ébola, nous sommes en première ligne, tout ce qui est la grippe, la tuberculose,
03:55nous sommes toujours là à prendre en charge des patients.
03:57De la même manière, la misère sociale, nous prenons en charge des personnes sans domicile fixe,
04:02des personnes qui sont réfugiées, nous prenons en charge tout le monde.
04:05Je lui ai dit que nous, nous sommes là et que l'idée est tant désormais
04:08que nous ayons une reconnaissance pour tout le travail que nous faisons ici
04:11et le travail que nous faisons bien aux urgences.
04:13On n'arrive plus à gérer tout ce qu'on reçoit,
04:16on est humain comme tout le monde, on fait ce qu'on peut,
04:20et à partir de ce moment-là, on est obligé aussi à un moment de penser à notre corps
04:27et d'essayer d'écouter les signes extérieurs et de, par exemple,
04:33aller voir notre médecin pour se faire arrêter par notre médecin,
04:37parce qu'en fait, on n'en peut plus et notre corps est à bout.
04:40Vous-même, vous avez été en arrêt ?
04:41J'ai été en arrêt, oui.
04:42Vous étiez en arrêt donc la semaine dernière ?
04:44La semaine dernière, oui, ça faisait des semaines,
04:47ça faisait une semaine que je ne dormais plus,
04:50que je m'alimentais mal, j'étais fatigué,
04:52j'en avais des douleurs chroniques musculaires au dos
04:56et au bout d'un moment, on m'a dit d'aller voir mon médecin,
04:59je suis allé voir mon médecin et il a décidé de m'arrêter quelques jours
05:02parce qu'en fait, il fallait faire un arrêt, il fallait s'arrêter
05:06parce que si on ne s'arrête pas, c'est la machine qui craque
05:09et si jamais on ne s'arrête pas, c'est ce qui conduit au suicide
05:13ou tout simplement aux reconversions qui sont de plus en plus nombreuses
05:17aux urgences, des personnes qui restent un an, deux ans
05:20et qui parfois changent totalement de vocation
05:22parce qu'ils sont tout simplement dégoûtés du travail.
05:25Ils avaient tous une vocation pour soigner les gens,
05:27pour être proches des gens, pour être aidants
05:30et ils ont tout perdu en moins de deux ans à travailler à l'hôpital.
05:35Là, ils se sont mis en arrêt maladie,
05:37ça je pense que c'est dévoyer ce qu'est un arrêt maladie.
05:40C'est quoi, c'est pas acceptable vous dites ?
05:43Non, je pense que ça n'est pas bien,
05:44ça n'est pas bien parce que ça accroît la surcharge,
05:48ça entraîne une surcharge de travail pour les autres,
05:51pour les pompiers, nous l'avons vu à Lonce-le-Saunier,
05:54ce sont les ambulanciers, ce sont les pompiers,
05:56ce sont la médecine privée, les médecins libéraux
05:58qui ont pris en charge tous les patients
06:00et donc en réalité, en faisant cela, on accroît la fatigue des autres.
06:05La ministre Agnès Buzyn justement, elle a réagi sur ces arrêts maladie,
06:09elle a critiqué justement ce phénomène, est-ce que vous avez pu en parler avec elle ?
06:12Elle est venue nous voir, elle a fait son meilleur coup de pas,
06:14elle le fera sûrement pas devant les médias,
06:16je pense qu'elle préfère que ça se passe derrière une porte
06:20mais en tout cas oui, elle est venue nous voir pour se diffuser,
06:23elle voulait faire en sorte qu'on comprenne que ce n'était pas contre nous,
06:27qu'elle comprenait qu'on était à bout
06:29et qu'elle ne voulait pas que ces paroles soient perçues
06:32comme le fait qu'on ne travaille pas
06:35ou alors qu'on est ravi de ne pas aller travailler.
06:38Donc des regrets et des excuses exprimées ?
06:40Elle s'est excusée auprès de nous en disant qu'elle était allée trop loin dans ses propos.

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