Lundi 17 mars 2025, SMART TECH reçoit Thomas Mélonio (chef économiste, AFD)
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00:00Le rôle de l'Afrique dans le développement de l'intelligence artificielle, on en parle
00:07tout de suite avec Thomas Mélogneau, bonjour.
00:09Bonjour.
00:10Vous êtes chef économiste, directeur exécutif de l'innovation, de la stratégie et de la
00:13recherche au sein de l'AFD, l'agence française de développement.
00:16Je voulais déjà qu'on fasse un point ensemble sur cette AFD, sa mission, son mode de fonctionnement
00:21parce qu'il y a eu beaucoup de polémiques, notamment sur le réseau social X avec des
00:26critiques, des infox aussi sur l'aide de l'AFD, on prendrait dans la poche des Français,
00:32on donnerait de l'argent à la Chine.
00:34Expliquez-nous, faites-nous une petite mise au point rapide sur le fonctionnement, l'émission.
00:38Alors l'AFD c'est une agence et une banque publique qui agit sur trois catégories de
00:42territoire, dans les outre-mer français pour soutenir par exemple les collectivités locales,
00:46ça c'est une chose.
00:47L'AFD est très présente dans les pays émergents, notamment pour réduire le changement climatique
00:50ou préserver la biodiversité.
00:52Dans les pays émergents, l'AFD intervient sous forme de prêts et donc on va facturer
00:57un taux d'intérêt qui va même dégager un excédent mais en servant des causes communes
01:02qui intéressent la France et les pays émergents.
01:03Ça c'est dans les pays émergents, c'est une action qui en fait rapporte de l'argent.
01:07Dernière chose, l'AFD dans les pays émergents est une banque, donc c'est comme la BNP et
01:13la Société Générale, ce n'est pas une fonction caritative mais on trouve des intérêts
01:16mutuels avec des pays émergents, en particulier dans le domaine climatique ou économique.
01:22Et puis l'AFD intervient aussi dans les pays les plus pauvres, cette fois-ci sous
01:25forme de dons.
01:26Quand on travaille au Sénégal, au Togo ou au Bénin, on peut faire des projets sous
01:31forme de dons pour des causes les plus sociales et dans ce cas-là c'est une mission de solidarité
01:35qui en effet a un coût pour les contribuables, ça c'est le coût de la solidarité, c'est
01:38parfaitement assumé.
01:39Bon, je pense que c'est très clair.
01:40Maintenant, je voudrais qu'on arrive au sujet qui m'a intéressé, au moment du
01:44sommet de l'intelligence artificielle qui s'est tenu à Paris, l'AFD a été présente
01:48avec un sujet autour notamment d'un projet avec le Sénégal, mais ce que j'entends
01:54surtout c'est que l'Afrique joue un rôle aujourd'hui important, vous dites même
01:59crucial, dans l'IA.
02:00Pourquoi ?
02:01Plusieurs choses.
02:02D'abord, c'est vrai que pendant le sommet IA à Paris, qui je crois était un grand
02:05succès, il y a eu une importante présence africaine parce que je crois qu'il partage
02:08avec l'Europe une ambition de ne pas être seulement des consommateurs de produits IA,
02:14produits ailleurs, mais aussi de participer à la production et d'avoir des applications
02:18qui peuvent servir le continent.
02:19Donc on a eu un nombre très important de ministres du numérique africain qui sont
02:23venus à Paris avec cette volonté de développer des produits spécifiques.
02:26Alors aujourd'hui, il y a eu plusieurs choses, il y a eu des travailleurs africains qui ont
02:30participé à la constitution de gros modèles, par exemple en taguant des données, mais
02:34ça c'est une fonction, je dirais, qui n'est peut-être pas stratégique.
02:37En revanche, ce qu'on voit émerger…
02:38Ça c'est plutôt les ouvriers du numérique.
02:39Ça c'est plutôt les ouvriers du numérique, il y a d'ailleurs beaucoup de débats éthiques
02:41sur cette utilisation.
02:43Mais précisément, je pense que l'Afrique ne veut pas être cantonnée dans une sorte
02:47de prolétariat numérique, ça c'est une première chose.
02:49Et deux, on a vu aussi des pays qui arrivent avec des solutions innovantes, qui mettent
02:52en place des politiques IA, notamment pour développer et améliorer la qualité des
02:57services publics.
02:58Peut-être si on peut prendre un exemple, vous avez cité le Sénégal, avec le gouvernement
03:01du Sénégal et l'ONG Bibliothèque Sans Frontières, on a mis en place des contenus,
03:05qui sont en partie produits d'ailleurs à partir d'IA, pour améliorer la qualité
03:10des enseignements.
03:11Et alors une problématique peut-être spécifique à l'Afrique, c'est qu'il y a beaucoup
03:14de langues nationales ou régionales qui sont maltraitées par les grands modèles IA, et
03:19dans lesquels il y a peu de contenu.
03:21Donc il y a un enjeu à développer, par exemple dans l'exemple que je citais, en langue
03:25peule, des contenus qui sont les contenus officiels du programme sénégalais, et qui
03:29sont apportés à des enseignants, qui eux, peuvent être amenés à enseigner en français
03:33par exemple, même si leur langue maternelle est le peule.
03:36Donc il y a vraiment tout un enjeu à développer des contenus de qualité, dans des langues
03:39nationales africaines, des contenus qui sont certifiés par exemple dans le domaine de
03:43l'éducation ou de la santé, et qui peuvent donc s'appuyer sur l'IA pour améliorer
03:47des services publics qui aujourd'hui sont d'une qualité qui est encore insuffisante.
03:51Mais pour tenir un rôle important dans le développement de l'IA, encore faut-il avoir
03:54les moyens, parce qu'aujourd'hui les investissements ils vont où ? Ils se passent aux Etats-Unis,
03:59ils se passent en Europe aussi, en Asie, en Afrique.
04:02Alors c'est vrai que les très gros investissements qu'on a pu voir ces dernières années, les
04:07plusieurs milliards de dollars par exemple dans les grands modèles, ça c'était aujourd'hui
04:09pas accessible, en tout cas jusqu'à récemment sur le continent africain.
04:12Bon, il y a eu quand même le choc dipsyche qui montre qu'aujourd'hui des modèles moins
04:16coûteux, peut-être plus spécialisés, peuvent être développés.
04:18Et je crois que c'est un positionnement qui est intéressant d'ailleurs à la fois pour
04:20l'Europe, où il n'y a pas non plus eu des investissements majeurs, en tout cas pas dans
04:24les mêmes montants qu'aux Etats-Unis, et également dans le continent africain, avec
04:27plutôt des couches applicatives sur les gros modèles, mais pour répondre à des besoins
04:31spécifiques.
04:32Donc ça peut être dans l'éducation, ça peut être dans la santé, on a fait un hackathon
04:35aussi intéressant avec Datacraft et Instadip sur le domaine agricole par exemple pour repérer
04:40à partir d'images satellites les zones de multiplication des criquets.
04:43Donc il peut y avoir comme ça des usages spécialisés, mais qui ont une forte utilité dans le contexte
04:48africain.
04:49Mais là la mission de l'AFD, c'est quoi précisément dans ce cas du développement
04:52de l'IA en Afrique ? Donc c'est travailler sur des cas d'usage, avoir de l'investissement
04:56aussi ou faire des prêts ? Comment vous opérez ?
04:59Alors il peut, en effet il y a plusieurs catégories d'intervention, il peut y avoir, il y aura
05:03besoin en Afrique de datacenters, d'infrastructures, de câbles sous-marins par exemple.
05:08Donc ça c'est un domaine dans lequel on va intervenir, plutôt par des investissements,
05:11en prêts ou en capital.
05:12La deuxième chose, on a fait une étude avec des collègues, notamment Peter Rado et Anastasia
05:17Tayem, pour identifier les drivers de l'IA sur le continent africain.
05:19Et à vrai dire c'est un peu les mêmes que dans le monde, il y a aussi besoin de produire
05:22plus de talents.
05:23Donc là ça peut être le soutien à des écoles d'ingénieurs, des gens qui vont travailler
05:26sur les métiers de la datacience, donc ça c'est extrêmement important.
05:29Et puis on va avoir besoin que les gouvernements développent des politiques data, de data
05:34de qualité, certifiées.
05:35Ça c'est encore un nouveau type d'intervention, notre filet Expertise France qui a travaillé
05:39avec le Sénégal par exemple, qui a mis en place une politique IA.
05:42Donc ça c'est pour savoir…
05:43Stratégie nationale.
05:44Stratégie nationale, comment est-ce qu'on produit de la donnée, comment est-ce qu'on
05:47la rend accessible, comment est-ce qu'on protège les consommateurs.
05:50Donc ça c'est encore un troisième type d'intervention, en plus de l'infra, des
05:54talents, il y a la gouvernance et la production de data qui vont être un champ d'investissement.
05:59Merci beaucoup Thomas Mélogneau.
06:00Je rappelle que vous êtes chef économiste de l'AFD, directeur exécutif de l'Innovation,
06:05de la stratégie et de la recherche.
06:06Merci pour vos éclairages.
06:07Merci.