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00:00Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Bellemare, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:12Imaginez un jour de septembre à l'oreille d'un bois rouge et jaune, une ferme isolée.
00:20Un bord de pierre, un tas de bois, un chien qui dort.
00:24À l'intérieur de la grande salle commune, une cheminée.
00:29Une cheminée comme on n'en fait plus, immense, en pierre taillée, noircie par des années de feu de bois.
00:38Le feu craque, siffle, éclate en étoiles multicolores.
00:42Les grandes bûches s'effondrent avec fracas.
00:46C'est un bon feu, vivant, joyeux, réconfortant, qui chauffe un peu trop pour cette journée d'automne à peine pluvieuse.
00:57L'image classique de tranquillité, de calme, de bonheur.
01:04Devant cette cheminée, un homme et une femme contemplent les flammes en silence.
01:13Le foyer est si large qu'un bœuf y est retiré tout entier, à l'aise.
01:22En se penchant un peu au-dessous du manteau de pierre, on peut apercevoir le ciel et entendre le vent siffler.
01:29C'est le vent d'Ouest, annonciateur de pluie.
01:34L'homme parle.
01:37« Tu crois qu'il dort ? »
01:40La femme tend l'oreille, étudiant le silence au milieu des craquements du bois.
01:46« Maintenant, il dort. C'est sûr. »
01:50« Il t'a battu ? »
01:52« Non. »
01:54« Tu m'avais dit qu'il te battrait. »
01:56« Il était trop sourd. Il n'a pas eu le temps. »
01:59« Oh, de toute façon, il me battra sûrement. Il me bat toujours. »
02:04L'homme tisonne le feu pensivement.
02:08C'est un maigrichon d'une quarantaine d'années, une sorte de vieil adolescent aux traits marqués, à la tignasse noire et épaisse au front, buté.
02:19« Va voir s'il dort bien. »
02:22La femme se lève mollement, l'air maussade, et se dirige vers l'escalier qui mène aux chambres sous le toit.
02:29Son pas fait craquer quelques marches, le bruit d'une porte que l'on tire avec précaution, puis de nouveau des pas.
02:36« Alors ? »
02:39« Il ronfle, comme un bienheureux. »
02:43La femme a dit cela d'un ton presque attendri, le ton un peu moqueur que l'on prend pour parler des petits-enfants, des gens que l'on connaît bien.
02:50Elle a dit « Il ronfle comme un bienheureux », comme si c'était agaçant, mais en même temps réconfortant, cet homme qui ronfle, là-haut, dans le grand lit, au premier étage.
02:59« Tu m'énerves. Je ne te demande pas s'il ronfle. Je te demande s'il dort. »
03:05« Je me méfie de lui. »
03:07« Oh ! Il n'y a vraiment pas de quoi. »
03:12D'un air là et résigné, la femme a regagné sa chaise devant le feu, qu'elle se met à contempler passivement.
03:18Physiquement, la femme est tout le contraire de son compagnon, aussi ronde qu'il est maigre, aussi blonde qu'il est noire.
03:24La quarantaine, elle aussi, mais une quarantaine aimable, bien qu'un peu fanée.
03:29L'homme la regarde maintenant de travers l'air mauvais.
03:33« Si c'est lui que tu veux, dis-le tout de suite. »
03:37« Ne te fâche pas. »
03:39« Viens plutôt te coucher. »
03:41« Non. »
03:44« Non, il faut qu'on parle. »
03:46« Mais on a déjà parlé des centaines de fois. »
03:49« Qu'est-ce que tu veux de plus ? Il est là de nouveau, on n'y peut rien. »
03:54« Tu ne peux pas t'y faire ? »
03:57L'homme ne peut pas s'y faire, non.
04:00Il hoche la tête en silence, les dents serrées, en regardant le feu.
04:06Il ne peut pas s'y faire.
04:08Des tas de choses se bousculent dans sa tête, des tas d'idées, aussi vite pensées, aussi vite abandonnées.
04:14Des tas d'idées épouvantables, toutes plus épouvantables les unes que les autres, mais irréalisables, trop compliquées.
04:25Il serait dangereux, chers amis, de nous attarder plus longtemps devant ce feu de bois innocent, témoin muet de ce dialogue entre deux individus saints de corps et d'esprit.
04:35Nous les retrouverons plus tard, mais je vous demande de bien garder en tête l'image de cette grande cheminée et de son feu craquant,
04:43l'image de ce couple parlant bas, celle de cet homme qui dort au premier étage.
04:49Le temps de vous raconter leur histoire et nous les retrouverons à la même place,
04:54jouant dans les dossiers extraordinaires la scène la plus effroyable, la plus incroyable, la plus démente qu'un tribunal ait jamais eu à reconstituer.
05:06Vous vous en rendrez compte tout à l'heure, parmi les monstres exceptionnels, il y en a encore malheureusement de plus exceptionnels que les autres.
05:19En 1930, Jean Martin est fermier dans un petit hameau de la région de Montbrison.
05:41Il vit avec sa femme, Isabelle, et les deux filles de cette dernière, Juliette et Marie.
05:49Juliette et Marie, 14 et 16 ans, sont nées d'un premier mariage de leur mère, un premier mariage qui fut moins confortable que le dernier, disons même misérable.
05:59Isabelle et ses deux filles, trimant du soir au matin plus servantes que fermières, abandonnèrent avec soulagement leur mari et père lorsque le pauvre homme succomba à la maladie et à la misère.
06:13Encore fallait-il trouver de l'embauche, ce qui n'était pas facile.
06:17Jean Martin, fermier riche et bon vivant, a besoin de bras justement, des bras de toutes sortes.
06:23Des bras pour lui faire la soupe et le ménage, s'occuper des poules et du verger, des bras aussi pour le tour de son cou.
06:31À 40 ans célibataire, il trouve donc plus intéressant d'épouser les bras dont il a besoin.
06:35Ainsi, en même temps qu'une femme solide, encore jeune, il hérite de deux filles aussi solides et en âge de travail.
06:42Il y a comme cela dans les campagnes des mariages qui ressemblent plus à une association qu'à une histoire d'amour.
06:48Pourtant, Juliette est amoureuse de son nouveau mari.
06:51Il faut dire que Juliette est facilement amoureuse, surtout si on l'épouse.
06:55Juliette est une âme simple dans un corps simple, qu'un homme, un vrai, lui demande de l'aimer et elle l'aime.
07:03Honnêtement d'ailleurs, très très honnêtement, après avoir demandé d'abord à M. le maire et à M. le curé s'ils sont d'accord.
07:10Si bien qu'à la ferme de Jean-Martin, tout le monde est à peu près heureux.
07:15Le mari et son épouse qui s'aiment et les deux filles qui mangent à leur faim.
07:20Vous voyez, jusque là, la vie est simple.
07:25Trop simple.
07:27Je vous le rappelle, Juliette, 14 ans et Marie, 16 ans, n'ont plus de père.
07:32Mais elles ont un beau-père.
07:34Un beau-père tout neuf, de 40 ans, en pleine force de l'âge.
07:38Et ce beau-père, un jour au détour d'un sentier, aperçoit la frimousse de Juliette, 14 ans, dépassant d'une meule de paille.
07:45La gamine n'est pas seule derrière cette meule de paille.
07:48Un coquin de son âge lui tient compagnie.
07:51Jean-Martin a le coup de pied au derrière, rapide, et le coquin détale non moins rapidement.
07:57Cet incident va donner des suites inattendues.
08:00Le beau-père tire l'oreille de sa plus jeune belle-fille et se lance dans un discours moralisateur.
08:06Mais qu'il a bien du mal à tenir.
08:09En effet, les manières qu'il adopte en famille, cette façon qu'il a de tirer complaisamment sur le corsage de sa propre femme,
08:16ne lui permettent guère de jouer les petits seins devant la gamine qui lui rétorque vertement.
08:21« Dis donc, et le jour où maman s'est sauvée en chemise jusqu'à la grange parce que tu lui courais derrière devant tout le monde ? »
08:27Difficile de répondre à ça, d'autant plus que c'est exact.
08:31Certains renseignements tendraient à prouver d'ailleurs que la maman n'avait même pas de chemise, mais nous n'insisterons pas.
08:37Jean-Martin ne répond donc rien ou pas grand-chose, mais regarde s'éloigner sa petite belle-fille d'un air songeux.
08:44La gamine ressemble à sa mère.
08:46Ce n'est plus une gamine d'ailleurs.
08:48À la campagne, les jeunes pousses vont vite et cette petite Juliette est bien délurée pour son âge.
08:54Quant à Marie qui a 16 ans, le beau-père se rend vite compte qu'elle est largement en avance sur sa cadette.
09:01À la fin d'un été particulièrement torride, le double drame éclate comme un orage.
09:08Isabelle, la mère, se rend bientôt compte que son mari ne considère plus ses deux belles-filles comme il le devrait.
09:16Jean-Martin, en effet, s'est tout simplement dit « telle mère, telle fille ».
09:21Il se les dit au pluriel.
09:23Les deux filles n'ont guère protesté et la situation semble irrémédiablement compromise.
09:29Alors que fait ?
09:31On parle à M. le curé.
09:33Jean-Martin, s'il est fidèle à l'église le dimanche, ne fait qu'y entrer et en sortir.
09:37Il n'a pas besoin de l'aide de Dieu et le seul péché qu'il prend en considération, c'est le pain que l'on gâche.
09:43Alors Isabelle supporte comme elle peut.
09:46Depuis qu'elle a compris, d'ailleurs, elle n'a tenté qu'une seule fois d'en parler à son mari et n'a pas recommencé.
09:51Jean-Martin est entré dans une colère si violente que mère et fille ont écopé des mêmes gifles sans distinction d'âge ni de préséance.
09:59Il ne reste plus qu'à se taire.
10:01Et on se tairait longtemps, on se serait peut-être tué à jamais, si un deuxième larron n'était venu se mêler à son tour de cette sombre histoire de famille.
10:13Ce deuxième larron, c'est le frère du précédent, c'est Antoine Martin.
10:19Antoine Martin est un personnage fort intéressant lui aussi.
10:23Tout aussi dépourvu de moralité que son frère aîné, Antoine sort de la prison de Clairvaux.
10:29Il vient d'y faire l'un des nombreux séjours que lui offre l'administration depuis qu'il marche tout seul.
10:33A 35 ans, Antoine considère en effet qu'il vaut mieux s'approprier le bien d'autrui, quitte à faire quelques tours en prison, plutôt que de travailler.
10:40Seulement, à chacune de ces récidives, les séjours allongent et cette fois-ci Antoine décide autre chose.
10:46Après tout, il a un frère, riche, qui vit à la campagne et l'air de la campagne lui fera du bien.
10:52Il débarque donc à la ferme.
10:55Il découvre sa belle-sœur Isabelle, la trouve charmante, accueillante et bien triste.
11:01Elle aime toujours son mari mais c'est pour elle de plus en plus difficile.
11:06On a beau être simple et fidèle, c'est dur de partager son mari avec ses propres filles.
11:12Ce sera Antoine le redresseur de tort.
11:15Antoine qui sort de prison ne craint pas de mettre de l'ordre dans une situation aussi amorale que celle-là.
11:20Antoine va voir les gendarmes.
11:23Antoine explique aux gendarmes, mon frère est un scélérat.
11:26Il a violé ses deux belles-filles, il terrorise sa femme.
11:29La justice doit faire quelque chose.
11:32Remarquez, on ne peut pas dire qu'il est tort.
11:34C'est vrai que Jean-Martin abuse de son autorité.
11:37C'est vrai qu'il a aussi abusé de ses deux belles-filles.
11:40Mais ce qui n'est pas plus beau, c'est que son propre frère le dénonce.
11:44Non pas au nom de la morale, ne croyez pas ça, surtout pas.
11:47Mais au nom d'un petit plan égoïste qui est le suivant.
11:52Premièrement, dénoncer Jean aux gendarmes et obtenir une enquête.
11:58Ensuite, convaincre la maman Isabelle de confirmer cette accusation.
12:06Et cette première partie du plan est exécutée.
12:10Alors que se passe-t-il ?
12:12On met Jean-Martin en prison.
12:14On éloigne les deux jeunes filles qui se retrouvent dans un orphelinat.
12:18Et Antoine Martin, le frère cadet, le justicier repris de justice,
12:22se retrouve en possession d'une ferme et d'une femme.
12:29Où est la morale dans tout ça ?
12:31Franchement parler, on ne sait plus.
12:33Disons quand même qu'il est préférable pour les jeunes filles
12:35de vivre en compagnie des religieuses de la ville voisine
12:38plutôt que de courir les champs.
12:40Donc, à l'orée du bois, Antoine Martin vit avec sa belle-sœur Isabelle Martin.
12:45Quant à Jean-Martin, le frère et le mari,
12:47ils rongent son frein en prison pour deux ans.
12:51Pendant ces deux ans, un nouvel amour va naître dans le cœur d'Isabelle.
12:54Je vous l'avais dit, elle est raisonnable.
12:56Puisque la justice a décidé qu'elle n'avait plus de mari,
12:58elle prend celui que le hasard lui donne.
13:01Elle se met à aimer sincèrement son beau-frère.
13:04Et la vie continue.
13:07Hélas, toutes les bonnes choses ont une fin.
13:16Les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast européen.
13:21Un matin de septembre,
13:23les portes de la maison d'arrêt de mon prison s'ouvrent
13:26devant une sorte de fou furieux.
13:29Nantie de son baluchon,
13:31Jean-Martin, bien décidé à récupérer son bien, sa femme et ses droits,
13:35empoche rageusement son pécule de libéré
13:38et avale en quelques heures la distance qui le sépare de sa femme.
13:44A force de vivre heureux,
13:46les coupables, Isabelle et son amant,
13:49se laissent quasiment surprendre au lit.
13:52Fidèle à son habitude, Jean-Martin règle le problème en deux temps et trois mouvements.
13:56Face à face, les deux frères s'affrontent du regard et des points.
14:00L'avantage est vite pris par les nez. Jean est costaud et foudrage.
14:03Antoine est malingre et pris en flagrant délit.
14:06Et bien maintenant, on peut discuter.
14:08Car si incroyable que cela paraisse, on discute.
14:13Jean-Martin s'assoit en bout de table dans la grande salle commune,
14:16demande à manger et expose le problème.
14:18« Bon, à partir de maintenant, le maître, c'est toujours moi.
14:22Je ne mets personne à la porte, à deux conditions.
14:25Et d'une, qu'Isabelle reste ma femme et celle de personne d'autre.
14:30Et de deux, Antoine travaille s'il veut manger.
14:34De plus, il dort dans la grange.
14:36Je ne veux pas d'un traître sous mon toit. »
14:40Dans son frère, il y a deux ans, Jean-Martin fait un calcul très simple.
14:45On lui a retiré les deux filles.
14:47Donc, il manque deux paires de bras à la ferme.
14:50L'ignoble petit frère va les remplacer.
14:54Quant à la femme, et bien Jean-Martin est sûr qu'elle obéira.
14:58Isabelle a toujours obéi.
14:59Il suffit à Isabelle qu'on lui donne un mari.
15:02Et Isabelle aime ce mari et lui obéit.
15:05Apparemment, tout le monde est d'accord.
15:07Enfin, si l'on peut estimer qu'Isabelle est d'accord,
15:09puisqu'elle baisse la tête sans maudire
15:11et qu'Antoine, lui aussi sans maudire, va établir ses pénates dans la grange.
15:17Deux jours passent.
15:19Disons plutôt deux rounds d'observation
15:21pendant lesquels Jean-Martin visite ses terres en sifflant son chien
15:25tandis qu'Isabelle et Antoine courbent les chines.
15:29Le jour du troisième round arrive.
15:32Ce jour-là, en partant à la foire,
15:35Jean-Martin dit
15:36« Femme, je rentrerai tard, chauffe mon lit et attends-moi sagement,
15:41vous gare à tes côtes.
15:42Quant à toi, Antoine, il y a du bois à couper pour l'hiver.
15:45Occupe-toi de ça, et de ça seulement, hein.
15:48On ne te voit pas rôder autour de la maison. »
15:53Alors Antoine a coupé du bois pendant un moment.
15:56Et puis il a rage au ventre.
15:58Il a jeté sa cognée et rejoint Isabelle.
16:02« Ça ne va plus durer.
16:03Il faut que tu choisisses, mon frère ou moi.
16:05Mais c'est toi que je veux, Antoine.
16:07Alors prouve-le.
16:08Dis-le lui.
16:09Dis-lui que c'est moi que tu veux.
16:11Mais il me battra.
16:12Mais s'il te bat, on verra bien. »
16:14Isabelle a voulu prouver.
16:16Elle a attendu son mari toute la soirée assis sur une chaise dans la cuisine
16:20pendant que son amant courageux se terrait au fond de la grange.
16:25Mais le mari est rentré complètement ivre.
16:28Il s'est abattu en hurlant de rire tout seul sur le lit conjugal
16:31pour s'y endormir comme un plomb, sans aucune discussion possible.
16:38Et nous y voilà.
16:40Oui, nous voilà revenus à ce soir de septembre 1932
16:45devant la grande cheminée de la ferme.
16:48Cette cheminée immense, comme on n'en fait plus de nos jours,
16:53où un bœuf entier pourrait retirer à l'être.
16:58Isabelle vient d'aller vérifier que son mari dormait comme un bienheureux.
17:02Quant à Antoine, décidément, il ne peut pas s'y faire.
17:06« Mon frère est un porc.
17:09Il mériterait qu'on le saigne comme un porc qu'il est. »
17:15À ce moment déjà, vous l'avez deviné,
17:18dans la tête d'Antoine, l'idée de supprimer son frère s'est installée depuis longtemps.
17:22Peut-être même la mijotte-t-il depuis qu'il attend son retour.
17:26Mais l'idée de supprimer quelqu'un n'est pas suffisante.
17:29Encore faut-il déterminer quand le supprimer, comment et avec quoi.
17:36Antoine rumine devant la cheminée
17:38où brûlent toujours les grandes bûches qu'il a sciées lui-même le matin.
17:44Lentement, une première décision prend forme.
17:49Jean est costaud, beaucoup plus costaud qu'Antoine.
17:53Dans une bagarre, il n'aura jamais le dessus.
17:56Il faut donc commencer par assommer Jean.
18:00Et voyez-vous, le plus simple, c'est ce que pense Antoine,
18:05le plus simple pour assommer quelqu'un,
18:08c'est encore de prendre un marteau et de lui taper sur la tête.
18:13Devant la cheminée, Antoine se redresse brusquement et s'adresse à Isabelle.
18:18« On va le tuer. »
18:20Isabelle fait « Ah ! » d'un ton interrogatif et peureux.
18:24Ses hommes finalement lui font peur.
18:26Elle les aime bien quand ils ne lui posent pas de problème insoluble,
18:29mais quand ils décident de donner des coups, de faire l'amour ou de tuer...
18:34Isabelle est incapable de les contredire.
18:37« Trouve-moi un marteau, Isabelle. »
18:40Isabelle trouve un marteau.
18:43Antoine l'assure fermement dans sa main droite et ordonne.
18:46« Ouvre-moi la porte, Isabelle. »
18:49Isabelle ouvre la porte.
18:52Antoine monte l'escalier, Isabelle sur ses talons.
18:56Dans le grand lit, Jean-Martin ronfle comme un bienheureux.
19:02« Trois coups de marteau, viole à moi à ses nez le cueil en plein sommeil,
19:05sans qu'il ait bougé d'un pouce. »
19:08Isabelle se penche.
19:11« Il n'est pas mort. »
19:13« Non. Non, il n'est pas mort. »
19:16Alors la rage décuple les forces d'Antoine.
19:18Il jette le marteau, se précipite vers la cuisine,
19:20s'empare d'un couteau gigantesque et meurtrier.
19:23Isabelle attend.
19:25Elle regarde.
19:28Elle regardera tout jusqu'à la fin.
19:33Elle aidera même de temps en temps.
19:37Est-elle d'accord ?
19:39Peut-être, peut-être pas.
19:41De toute façon, pour elle, un violent, un seul dans la maison vaut mieux que deux.
19:48Elle ne voit pas d'autre issu à sa situation.
19:53Je vous disais au début de cette histoire que parmi les monstres exceptionnels,
19:57il y en a qui le sont plus encore.
20:00Voyez pourquoi.
20:02Antoine a dit « Mon frère est un porc, il faut le saigner comme un porc. »
20:08C'est ce qu'il va faire.
20:12Il va prendre le temps qu'il faut.
20:15Et trois sauts.
20:18Il le racontera lui-même au procès.
20:22Ensuite, il déposera le corps de son frère dans la grande cheminée au milieu des bûches.
20:29Et il regardera avec Isabelle brûler le feu énorme.
20:36Jusqu'au bout.
20:39Jusqu'au petit matin.
20:42En tisonnant les bûches inlassablement.
20:47Ils ne feront même pas disparaître les cendres.
20:54Quelque temps plus tard, Isabelle montrera au gendarme une lettre soi-disant écrite par son mari
21:00et disant qu'il l'abandonne, qu'il a trouvé une autre femme en Belgique, qu'il ne veut plus d'elle.
21:05Et Isabelle innocemment demandera le divorce.
21:10C'est ainsi que, des mois plus tard, sur la table des pièces à conviction du tribunal de Montbrison,
21:18le greffier déposera de bien tristes choses.
21:22Un marteau, un couteau et un grand saut de cendres.
21:30Pendant des mois, soir après soir, à la veillée, Antoine tisonna le feu,
21:36Isabelle pendit la marmite dans la cheminée, sans crainte, sans souvenirs, sans émotions.
21:47Jusqu'à ce qu'un gendarme, pieusement, à l'issue d'une longue enquête,
21:52vienne recueillir les preuves matérielles de l'existence et de la mort de Jean Martin.
22:02Tous deux plaidèrent le crime passionnel, Antoine seul fut exécuté.
22:10La ferme isolée à l'orée du bois existe toujours, avec sa grande cheminée,
22:17une grande cheminée comme on n'en fait plus.
22:22La ferme isolée à l'orée du bois existe toujours, avec sa grande cheminée,
22:29une grande cheminée comme on n'en fait plus.
22:52Estelle Lafon, patrimoine sonore, Sylvaine Denis, Laetitia Casanova, Antoine Reclus.
22:59Remerciements à Roselyne Bellemare.
23:01Les récits extraordinaires sont disponibles sur le site et l'appli Europe 1.
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