• il y a 3 jours
Le 17 mars 2020, la France s'arrête nette. Ou presque. La pandémie du coronavirus s'est propagée et la consigne gouvernementale tient en un mot : le confinement. Il durera 3 mois et 17 jours.
Malgré la mise en place de mesures coercitives inédites et d'une campagne de vaccination massive, le virus aura tué plus de 167?000 personnes en France. Cinq ans plus tard, quelles traces cette épreuve collective a-t-elle laissé sur la société française ? Le « monde d'après » promis en temps de pandémie est-il advenu ? Quelles mémoires individuelles et collectives avons-nous fabriqué à partir de cette expérience hors normes ?
Pour en parler, Jean-Pierre Gratien reçoit l'êtes anthropologue et présidente de l'Institut Covid 19 Ad Memoriam, Laeticia Atlani-Duault, ainsi que les sociologues Rémy Oudghiri et Serge Guérin.

LCP fait la part belle à l'écriture documentaire en prime time. Ce rendez-vous offre une approche différenciée des réalités politiques, économiques, sociales ou mondiales....autant de thématiques qui invitent à prolonger le documentaire à l'occasion d'un débat animé par Jean-Pierre Gratien, en présence de parlementaires, acteurs de notre société et experts.

Abonnez-vous à la chaîne YouTube LCP : https://bit.ly/2XGSAH5

Suivez-nous sur les réseaux !
Twitter : https://twitter.com/lcp
Facebook : https://fr-fr.facebook.com/LCP
Threads : https://www.threads.net/@lcp_an
Instagram : https://www.instagram.com/lcp_an/
TikTok : https://www.tiktok.com/@LCP_an
Newsletter : https://lcp.fr/newsletter

Retrouvez nous sur notre site : https://www.lcp.fr/

#LCP #documentaire #debat

Catégorie

🗞
News
Transcription
00:00:00Générique
00:00:02...
00:00:16Bienvenue à tous dans Débat doc.
00:00:18Souvenez-vous, 17 mars 2020,
00:00:20la pandémie du coronavirus s'est propagée
00:00:23et la consigne gouvernementale tient en un mot le confinement.
00:00:26La France s'arrête nette,
00:00:28ou presque, une épreuve individuelle et collective hors normes
00:00:31et une formidable aubaine pour les photographes-reporteurs
00:00:35curieux de capter ce moment historique.
00:00:37La preuve avec le documentaire exclusif
00:00:40que nous vous proposons maintenant,
00:00:42Virus, regard de photographe,
00:00:44un film qui sonne, vous allez le voir,
00:00:46comme un vibrant hommage à tous les acteurs anonymes
00:00:49de cette crise. Je vous laisse le découvrir
00:00:51et je vous retrouverai juste après
00:00:53en compagnie de l'anthropologue Laetitia Atlani-Diau
00:00:56et des sociologues Rémy Oudguiri et Serge Guérin
00:01:00pour s'interroger, cinq ans après,
00:01:02sur le choc qu'aura provoqué la pandémie
00:01:05dans notre pays. Bon doc.
00:01:07...
00:01:13Au début, quand ils ont annoncé ce confinement,
00:01:16je me suis dit que j'allais pouvoir avoir du temps
00:01:18pour écrire, pour m'occuper de mes archives.
00:01:21Et très vite, j'ai compris que non,
00:01:24c'est un événement planétaire.
00:01:26Il fallait que je témoigne de cet événement.
00:01:29En tout cas, il faut laisser trace.
00:01:31Eric Bouvet, photographe,
00:01:33depuis bientôt 40 ans.
00:01:35...
00:01:37J'étais censée faire le premier tour
00:01:41des municipales et j'ai attrapé le corona.
00:01:45Je l'ai attrapé en Grèce, dans un camp de réfugiés.
00:01:47...
00:01:53Je n'ai pas travaillé au début, ce qui était difficile pour moi
00:01:56parce que j'avais l'impression de rater quelque chose.
00:02:00Je m'appelle Laurence, je suis photojournaliste,
00:02:03j'ai 36 ans.
00:02:04Je travaillais plutôt dans les pays en conflit,
00:02:07le Moyen-Orient, un peu d'Afrique.
00:02:09Une fois que j'étais guérie, je me sentais invincible.
00:02:12...
00:02:18Je suis rentré d'un voyage à Cuba le 16 mars.
00:02:22Je garde un petit pied-à-terre à New York,
00:02:24bien que ma résidence principale soit à Paris.
00:02:27Et le 20 mars, le gouverneur de New York, Cuomo,
00:02:30a annoncé un confinement général sévère.
00:02:34Et moi, je suis nomade.
00:02:38Je ne suis pratiquement jamais dans un seul endroit
00:02:40plus que deux à trois semaines.
00:02:42Je voyage en permanence.
00:02:43Et l'idée d'être bloqué, j'ai un peu honte de le dire,
00:02:46mais pour moi, c'était impossible.
00:02:49Mais en même temps, j'ai été terrifié par cette histoire de virus
00:02:52parce que moi, j'ai 65 ans maintenant,
00:02:55donc je savais que je faisais partie du groupe
00:02:57peut-être le plus vulnérable.
00:02:59...
00:03:07Je m'appelle Peter Tandley, photographe.
00:03:09Je suis Français-Américain.
00:03:11...
00:03:14J'avais un voyage à New York,
00:03:17j'avais un voyage en Haïti qui était prévu.
00:03:19Les billets étaient déjà pris, les billets d'avion.
00:03:22Et c'était d'abord pour moi une source de frustration
00:03:24de ne pas pouvoir partir.
00:03:26Et puis, au fur et à mesure,
00:03:27on comprenait que le confinement allait durer.
00:03:30J'ai été, comme beaucoup de photographes,
00:03:32obligé de travailler chez moi.
00:03:33Le confinement, ça m'a obligé à travailler sur ma ville.
00:03:37Je n'ai jamais eu l'idée ni l'envie de travailler là-dedans.
00:03:40Et là, j'ai redécouvert Paris,
00:03:42et sans le Covid, je ne l'aurais pas fait.
00:03:45Je m'appelle Corentin Follaine.
00:03:47Je suis photographe, photojournaliste.
00:03:52J'arrivais du Mexique.
00:03:53Je photographiais la consommation de cristalmette.
00:03:56Et je suis rentré à Paris avec cette adrénaline,
00:03:59cette énergie un peu sombre.
00:04:02Je marchais dans les rues avec mon appareil,
00:04:05je me sentais démuni.
00:04:06À ce moment-là, j'avais...
00:04:09Oui, il y avait une fragilité qui était extrême.
00:04:13En tout cas, un sentiment de fragilité qui était extrême.
00:04:19Antoine Lagoteuf, photographe.
00:04:44Est-ce que tu te souviens de l'ambiance dans Paris ?
00:04:47Est-ce que tu te souviens de tes premières impressions ?
00:04:50C'était l'impression d'une réalité terrible,
00:04:53où on se réveille un matin et il n'y a plus personne.
00:04:58Qu'est-ce qui t'a le plus marqué ?
00:05:00J'ai le souvenir de me retrouver place de l'Opéra.
00:05:04Un matin, assez tôt,
00:05:06il n'y avait absolument personne, ni sur la place.
00:05:08C'est vraiment...
00:05:10C'est vraiment...
00:05:11C'est vraiment la première fois que je me sens comme...
00:05:15C'est vraiment...
00:05:16C'est vraiment...
00:05:17C'est vraiment la première fois que je me sens comme...
00:05:21C'est vraiment...
00:05:22C'est vraiment la première fois que je me sens comme...
00:05:25Personne, ni sur la place,
00:05:27ni sur les boulevards, au loin.
00:05:31Il n'y avait aucun mouvement, aucun bruit.
00:05:33Ça m'a transporté.
00:05:35Vraiment, c'est le seul moment où ça m'a créé une émotion aussi forte.
00:05:40À la fois grisante,
00:05:42complètement jouissive de...
00:05:44On a l'impression de se retrouver sur un film...
00:05:47Sur le tournage d'un film catastrophe.
00:05:50Enfin, même pas sur le tournage, mais en plein dans la scène.
00:05:54Et en même temps, je sentais que mon esprit ne comprenait pas ce qui se passait.
00:05:58Il ne pouvait pas comprendre la situation d'un vide pareil.
00:06:01Ça, c'était un moment qui est marqué dans mon esprit.
00:06:07Assez dingue, en fait.
00:06:09Il y avait un côté assez...
00:06:13Fin du monde, mais fin du monde assez...
00:06:17Assez chouette, finalement, parce que ça me faisait un bien fou.
00:06:21Qu'est-ce que tu te souviens de ces moments ?
00:06:24Cette image, on dirait vraiment un décor de cinéma.
00:06:27On dirait presque pas Paris, on dirait plutôt Rome.
00:06:35Où on a l'impression d'être dans le cinéma italien,
00:06:39avec du carton-pattes.
00:06:42Cette vision touristique sans les touristes
00:06:45donnait un côté un petit peu faux, un petit peu fake à Paris.
00:06:51Un peu kitsch, parfois.
00:06:52Mais en même temps, grandiose.
00:06:54On entend le silence dans tes photos.
00:06:56Le silence était présent.
00:06:59J'ai croisé une fois un lapin.
00:07:00Un lapin près des Invalides.
00:07:05Sur le trottoir, qui gambadait.
00:07:11Oui, le silence, on n'en a pas parlé, mais c'était assez incroyable.
00:07:16C'était irréel.
00:07:18J'avais mes écouteurs.
00:07:20Je marchais en plein milieu de Ridriboli, toute seule, à faire des photos.
00:07:24C'était inédit.
00:07:26Et du coup, en photo, ça se voit bien.
00:07:29C'est visuel.
00:07:30Le vide que crée cette pandémie était intéressant à raconter en image.
00:07:37Ça, c'est Boucher, en temps normal, périph' plein.
00:07:39C'est pour ça que j'ai voulu prendre cette photo.
00:07:42Je pense qu'elle est très parlante.
00:07:44Vraiment, il n'y a pas un chat dans cette image.
00:07:47Alors que d'habitude, en temps normal, c'est embouteillé de dingue.
00:07:51Donc là, c'est le feu vert. Il n'y a que moi.
00:07:54Je suis seule, ici.
00:07:56Je prends cette photo.
00:08:03Normalement, je ne marche jamais sans musique.
00:08:05Mais j'ai enlevé à un moment donné mes écouteurs,
00:08:07et on entendait le silence, les oiseaux.
00:08:10Les oiseaux ?
00:08:12Les oiseaux et le silence.
00:08:13Est-ce que c'est comparable à une ville en guerre ?
00:08:17Je ne peux pas comparer les deux, parce que ce n'est pas comparable.
00:08:22C'est vrai que c'est quand même très différent.
00:08:24Quand il y a de la ruine...
00:08:28Le silence de la ruine, il est vraiment tragique.
00:08:31C'est...
00:08:32C'est autre chose.
00:08:34Là, je ne suis pas malheureuse quand je prends cette photo.
00:08:37Je trouve que c'est...
00:08:39différent.
00:08:42Triste pour la maladie qui se propage
00:08:44et pour les vies qui s'échappent.
00:08:46Mais, à titre personnel, quand je fais ça,
00:08:50je ne suis pas malheureuse de marcher dans Paris vide.
00:08:52Au contraire, j'en profite presque.
00:09:04J'aime beaucoup Paris le dimanche matin,
00:09:06en été, vers 7h du matin, quand il n'y a personne.
00:09:09Et là, je me suis retrouvée en permanence,
00:09:12à n'importe quelle heure de la journée,
00:09:14dans une ville complètement vide.
00:09:17Des oiseaux chantent
00:09:20Ça peut paraître désagréable
00:09:23pour beaucoup de monde qui était enfermé.
00:09:25Et moi, par mon métier, j'ai pu sortir.
00:09:29Donc, j'ai pu aller sur les endroits
00:09:33les plus merveilleux de Paris.
00:09:35Et être seul au milieu, à faire ces images,
00:09:38ça a été des moments de plénitude.
00:09:43Pour moi, c'était un moment merveilleux.
00:09:46Ça donne un effet, le tirage, très particulier dans le ciel.
00:09:49Comment t'as réussi à faire ça ?
00:09:52La réalisation, elle est faite avec cette chambre grand format.
00:09:56Logiquement, on met du film dedans, du film argentique.
00:09:58Et étant donné que les labos étaient fermés
00:10:02et que je n'avais pas les produits pour développer,
00:10:04j'ai mis... Je me suis servi de papier.
00:10:05Et c'est tout simplement des effets de développement
00:10:09qui donnent ce résultat.
00:10:11C'est toi qui faisais ce développement ?
00:10:12Oui, dans une cuve, tout simplement,
00:10:14dans une petite bassine, comme l'amateur classique.
00:10:20Ce virus, il est complètement incolore, inodore.
00:10:23Bref, il est dans l'air.
00:10:26Sur certaines images, on a l'impression qu'il flotte.
00:10:29On peut se dire que le virus passe par là.
00:10:35La première semaine, j'ai...
00:10:38J'ai travaillé avec un parent normal.
00:10:40Et en fait, à cause de la nature même du virus,
00:10:42à cause de son invisibilité,
00:10:44les images ne rendaient pas compte
00:10:46de cette charge de peur, de parano,
00:10:49de méfiance, de tension.
00:10:54À ce moment-là, on l'oubliait un petit peu,
00:10:56mais personne ne savait vraiment
00:10:59à quel point la contamination
00:11:05était possible, était probable.
00:11:10Je photographiais avec un appareil thermique
00:11:12qui mesure les écarts de température.
00:11:14Et pourquoi tu as choisi de faire des photos
00:11:16avec un appareil photothermique ?
00:11:18J'avais le sentiment que cet appareil
00:11:20pouvait rendre compte d'un autre niveau de réalité,
00:11:22de montrer autre chose que la simple réalité tangible,
00:11:25mais montrer la peur, surtout,
00:11:28qui était la...
00:11:29On le voit dans la rigidité des positions,
00:11:32dans la tension.
00:11:33Les premières semaines, les corps étaient figés,
00:11:35les espaces étaient respectés au sein de la tête.
00:11:39Au centimètre.
00:11:41Après, je me demande, est-ce que chacun protège l'autre ?
00:11:44Est-ce que chacun se protège de l'autre ?
00:11:46Est-ce que... Je sais pas.
00:11:49Et plus que...
00:11:54Plus que cette réalité,
00:11:55j'ai photographié l'intérieur des choses,
00:12:00des bâtiments, mais des êtres aussi.
00:12:06Est-ce que tu te souviens de cette photo ?
00:12:08C'est une petite fille.
00:12:11Et ce qui est assez beau, à mon sens,
00:12:12c'est ce seuil, cet espace à ne pas franchir.
00:12:17Il y a une distance qui paraît là encore
00:12:20impossible à résoudre.
00:12:22Très vite, je me suis lassé un petit peu
00:12:26de photographier les bâtiments.
00:12:27J'avais du mal à rendre compte de la peur,
00:12:31de l'isolement,
00:12:34de plein de choses que je ne pouvais trouver
00:12:37que dans les figures humaines, en fait.
00:12:41Ce vieux couple, je trouvais assez beau,
00:12:44la façon dont les deux corps se fondaient en un seul.
00:12:47Il y a une fatigue physique, il y a un accablement,
00:12:51et en même temps, ils sont proches,
00:12:53ils se soutiennent, ils se maintiennent,
00:12:56ils se répondent,
00:12:58ils s'unissent presque dans une seule forme.
00:13:01Chacun a besoin de l'autre,
00:13:03chacun se raccroche à l'autre.
00:13:08Photographier la chaleur des corps,
00:13:12c'est une façon de toucher.
00:13:16Il y a des choses plus secrètes, plus fragiles,
00:13:18des choses plus mystérieuses.
00:13:38Dans les rues de New York,
00:13:41l'ambiance était très lourde,
00:13:45très, très lourde, et puis dangereuse.
00:13:48Il faut bien également se souvenir
00:13:50qu'à ce moment-là, New York était l'épicentre du virus
00:13:53dans le monde entier.
00:13:54Il y avait plus de morts par jour à New York que n'importe où.
00:13:57Cette photo est la première que j'ai faite dans le métro new-yorkais.
00:14:01Je voyais la terreur dans les yeux de cette dame qui s'appelle Harry.
00:14:07Je lui ai demandé pourquoi il était dans le métro.
00:14:09Il m'a dit qu'il n'avait pas de choix.
00:14:11Il me dit que c'était obligatoire d'aller au travail.
00:14:15Il faut que j'y aille.
00:14:16C'est ce qu'il m'a dit.
00:14:17C'est ce qu'il m'a dit.
00:14:18C'est ce qu'il m'a dit.
00:14:19C'est ce qu'il m'a dit.
00:14:21C'est ce qu'il m'a dit.
00:14:22C'est ce qu'il m'a dit.
00:14:23C'est ce qu'il m'a dit.
00:14:24C'est ce qu'il m'a dit.
00:14:25Il m'a dit qu'il était obligé d'aller au travail.
00:14:28Il faut absolument que je prenne le métro.
00:14:30L'homme à côté de lui, c'était un SDF qui vivait dans le métro.
00:14:35Je regardais les yeux des gens et tout le monde était terrifié.
00:14:44Moi aussi, j'étais terrifié.
00:14:47Je suis descendu.
00:14:48J'ai été terrifié par l'idée de choper le virus moi-même.
00:14:52Et ça, c'était quelque chose de permanent.
00:14:55je dirais, les premiers trois mois.
00:15:01Mais une grande différence avec les guerres que j'avais vues,
00:15:04c'est que là, avec le virus,
00:15:06on ne connaissait pas la ligne de front.
00:15:07L'ennemi était invisible.
00:15:08L'ennemi était omniprésent.
00:15:10On ne pouvait pas le voir, on ne savait pas où c'était.
00:15:13Et donc, ça nous donnait un sens de vulnérabilité d'autant plus fort, quoi.
00:15:19Le lendemain matin, quand je me suis lavé,
00:15:23j'ai pris la décision de sortir tous les jours pour faire des photos.
00:15:27Je me suis dit, Peter, t'as 65 ans,
00:15:30t'as passé ta vie comme ça,
00:15:32t'étais pratiquement entre toutes les guerres du monde, etc.
00:15:34S'il y a quelqu'un qui devait sortir, prendre ses risques, c'est toi.
00:15:53La PHP avait fait un blocus.
00:15:55Ils refusaient toute entrée de journalistes
00:15:58parce qu'évidemment, au début, personne ne connaissait ce virus.
00:16:02On ne savait pas où on allait, on ne savait pas comment ça se passait.
00:16:05Enfin bref, c'était compliqué à gérer.
00:16:07J'ai proposé un sujet.
00:16:09Je leur ai dit, voilà, je vous propose
00:16:12de faire un service différent par jour qui traite du virus
00:16:16dans un hôpital différent chaque jour.
00:16:19Et ils m'ont dit, OK.
00:16:20Les gens ne se rendent pas compte de ce que ça voulait dire.
00:16:23La réa, les gens ne s'imaginent pas.
00:16:25Quand je vois des gens qui me disent, c'est pas grave,
00:16:27si je le chope, on verra.
00:16:29Allez faire un tour en réa, je peux vous dire que déjà,
00:16:31il y a une personne sur quatre qui n'en ressort pas,
00:16:33une personne sur deux qui ressort avec de sacrés séquelles,
00:16:36qui aura du mal à en guérir.
00:16:38Donc ça fait quand même beaucoup.
00:16:41Là, on voit, ils sont six personnels soignants
00:16:43qui s'occupent d'un seul malade, c'est ça ?
00:16:46Oui, alors c'est pour un transfert.
00:16:48En général, vous savez, on est obligé de retourner les gens
00:16:52quand ils sont en réa.
00:16:54Et il faut, suivant le poids de la personne,
00:16:57qu'il y ait un transfert.
00:16:59C'est-à-dire qu'il n'y a pas d'hôpital différent,
00:17:01c'est-à-dire qu'il n'y a pas d'hôpital différent,
00:17:03c'est-à-dire qu'il n'y a pas d'hôpital différent,
00:17:05c'est-à-dire qu'il n'y a pas d'hôpital différent,
00:17:07qu'il n'y a pas d'hôpital différent,
00:17:09suivant le poids de la personne,
00:17:11entre 6 et 8, voire plus, de gens.
00:17:14Et il ne faut pas se louper.
00:17:16Vous ne pouvez pas dire, allez hop, on tourne le rat.
00:17:19Non, parce qu'il y a des branchements partout.
00:17:21Et il ne faut pas violenter quelqu'un qui est dans le commun.
00:17:24Il faut être très méticuleux.
00:17:28Donc, ça, c'était une scène qui était impressionnante.
00:17:32À chaque fois, je...
00:17:34Si je peux dire, je regrette un petit truc,
00:17:37c'est qu'il aurait fallu montrer des images plus dures.
00:17:41Voilà.
00:17:42Je pense que ça aurait eu plus d'impact auprès des gens.
00:17:46Donc, on ne voit qu'une petite partie de ce que tu as vu ?
00:17:49Oui.
00:17:54À un moment, il y a le corps du patient qui bouge.
00:17:57Il y a son bras comme ça, qui...
00:18:00Donc, il doit se passer quelque chose, forcément,
00:18:03à l'intérieur de ce corps.
00:18:05Et il y a une infirmière qui arrive
00:18:07et qui prend la main de cette personne
00:18:11et qui lui parle à l'oreille et qui lui dit...
00:18:14Ne vous inquiétez pas, monsieur, nous sommes là,
00:18:16on prend soin de vous, tout va bien.
00:18:21J'étais là, les bras ballants, regarder cette scène.
00:18:29Voilà, bon, bref, c'est peut-être mal exprimé, mais...
00:18:33C'est...
00:18:34C'est...
00:18:36Non, non, c'est beaucoup d'humanité dans cet endroit, l'hôpital.
00:18:42Moi, je l'avoue, j'ai pleuré dans mon corps.
00:18:44C'était extrêmement touchant.
00:18:50C'est des images qui restent dans ton esprit ?
00:18:52Oui.
00:18:59Est-ce que tu peux me parler de cette photo en particulier ?
00:19:02Il y a une maman qui a accouché et qui a été envoyée en réa tout de suite,
00:19:08qui n'a jamais vu son bébé.
00:19:10Là, c'est le moment où l'infirmière apporte le bébé à la maman.
00:19:20Et on sort de l'ascenseur.
00:19:26Voilà, c'est la vie.
00:19:28Une naissance et cette infirmière qui fait ce geste et qui est genre...
00:19:34Et voilà !
00:19:36C'était émouvant ?
00:19:37Oui.
00:19:40Mais bon, je suis sensible, moi. Je suis un bon client, donc...
00:19:59J'ai accès inédit de suivre tout un transfert de malades de Paris à Bordeaux,
00:20:05dans un TGV, donc sanitaire.
00:20:07L'opération Chardon, c'était les Chardon 8 et Chardon 9.
00:20:10Donc c'était garde aux Sterlitz.
00:20:11Pourquoi garde aux Sterlitz ?
00:20:12Parce que c'est la seule quai qui peut faire venir une ambulance jusqu'au quai.
00:20:16C'est une question de place.
00:20:17Là, c'est donc deux trains. Ils les remplissent, ça prend deux heures.
00:20:20C'est hyper long.
00:20:22Parce qu'il faut tous les branchements.
00:20:24Et puis la personne, il faut la passer au rez-de-chaussée.
00:20:28Donc du coup, il faut tourner le truc.
00:20:30Il y a des gens qui se mettent en dessous en tortue.
00:20:32C'est très intéressant visuellement.
00:20:34Et là, on a l'impression qu'il y en a qu'un, mais il y en a d'autres derrière.
00:20:38Il y en a plein.
00:20:40Donc le train était transformé en service de réanimation ?
00:20:43Total. Ils accrochaient tout le matériel.
00:20:46Là où il y a les bagages, où il y avait les perfs, c'était en haut.
00:20:50Ils avaient enlevé les sièges.
00:20:52Ils ont mis les brancards posés sur les sièges.
00:20:55L'oxygène, enfin voilà, tout avait sa place.
00:20:58C'était un exercice de réanimation.
00:21:00C'était un exercice de réanimation.
00:21:02C'était un exercice de réanimation.
00:21:04C'était un exercice de réanimation.
00:21:06L'oxygène, enfin voilà, tout avait sa place.
00:21:09C'était un espèce de ballet de personnel soignant, de secours, dans le silence.
00:21:14C'était un espèce de ballet de personnel soignant, de secours, dans le silence.
00:21:18C'était une danse presque, qui s'opérait pour sauver ces gens qui sont des patients graves.
00:21:27Pas les plus graves, parce que les plus graves ne sont pas transportables.
00:21:30Mais sur les 24, je crois que la plupart étaient intubés et ventilés.
00:21:35Donc, ils sont en détresse respiratoire.
00:21:37Là, ils sont stabilisés et on les envoie dans des hôpitaux à Bordeaux
00:21:42et dans la région bordelaise pour désengorger l'Île-de-France.
00:21:54Ça m'a touchée, en fait, la façon...
00:21:59Ils connaissent leur métier, mais dans ce train,
00:22:01c'était vraiment le ballet de tous les corps de métier qui travaillaient ensemble pour sauver des vies.
00:22:05Il y avait un truc de corps, quoi. Ils faisaient corps.
00:22:08Et c'est déroulé vraiment parfaitement bien.
00:22:12Puis la fierté qu'ils avaient aussi de sauver des vies, ça m'a touchée aussi.
00:22:16C'était une journée particulière pour moi, vraiment.
00:22:32Il y a deux hôpitaux où j'ai été autorisé à vivre pendant une semaine environ.
00:22:36Je dormais à l'entrée du service Covid et j'avais accès jour et nuit.
00:22:41Je déambulais à ma guise sans demander d'autorisation.
00:22:44Et parfois, je rentrais d'improviste dans une chambre.
00:22:46Et tout à coup, j'avais accès à ces moments d'intimité, à ces moments de proximité
00:22:51entre les soignants et les patients.
00:22:53Et quelquefois, c'était très, très beau de voir à quel point le travail de ces personnes
00:22:57ne consistait pas seulement à soigner ou à nettoyer.
00:23:01C'était... Il y avait des gestes d'une tendresse étrange, immense.
00:23:13Tu l'aimes beaucoup, cette image, non ?
00:23:15Oui, je l'aime beaucoup.
00:23:17C'est une image que j'aime bien parce qu'elle renverse les rôles, en fait.
00:23:20J'aime beaucoup cette humilité d'un infirmier.
00:23:23Il y a quelque chose de très beau, je trouve, dans la position de cet homme
00:23:28qui est à genoux devant une vieille dame perdue.
00:23:39Il y a plusieurs images qui ont quelque chose de très beau.
00:23:43Il y a plusieurs images qui ont quelque chose de l'ordre du...
00:23:47soit du sacré, soit du magique.
00:23:49Et cette image aussi, il y a quelque chose d'ordre incantatoire,
00:23:53d'ordre rituel, secret, mystérieux.
00:24:01Quelle que soit la dureté des moments ou la brutalité des situations,
00:24:08il y avait quelque chose de très beau dans cette proximité, en fait,
00:24:11qui m'a manqué à l'extérieur.
00:24:13Donc, à l'hôpital, ce qui était beau, c'était les gestes,
00:24:15c'était la proximité, c'était la mesure dans laquelle
00:24:20certains êtres prenaient soin d'autres êtres.
00:24:24Assez vite, je crois que c'était début avril,
00:24:28on savait que le taux de mortalité le plus élevé aux États-Unis
00:24:35c'était dans le Queens.
00:24:37Il y avait un hôpital en particulier qui s'appelle Elmhurst Hospital.
00:24:41Un dimanche matin, j'ai décidé d'y aller.
00:24:44Il faisait gris, il pleuvait des cordes.
00:24:47Et dans une période d'une demi-heure, j'ai vu au moins 30 ambulances
00:24:51qui sont arrivées avec des malades de Covid.
00:24:5330 !
00:24:54Et j'ai parlé avec un ambulancier, un type qui s'appelle Mike.
00:24:58Et je lui ai dit « Comment ça se passe pour vous ? »
00:25:01Et il me dit « Mal, parce qu'on ne nous donne pas suffisamment
00:25:05de moyens de protection.
00:25:07On travaille dans le danger, dans le danger mortel. »
00:25:11J'ai dit « Mais est-ce que ça vous dérange que je raconte ça ? »
00:25:14Il me dit « Mais pas du tout. »
00:25:16Il me dit « Je suis certain que tous mes collègues diraient la même chose. »
00:25:19Un mois plus tard, je reçois un coup de téléphone
00:25:22de cet ambulancier Mike un soir.
00:25:25Et Mike, il me dit « Peter, il y a un ambulancier légendaire
00:25:30qui s'appelle Anthony Thomas qui vient de mourir de Covid.
00:25:35On aimerait bien savoir si vous serez d'accord
00:25:37de venir faire des photos lors des funérailles. »
00:25:40Et j'ai dit « Mike, ce serait un honneur pour moi de venir. »
00:26:00Mike m'a téléphoné après les funérailles de Tony.
00:26:03Il m'a dit « Peter, on voudrait tellement vous remercier
00:26:06d'avoir fait les photos. Ça nous touche énormément. »
00:26:10Et là, j'ai dit à Mike « Mike, écoute, j'ai envie de te dire un truc. »
00:26:21Je lui ai dit « J'ai vraiment peur. »
00:26:24Je lui ai dit « J'ai peur de ce virus.
00:26:27J'ai peur que je vais choper cette connerie de virus. »
00:26:30Et je lui ai dit « Si ça m'arrive, je suis tout seul ici à New York. »
00:26:35Je lui ai dit « Je ne saurais même pas quoi faire.
00:26:37Je ne saurais pas où aller. Je ne saurais pas me défendre. »
00:26:40Je lui ai dit « Est-ce que si jamais ça m'arrive que je chope le virus,
00:26:43est-ce que je peux t'appeler ?
00:26:46Est-ce que vous pouvez peut-être m'aider ? Vous êtes ambulancier. »
00:26:49Il m'a dit « Peter, il faut que tu saches une chose.
00:26:51Dès maintenant, tu fais partie de notre famille.
00:26:54Chaque fois que tu t'en fasses, on s'en occupera toujours de toi. »
00:27:24Si il y a une raison pour des fois prendre des risques,
00:27:53ce n'est pas à cause de l'adrénaline.
00:27:56Ce n'est pas à cause, surtout pas, de glamour.
00:28:01C'est parce que la vie des gens, ça compte.
00:28:09À New York, c'était toujours à 7 heures du soir.
00:28:11Tout le monde sortait de chez eux.
00:28:13Il y avait une explosion d'applaudissements, de cris.
00:28:18Les gens tapaient des poils, des choses de cuisine pour faire du bruit.
00:28:23C'était très cathartique.
00:28:24Les gens avaient besoin d'être ensemble, d'exprimer leurs émotions.
00:28:28Et moi, souvent, je sortais justement de mon petit studio à New York
00:28:32pour crier moi-même à 7 heures du soir.
00:28:41Et je vois une infirmière en particulier,
00:28:44elle s'appelait Erika.
00:28:48Je me souviens que les larmes de cette femme, de cette infirme,
00:28:53je me suis dit, ce sont des larmes de nous tous.
00:28:57Ce sont des larmes du monde entier, en fait.
00:29:00C'est peut-être pour moi, c'est la photo que j'ai faite
00:29:04qui peut-être rassemble le plus l'émotion profonde de cette année de virus.
00:29:14C'est la photo que j'ai faite.
00:29:45Je photographiais tous les jours pendant deux mois et demi.
00:29:49Je photographiais de façon complètement obsessive, complètement mécanique.
00:29:55Je m'épuisais à marcher dans les rues de Paris.
00:30:00Je photographiais 6 500 images dans les hôpitaux, 6 500 images dans les rues de Paris.
00:30:06Avec, bien sûr, les images qui reviennent, qui se répètent.
00:30:09On rentre dans une sorte de cauchemar.
00:30:12Cette période, j'ai dormi dans l'agence, dans les bureaux de l'agence, sur le canapé.
00:30:19Je me réveillais, je sortais et je photographiais.
00:30:23Il n'y a plus de limite, il n'y a plus d'horaire, il n'y a plus de...
00:30:29Oui, je me suis épuisé.
00:30:35Tout mon travail consiste à être impliqué de la façon la plus extrême possible
00:30:39dans les situations que je documente.
00:30:43Il y a une part énorme d'empathie, de conscience, de solidarité, de tendresse.
00:30:51Plein de choses qui font que, oui, j'ai ce désir et cette nécessité d'être avec l'autre.
00:30:57Ça fait 40 ans que je vis selon ces principes de vie.
00:31:03Que ce soit à l'hôpital ou au bordel, je vis selon la même morale.
00:31:10Montrer, ça fait partie de notre métier.
00:31:14Mais je pense qu'il faut aller au-delà, il faut donner à voir, il faut raconter.
00:31:19Et raconter, c'est déjà prendre position.
00:31:24On ne peut pas être photographe si on n'est pas engagé, si on n'a pas un point de vue,
00:31:30si on n'est pas engagé, si on n'a pas un point de vue, une vision, une idée sur la société.
00:31:40Et il y a tout autant de manières de photographier que de photographe, je pense.
00:31:44Et je pense que c'est fondamental.
00:31:50Qu'est-ce qui t'a le plus marqué dans cette année passée ?
00:31:53Qu'est-ce que tu n'oublieras pas ?
00:31:56Alors, ce qui m'a le plus marqué une fois passée la surprise de ces rues vides dans Paris,
00:32:01c'était la manière dont ce vide a mis en avant l'omniprésence des sans-abri.
00:32:06Et là, d'un coup, qui restait dans les rues de Paris ?
00:32:10C'était à la fois les sans-abri et les travailleurs et esclaves qui sont exploités
00:32:15et qui viennent nous apporter des repas ou nous conduire en taxi.
00:32:22Et là, c'était quand même les deux formes de précarité qui m'ont explosé à la gueule.
00:32:26C'est-à-dire, des gens qu'on pouvait appeler les invisibles, d'un coup, étaient totalement vus
00:32:33et cette misère était totalement visible.
00:32:37Tu te souviens de cette photo ?
00:32:39C'est une terrasse de brasserie à moitié couverte et il s'est réfugié à l'intérieur.
00:32:44Alors, il est abrité, mais pas vraiment, un peu des courants d'air, mais pas tant que ça.
00:32:48Il y a ce rappel à le monde d'avant, à la réalité du Parisien,
00:32:52c'est-à-dire le happy hour entre 16h et 21h, les tapas,
00:32:57qui rappellent que cet endroit était un lieu de vie, de fête,
00:33:03que tout le monde sortait et qu'en principe, cette personne n'a pas vraiment sa place.
00:33:08La manière dont les sans-abri se sont accaparés l'espace public,
00:33:13les lieux ont été abandonnés et eux, finalement, ont presque ce loisir de s'installer où ils veulent.
00:33:18Et ce gars est installé à même le trottoir, en plein milieu.
00:33:22Ce qui est fou, c'est qu'il est pile dans l'alignement d'une caméra de surveillance.
00:33:27Voilà, les seules personnes qui ne peuvent pas être confinées,
00:33:31ce sont les gens qui, toute l'année, sont confinés dehors.
00:33:43...
00:33:58Et tu continues encore cette série ?
00:34:00Oui, je continue de travailler sur les abris des sans-abri,
00:34:03c'est-à-dire comment est-ce que les personnes à la rue
00:34:07se créent parfois leurs petits cocons, leurs petits mondes,
00:34:11leurs petites maisons, leur univers.
00:34:13Alors parfois, c'est juste un carton posé par terre.
00:34:16Moi, maintenant, je repère que la manière dont il est posé, le lieu où il est posé,
00:34:20c'est qu'il y a une personne la veille ou le soir même qui va y dormir.
00:34:24C'est son matelas, en fait.
00:34:26...
00:34:32C'est peut-être un peu banal de dire ça ou une évidence,
00:34:36mais chez soi aussi, il y a des drames humains.
00:34:40Et on est tellement habitués qu'on les...
00:34:44qu'on accepte, en fait.
00:35:00Je fais en sorte qu'on m'ait vue.
00:35:02Je passe d'abord avec mon appareil photo autour du cou pour qu'on me voit.
00:35:06Et ensuite, l'idée, c'est qu'après, on ne me voit plus.
00:35:11Ce qui me permet d'avoir les photos les plus justes possible
00:35:14parce que je ne suis pas vue, donc je dois être oubliée.
00:35:17Dans chaque reportage que je fais, j'essaie d'être discrète.
00:35:20Je préviens, je me présente.
00:35:22Ils t'ont vue, ils savent que t'es là, ils savent que tu les photographies,
00:35:25mais c'est pas grave.
00:35:27Et puis j'aime bien être une petite souris.
00:35:29Je suis pas là, je me faufile partout.
00:35:31Je capte un truc, j'aime bien quand je n'existe pas, en fait.
00:35:34Je veux pas exister, je veux être témoin de quelque chose sans être là.
00:35:40C'est impressionnant de voir autant de personnes
00:35:42qui attendent pour une distribution de paniers repas.
00:35:48Là, en fait, ce qui m'intéresse aujourd'hui,
00:35:50c'est la détresse psychologique des gens.
00:35:52Ça dure, quand ça dure.
00:35:54Au début, c'est quelque chose de curieux, le confinement, au début.
00:35:57Et quand ça dure, la solitude s'installe.
00:36:00Je pense que ça va créer...
00:36:03beaucoup de malheurs, de malheureux, de gens malheureux.
00:36:11Et là, cette photo, enfin, ces photos de ce couple...
00:36:14À l'intérieur, c'est une dame qui est en unité protégée
00:36:17parce qu'elle a Alzheimer.
00:36:19Et c'est son mari.
00:36:21C'est l'amour de sa vie, une histoire formidable.
00:36:23Rencontrer en colonie de vacances, c'était sa monitrice.
00:36:25J'adore l'histoire.
00:36:27Ensemble depuis...
00:36:29Je ne l'ai pas compté, mais très, très longtemps.
00:36:31Et donc, ça fait longtemps qu'il n'a pas pu la visiter
00:36:34parce qu'évidemment, on ne pouvait pas.
00:36:36Donc, il la voit à travers cette vitre.
00:36:39Au début, elle est un peu perdue.
00:36:41Mais ensuite, elle le reconnaît.
00:36:44Et ils ont ce geste de tendresse
00:36:47que j'ai trouvé très, très mignon.
00:36:49Et...
00:36:51Mais c'était dur pour les 2.
00:36:53Elle ne comprend pas, la dame,
00:36:55pourquoi son mari est derrière une vitre.
00:36:58Ou si elle le comprend, elle va l'oublier.
00:37:01Vous vous rendez compte du traumatisme pour ces gens
00:37:04qui finissent leur vie à travers une vitre ?
00:37:09J'ai bossé dans les EHPAD, j'en ai fait pas mal.
00:37:11Mais j'ai pas fait...
00:37:13Évidemment, j'ai pas réussi à rentrer là où c'était dramatique.
00:37:16Pourquoi ?
00:37:18Il s'était fermé total à la presse.
00:37:20Impossible d'y rentrer.
00:37:22Et ça...
00:37:24Moi, j'ai pas pu le raconter, ça, je m'en veux.
00:37:26Pourquoi ?
00:37:28Parce que...
00:37:36Je voulais pas pleurer.
00:37:51Je suis désolée.
00:37:56C'est toujours la photo que j'ai pas prise qui me hante le plus.
00:37:58Mais partout.
00:38:00Et là, en fait, on me dit des choses
00:38:02que je peux pas raconter, ça m'énerve.
00:38:04Je pense que c'était important de le montrer, en fait.
00:38:06Il y a plein d'accès qu'on a pas pu avoir,
00:38:08parce qu'évidemment, c'est...
00:38:10C'était...
00:38:12Inregardable, indiffusable, peut-être.
00:38:14Mais il faut le faire quand même, même si on...
00:38:16Il y a plein de photos que j'ai prises
00:38:18que j'ai jamais diffusées, mais il faut quand même les faire.
00:38:21Et donc, j'ai quand même fait quelques EHPAD.
00:38:25Mais des...
00:38:27Heureusement, il y a des gens géniaux
00:38:29et des superbes maisons de retraite
00:38:31que j'ai pu visiter.
00:38:33Même si la solitude, elle est quand même...
00:38:36Franchement, c'est hyper dur
00:38:38pour ces personnes, quoi.
00:38:40Franchement, c'est triste.
00:38:42C'est...
00:38:44Finir sa vie
00:38:46dans la solitude
00:38:48et la détresse psychologique.
00:38:51C'est quand même...
00:38:54extrêmement dramatique
00:38:56pour des gens qui ont eu une vie probablement très riche.
00:38:59Mais l'achever sans personne,
00:39:02l'achever dans la solitude la plus ultime,
00:39:06c'est...
00:39:08J'ai trouvé que c'était dramatique.
00:39:10Ça, ça m'a touchée.
00:39:12Comme la mort,
00:39:14les enterrements,
00:39:16faire son deuil.
00:39:19Dire au revoir
00:39:21à son bien-aimé, sa bien-aimée,
00:39:23son fils, sa fille, son oncle, sa tante,
00:39:26si rapidement,
00:39:28sans mise en bière, sans soin funéraire.
00:39:31Je pense que les gens étaient...
00:39:33Ceux que j'ai vus étaient très bouleversés de ça.
00:39:37C'est-à-dire que les gens n'avaient pas le temps
00:39:39de dire au revoir à leurs proches ?
00:39:41Non.
00:39:42Il fallait qu'ils soient tout de suite...
00:39:44Tout de suite.
00:39:45...évacués.
00:39:46Tout de suite.
00:39:47Donc là, le cercueil est dans un ascenseur,
00:39:50ce qui est très surprenant,
00:39:51parce que normalement, on ne fait pas des mises en bière
00:39:53chez les gens, mais avec la Covid,
00:39:56il fallait enfermer tout de suite,
00:39:58pour pas que le virus se propage,
00:40:00les corps dans les cercueils.
00:40:02Du coup, ils le montent et le descendent
00:40:04aussi par l'ascenseur.
00:40:05Et la dame a dit,
00:40:07ne fermez pas la fermeture éclair jusqu'au bout.
00:40:11Elle voulait pas que sa maman
00:40:15presque suffoque dans le sac mortuaire.
00:40:18Donc elle a dit, de toute façon, c'est fermé.
00:40:21Donc ils ont pas fermé la fermeture éclair.
00:40:25Pour qu'elle puisse avoir de l'air.
00:40:27Musique sombre
00:40:45...
00:41:02C'est un plaisir de travailler à la chambre,
00:41:04parce que c'est une autre manière de travailler.
00:41:06Tu prends ton temps, tu fais une vue.
00:41:08Donc tu réfléchis bien avant.
00:41:10Ce qui est le propre de la photographie,
00:41:12le point de vue, c'est ça, c'est de réfléchir.
00:41:17C'est le cerveau qui tourne
00:41:19et qui cherche à montrer ou à démontrer quelque chose.
00:41:23C'est le sens de la photographie, c'est une réflexion.
00:41:26...
00:41:42Et pourquoi tu continues à aller photographier, par exemple,
00:41:45les villes confinées du Nord-Pas-de-Calais,
00:41:48les plages vides ?
00:41:50Je crois en l'histoire.
00:41:52Donc il faut laisser trace, c'est très important.
00:41:55En fait, c'est simple.
00:41:57Souvent, il y a des gens qui me disent,
00:41:59vous avez de la chance, vous vivez de votre passion.
00:42:02Je leur dis, mais vous avez pas compris,
00:42:04c'est pas une passion, mon job.
00:42:06C'est un engagement total.
00:42:08C'est ma vie, quoi.
00:42:10...
00:42:21Fais chier !
00:42:24Putain !
00:42:26Je hais le vent, quoi !
00:42:28Putain !
00:42:30...
00:42:39La louche.
00:42:41...
00:43:04Oh, dieu de la photo !
00:43:07Fais que mon image soit bonne.
00:43:13Après avoir fait, par exemple, Paris-Vide,
00:43:15on m'a dit, tes photos, elles sont noires, sombres.
00:43:18Je me suis dit, je vais faire mes voisins en couleur,
00:43:21avec un gros flash.
00:43:23Et j'ai fait mon escalier avec tous mes voisins.
00:43:26Presque banal comme sujet,
00:43:28puisque c'est notre vie de tous les jours.
00:43:30Ils étaient tous confinés chez eux ?
00:43:32Oui, on était tous confinés.
00:43:34Les gens étaient confinés chez eux.
00:43:36Ils sont sortis, sortent à pas de porte.
00:43:38Et j'ai une porte qui n'est pas ouverte,
00:43:41parce que j'ai deux portes qui sont pas ouvertes.
00:43:46Il y en a un, la personne est partie se réfugier à la campagne.
00:43:49Elle a vécu son confinement à la campagne.
00:43:52Et l'autre personne est décédée,
00:43:54elle a été à l'hôpital et elle est décédée.
00:43:57Mais globalement, les voisins que tu as photographiés,
00:44:00ils ont tous le sourire.
00:44:02Mais oui, parce que...
00:44:05Parce que c'est la vie, c'est l'humain.
00:44:08On se bat.
00:44:10Vous savez, il y a un truc que je peux vous dire.
00:44:13Souvent, quand je présente les images que je fais de conflits,
00:44:16les gens me disent, je sais pas comment tu fais,
00:44:19mais comment font ces gens ?
00:44:21Je dis, mais vous imaginez pas ce dont vous pouvez être capable.
00:44:24Quand j'ai mis ça sur les réseaux,
00:44:26ensuite les réseaux sociaux,
00:44:28j'ai fait tourner, j'ai eu un retour pareil,
00:44:30c'est extraordinaire, incroyable.
00:44:32J'ai même eu à un moment quelqu'un qui me dit,
00:44:34ils sont beaux, ils sont vivants.
00:44:36Et là, j'ai encore un peu des frissons à dire ça,
00:44:39les bras me sont tombés, quoi.
00:44:41Pourquoi ?
00:44:45On était en pleine pandémie,
00:44:47il y avait des gens qui mouraient,
00:44:49on était en pleine restriction,
00:44:51on pouvait pas sortir, on était enfermés.
00:44:53C'était lourd, c'était intense.
00:44:55Moi, c'est quelque chose que,
00:44:57comme je disais tout à l'heure,
00:44:59c'était pas violent, mais qui était dense, qui était profond.
00:45:02Et je l'ai dit à mes enfants,
00:45:05vous verrez, vous vous souviendrez de cette période
00:45:08qui aura été unique dans votre vie.
00:45:10Donc voilà, ils sont beaux, ils sont vivants.
00:45:12Ça fait du bien.
00:45:21Je suis resté à New York
00:45:23pendant pratiquement trois mois.
00:45:25Mais je suis rentré à Paris,
00:45:28je pense que c'était le 24 ou le 25 mai.
00:45:31Et tout de suite,
00:45:33aussitôt que je suis rentré,
00:45:35mais même la première journée,
00:45:37je suis sorti dans la rue pour faire des photos.
00:45:41Un an après le début de la Covid,
00:45:43le masque fait partie maintenant de notre monde.
00:45:46Tout le monde connaît le masque.
00:45:48Je trouve qu'en fait, l'expression des yeux des gens
00:45:51depuis un an est quelque chose de phénoménal.
00:45:53Pratiquement toujours dans mes photos, on voit les yeux des gens.
00:45:58Peut-être six semaines après mon arrivée à Paris,
00:46:01un jour, je marchais
00:46:04au Champ de Mars, pas loin de la Tour Eiffel.
00:46:07Et tout d'un coup, je vois une jeune fille, Melania,
00:46:10et elle avait un petit bal à la main.
00:46:12La joie de cette jeune fille était vraiment contagieuse
00:46:15après tous ces mois de confinement
00:46:18et de terreur et de peur.
00:46:21Et j'ai demandé à la jeune mère,
00:46:23je lui ai dit, comment ça s'est passé pour vous, le confinement ?
00:46:27Et elle m'a dit, je suis femme de ménage,
00:46:30je vis dans une petite chambre avec ma fille,
00:46:34et pendant le confinement, je ne pouvais pas travailler,
00:46:38donc je ne pouvais pas gagner ma vie,
00:46:41et je ne savais pas tous les jours comment on allait manger.
00:46:46C'était une période vraiment très, très difficile.
00:46:50Alors, après avoir entendu cette histoire,
00:46:55je suis parti.
00:46:59Et de nouveau, j'ai commencé à pleurer,
00:47:03parce que j'imaginais la petite Melania
00:47:09et sa mère de 21 ans dans cette petite chambre
00:47:13pendant trois mois toutes seules,
00:47:16qui ne savaient pas comment elles allaient manger tous les jours.
00:47:20Et ça me rappelait également
00:47:22tous les gens que j'avais côtoyés à New York,
00:47:25souvent des gens qui nous sauvaient la vie,
00:47:29les gens qui livraient le courrier,
00:47:32les gens qui travaillaient dans des caisses,
00:47:35dans des épiceries, les ambulanciers, les infirmières.
00:47:39Et j'espère, et j'ai un peu peur
00:47:41qu'on va trop vite oublier les gestes de tous ces gens dans le monde.
00:47:51Il n'y a pas une personne qui ne veut pas être honorée,
00:47:54qui ne veut pas être considérée.
00:47:56C'est très important.
00:47:58Et moi, j'aime beaucoup regarder les gens dans les yeux.
00:48:01Lors de cette année, je ne peux pas vous dire
00:48:04la quantité de fois que j'ai rencontré des gens
00:48:08dont personne ne prête attention.
00:48:10Et le fait que quelqu'un s'arrête pour leur parler,
00:48:13que quelqu'un trouve que leur vie est intéressante,
00:48:16c'est un moment important pour eux
00:48:18et c'est un moment important pour moi également.
00:48:35Maintenant, au bout d'un an de pandémie,
00:48:37tu as envie de photographier quoi ?
00:48:39Tu rêves de quoi ?
00:48:43Je rêve de voyager,
00:48:45de repartir dans des contrées plus lointaines.
00:48:48Et en même temps, j'ai l'impression
00:48:50qu'un an passé à travailler sur la France,
00:48:53et sur Paris,
00:48:55m'a donné un peu le goût
00:48:57de travailler en bas-de-chaussée.
00:49:00Cette pandémie a quand même permis
00:49:02de réfléchir à plein d'actes
00:49:04qu'on ne se posait pas trop de questions.
00:49:07Même pour un photographe,
00:49:09d'aller photographier d'autres pays,
00:49:12d'autres...
00:49:13Est-ce que ce n'est pas finalement
00:49:15aux photographes sur place de raconter ?
00:49:17Ce n'est pas plus pertinent qu'ils le racontent par eux-mêmes.
00:49:20Donc ça remet en question pas mal de choses.
00:49:23Mais bon, quand on est photographe,
00:49:25le voyage, c'est quand même une des raisons essentielles
00:49:28pour lesquelles j'ai choisi ce métier.
00:49:43J'en ai marre.
00:49:45Parce qu'en fait,
00:49:47ça dure.
00:49:49Ça dure de changer de sujet.
00:49:51J'ai envie de sujets plus joyeux,
00:49:53qui n'ont aucun rapport.
00:49:55T'auras envie de faire quoi comme photo ?
00:49:57Des photos d'animaux, moi.
00:49:59J'ai aucun rapport.
00:50:01Non, il y a plein de choses
00:50:03que j'ai envie de faire.
00:50:05J'ai envie de faire des photos
00:50:07qui sont plus joyeuses.
00:50:09J'ai envie de faire des photos
00:50:11qui sont plus joyeuses.
00:50:13Il y a plein de trucs que je ne peux pas faire
00:50:15de ce que je fais d'habitude.
00:50:17Ce n'est pas mon cœur de métier,
00:50:19de travailler sur une pandémie.
00:50:21Après, je trouve que tout est intéressant.
00:50:23Tout ce qui s'inscrit dans l'histoire
00:50:25est intéressant.
00:50:27Mais on a envie de passer à autre chose.
00:50:29Quelles photos t'aimerais faire ?
00:50:31Si tout était comme avant,
00:50:33si tout était fini,
00:50:35qu'est-ce que tu rêverais de faire ?
00:50:37Ça va paraître bizarre,
00:50:39mais j'aimerais vraiment le miracle.
00:50:59Ce que je voudrais faire ?
00:51:03Ça serait d'une banalité,
00:51:05ça serait de photographier
00:51:07des terrasses de café pleines.
00:51:09Ça serait banal.
00:51:11Oui, mais ça serait bien.
00:51:13Ça serait bien.
00:51:15Qu'est-ce qui est important ?
00:51:17C'est les gens que je photographie.
00:51:19Que ce soit une femme qui porte ses tapis
00:51:21à la grosse nid,
00:51:23ou que ce soit un de mes voisins
00:51:25qui vient de me dire ce qu'il pensait
00:51:27du confinement dans la série des voisins,
00:51:29c'est pareil.
00:51:31Ces gens vont rester pour l'histoire.
00:51:33Parce qu'eux, dans 100 ans,
00:51:35ils seront en photo encore.
00:51:41J'ai mis beaucoup de temps à m'en remettre.
00:51:43Cette période m'a abîmé,
00:51:45a laissé des traces.
00:51:47Je me suis fatigué de la séparation
00:51:49des corps, de la distance,
00:51:51de l'enfermement,
00:51:53de l'autre.
00:51:55Mais ça a été
00:51:57une responsabilité,
00:51:59un privilège de vivre au cœur de ces moments.
00:52:01On pense souvent qu'il faut être fort,
00:52:03expérimenter.
00:52:07Dans mon expérience,
00:52:09c'est le contraire.
00:52:11Je m'évertue
00:52:13à rester fragile,
00:52:15à la merci de ceux que je photographie.
00:52:17Donc oui, la fragilité
00:52:19est un élément essentiel
00:52:21dans mon fonctionnement photographique.
00:52:23Et dans la vie.
00:52:27C'était une année
00:52:29qui nous a changé la vie.
00:52:31Et je crois
00:52:33qu'on n'est pas prêt
00:52:35à comprendre comment,
00:52:37complètement.
00:52:39Je sais que c'est une année
00:52:41qui m'a changé la vie.
00:52:43Je sais que
00:52:45c'est une année où
00:52:47probablement plus que jamais,
00:52:49je ressens
00:52:51que vraiment la seule chose
00:52:53qui nous donne le pouvoir dans la vie,
00:52:55c'est l'amour.
00:52:57Mais en fait,
00:52:59il n'y a que l'amitié, l'amour,
00:53:01la tendresse, l'affection,
00:53:03la sincérité et l'honnêteté
00:53:05qui comptent.
00:53:27Leur regard singulier sur la crise sanitaire
00:53:29au lendemain du 17 mars 2020,
00:53:31jour du premier confinement général
00:53:33décrété par le gouvernement.
00:53:35La France était alors
00:53:37arrêtée nette ou presque,
00:53:39laissant place au silence dans nos villes,
00:53:41souvent à la solitude
00:53:43et bien sûr aux cruelles conséquences
00:53:45de la maladie.
00:53:47Cinq ans plus tard, que reste-t-il
00:53:49de ce choc, de cette épreuve individuelle
00:53:51et collective hors normes ?
00:53:53Nous allons maintenant nous poser la question
00:53:55à nos invités présents aujourd'hui
00:53:57sur ce plateau de Débat Doc.
00:53:59En commençant par vous, Rémi Oudguiri,
00:54:01bienvenue à vous.
00:54:03Vous êtes sociologue des modes de vie,
00:54:05directeur général de Sociovision,
00:54:07qui est un cabinet d'études et de conseils
00:54:09appartenant au groupe IFOP.
00:54:11Vous dirigez des études sur l'évolution
00:54:13des valeurs, des modes de vie et de consommation
00:54:15dans les sociétés contemporaines.
00:54:17Également avec nous, Laetitia Atlinidio,
00:54:19bienvenue à vous.
00:54:21Vous êtes anthropologue, spécialiste
00:54:23en matière de la santé.
00:54:25Vous êtes vice-présidente
00:54:27de l'université Paris Cité.
00:54:29Vous avez été membre du conseil scientifique
00:54:31Covid-19 entre 2020 et 2022.
00:54:33Vous avez fondé en 2020
00:54:35l'Institut Covid-19 Ad Memoriam
00:54:37de l'université de Paris.
00:54:39Institut qui publie
00:54:41à la documentation française
00:54:43Covid-19 Ad Memoriam,
00:54:45fragments pour les mémoires
00:54:47que contiennent ces fragments
00:54:49qu'on va découvrir dans votre livre.
00:54:51Le livre est construit
00:54:53autour de trois corpus,
00:54:55trois types de données,
00:54:57comme un film documentaire sans commentaire.
00:54:59Une toute petite intro.
00:55:01Et puis, trois types de sources
00:55:03qui, on l'espère,
00:55:05sortent un peu aux yeux des lecteurs.
00:55:07D'abord, des témoignages des Français.
00:55:09J'ai collecté depuis 2020,
00:55:11avec l'Institut,
00:55:13énormément de témoignages sur les expériences de vie
00:55:15en temps de pandémie.
00:55:17J'avais fait un grand appel.
00:55:19Et on rappelle ces témoignages.
00:55:21Et on rappelle ces témoignages
00:55:23qui couvrent la période
00:55:252020-2025,
00:55:27avec des gens très divers
00:55:29qui nous racontent leurs expériences.
00:55:31Deuxième corpus, des photos,
00:55:33très belles photos,
00:55:35réalisées par un photographe.
00:55:37Effectivement, j'ai pu compulser le livre.
00:55:39Très belles photos.
00:55:41Et des photos des objets du quotidien
00:55:43que les Français ont envoyées au Mucem.
00:55:45Et troisième corpus, enfin,
00:55:47à Marseille, le musée.
00:55:49Et troisième corpus, des dessins
00:55:51que Plantu a faits en 2020
00:55:53et 2021 et qui avaient couvert
00:55:55les hôpitaux publics
00:55:57sur l'ensemble du territoire français.
00:55:59Témoignages, photos, dessins
00:56:01se répondent.
00:56:03Les dessins et les photos ne sont pas des illustrations
00:56:05des textes. Ce sont vraiment
00:56:07trois collectes qui nous permettent à la fois
00:56:09de revivre ce qu'on a vécu
00:56:11et surtout de découvrir les expériences
00:56:13des autres pour se construire nos mémoires
00:56:15de la pandémie Covid-19.
00:56:17Et tout cela est à découvrir donc à la documentation française.
00:56:19Serge Guérin est également avec nous.
00:56:21Vous êtes sociologue, spécialiste
00:56:23des questions liées au vieillissement.
00:56:25Votre dernier ouvrage s'intitule, lui,
00:56:27Et si les vieux aussi
00:56:29sauvaient la planète ?
00:56:31C'est un ouvrage disponible aux éditions
00:56:33Michelon. Avec vous, on verra
00:56:35s'il y a eu conflit générationnel à la sortie
00:56:37de cette crise. On va en parler
00:56:39dans un instant. C'est vrai qu'on a
00:56:41beaucoup parlé, durant cette pandémie,
00:56:43du monde d'après. On imaginait
00:56:45un monde d'après. Autrement dit, il y aurait un avant,
00:56:47il y aurait un après. Et puis finalement, aujourd'hui,
00:56:49avec le recul, il y a une chose que disent à peu près
00:56:51toutes les études, c'est qu'on a surtout rêvé,
00:56:53une fois sorti de cette pandémie,
00:56:55de retrouver le monde d'avant.
00:56:57C'est le cas ? Oui, je pense.
00:56:59Le monde d'après était une utopie.
00:57:01On a eu du temps pour rêver, pour fantasmer,
00:57:03pour imaginer, pour élaborer
00:57:05plein de plans sur la comète.
00:57:07Et tout cela ne s'est pas vraiment produit.
00:57:09Le monde d'après
00:57:11ressemble étrangement au monde d'avant,
00:57:13sauf qu'on est entré dans une phase
00:57:15où, finalement, ce qui rythme
00:57:17la vie des gens, c'est une accélération des crises.
00:57:19Et surtout,
00:57:21le monde d'après
00:57:23ne ressemble absolument pas à ce qu'on avait
00:57:25imaginé. On avait imaginé un monde
00:57:27plus responsable, plus solidaire,
00:57:29où on se soucierait davantage
00:57:31des autres. Et la vérité
00:57:33est que... Avec une importante prise en compte
00:57:35de la sauvegarde de la planète,
00:57:37par exemple, une consommation peut-être
00:57:39plus sélective.
00:57:41Voilà, une consommation plus responsable,
00:57:43plus raisonnée.
00:57:45Et en réalité, ça n'a pas
00:57:47véritablement survécu. D'abord parce qu'il y a eu
00:57:49assez logiquement, dans un premier temps,
00:57:51on a voulu souffler, donc on s'est recentré sur les plaisirs
00:57:53de la vie, ce qui nous avait tant manqué.
00:57:55Et puis, sur le long terme,
00:57:57on voit bien que, dans les enquêtes
00:57:59que nous menons, les gens se sont
00:58:01repliés, en fait, sur la sphère
00:58:03privée. Et quand
00:58:05on leur pose la question, les Français nous disent
00:58:07qu'aujourd'hui, ma priorité, c'est de prendre soin
00:58:09de moi, c'est de prendre soin
00:58:11de mes proches, c'est de
00:58:13prendre du temps,
00:58:15parce que je pense que
00:58:17ce que le Covid a véritablement
00:58:19suscité dans la vie des gens,
00:58:21c'est la prise de conscience que
00:58:23désormais, nous entrions dans un monde
00:58:25très fragile, très incertain.
00:58:27Par conséquent, le bien le plus
00:58:29tangible, c'était le présent, le temps présent.
00:58:31Et c'est ce qu'on voit dans plein de domaines,
00:58:33on en reparlera, le travail, la santé,
00:58:35la consommation, ce qui est important, c'est de profiter
00:58:37du moment présent. Et je pense qu'on est sortis,
00:58:39alors, quand je dis on, je m'appuie
00:58:41sur les enquêtes que nous menons,
00:58:43on est sortis de cette épreuve avec
00:58:45le sentiment que désormais,
00:58:47chaque minute compte,
00:58:49et par conséquent, on n'est plus prêts à sacrifier
00:58:51son présent pour un avenir totalement
00:58:53imprévisible.
00:58:55Il n'y a pas eu de conflit générationnel,
00:58:57dites-vous souvent Serge Guérin,
00:58:59avec un peu de recul
00:59:01maintenant sur cette crise, vous n'avez pas changé d'avis,
00:59:03on avait, c'est vrai, à l'époque, parlé d'une génération
00:59:05sacrifiée, elle l'a été en partie, on va en reparler,
00:59:07c'est peut-être les jeunes, évidemment,
00:59:09qui ont beaucoup souffert de cette crise,
00:59:11mais c'est vrai que les plus anciens d'entre nous aussi.
00:59:13Pas de conflit générationnel néanmoins,
00:59:15après cette crise, à vos yeux ?
00:59:17Ce qui est intéressant, c'est que tout était fait pour
00:59:19qu'il y en ait un. On expliquait à longueur de
00:59:21médias que le problème, c'était les vieux, qu'ils allaient mourir,
00:59:23que c'était fragile, et ainsi de suite.
00:59:25Et puis on mettait aussi parfois dans les médias, regardez ces jeunes
00:59:27qui ne font pas attention, qui vont faire la
00:59:29fête, et ainsi de suite. Donc tout était fait pour créer
00:59:31un ressentiment.
00:59:33Et manque de chance, pour les gens qui aiment ça,
00:59:35c'est que finalement, bien sûr qu'il y a eu des tensions,
00:59:37comme il y en a toujours, mais pas plus que ça.
00:59:39Il y a eu quelques livres, quelques gens qui ont essayé
00:59:41de créer un peu de notoriété en disant
00:59:43c'est à cause des vieux, nous les pauvres jeunes,
00:59:45qu'est-ce qu'on subit ? Génération sacrifiée.
00:59:47Il faut juste rappeler que la génération sacrifiée, c'était
00:59:49Karl Manheim, c'était 1914-1918.
00:59:51C'était pas tout à fait pareil
00:59:53de partir mourir dans les tranchées,
00:59:55plutôt que de ne pas pouvoir aller boire une bière le soir.
00:59:57C'était quand même pas tout à fait les mêmes éléments.
00:59:59Donc il y a eu ça, et finalement,
01:00:01ce qui est intéressant, c'est que ça n'a pas pris.
01:00:03Globalement, aujourd'hui, 5 ans plus tard,
01:00:05il y a des gens qui disent, c'était difficile,
01:00:07on voit qu'il y a des jeunes qui sont des problématiques
01:00:09de santé mentale peut-être plus lourdes qu'auparavant.
01:00:11De ce point de vue-là d'ailleurs, plutôt les jeunes,
01:00:13plutôt que les plus âgés, parce que sans doute que l'expérience,
01:00:15parce que sans doute que le recul, parce que sans doute aussi
01:00:17de se dire, si c'est le jour pour moi,
01:00:19ça sera le jour pour moi, a fait que les plus âgés
01:00:21ont plutôt mieux tenu face à cette
01:00:23dimension, alors même qu'ils étaient plus en risque,
01:00:25puisqu'on n'arrêtait pas de dire,
01:00:27à tort d'ailleurs, on a passé notre vie à expliquer
01:00:29que c'était les vieux qui allaient mourir.
01:00:31C'est pas les vieux qui allaient mourir, c'est les gens qui étaient en mauvaise santé,
01:00:33entre autres qui étaient en surpoids.
01:00:35C'est ceux-là qui ont payé le plus gros tribut.
01:00:37Donc un jeune qui boit 2 litres de coca
01:00:39par jour tous les matins, enfin toute la journée,
01:00:41avait plus de risque que le monsieur de 75 ans
01:00:43qui va faire du vélo, sauf qu'on lui interdit
01:00:45d'aller faire du vélo.
01:00:47Donc finalement, il y a eu de la tension,
01:00:49mais surtout de la tension médiatique,
01:00:51et assez peu dans le ressentiment,
01:00:53et 5 ans plus tard, il n'y a pas non plus
01:00:55un ressentiment en disant, c'est à cause,
01:00:57et ainsi de suite. C'est resté assez peu marqué.
01:00:59L'élément qui est resté, je crois,
01:01:01très fortement, ça a été,
01:01:03pour moi d'ailleurs, c'était une faute
01:01:05totale, et une faute
01:01:07pas digne d'un homme d'Etat, c'était
01:01:09l'histoire du quoi qu'il en coûte, de dire aux gens
01:01:11quoi qu'il en coûte. Dans ce coup, on a donc
01:01:13vraiment cru que l'argent était magique, que ça allait sortir
01:01:15comme ça, et ça s'est resté. S'il y a quelque chose
01:01:17qui reste encore aujourd'hui, c'est bien que
01:01:19c'est pas très très grave, si on est endetté,
01:01:21c'est pas très très grave. Donc là, il y a quelque chose
01:01:23de très fort, je crois, qui est resté. Et l'autre
01:01:25élément qui est resté, c'est d'une certaine manière
01:01:27la découverte, pas bonne
01:01:29pour l'égo du tout, c'est que le
01:01:31pays ne marche pas bien. On a découvert qu'on n'était pas capable
01:01:33de faire des masques. On a découvert
01:01:35que le système hospitalier, dont on n'arrêtait
01:01:37pas de dire que c'était le numéro un,
01:01:39ne marchait pas. Et ça, ça a été
01:01:41très très fortement,
01:01:43fortement vu, les gens l'ont vécu en plus,
01:01:45et du coup, ça a aussi été quelque chose
01:01:47d'un peu violent pour les personnes. Ils disaient, mais en fait,
01:01:49ça va pas, quoi. Donc il y a aussi cet
01:01:51élément-là qui est resté, je crois, très fortement,
01:01:53et qui, sans doute, a accéléré ce qu'on pourrait
01:01:55appeler une forme de pessimisme qui est assez...
01:01:57On aime bien en France, Soto,
01:01:59dire que ça va pas bien.
01:02:01De ce point de vue-là, je sais pas si ça se retrouve dans les études,
01:02:03mais en tout cas, on le retrouve assez fortement en disant
01:02:05le pays va pas bien, c'est de notre faute.
01:02:07C'est pas de notre faute à soi, parce que c'est jamais de sa faute à soi,
01:02:09c'est toujours la faute des autres. Mais en tout cas, de dire
01:02:11il y a quelque chose qui va pas bien. De ce point de vue-là,
01:02:13on a gardé ça. Et quand j'entends aujourd'hui
01:02:15que ce soit des jeunes, y compris ceux qui étaient vraiment
01:02:17encore très jeunes à ce moment-là, qui disent aujourd'hui
01:02:19qu'enfin, quand même, on n'est pas très bons, quoi.
01:02:21Vous souhaitiez rajouter quelque chose ?
01:02:23Je vous donne la parole juste après, bien sûr.
01:02:25Oui, sur la question des générations, Serge Guérin a tout à fait raison.
01:02:27Il n'y a pas eu de conflit de génération
01:02:29après cette crise. Au contraire, ce qui est
01:02:31très intéressant, c'est qu'avant la crise,
01:02:33avant le Covid, c'était plutôt
01:02:35dans nos enquêtes les personnes âgées
01:02:37qui étaient très soucieuses de santé.
01:02:39Après cette épreuve, le phénomène nouveau, c'est le rattrapage
01:02:41des jeunes. Les jeunes, soudainement, se sont
01:02:43intéressés à leur santé.
01:02:45Ils se sont rendus compte que le système de santé
01:02:47à lui tout seul n'était pas suffisant,
01:02:49qu'on avait un capital santé et qu'il fallait l'entretenir.
01:02:51D'où ces problématiques de santé mentale,
01:02:53en particulier, dont on parle énormément
01:02:55depuis cinq ans. On en parlait
01:02:57moins avant. Et quand
01:02:59vous regardez les conversations des jeunes
01:03:01aujourd'hui, la santé occupe une place
01:03:03tout à fait inédite, qui était un sujet
01:03:05de vieux, c'est devenu un sujet transgénérationnel.
01:03:07Vous voulez rajouter quelque chose ?
01:03:09On peut peut-être rajouter toujours sur cette histoire de solidarité
01:03:11intergénérationnelle. Je suis aussi
01:03:13tout à fait d'accord avec Serge Guérin.
01:03:15Nous sommes un bon public.
01:03:17Peut-être en rajoutant
01:03:19deux, trois choses. Premièrement, c'est quand même
01:03:21très étonnant, dans cette crise,
01:03:23au niveau international, pour la
01:03:25première fois, la protection des
01:03:27personnes âgées a été
01:03:29centrale. Et ça, c'est pas courant
01:03:31dans les crises sanitaires.
01:03:33Le fait que les mesures
01:03:35qui touchent l'ensemble
01:03:37de la population aient été prises
01:03:39avant tout pour protéger
01:03:41les seniors et
01:03:43les personnes avec comorbidité,
01:03:45est quelque chose de tout à fait
01:03:47inédit. Et ça a été fait à l'échelle de la planète.
01:03:49Donc ça, c'est intéressant aussi
01:03:51quand on discute de
01:03:53questions de solidarité intergénérationnelle.
01:03:55Juste là-dessus, si je puis me permettre, je dirais qu'on a aussi
01:03:57surtout cherché à protéger l'hôpital
01:03:59en disant qu'il ne tiendrait pas le coup. Et finalement, c'était
01:04:01moins les vieux qui comptaient que l'hôpital
01:04:03tienne. Pas uniquement parce que
01:04:05il y a un lien avec les EHPAD.
01:04:07Et donc, la deuxième
01:04:09chose, c'est qu'en effet, il n'y a pas eu de conflit
01:04:11intergénérationnel. Par contre,
01:04:13ce qui ressort beaucoup des études,
01:04:15c'est la souffrance,
01:04:18la souffrance sociale,
01:04:20qui a entraîné la fermeture des EHPAD,
01:04:22en particulier. Et le fait que
01:04:24beaucoup de gens n'ont pas pu accompagner
01:04:26leurs parents mourants,
01:04:28n'ont pas pu leur dire adieu.
01:04:30La souffrance aussi est liée au fait
01:04:32que beaucoup de gens n'ont pas pu
01:04:34entrer en réa
01:04:36dans les derniers moments de vie
01:04:38de leurs proches,
01:04:40personnes âgées compris, ou conjointes,
01:04:42et que n'ont pas pu non plus
01:04:44les accompagner,
01:04:46par exemple, lors d'enterrements
01:04:48qui ont été, on se le souvient,
01:04:50très, très contraints.
01:04:52Et donc, c'est pas tant
01:04:54le conflit intergénérationnel entre les jeunes
01:04:56et les vieux, c'est finalement
01:04:58ce qui a été bien accepté. C'est tout à fait exceptionnel
01:05:00d'accepter des contraintes aussi fortes
01:05:02au niveau de la société dans son ensemble
01:05:04pour protéger en particulier
01:05:06les seniors. Par contre, cette absence
01:05:08d'accompagnement vers la mort,
01:05:10en particulier de nos parents
01:05:12et de nos conjoints,
01:05:14est quelque chose qui reste encore
01:05:16comme une souffrance
01:05:18chez beaucoup de Français.
01:05:20Pas de conflit générationnel,
01:05:22mais peut-être pas non plus
01:05:24un renforcement des liens
01:05:26intergénérationnels
01:05:28et des jeunes vis-à-vis des plus
01:05:30âgés évoluant dans notre société.
01:05:32Et concernant les EHPAD,
01:05:34a-t-on tiré
01:05:36les leçons de ce manque de
01:05:38lien social connu
01:05:40à l'époque ? Cette impossibilité
01:05:42d'aller saluer ses anciens dans les EHPAD
01:05:44à cette époque-là, de les accompagner, le cas échéant,
01:05:46jusqu'à la fin de leur vie ?
01:05:48C'est vrai que c'est intéressant
01:05:50parce qu'il y a des gens qui ont découvert
01:05:52qu'il y avait du vieillissement en France.
01:05:54Je me souviens, je ne le nommerai pas, mais un ancien ministre de la Santé
01:05:56m'a appelé en me disant « mais il y a combien de gens âgés ? »
01:05:58Les gens n'avaient pas du tout en tête qu'il y avait autant
01:06:00de personnes. Donc ça a été aussi ça.
01:06:02C'était un seul coup. Ah oui, mais il n'y a pas que des jeunes
01:06:04dans la société. Il y a aussi plein de gens âgés.
01:06:06Alors du coup, avec un codicil négatif,
01:06:08c'est qu'on voyait la personne âgée seulement
01:06:10comme une victime et seulement comme une
01:06:12personne fragile. Il y a plein de gens âgés qui disaient
01:06:14« mais ça va, je suis adulte, je suis capable
01:06:16de savoir que je ne vais pas faire n'importe quoi
01:06:18quand il y aura le déconfinement. » Il y avait aussi
01:06:20un côté, on en a même parlé, moi je parlais d'apartheid
01:06:22générationnel. Il y a eu aussi le discours assez ridicule
01:06:24de dire qu'il faut que les gens de plus de 65 ans
01:06:26ou plus de 60 ans, d'ailleurs, ne savent pas trop,
01:06:28ne devraient pas sortir de chez eux. Et pour répondre à ma question,
01:06:30est-ce que le lien intergénérationnel,
01:06:32s'en est trouvé renforcé cinq ans après ?
01:06:34Oui, globalement,
01:06:36il y a eu des micro-solidarités
01:06:38pendant. Ce qui est intéressant, c'est que
01:06:40plein d'associations disent « ah oui, mais là,
01:06:42les gens âgés, ils ne viennent plus être bénévoles.
01:06:44Comment on fait ? » Du coup, d'ailleurs, on a trouvé parfois des plus jeunes
01:06:46qui se sont mobilisés parce qu'ils avaient le temps
01:06:48à ce moment-là. Mais du coup, il est resté
01:06:50et plutôt, il y a eu même des gens qui ont pris conscience
01:06:52quand on parle des vieux. En fait, on parle de mes parents,
01:06:54de mes grands-parents, tout ça. Donc tout ça est plutôt
01:06:56resté et ça n'a pas développé derrière
01:06:58quelque chose de négatif
01:07:00par rapport à cela. Il y a même plutôt une visibilité
01:07:02plus forte des uns et des autres parce que
01:07:04les gens âgés disaient eux-mêmes « attention,
01:07:06je ne veux pas peser sur les jeunes.
01:07:08Ah, je m'inquiète pour eux. Ah, ce n'est pas facile non plus. »
01:07:10Du coup, ça a plutôt créé, en grande
01:07:12partie, plutôt une attention
01:07:14auprès des autres générations, dans les deux sens.
01:07:16Il y a eu en France 168 000
01:07:18morts
01:07:20à l'occasion de cette pandémie
01:07:22et 6,8 millions
01:07:24de morts dans le monde.
01:07:26Vous nous avez amenés sur le terrain sanitaire
01:07:28et compte tenu du nombre de victimes
01:07:30que cette pandémie a faites dans notre pays,
01:07:32c'est évidemment un passage
01:07:34incontournable. Là aussi, il y a
01:07:36un vrai trauma dans notre société
01:07:38cinq ans après par rapport à ce nombre de décès,
01:07:40ce nombre d'enterrements
01:07:42qu'on n'a pas pu accompagner,
01:07:44ce traumatisme, réalité, qu'on a vécu
01:07:46dans un bon nombre de familles
01:07:48françaises. Oui, je pense que c'est un traumatisme
01:07:50qui a beaucoup marqué
01:07:52dans notre rapport à l'avenir.
01:07:54Comme je le disais tout à l'heure, je pense qu'il y a
01:07:56vraiment, et on le voit, nous, dans de longues séries historiques
01:07:58que l'on mesure à travers le temps,
01:08:00on voit que 2020
01:08:02était un basculement dans une
01:08:04peur véritablement du futur.
01:08:06D'ailleurs, tous les indicateurs sur les maisons de retraite,
01:08:08les EHPAD, les questions
01:08:10de dépendance, on voit que
01:08:12la retraite, tout simplement,
01:08:14qui était déjà, rappelez-vous, en 2019,
01:08:16il y a eu les grands mouvements pour la retraite,
01:08:18ça a rajouté une couche
01:08:20de pessimisme, qui est déjà
01:08:22dans notre pays très ancré,
01:08:24et ça a
01:08:26véritablement
01:08:28rendu conscient
01:08:30énormément de Français qu'il fallait
01:08:32absolument se prendre en main, qu'il fallait
01:08:34d'une manière ou d'une autre... Dans les indicateurs
01:08:36qui ont le plus bougé entre 2019 et 2020,
01:08:38et qui ont ensuite continué d'augmenter,
01:08:40c'est je réalise des efforts
01:08:42personnellement pour prendre soin de ma santé.
01:08:44Et ça concerne toutes les générations.
01:08:46Oui, ce que vous disiez tout à l'heure.
01:08:482020, vraiment un saut.
01:08:50On aurait pu s'attendre à ce qu'il se stabilise
01:08:52ou regresse un peu. Au contraire.
01:08:54Depuis, il ne cesse d'augmenter.
01:08:56Et on le voit, par exemple, à travers
01:08:58un symptôme de société marquant,
01:09:00c'est la santé connectée, le fait d'utiliser
01:09:02les applis, les objets connectés,
01:09:04pour suivre son rythme cardiaque, son sommeil,
01:09:06etc. C'est loin de concerner
01:09:08aujourd'hui la majorité des Français,
01:09:10mais c'est une tendance qui ne cesse de progresser
01:09:12et dont probablement le germe a été déposé
01:09:14lors du Covid.
01:09:16On pourrait parler de génération Covid,
01:09:18pour parler en particulier des jeunes.
01:09:20C'est la prise de conscience, un,
01:09:22de l'importance fondamentale de la santé
01:09:24dans la vie. Alors, ça parait une évidence
01:09:26dit comme ça, mais ça a été un moment
01:09:28de grande révélation. Et puis, le fait
01:09:30qu'effectivement, le système français
01:09:32n'était pas faillible, contrairement
01:09:34à ce qu'on nous avait dit pendant des années.
01:09:36Vous avez milité
01:09:38avec d'autres
01:09:40pour la mise en place
01:09:42d'une journée nationale
01:09:44d'hommage aux victimes,
01:09:46aux 168 000 victimes
01:09:48françaises,
01:09:50à la suite de cette pandémie. Nous n'avons toujours
01:09:52pas mis en place cette journée
01:09:54de commémoration. On aime beaucoup
01:09:56les commémorations en France, mais 5 ans après,
01:09:58cette journée n'a toujours pas été instituée par le gouvernement
01:10:00français. Ça pose un problème,
01:10:02selon vous, du point de vue de la mémoire collective ?
01:10:04Ça pose un problème, ça pose question,
01:10:06comme on dit dans une traduction
01:10:08de l'anglais que nous utilisons
01:10:10de plus en plus en France, malheureusement.
01:10:12C'est très étonnant. En effet,
01:10:14depuis 2020,
01:10:16et à partir du 17 mars
01:10:182021 tous les ans,
01:10:20avec d'autres, avec
01:10:22des acteurs du monde associatif,
01:10:24en particulier
01:10:26les associations de personnes victimes du Covid,
01:10:28avec des acteurs de santé, par exemple
01:10:30la Fédération hospitalière de France, etc.,
01:10:32je demande publiquement
01:10:34dans des tribunes, dans des conférences, des presses,
01:10:36etc., nous sommes nombreux à le faire,
01:10:38à ce qu'il y ait une journée d'hommage
01:10:40dédiée à la pandémie qui soit inscrite
01:10:42au calendrier national. On propose
01:10:44depuis quatre ans que ce soit le 17 mars,
01:10:46ça peut être n'importe quelle date, le sujet de la date
01:10:48n'est pas important.
01:10:50Mais pourquoi...
01:10:52C'est une date inédite,
01:10:54on n'a jamais vu ça.
01:10:56C'est la date que les gens, dans les enquêtes,
01:10:58dans les témoignages, c'est souvent la date de basculement
01:11:00qui ressort dans les discours des Français.
01:11:02Mais pourquoi est-ce que c'est important,
01:11:04nous semble-t-il, d'instaurer cette journée
01:11:06d'hommage ?
01:11:08Et hommage à qui ? Il y a deux questions.
01:11:10D'abord, hommage à qui ? Vous le disiez,
01:11:12hommage aux morts, mais hommage
01:11:14aux endeuillés aussi,
01:11:16hommage aux soignants,
01:11:18hommage aux invisibles, dont on a beaucoup parlé,
01:11:20qui ont complètement disparu.
01:11:22Et qui ont été traités par les photoporteurs.
01:11:24Qui ont été traités absolument,
01:11:26dans le documentaire qu'on a vu.
01:11:28Et, me semble-t-il, et c'est ce que j'essaye
01:11:30de défendre depuis quatre ans,
01:11:32finalement, un hommage à la société française
01:11:34toute entière, pour deux raisons.
01:11:36D'une part, pour montrer que c'est un phénomène
01:11:38qui a touché l'ensemble de la société française,
01:11:40et que nous avons tous survécu.
01:11:42On a tous trouvé des façons
01:11:44de dépasser cet événement,
01:11:46plus ou moins bien,
01:11:48plus ou moins douloureusement,
01:11:50plus ou moins heureusement.
01:11:52Pour certains, ça a été une parole
01:11:54et une période heureuse.
01:11:56Mais donc, une journée d'hommage
01:11:58à la société française toute entière,
01:12:00une forme, je suis anthropologue,
01:12:02une forme de contre-don.
01:12:04On a beaucoup donné,
01:12:06beaucoup de gens ont beaucoup donné, ont perdu des proches.
01:12:08Il y a des Covid longs, il y a des jeunes
01:12:10en souffrance, en santé mentale.
01:12:12On a beaucoup donné, que cette journée d'hommage
01:12:14remercie la société française toute entière.
01:12:16C'est important pour apprendre de ce qu'on a vécu,
01:12:18c'est aussi important, éventuellement,
01:12:20pour se préparer à d'autres crises à venir.
01:12:22Faire comme si rien n'était arrivé,
01:12:26est quelque chose qui est
01:12:28excessivement étonnant,
01:12:30à l'heure actuelle.
01:12:32Ce qui est noté par toutes les études,
01:12:34c'est notre rapport au travail,
01:12:36avec l'émergence du télétravail.
01:12:38C'est vrai que c'était assez anecdotique,
01:12:40d'une certaine manière, le télétravail,
01:12:42avant cette crise.
01:12:44Aujourd'hui, on se rend compte que 3 Français sur 10,
01:12:46environ, en moyenne, ont accès
01:12:48et utilisent, de manière hebdomadaire,
01:12:50c'est 3 Français sur 10,
01:12:52au moins une journée de télétravail
01:12:54par semaine.
01:12:56Ça, c'est un changement
01:12:58très notable du côté du travail, justement.
01:13:00Oui, tout à fait.
01:13:02Avant même de parler du télétravail,
01:13:04je parlerais de la relation au travail.
01:13:06Qu'est-ce qui s'est passé pendant le Covid ?
01:13:08Les gens, les actifs, ont eu du temps.
01:13:10Pour beaucoup d'entre eux,
01:13:12ils ont réfléchi à leur vie,
01:13:14à leur vie au travail,
01:13:16et pour certains, ça a pris
01:13:18le chemin d'une prise de conscience,
01:13:20où ils se sont dit, finalement,
01:13:22je n'ai pas tellement envie de faire ce travail
01:13:24très pénible, qui me prend beaucoup d'heures,
01:13:26qui ne me permet pas de voir mes proches,
01:13:28ma famille, et donc ça, c'est un premier point.
01:13:30Très important, les actifs
01:13:32ont réalisé que... Enfin, ont réévalué
01:13:34leurs priorités au travail, ce qui explique
01:13:36qu'après, il y a eu beaucoup de problèmes,
01:13:38il y en a encore aujourd'hui, de recrutement dans certains secteurs,
01:13:40où la pénibilité, où les horaires à rallonge
01:13:42sont la norme. Je pense à l'hôtellerie
01:13:44et à la restauration, par exemple.
01:13:46Après, sur la question du télétravail en particulier,
01:13:48c'était une tendance qui montait,
01:13:50mais très faiblement, il y avait une réticence
01:13:52en France de la part
01:13:54du patronat par rapport à cette question,
01:13:56et là, soudainement, évidemment,
01:13:58on a découvert la merveille qu'était le télétravail,
01:14:00parce que ça permettait de continuer à faire
01:14:02ce qu'on voulait à distance, avec
01:14:04plein d'avantages,
01:14:06en particulier un avantage écologique, puisqu'on ne se déplaçait pas,
01:14:08etc. Et c'est resté.
01:14:10Et plus de qualité de vie aussi.
01:14:12On a découvert peut-être une forme
01:14:14de qualité de vie à laquelle
01:14:16on n'osait même pas penser.
01:14:18Tout à fait. Et c'est resté.
01:14:20Et c'est resté.
01:14:22Aujourd'hui, ça devient même un critère
01:14:24de recrutement pour certains.
01:14:26C'est une demande. Alors, il y a en ce moment
01:14:28un retournement de tendance,
01:14:30c'est-à-dire dans certaines entreprises...
01:14:32Les entreprises en reviennent ?
01:14:34En reviennent partiellement, parce qu'elles s'aperçoivent
01:14:36qu'à force d'être loin de l'entreprise,
01:14:38on devient moins fidèle à l'entreprise.
01:14:40Donc il y a simplement, moi je pense,
01:14:42c'est simplement une évolution normale.
01:14:44On cherche le bon équilibre.
01:14:46En tout cas, si j'avais à résumer
01:14:48d'une formule ce qui s'est passé
01:14:50pendant le Covid, ce qui est sorti du Covid
01:14:52dans la population active, c'est une demande
01:14:54énorme d'équilibre entre la vie professionnelle
01:14:56et la vie personnelle.
01:14:58Serge Guérin veut réagir à ce que vous venez de dire.
01:15:00Je mettrais deux petites nuances
01:15:02dans les deux interventions.
01:15:04C'est la société, mais enfin,
01:15:06il y a eu aussi, je dirais,
01:15:08une nouvelle lutte des classes.
01:15:10Il y avait tous les gens qui pouvaient partir
01:15:12à l'île de Ré et qui envoyaient des belles photos
01:15:14en disant qu'ils étaient tranquilles à l'île de Ré
01:15:16pendant que les gens étaient enfermés chez eux.
01:15:18Donc il y a eu aussi des gens qui en ont profité
01:15:20et qui ont déserté. En plus, il y avait la très mauvaise idée
01:15:22d'envoyer des images. Donc il y avait aussi des choses
01:15:24assez violentes pour les autres. Après, d'ailleurs, on leur dit
01:15:26au moins, n'envoyez pas d'images. Il y a eu aussi quelque chose comme ça.
01:15:28Il y avait d'ailleurs des locaux qui parfois voyaient arriver
01:15:30des gens, les parisiens, entre guillemets,
01:15:32qui arrivaient, qui leur faisaient un peu la leçon, qui faisaient un peu n'importe quoi.
01:15:34Donc il y a eu aussi des dissentiments
01:15:36ou des tensions un petit peu fortes
01:15:38de ce point de vue-là. Deuxième élément,
01:15:40c'est que, vous le disiez très bien,
01:15:42télétravail, c'est 30 %.
01:15:44C'est-à-dire qu'il y a eu aussi
01:15:50Et du coup, ça crée aussi quelque chose.
01:15:52On a valorisé les infirmières et autres,
01:15:54oui, sauf que les infirmières en télétravail,
01:15:56c'est pas génial. Donc c'est-à-dire que c'était aussi
01:15:58de faire une différence
01:16:00au sein de la société. Il y a une nouvelle coupure
01:16:02qui est un peu apparue entre ceux qui peuvent être
01:16:04en télétravail et ceux qui ne peuvent pas.
01:16:06Donc il y a eu deux coupures qui se sont quand même
01:16:08affirmées, pas des affrontements,
01:16:10mais un petit peu quand même, et quand même
01:16:12une coupure, quelque chose. Et puis le troisième élément,
01:16:14dans ce rapport au travail qui est en effet plus
01:16:16distancié, alors, entre autres,
01:16:18des jeunes générations, mais d'une manière aussi
01:16:20plus large, où les gens qui en attendent autre chose,
01:16:22parfois peut-être plus de sens, parfois peut-être
01:16:24une autre manière d'être valorisé,
01:16:26d'être vécu
01:16:28comme étant, d'être considéré.
01:16:30Je pense qu'il y a d'autres manières, dans la société
01:16:32française, un vrai problème de considération
01:16:34ou de sentiment de déconsidération.
01:16:36Et de ce point de vue-là, y compris dans le monde
01:16:38de la santé, où plus les gens étaient proches
01:16:40du corps des autres, moins
01:16:42ils sont payés et moins ils sont considérés,
01:16:44moins souvent ils sont diplômés. Donc il se passait
01:16:46aussi plein de choses, où là, on est dans une période
01:16:48où chacun essaie de retrouver
01:16:50un peu son équilibre. Et c'est
01:16:52vrai qu'il y a aussi la question du collectif,
01:16:54qui a aussi été très
01:16:56battu en brèche, parce que quand vous venez
01:16:58quasiment jamais dans l'entreprise,
01:17:00je croisais une entreprise où il y a
01:17:02une journée de présence obligatoire par mois.
01:17:04J'ai dit, mais comment vous faites un collectif ?
01:17:06Et là, grand silence au début,
01:17:08on s'était pas trop posé la question. Voilà, et donc parfois
01:17:10c'est difficile de réinventer du collectif
01:17:12quand les gens ne se voient jamais.
01:17:14C'est d'ailleurs une question que se pose
01:17:16beaucoup de directeurs
01:17:18de ressources humaines,
01:17:20dans les grandes et moyennes entreprises
01:17:22aujourd'hui, à retrouver ce collectif
01:17:24tout en incorporant
01:17:26évidemment ce télétravail
01:17:28dans les modes de fonctionnement internes
01:17:30aux entreprises.
01:17:32Peut-être quelque chose à rajouter
01:17:34sur cette relation au travail ?
01:17:36Alors, peut-être
01:17:38sur cette relation au travail ? Peut-être la
01:17:40digitalisation d'une manière générale,
01:17:42parce que ça a servi à désenclaver
01:17:44un certain nombre d'individus dans la solitude
01:17:46qu'on a tous connue durant cette période.
01:17:48Et cette distance sociale, finalement,
01:17:50qui s'est incrustée
01:17:52à travers cette pandémie.
01:17:54Alors peut-être, oui,
01:17:56une autre illustration,
01:17:58si on prend cette idée de
01:18:00digitalisation. Mais d'abord, sur le
01:18:02rapport au travail, on a vu aussi
01:18:04à quel point il y a eu
01:18:06des changements de vie et des déménagements,
01:18:08beaucoup de déménagements en dehors des villes.
01:18:10Ce qui est intéressant, c'est de voir aussi,
01:18:12par exemple, les chiffres à Paris de scolarisation
01:18:14des enfants, à la rentrée 2021,
01:18:16à la rentrée 2022,
01:18:18par exemple, mais c'est vrai aussi
01:18:20d'autres grandes villes. Donc il y a eu des gens
01:18:22qui ont décidé, suite en particulier
01:18:24au premier confinement, de changer
01:18:26de vie et donc d'imposer
01:18:30leurs demandes en matière de télétravail,
01:18:32demandes sur lesquelles ils ne sont pas
01:18:34prêts à revenir aujourd'hui. Donc là, il y a peut-être
01:18:36en effet, en ce moment, vous le disiez,
01:18:38pour l'instant, les entreprises cherchent
01:18:40le bon modèle. Des tensions
01:18:42vont apparaître parce que
01:18:44il y a un certain nombre de familles qui ont
01:18:46fait des choix sur lesquels
01:18:48il sera très difficile de revenir
01:18:50parce que venir deux jours
01:18:52par semaine dans la ville, ce n'est pas
01:18:54venir cinq jours par semaine.
01:18:56Et donc là, il y a un changement profond dont on...
01:18:58Pour l'instant, la question du
01:19:00télétravail n'étant pas complètement réglée
01:19:02dans toutes les entreprises,
01:19:04on peut s'attendre peut-être à
01:19:06des tensions.
01:19:08Mais il y a aussi des gens qui sont revenus.
01:19:10Qui étaient partis dans des petites villes et qui sont revenus.
01:19:12Et il y a des gens qui ont changé de métier
01:19:14et qui sont revenus.
01:19:16Donc il y a eu énormément de changements.
01:19:18Là, on n'est plus sur le télétravail, mais on est sur
01:19:20des changements de vie,
01:19:22y compris des changements
01:19:24de vie professionnelle sur la digitalisation.
01:19:26Juste sur les changements de vie,
01:19:28c'est vrai qu'il y en a eu. Effectivement, il y a eu quand même
01:19:30beaucoup de déceptions de gens qui sont revenus,
01:19:32finalement, qui étaient partis loin, qui sont revenus,
01:19:34qui ont changé de métier.
01:19:36Donc, ça a été un moment où tout le monde
01:19:38s'est posé des questions. Certains sont allés
01:19:40jusqu'à changer véritablement.
01:19:42Mais quand on regarde
01:19:44nos chiffres, ça reste quand même
01:19:46une minorité. La plupart des gens sont restés
01:19:48dans leur... Oui, c'est les chiffres dont je dispose.
01:19:503 à 4 % seulement de la population.
01:19:52Or, en 18-25 ans,
01:19:54on changeait, on bougeait géographiquement.
01:19:56Or, les 18-25 ans,
01:19:58eux, sont presque 3 sur 10
01:20:00à être revenus chez leurs parents. En réalité,
01:20:02ils étaient en études supérieures, probablement,
01:20:04dans les grandes métropoles, et ont eu tendance
01:20:06à rester et revenir chez leurs parents.
01:20:08On revient à l'idée qu'il y avait
01:20:10le monde d'après, qu'on a beaucoup rêvé,
01:20:12mais très peu l'ont véritablement
01:20:14mis en oeuvre. Pour revenir sur
01:20:16digitalisation et liens sociaux,
01:20:18sur une chose dont
01:20:20on ne parle pas toujours.
01:20:22Avec la digitalisation,
01:20:24on a de fait créé une distance sociale
01:20:26qui n'existait pas avant. On s'est jetés
01:20:28sur les réseaux sociaux pour... Oui, non,
01:20:30il y a quelque chose qui a été aussi très intéressant,
01:20:32c'est, par exemple, l'utilisation des tablettes numériques
01:20:34en réa. C'est-à-dire, il faut se souvenir
01:20:36qu'à une époque où les familles ne pouvaient
01:20:38pas rentrer dans les réas,
01:20:40et donc se posait
01:20:42véritablement la question des adieux,
01:20:44des adieux aux mourants,
01:20:46s'est passé quelque chose
01:20:48qui n'était jamais arrivé auparavant,
01:20:50c'est-à-dire l'introduction de tablettes numériques
01:20:52au sein des réas
01:20:54et la capacité pour les familles
01:20:56et les mourants à se parler une dernière fois.
01:20:58Ça, il ne faut pas l'oublier
01:21:00non plus, parce que ça a été très important
01:21:02et c'est peut-être quelque chose à garder.
01:21:04Autre chose, ce n'est pas du digital,
01:21:06mais c'est le bon vieux téléphone,
01:21:08une expérience aussi
01:21:10dont on parle peu,
01:21:12sur laquelle j'ai été très impliquée,
01:21:14le fait qu'à partir du mars 2020,
01:21:16donc fin mars 2020,
01:21:18j'ai beaucoup travaillé
01:21:20en particulier avec les grandes communautés religieuses,
01:21:22et il nous est apparu
01:21:24évident que
01:21:26la souffrance sociale
01:21:28qui touchait
01:21:30un certain nombre de personnes en particulier,
01:21:32ceux qui justement ne pouvaient pas
01:21:34accompagner les mourants, qui avaient peur de la mort,
01:21:36peur de la maladie, etc.,
01:21:38ne pouvaient pas être
01:21:40traités, le terme traité n'est peut-être pas
01:21:42très beau, mais qu'on ne pouvait pas uniquement y répondre
01:21:44avec des lignes téléphoniques
01:21:46d'écoute psychologique, vous vous souvenez ?
01:21:48On a multiplié les lignes d'écoute
01:21:50et c'était très important, sauf que
01:21:52la souffrance sociale, la peur, la désespérance sociale
01:21:54n'a pas qu'à être
01:21:56médicalisée ou psychologisée,
01:21:58et donc j'ai proposé
01:22:00à toutes les grandes communautés religieuses françaises
01:22:02de créer une ligne d'écoute spirituelle
01:22:04avec un numéro unique,
01:22:06chose qui n'était jamais
01:22:08arrivée non plus, j'ai convaincu
01:22:10le gouvernement, malgré la loi 1905,
01:22:12et on a lancé
01:22:14fin mars, un numéro unique,
01:22:16une ligne d'écoute téléphonique spirituelle,
01:22:18les gens appelaient et au bout de la ligne
01:22:20il y avait des prêtres, des imams, des pasteurs,
01:22:22des rabbins
01:22:24et des bouddhistes.
01:22:26Notre société a connu
01:22:28durant cette période une surveillance de masse,
01:22:30évidemment, attestation pour les sorties,
01:22:32d'ailleurs c'est une de ces attestations
01:22:34qui est sur la couverture
01:22:36de votre livre,
01:22:38cette surveillance de masse qu'on a
01:22:40tous vécue, alors à des
01:22:42degrés divers en Europe, mais en France,
01:22:44c'est vrai qu'on a plutôt opté pour quelque chose d'assez dur,
01:22:48on en garde des traces aujourd'hui ?
01:22:50Oui, enfin je pense que beaucoup quand même,
01:22:52Dieu merci, l'ont oublié, mais
01:22:54oui, je pense qu'on en garde des traces,
01:22:56et dans certains segments de la population,
01:22:58il y a un ressentiment par rapport à l'autorité,
01:23:00alors qu'il parfois, dans ses formes
01:23:02les plus virulentes, va se traduire
01:23:04par du complotisme, c'est-à-dire l'idée,
01:23:06par exemple, nous on mesure
01:23:08l'idée qu'une petite minorité
01:23:10manipule le reste de la population,
01:23:12ça c'est aujourd'hui,
01:23:14le chiffre c'est aux alentours de 60%,
01:23:16donc il y a quand même,
01:23:18ça a donné le sentiment
01:23:20qu'il y avait
01:23:22un système qui nous surveillait,
01:23:24qui nous dirigeait, et j'ai envie de dire
01:23:26que depuis
01:23:28l'intelligence artificielle a renforcé
01:23:30un certain nombre de personnes
01:23:32dans ce sentiment que nous allons de plus en plus
01:23:34vers une société de la surveillance généralisée,
01:23:36donc ça fait partie aujourd'hui
01:23:38de ces dystopies
01:23:40qui sont devant nous,
01:23:42mais il ne faut pas non plus
01:23:44ne pas remarquer que dans la même temps,
01:23:46aujourd'hui, dans toutes les villes de France,
01:23:48on demande la télésurveillance,
01:23:50donc si vous voulez, il y a à la fois
01:23:52la peur d'être manipulée,
01:23:54qui monte, qui va monter encore,
01:23:56mais il y a aussi une demande d'ordre,
01:23:58et ça j'ai envie de dire, en 5 ans,
01:24:00la demande d'ordre n'a jamais été aussi importante
01:24:02qu'aujourd'hui pour des raisons de sécurité,
01:24:04donc je dirais qu'on est ambivalents
01:24:06sur cette question-là, on sort du Covid ambivalent.
01:24:08Il y a eu un fort mouvement anti-vax en France,
01:24:10alors les anti-vaccins, c'est pas nouveau en France,
01:24:12c'était pas il y a cette pandémie,
01:24:14elle a eu lieu à chaque fois qu'on voulait mettre
01:24:16un vaccin, et ce depuis
01:24:18la naissance des vaccins, avec Pasteur,
01:24:20mais là on a monté...
01:24:22Les anti-vaccins sont montés...
01:24:24Des mouvements dits complotistes,
01:24:26vous n'avez pas cité le mot tout à l'heure...
01:24:28Non, mais il y a les anti-vax dedans,
01:24:30et les anti-vax sont baissés juste après la sortie du Covid,
01:24:32et puis depuis, ils remontent.
01:24:34Merci vraiment à tous les trois, c'est la fin de cette émission,
01:24:36malheureusement, on aurait voulu passer
01:24:38bien plus de temps avec vous pour évoquer
01:24:40ce qu'a été le choc de cette pandémie
01:24:42il y a cinq ans, maintenant, avec ce premier
01:24:44confinement, 17 mars
01:24:462020, on a essayé d'en tirer les
01:24:48principales conséquences avec vous,
01:24:50cinq ans après, après ce documentaire
01:24:52que nous vous proposions
01:24:54aujourd'hui dans ce Débat Doc, vos réactions
01:24:56ça sera sur hashtag Débat Doc,
01:24:58j'espère qu'elles seront nombreuses, vous serez là d'ailleurs
01:25:00pour réagir à ce que seront ces
01:25:02réactions. Merci à Félicité
01:25:04Gavalda, Yasmine Benahissa,
01:25:06qui m'ont aidée comme à l'accoutumée
01:25:08à préparer cette émission, je vous donne tout simplement
01:25:10rendez-vous pour un prochain Débat Doc, ça sera bien entendu
01:25:12avec son documentaire
01:25:14et son débat. A très bientôt.

Recommandations