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Au XVIIe siècle, les paysans commencent à savoir lire et écrire, au grand déplaisir des maîtres, les mêmes qui criminalisent les superstitions rurales et font la chasse aux sorcières de village.
En Angleterre, l'aristocratie s'empare des terres communales au nom du progrès et de la rentabilité. Pour survivre, les paysans se font ouvriers agricoles ou vagabonds. La France suit un autre chemin. Sa paysannerie se maintient et joue un rôle majeur dans la Révolution de 1789, qui met fin à mille ans de régime féodal. Année de Production :

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Transcription
00:00...
00:20Pendant plus d'un millénaire, l'Europe entière était paysanne.
00:25De génération en génération,
00:27des hommes et des femmes proches de la terre en ont pris soin
00:31pour se nourrir et nourrir leurs semblables.
00:35Mais que savons-nous de leurs peines et de leurs rêves,
00:37de leur solidarité et de leur révolte contre tous les dominants
00:41qui veulent s'emparer de leurs champs et de leur travail ?
00:46Privés de pouvoir et de récits,
00:49ce peuple paysan a longtemps vécu dans le silence et l'obscurité.
00:54Aujourd'hui, on le dit en voie de disparition.
00:57Pourtant, son histoire est plus actuelle que jamais,
01:01traversée depuis 15 siècles par une même question,
01:04celle de la terre et de son usage.
01:07...
01:16...
01:34Elles sont plus sages que nous.
01:36Ils sont allés se cacher dans la petite maisonnette.
01:41Ils sont allés se cacher dans la petite maisonnette.
01:44Bééé !
01:46Bééé !
01:49C'est pas qu'ils disent que les animaux sont stupides.
01:52Si on fait une comparaison avec les humains,
01:56il y a de quoi discuter, hein ? Il y a de quoi discuter.
02:00Bééé !
02:03Mon grand-père était un alphabète, ma grand-mère était un alphabète,
02:07l'autre grand-père était un alphabète, l'autre grand-mère était un alphabète.
02:12Mon père, qui était très doué,
02:15avait pu étudier jusqu'à faire cinq classes,
02:19et on voulait l'expédier au collège de prêtres.
02:22C'était la seule chance de continuer,
02:24mais il était juste jeune et il avait déjà refusé ça.
02:28Et ma mère n'avait pas terminé sa cinquième classe.
02:32Ils adoraient lire, bien sûr,
02:34et c'est ça qu'on a vu, nous, comme un héritage, si vous voulez.
02:39Ma mère et mon père ont toujours prétendu que nous, on étudiait,
02:44parce qu'ils avaient souffert
02:46de la soumission par rapport à ce qu'ils parlaient bien.
02:51C'est ça qu'ils disaient. Il faut connaître, il faut savoir.
02:59La question du savoir peut surgir aux endroits les plus improbables,
03:03entre la poire et le fromage, par exemple.
03:09Au Moyen Âge, on jugeait le fromage indigne des estomacs délicats,
03:14tout juste bon pour les paysans.
03:16Il sent mauvais comme eux, disait-on.
03:19Tandis que la poire, fraîche et délicate,
03:21était le fruit noble par excellence.
03:24Mais au XVe siècle, les goûts changent
03:27et le fromage associé à la poire devient un maire raffiné.
03:31Apparaît alors en Italie un curieux proverbe.
03:35Le paysan ne doit pas savoir que le fromage est bon avec la poire.
03:44Dans le proverbe italien qui dit
03:47que le paysan ne doit pas savoir que le fromage est bon avec la poire,
03:52l'important, c'est la connaissance.
03:55Empêcher la connaissance de quelque chose.
04:00Empêcher l'autre de manger quelque chose,
04:03parce que s'il y goûte, il va comprendre que c'est bon.
04:08Le paysan ne doit pas goûter telle ou telle chose
04:13parce que s'il essaie ces aliments, qui ne sont pas rares,
04:16et auxquels il pourrait très bien avoir accès,
04:19alors il mangerait comme un gentilhomme.
04:22Et s'il mange comme un gentilhomme, rien ne va plus.
04:29En Italie, comme dans d'autres pays européens,
04:33les textes disent explicitement
04:36qu'il faut maintenir les paysans dans l'ignorance.
04:40Faute de quoi, ils pourraient devenir dangereux,
04:43ils pourraient se mettre à penser.
04:46Cette conception du paysan comme un être un peu animal,
04:51au-delà du mépris qu'elle affiche, permet surtout de justifier l'idée
04:56qu'il doit être maintenu à l'écart de la société civile,
04:59à l'écart des instances de décision ou de réflexion.
05:04Le Christ, sur cette fresque d'une église italienne,
05:07montre aux paysans tout ce qui est interdit le dimanche.
05:12Danser, faire de la musique, jouer aux cartes,
05:15travailler, être au lit.
05:19Les paysans ne savent pas lire, on leur parle par image.
05:28Une autre église, la chapelle San Rocco du village de Montmartre,
05:32dans le village de Monterréal et dans le Frioul.
05:44Ici, le livre règne en maître, omniprésent dans toutes les fresques.
05:50Il y figure dans toutes les positions, pas moins de 16 fois.
05:54Mais c'est toujours le même, le livre unique,
05:58le livre saint, seule lecture autorisée.
06:03Un des parvoitiens fréquentant cette église à la fin du XVIe siècle
06:07est Domenico Scandella di Menocchio, le meunier.
06:12On connaît l'histoire de ce paysan rebelle et philosophe
06:15grâce à l'historien Carlo Ginzburg,
06:18qui a découvert les actes de son procès dans les archives de l'Inquisition.
06:23Menocchio est arrêté en 1580,
06:26dénoncé par le curé du village pour ses propos blasphématoires.
06:31Face à ses juges, il déclare qu'il aime lire
06:34et qu'il possède douze livres, dont la « Divine Comédie » de Dante
06:39et peut-être une version italienne du Coran.
06:42Et il a conscience que ce n'est pas tout,
06:45et qu'il n'en a pas besoin.
06:48« Les inquisiteurs ne veulent pas qu'on sache »,
06:52dit-il lors de son interrogatoire.
06:57Il cite souvent les voyages de Mandeville,
07:01un récit de périples extraordinaires dans des contrées inconnues.
07:07Mêlant cette imaginaire exotique à son expérience de tous les jours,
07:12Menocchio est un des plus grands écrivains du monde.
07:16Mêlant cette imaginaire exotique à son expérience de tous les jours,
07:20Menocchio invente sa propre version de la création du monde
07:23qu'il livre aux inquisiteurs stupéfaits.
07:32Au commencement, dit-il, était le chaos,
07:35qui se coagula peu à peu, comme le fait le fromage à partir du lait,
07:39et des vers y apparurent, qui devinrent les anges,
07:42et au nombre de ces anges, il y avait aussi Dieu lui-même,
07:45né comme eux de ce chaos.
07:51Menocchio est brûlé vif, en 1600, pour avoir rêvé d'un dieu paysan.
08:03À la même époque, les inquisiteurs font une autre découverte
08:07dans le village de Brasano, à une journée de marche de Montréal.
08:13Une secte de paysans qui se donnent le nom de ben andanti,
08:17ceux qui marchent bien.
08:19Ils disent se rendre certaines nuits en rêve dans des champs éloignés,
08:24où ils se battent à coups de branches de fenouil
08:27contre des sorciers armés d'épis de sorgho venus pour voler leurs récoltes.
08:36Tous les accusés insistent.
08:38Ces voyages et ces batailles nocturnes n'ont eu lieu qu'en rêve.
08:42Mais les inquisiteurs ont une autre vérité.
08:49Pendant longtemps, l'Église a traité la sorcellerie de village
08:53comme une simple superstition de paysans crédules.
08:56Mais en cette fin de XVIe siècle, son attitude change.
09:01La sorcellerie est désormais une immense conspiration collective.
09:06C'est le mythe du sabbat, inventé de toutes pièces
09:09par des docteurs en démonologie,
09:11et qui nourrit encore l'imaginaire de ce film de 1922.
09:19Des milliers de sorcières volant à cheval sur leur balai
09:22se retrouvent de nuit pour adorer Satan et détruire le monde chrétien.
09:31On retrouve ce même récit dans tous les aveux de prétendus sorciers,
09:35comme ceux des ben andanti,
09:37qui, après des années de prison, finissent par renoncer à leur propre vérité
09:42et avouent qu'ils adorent Satan, comme le leur dicte leur juge.
09:48Pourtant, dans ces aveux extorqués,
09:50on peut parfois entendre leur véritable voix.
09:53On la reconnaît, dit Carlo Ginzburg,
09:55quand l'inquisiteur note qu'il ne les comprend pas.
09:59Nous avons, disons,
10:02une couche profonde de croyances paysannes
10:07qui sont liées à la fertilité des récoltes,
10:13sur lesquelles les inquisiteurs ont imposé
10:18une réinterprétation diabolique.
10:20Les témoignages sont toujours liés aux rapports d'inquisiteurs.
10:25Ce sont les paysans accusés qui parlent lorsqu'ils parlent.
10:30Là, encore une fois,
10:32je pense qu'il y a un problème qui touche pas seulement l'historien,
10:36mais tous ceux qui essayent de comprendre quelque chose,
10:42pas seulement pour ce qui concerne les passés,
10:45mais aussi les présents,
10:48c'est-à-dire tous ceux qui sont en train d'interpréter
10:52l'hierarchie des pouvoirs implique aussi une hiérarchie des témoignages,
10:56un accès aux voix qu'on peut saisir, imaginer.
11:02Peut-être qu'ils sont là, silencieux, on ne sait rien.
11:07C'est l'inquisition qui a permis
11:12d'évaluer l'hierarchie des pouvoirs.
11:17L'inquisition qui a permis de saisir des propos
11:25qui, normalement, auraient été, disons, perdus pour toujours.
11:30Et là encore, on trouve cette ambiguïté,
11:34c'est-à-dire que c'est l'intolérance, la violence
11:38qui, disons, travaille d'une façon qui n'est pas intentionnelle
11:45pour saisir des documents d'une culture
11:49qu'elle cherche à effacer.
11:54Une leçon de morale chrétienne, l'arbre des vices.
11:58Luxure, avarice, orgueil et leurs excroissances.
12:03Au pied de l'arbre, le nouveau couple diabolique,
12:06à la racine de tous les mots, le paysan et la femme.
12:15Les paysannes sont les principales cibles de l'épidémie de chasse aux sorcières
12:19qui ravagent l'Europe du XVIe et XVIIe siècle,
12:22faisant des dizaines de milliers de victimes.
12:25Juges et inquisiteurs s'acharnent avant tout contre les plus faibles,
12:30les plus isolés au sein de la communauté,
12:33les vieilles femmes célibataires ou veuves
12:36auxquelles on prête des pouvoirs maléfiques.
12:39Envoûter les hommes, rendre malades les animaux,
12:42détruire les récoltes, tuer d'un simple regard.
12:49Des manuels expliquent comment reconnaître et traquer
12:53ces sorcières et leurs compagnons,
12:56des bêtes aux noms étranges qu'on appelle leurs familiers.
12:59Il n'est pas de sorcières de village
13:02qui ne soient ainsi entourées d'animaux réels ou imaginaires.
13:05C'est dire leur importance dans l'économie campagnarde.
13:09Le plus pauvre des paysans en possède.
13:12Mais pour que les bêtes le nourrissent,
13:15il doit d'abord les nourrir lui-même.
13:20Avec le peu de terre qu'on a, on ne pourrait pas nourrir 120 moutons.
13:24Quand on en avait 250, c'était encore pire.
13:27Aux alentours, on a ici des terres abandonnées, pratiquement.
13:32Donc on laisse...
13:35Ça fait partie du paysage, on laisse les moutons aller.
13:38Quand c'était dans l'Etat, mes arrières-grands-pères,
13:41à la montagne, c'était des terres collectives.
13:44Ou de la mairie.
13:47Et donc les bergers allaient pâturer
13:51et se refusaient de payer un loyer à la mairie
13:54parce qu'ils disaient...
13:57Il y avait une expression dialétale pour dire
14:00« droits de pâturage ». Et c'était une expression sacrée.
14:03Droits de pâturage,
14:07tous ceux qui ont des animaux ont le droit
14:10de pâturer sur les montagnes.
14:13Jusqu'au fascisme, personne ne faisait rien.
14:16C'était normal. Ils allaient pâturer.
14:19Là encore, c'était des herbes de la mairie,
14:22de privés qui avaient abandonné les terres.
14:26Mais ça se fait encore.
14:29Si vous allez dans la campagne romaine,
14:32vous verrez des troupeaux de moutons qui pâturent.
14:35Et tu ne sais pas si le berger paye quelque chose à quelqu'un.
14:39Ça se fait. C'est une espèce de nommatisation permanente
14:42qui circule avec l'état,
14:45l'herbe et l'œil du propriétaire de la terre
14:48qu'il faut manœuvrer pour ne pas se faire repérer.
14:51Quelquefois, on lui file un agneau,
14:55trois fromages...
14:58La nourriture du troupeau,
15:01préoccupation constante des anciennes communautés villageoises,
15:04est régie par un ensemble d'usages collectifs
15:07qui redéfinissent tout l'espace rural
15:10en fonction de ce qui est permis ou non.
15:14Il y a l'espace du droit de parcours
15:17où plusieurs villages voisins se mettent d'accord
15:20sur la libre circulation de leurs troupeaux respectifs
15:23à condition que chaque troupeau regagne son village d'origine
15:26avant la tombée de la nuit.
15:30Il y a l'espace commun de l'inculte
15:33qui appartient au village
15:36et où tous les habitants de ce village
15:39peuvent paître sans limite et en tout temps.
15:42Il y a l'espace du champ privé
15:45où tout villageois a le droit de mettre son bétail en pâture
15:49mais uniquement une fois la récolte faite,
15:52ce qu'on appelle le droit de veine pâture.
15:55Et enfin, il y a l'espace interdit du jardin paysan,
15:58celui du retour à la propriété privée
16:01du chacun chez soi.
16:07Aujourd'hui encore, la survie des terres communales,
16:10là où il en reste, est directement liée à celle du bétail.
16:18Malheureusement, nos terres communales
16:21rétrécissent comme peau de chagrin.
16:25Il y a 15 ans, vous auriez vu 800 vaches ici.
16:28Aujourd'hui, elles ne sont plus qu'une dizaine.
16:31Les troupeaux collectifs se réduisent
16:34parce que les paysans disparaissent.
16:37Or, qui dit moins de paysans actifs dit moins d'animaux
16:40et donc moins de terres communales.
16:44Par ricochet, cette diminution permet aux grandes industries
16:47de s'engouffrer dans la brèche
16:50et de s'emparer des espaces qui tardent à être repris
16:53par de jeunes paysans.
16:56Plus la communauté paysanne s'amenuise,
17:00plus l'accès aux terres communales diminue.
17:03Les communautés ont débarqué en disant
17:06que ces terres sont inexploitées,
17:09on veut les rendre économiquement productives
17:12et on les entretiendra.
17:15C'est donc une porte d'entrée qui permet à l'agro-industrie
17:19d'accaparer les grands espaces qui sont, pour le moment,
17:22plus ou moins laissés à l'abandon.
17:25Mais c'est aussi le problème
17:28du pouvoir de négociation des communautés.
17:32Aujourd'hui, les gens ne réclament pas ce qui leur revient.
17:35Même s'ils possèdent des animaux, ils se désespèrent.
17:38Ils les vendent et ils renoncent à être paysans
17:42au lieu de se lever et de revendiquer leur droit à la terre.
17:48Dès le Moyen Âge, les troupeaux plus importants
17:51sont confiés à des bergers de métier,
17:54en marge de la communauté villageoise,
17:57fréquentant plus les bêtes que les hommes.
18:00Ce sont tantôt des figures positives,
18:04comme les bons bergers de la Bible,
18:07tantôt des solitaires taciturnes, doués de pouvoirs maléfiques,
18:10dont on dit qu'ils peuvent se transformer en loups,
18:13comme dans la fable de la Fontaine,
18:16et dévorer le troupeau qu'ils sont censés garder.
18:25Valdifiem, une vallée alpine au nord de l'Italie.
18:28Ici, les bergers sont respectés
18:31et considérés comme des hommes de confiance.
18:35Chaque été, ils mènent les troupeaux communaux
18:38des villages de la vallée dans les alpages d'altitude,
18:41ce qu'on appelle la transhumance verticale.
18:44Un trajet difficile et dangereux,
18:47tout au long duquel ils ont laissé des traces de leur passage.
18:5150 000 inscriptions, dont la plus ancienne date du XVIe siècle,
18:54peintent à même les parois rocheuses.
18:58Des dessins, des croix indiquant la taille des troupeaux,
19:01des textes témoignent de la culture de cette société à part,
19:04liée par un savoir commun.
19:09Loin du village, la montagne devient un espace de liberté et de jeu.
19:12C'est à qui montera plus haut
19:15pour laisser son nom aux endroits les plus inaccessibles,
19:18atteint grâce à un arbre abattu ou en revenant en hiver
19:22pour profiter de la neige accumulée.
19:28En Irlande, où les pâturages d'été sont plus faciles d'accès,
19:31l'estive était une pratique communautaire.
19:34Les jeunes filles du village montaient avec le troupeau
19:37et restaient à le garder pendant tout l'été.
19:44Ces pierres, c'est tout ce qui reste aujourd'hui
19:47des cabanes où elles vivaient ensemble pendant quelques mois.
19:50La vie de ces jeunes filles,
19:53à l'écart du village,
19:56dans ces espaces frontières où naissent les légendes.
19:59La plus répandue raconte les amours
20:03d'une jeune fille avec une créature surnaturelle
20:06déguisée en homme pour la séduire.
20:54La jeune femme de la chanson regrette d'avoir quitté
20:57les pâturages d'été pour se retrouver en ville,
21:00dans les basses terres, adulte et mariée.
21:04Cela donne une idée de ce qui lui manque.
21:07Il y avait davantage de liberté dans l'estive.
21:10C'était surtout des jeunes adolescentes
21:13qui vivaient en groupe
21:16et pendant le temps qu'elles passaient dans la montagne,
21:20elles pouvaient chanter, danser, rencontrer des amis,
21:23rencontrer d'autres bergères venant d'autres parties de la vallée
21:26ou même d'autres vallées.
21:29Parfois, de jeunes garçons venaient leur rendre visite
21:32et ils faisaient la fête ensemble.
21:35C'était donc un temps de détente, de liberté,
21:39un moment où elles avaient l'occasion de s'exprimer,
21:42d'exprimer leurs talents
21:45sans être contrôlés par d'autres.
21:48Il y a un dicton,
21:51en galique, ça veut dire
21:54« elle a rapporté la danse de l'estive ».
21:58Ce qui veut dire qu'elle danse très bien
22:01et qu'elle a dû la prendre dans la montagne.
22:04Il y a donc l'idée que la montagne,
22:07sans échapper entièrement aux contrôles de la communauté,
22:10était un lieu où les jeunes avaient peut-être
22:14un peu plus d'espace pour vivre leur propre vie.
22:17Malgré ces aires innovantes,
22:20malgré ces aires innocentes,
22:23l'estive traditionnelle est considérée comme un danger
22:26par les colonisateurs anglais qui occupent l'île
22:30à partir du XVIe siècle
22:33et livrent une guerre sans merci aux rebelles irlandais.
22:36De fait, il y a une lettre d'un général anglais,
22:39Sir George Caron, écrite en 1600
22:42à propos de cette province de Munster, justement.
22:46Il se plaint disant que la rébellion n'aurait pas duré
22:49aussi longtemps sans tous ces gens
22:52qui emmenaient les troupeaux dans les montagnes
22:55et la forêt pour l'été.
22:58Car alors, on perdait ces personnes de vue
23:01et les rebelles pouvaient monter avec elles
23:05pour se réfugier là-haut.
23:08L'occupant anglais voit dans la transhumance elle-même
23:11une preuve de la barbarie irlandaise.
23:14Ils n'ont pas de maison, écrit l'un d'entre eux.
23:17Ils se déplacent avec leurs troupeaux à la manière des nomades,
23:20pareil à des bêtes sauvages, toujours prêts à se révolter.
23:24Il faut les fixer dans les villages et les bourgs.
23:27C'est exactement le même langage
23:30que tiendront deux siècles plus tard
23:33les occupants français en Algérie.
23:36Pour civiliser les bergers,
23:40il faut les transformer en agriculteurs.
23:43Il y a toujours cette dualité entre agriculteurs et bergers.
23:46Civilisation nomade, pastoral,
23:49et civilisation agricole.
23:52Un excellent médiéviste a écrit
23:55que les bergers, ce sont toujours les autres.
23:59Malgré tout, les communautés paysannes d'Europe
24:02maintiennent une économie mixte.
24:05Et c'est justement ce mélange d'agriculture et d'élevage
24:08qui les caractérise.
24:11Ce sont des communautés d'agriculteurs
24:15et même s'ils se spécialisent dans l'élevage,
24:18ils restent agriculteurs.
24:22Il faut bien garder cela en tête
24:25car c'est sans doute ce qui fait leur spécificité.
24:28Il n'y a pas d'opposition entre éleveurs et agriculteurs
24:31par définition.
24:34Cet équilibre entre agriculteurs et éleveurs
24:38est rompu quand l'économie s'en mêle.
24:41C'est le cas de la grande transhumance espagnole
24:44qui voit entre le XIVe et le XIXe siècle
24:473 millions de moutons traverser le pays chaque année,
24:50descendant au sud pour l'hiver, remontant au nord pour l'été.
24:53Pour une fois, le chevalier à la triste figure
24:56ne se trompe pas de beaucoup.
25:00Les auteurs les plus sérieux de l'époque
25:03comparent cette transhumance à la marche
25:06d'une gigantesque chasse à pied
25:09à l'arrivée d'une chasse à pied
25:12à l'arrivée d'une chasse à pied
25:16à l'arrivée d'une chasse à pied
25:19à l'arrivée d'une chasse à pied
25:22à la marche d'une gigantesque armée
25:25qui ravage tout sur son passage.
25:28L'enjeu de cette transhumance horizontale est économique.
25:31La laine des mérinos transhumants,
25:35bien plus fine que celle des moutons sédentaires,
25:38est le principal produit d'exportation
25:41et la principale source de revenus de l'État.
25:44D'où le soutien sans réserve que les rois d'Espagne
25:47accordent aux grandes associations d'éleveurs
25:50qui sont les plus importantes.
25:54Regroupant des propriétaires de troupeaux
25:57de toutes tailles identifiés par leurs marques distinctives,
26:00les associations gèrent le recrutement
26:03de bergers professionnels,
26:06les négociations avec les villes et les villages traversés
26:10et la répartition des pâturages tout au long de parcours
26:13allant jusqu'à 800 km sur des chemins spécialement réservés
26:16placés sous la protection du roi d'Espagne lui-même.
26:2010 grandes routes traversent ainsi l'Espagne
26:23et partout où elles passent,
26:26la transhumance impose sa loi
26:29par une série de décrets officiels.
26:32Interdiction d'ériger des clôtures
26:36pour protéger les terres communales.
26:39Interdiction de toute extension de l'eau.
26:42Interdiction de l'utilisation de l'eau
26:45pour protéger les terres communales.
26:48Interdiction de toute extension de champs
26:51qui pourraient nuire au parcours.
26:55Obligation de laisser paître les troupeaux
26:58et d'entretenir les points d'eau pour qu'ils puissent s'abreuver.
27:03Quant aux forêts traversées, c'est open bar.
27:06Les troupeaux et leurs bergers peuvent se servir à volonté
27:09avec les conséquences que l'on imagine.
27:13Et pour couronner le tout,
27:16l'Etat dispose de sa propre police et de ses propres tribunaux
27:19qui lui permettent de poursuivre les paysans récalcitrants
27:22ou, dans le nord du pays, les petits bergers pyrénéens
27:25qui cherchent à protéger leurs propres alpages.
27:40Aujourd'hui, la transhumance est devenue le symbole nostalgique
27:43d'une liberté perdue, tandis que la gigantesque machinerie
27:47de la Mesta est tombée dans l'oubli.
27:50Elle n'a pas survécu à l'effondrement
27:53du marché de la laine au début du 19e siècle
27:56ni au jugement des économistes libéraux du 20e
27:59qui ont condamné cette transhumance d'Etat
28:03comme une monstruosité typiquement espagnole,
28:06un obstacle au progrès et au développement économique.
28:10Le jugement est aujourd'hui plus nuancé.
28:16On ne doit pas se faire une image romantique de cette époque
28:19ni la déformer pour y voir un monde harmonieux.
28:22C'est une période extrêmement conflictuelle
28:26mais dans laquelle l'expression de la communauté compte énormément.
28:34Quand on se penche sur l'histoire de la ganaderie,
28:37quand on se penche sur l'histoire de l'élevage
28:40dès les premiers textes, les sources parlent
28:43d'oteros et de mestas, c'est-à-dire
28:47des assemblées périodiques de bergers d'une même région.
28:50Et de quoi discutent-ils dans ces assemblées ?
28:53De l'état des pâturages, de l'état de l'eau.
28:56Comment la partager ? Combien de bêtes y a-t-il ?
28:59Comment s'en occupe-t-on ?
29:03Par quelles routes passer pour arriver à tel endroit ?
29:06Quelles sont les étangs, les abreuvoirs, les puits ?
29:13Tous ces éléments sont nécessaires
29:16à la pérennité de la communauté paysanne.
29:19Pour se reproduire et continuer à vivre
29:22en tant que groupe social et économique,
29:26elle doit tenir compte de la manière
29:29dont elle exploite les ressources naturelles
29:32du milieu dans lequel elle vit.
29:351968, les barricades du mois de mai à Paris,
29:39les tanks russes du mois d'août à Prague
29:42et la guerre du Vietnam.
29:45C'est le moment que choisit l'américain Garrett Hardin
29:48pour se livrer à une attaque d'une rare virulence
29:51contre les communs ruraux,
29:55disparus pourtant en Occident depuis plus d'un siècle.
29:58La chose est d'autant plus surprenante que Hardin
30:01n'est pas un historien, mais un biologiste,
30:04qui s'intéresse à l'innovation du capital génétique
30:07de la race blanche aux USA.
30:35Pour illustrer sa thèse,
30:38Hardin prend l'exemple d'un pâturage communal.
30:41L'homme étant un animal raisonnablement égoïste,
30:45chaque paysan cherche à maximiser son propre profit,
30:48donc à augmenter le nombre de ses propres vaches.
30:51Et comme tous, ce n'est qu'en France
30:54qu'il s'agit d'un pâturage communal.
30:57C'est-à-dire qu'il s'agit d'un pâturage communal
31:00qui permet d'augmenter le nombre de ses propres vaches.
31:04Et comme tous font pareil et négligent le bien commun,
31:07le pâturage est surexploité et, en fin de compte, détruit.
31:10Tandis qu'au nom de la même rationalité économique,
31:13le propriétaire privé va préserver son propre bien.
31:16C'est évidemment oublié
31:20que les communs, terres et usages
31:23sont précisément réglementés par les communautés villageoises
31:26et que le respect de ces règles
31:30est non seulement la condition de leur survie,
31:33mais aussi le ciment de leur cohérence économique et sociale.
31:36Mais n'est-ce pas sur tout cela qu'on leur reproche ?
31:39Comme le dit au XVIIIe siècle un partisan de leur abolition,
31:43plus il y a de communs dans un village,
31:46plus ses habitants sont farouches
31:49et plus ils se livrent facilement
31:52aux excès les plus dangereux pour la société.
31:55C'est l'Angleterre,
31:58qui est la première, entreprend dès le XVIIe siècle
32:02la destruction systématique des communs.
32:05Le pouvoir royal mène la charge.
32:08Comme dans les Fénelands,
32:11ces zones marécageuses au nord-est du pays
32:14que le roi privatise en 1626 pour en faire cadeau à ses proches.
32:18Les paysans se révoltent.
32:28Le roi de l'Angleterre,
32:32le roi de l'Angleterre,
32:35le roi de l'Angleterre,
32:38le roi de l'Angleterre,
32:41le roi de l'Angleterre,
32:44le roi de l'Angleterre,
32:48le roi de l'Angleterre,
32:51le roi de l'Angleterre,
32:54le roi de l'Angleterre,
32:57le roi de l'Angleterre.
33:01Après 20 ans de résistance sporadique,
33:04les paysans sont vaincus.
33:07Aujourd'hui, il ne reste plus de leur marée
33:10que cette petite réserve naturelle
33:13cernée par les champs.
33:17Mais ce qui a le plus marqué
33:20le paysage anglais et l'imagination des contemporains,
33:23c'est le mouvement des enclosures,
33:26clôtures érigées par les grands propriétaires terriens autour des terres
33:30communales dont ils se réservent l'usage et autour de leurs propres champs qu'ils
33:35interdisent ainsi au parcours coutumier du bétail.
33:40L'enclosure consiste en ce qu'un propriétaire terrien revendique pour
33:44lui-même la propriété exclusive des terres communales.
33:49C'est un processus très anglais, qui requiert des lois du parlement
33:54spécifiques pour chaque village. Je ne crois pas qu'il y ait un lien
33:59direct entre les enclosures et les redevances sur les terres communales que
34:03réclamaient les seigneurs du Moyen-Âge, car les enclosures changent le statut
34:09même des terres, transformant des terres incultes en terres cultivées.
34:16Quand les seigneurs s'approprient des terres, les paysans n'ont plus aucun droit
34:21dessus. En revanche, quand les seigneurs exigent une redevance pour l'usage de la
34:26terre, les paysans conservent le droit de l'exploiter.
34:31Revendiquer la propriété est donc beaucoup plus radical. Cela l'est même
34:35tellement que les enclosures nécessitent de modifier la législation, raison pour
34:40laquelle il faut une loi du parlement pour clôturer.
34:47Les enclosures provoquent des centaines d'émeutes locales au XVIe et XVIIe siècle.
34:52Rares sont celles qui ont laissé une trace. Mais sur cette carte des environs
34:57de Norwich, on a dessiné l'emplacement d'un chêne. L'arbre, si c'est bien le
35:02bon, existe toujours. On l'appelle le chêne de Kett, du nom du chef des
35:08paysans insurgés du Norfolk. En 1549, c'est au pied de cet arbre qu'ils se
35:15sont rassemblés pour aller s'attaquer aux clôtures, puis s'emparer de la ville
35:19de Norwich. Après trois semaines d'occupation, ils ont été défaits et
35:25Kett, leur chef, pendu sur les remparts de la ville.
35:37Avec l'accaparement des communs, la campagne devient la chasse gardée de
35:41l'aristocratie, réservée à ses loisirs et à son enrichissement.
35:48Chassés de chez eux, les paysans partent par centaines de milliers mendiers sur
35:52les routes ou cherchés du travail en ville.
36:01La misère et la désertification des campagnes sont le prix à payer pour cette
36:06révolution agricole anglaise, s'adaptant aux variations du marché pour donner la
36:11priorité tantôt aux moutons, tantôt aux céréales, quand le cours de la laine baisse.
36:21L'Europe entière admire et cherche à imiter le modèle anglais. En France, il a
36:26de nombreux partisans au sein de l'administration royale.
36:33La monarchie connaissait bien sûr ses enclosures et elle pensait en mettre.
36:40Et il y a une pression très forte des agronomes, des économistes pour dire
36:45ces terrains improductifs, ces usages qui ne sont pas du tout efficaces, il faut
36:49mettre fin à tout ça, il faut faire comme les Anglais et on va faire de la
36:54grande culture partout et forcément cette grande culture sera toujours plus
36:58efficace que la petite. On est dans le cadre de la physiocratie, dans le cadre
37:01de l'agronomie militante et donc la grande exploitation est forcément, comme
37:06en Angleterre, quelque chose d'efficace. La petite propriété est inefficace.
37:11Donc la monarchie a fait des édits de clôture et des édits sur les communaux
37:16mais elle ne s'est guère donné les moyens de les appliquer. Alors pourquoi ?
37:21Eh bien sous Louis XV, on a envoyé un envoyé spécial en Angleterre pour
37:27enquêter et pour dire qu'est-ce qu'il faut faire ? Est-ce que c'est bien ? Alors il est
37:31revenu et alors le rapport qu'il a fait était catastrophique.
37:35Il a dit, il faut surtout pas faire ça. Qu'est-ce que vous allez provoquer ? Vous allez
37:41provoquer la ruine des pauvres, ils n'auront plus accès aux produits
37:45collectifs. Qu'est-ce qu'ils vont faire ces pauvres ? Ils vont aller à la ville,
37:50désœuvrer, ça va créer des troubles. Ce que vous allez provoquer c'est
37:55quasiment des révoltes, des troubles, des conflits, il faut surtout, surtout pas
38:00faire ça.
38:05Jean Petit qui danse, Jean Petit qui danse, de son doigt il danse, de son doigt il danse, de son doigt, doigt, doigt, de son doigt, doigt, doigt. Ainsi danse Jean Petit.
38:22Sous ses dehors enfantins, cette chanson populaire décrit les soubresauts d'un
38:25corps supplicié. Roué en 1643, celui de Jean Petit, chef d'une des nombreuses
38:32révoltes de croquants, ces grandes jacqueries antifiscales que la France a
38:37connues au XVIIe siècle. Toutes se sont terminées par la défaite
38:42des paysans insurgés.
38:47Ces révoltes ont pris fin au début du XVIIIe siècle.
38:52Dans la France apaisée, le monde rural est alors divisé en trois catégories.
38:57Les manouvriers qui ne possèdent que la force de leurs bras, qu'ils louent pour
39:02subsister. Les laboureurs, paysans indépendants qui
39:07possèdent un train de labours et suffisamment de terre pour pouvoir en
39:11vivre. Et tout en haut de l'échelle, l'élite paysanne, les gros fermiers
39:16exploitant parfois plusieurs centaines d'hectares.
39:21Entre ces trois catégories, les tensions sont permanentes. Pour les moissons, les
39:27gros fermiers font chaque année appel à des milliers de manouvriers qui profitent
39:30de ce moment critique pour se mettre en grève et forcer les gros fermiers à
39:35accepter leurs conditions. Ce sont des mouvements violents et
39:40carnavalesques que les autorités appellent bacchanal et dont les meneurs,
39:44s'ils sont pris, risquent les galères. Les laboureurs, quant à eux, rivalisent
39:51avec les gros fermiers pour l'accès à la terre. Moins riches, ils vivent dans la
39:56crainte perpétuelle de perdre leur champ et de se retrouver déclassés en
40:01simples manouvriers. Enfin, en cas de conflit entre laboureurs et gros fermiers,
40:08les plus riches peuvent compter sur l'appui des plus pauvres, les manouvriers,
40:12leurs employés et obligés.
40:17Mais les paysans, toutes catégories confondues, ont un ennemi commun, le
40:28seigneur féodal ou celui qui en a racheté les droits.
40:33Au XVIIIe siècle, les droits féodaux connaissent un grand regain. Les seigneurs
40:38qui ont besoin d'argent cherchent à rentabiliser leur terre. Ils font appel à
40:43des arpenteurs, employant de nouvelles techniques de relevé pour mettre à jour
40:48les plans des parcelles. Le but, c'est de corriger les
40:52empiétements et toutes les autres libertés prises par les paysans au fil
40:56du temps pour recalculer, toujours à la hausse, les droits qui leur sont dus.
41:03Les paysans ne comprennent plus la seigneurie et ne comprennent plus ce que
41:07c'est. Parce qu'au départ, vers l'an 1000, le seigneur a concédé des terres contre un
41:16droit, une sorte de location. Et on pouvait admettre que le seigneur
41:21était finalement le propriétaire. Mais au fil des siècles, le seigneur s'est
41:26détaché de plus en plus et les autres ont pris l'habitude. Au départ, ils ne
41:30pouvaient même pas transmettre ces terres. Maintenant, ils font ce qu'ils
41:33veulent. Le paysan peut vendre, il peut transmettre, il peut hypothéquer, il ne se
41:38prive pas, il peut échanger, il cultive ce qu'il veut.
41:44Quels sont les freins ? À part le fait qu'il doit payer ses redevances. Et il
41:50comprend même plus pourquoi il doit payer ses redevances, puisqu'il se sent
41:54propriétaire. Le seigneur dit, mais vous avez tel droit à payer, parce qu'il y en
41:59a une infinité. Quelquefois absolument ridicule, quelquefois une paire de gants,
42:03des trucs incroyables, mais il faut payer. Mais pourquoi on paierait ça ? On est
42:08propriétaire, on est chez nous. Qu'est-ce qu'il nous veut ? Qu'est-ce qu'il nous
42:12offre en échange ? Rien. Autrefois, il nous offrait sa protection. Il y avait les
42:17brigandages, il y avait les guerres féodales, c'est fini tout ça. Pourquoi on
42:22continuerait à payer à la seigneurie ? Donc effectivement, il y a un mouvement de
42:28contestation forte d'un régime sénéral qu'on ne comprend même plus. Il n'y a plus
42:33que le seigneur qui comprend un peu de quoi il s'agit, mais lui, il est juge et
42:37parti.
42:39Le 14 juillet 1789 à Paris, vu par un film des années 30 de Jack Conway.
43:06La révolution qui éclate en France est tout sauf une surprise.
43:12L'année précédente a connu d'importantes émeutes paysannes dues à la
43:17disette, provoquées par une mauvaise récolte et aggravées par la spéculation
43:21sur le prix du blé. La populace ne connaît plus ni les ordres du roi, ni les
43:27juges, ni la marée chaussée, ni rien, écrit un fonctionnaire dépassé. La
43:34colère paysanne a préparé la révolution politique qui, en retour, lui
43:39donne une nouvelle dimension.
43:42Après la prise de la Bastille, au milieu du mois de juillet, eh bien les paysans
43:46entrent en révolution. Ils entrent en révolution à partir d'un mouvement qu'on
43:50appelle la grande peur et, si je peux me permettre, ça démarre avec une
43:55fake news, on dirait aujourd'hui, des rumeurs. Des rumeurs comme quoi les
44:00seigneurs, comme quoi les aristocrates chercheraient à se venger du mouvement
44:05révolutionnaire en ayant soldé des bandes de brigands. Des bandes de brigands
44:09qui viendraient incendier les récoltes, attaquer les villages de paysans. Et je
44:14rappelle que la France connaît une très très grave disette, elle connaît une
44:18grave risque fondamentale. Donc la France attend avec impatience la nouvelle
44:23récolte. Donc si cette récolte est décrite,
44:25effectivement les risques de famine seraient grands. Donc les communautés
44:28paysannes se mobilisent. Et c'est une mobilisation qui est défensive, c'est à
44:34dire qu'on organise des patrouilles de jour comme de nuit, on surveille les
44:38récoltes, on surveille les bois et puis rien ne vient.
44:41Alors ce mouvement défensif va se transformer en mouvement offensif. Le
44:47paysan mobilisé se retourne cette fois contre le système seigneurial.
44:53D'un mouvement défensif de protection, on arrive à un mouvement offensif qui
44:58est tourné contre la seigneurie.
45:00Entre le 20 juillet et le 4 août 1789, les paysans attaquent des centaines de châteaux et de monastères.
45:09Les bâtiments sont mis à sac. Des colombiers, privilèges seigneurial, détruits.
45:15Les pigeons, mangés. Mais la véritable cible des paysans, c'est le cabinet des
45:22archives, là où sont les documents, les titres qui prouvent leur suggestion et
45:27disent tout ce qu'ils doivent payer, tant pour le sens, impôts en argent, que
45:32pour le champard, une part de leurs récoltes.
45:40Dans la nuit du 4 août, pour apaiser les campagnes, l'Assemblée vote l'abolition
45:45des droits féodaux. Mais ce n'est qu'un trompe-l'œil.
45:53Très rapidement, les députés vont revenir sur l'engagement de la nuit du 4 août et
45:59vont faire une séparation entre les droits féodaux qui sont immédiatement abolis,
46:04qui sont les droits féodaux personnels, les droits féodaux symboliques, comme par exemple
46:08le droit de chasse, le monopole de la pêche du seigneur, la primauté du seigneur à l'église,
46:14les banalités, tout ça, c'est abandonné. Mais en revanche, on considère que les
46:20droits féodaux qui pèsent sur la terre, c'est de la propriété. Et la propriété, c'est une
46:25valeur sacrée chez les hommes de 89, comme chez la plupart des hommes de la Révolution.
46:32Or, abolir les droits féodaux qui pèsent sur la terre, donc en particulier le sens,
46:40le champard, eh bien c'est attentatoire à la propriété. Et là, la Révolution est
46:46en porte à faux. Et là, il va y avoir une dissonance, une grande incompréhension avec le monde paysan.
46:54Le sort des communaux usurpés sous l'Ancien Régime est une source permanente de conflits.
47:01Celui qui oppose à l'automne 1790 les villageois de Gournay dans l'Oise au seigneur local
47:08a pour enjeu des pommes. Les pommiers litigieux sont plantés sur la voirie communale.
47:15Mais le seigneur s'en attribue toujours la propriété. Les villageois proclament que la Révolution
47:21leur a rendu les arbres et leurs fruits et organisent une cueillette collective.
47:27Le seigneur fait appel aux autorités qui envoient l'armée. Les paysans veulent sonner le toxin
47:34pour appeler du renfort. Mais le curé, complice du seigneur, a caché les cordes des cloches
47:41et la clé du clocher. L'armée récupère les pommes et les rend alors propriétaires illégitimes.
47:56L'arbre de mai, qu'on plante pour célébrer le retour du printemps, est un ancien rite pratiqué dans toute l'Europe.
48:05En 1789, les paysans français en font l'emblème de leur Révolution en y accrochant tout le bric-à-brac
48:13de l'oppression féodale. De l'écritoire, symbole des registres haïs, à la girouette, privilège de la maison seigneuriale.
48:25Mais il faudra encore quatre ans de lutte paysanne pour que le régime féodal soit enfin réellement aboli
48:31après mille ans d'existence.
48:46La Révolution célèbre l'agriculture et les paysans. Ils sont désormais citoyens à part entière.
48:54Cette nouvelle dignité laisse toutefois intactes les inégalités villageoises,
48:59la propriété des uns et des autres étant proclamée sacrée.
49:05Mais les paysans vivent mieux. Libérés du poids des prélèvements féodaux, vendant cher leurs produits aux villes
49:12où les bouleversements politiques engendrent la disette, ils s'enrichissent, profitant d'une révolution qu'on dit bourgeoise,
49:20mais qui est tout autant paysanne.
49:30Ce n'est qu'un demi-siècle plus tard que les idées de la Révolution française parviennent jusqu'au Vorarlberg,
49:36une vallée reculée de l'Empire autrichien, où les vaches font l'objet d'un véritable culte,
49:42à la fois source de toute richesse, mais aussi, dit-on, douée de pouvoir magique,
49:48capable de parler et de prédire qui mourra dans l'année, surtout à Noël, quand sonne minuit.
50:00Au printemps 1859, un jeune berger emmène ses vaches au pâturage d'été
50:06quand un pont de bois sur le torrent s'effondre, l'entraînant dans sa chute.
50:15Emportés par le courant, ils se retrouvent comme Buster Keaton, les gags en moins.
50:21Et alors qu'ils luttent pour sauver sa vie, les autres bergers le regardent se noyer et passent leur chemin.
50:33« J'étais dans ma solitude », écrira-t-il plus tard.
50:42Il s'appelle Franz Michael Felder.
50:46Il aime lire et surtout écrire, depuis ses cahiers d'écoliers jusqu'aux livres qui le rendent célèbre,
50:52mais lui va l'hostilité des autres villageois qui lui reprochent de trahir la communauté
50:58en cherchant à s'élever au-dessus de sa condition.
51:15Découvert à l'âge de 24 ans, célébré dans toute l'Allemagne comme paysan poète,
51:20il choisit de rester à Schöpernau, où il organise la fronde paysanne contre les deux maîtres de la vallée.
51:28Gallus Mossbrugger, appelé le baron Fromager, qui contrôle le marché et impose ses conditions aux paysans pauvres,
51:36et son complice, le curé du village, qui prêche aux mêmes paysans l'humilité et l'obéissance.
51:46Felder meurt à l'âge de 30 ans.
51:50Pendant de longues années, l'église refuse qu'il soit enterré dans le cimetière du village
51:55et sa tombe est reléguée sur un terrain vague voisin.
52:00La vengeance de l'église ne s'arrête pas là.
52:02Dans le registre des décès, le curé de Schöpernau a ajouté un point d'interrogation,
52:09comme pour réaffirmer qu'on ne pouvait pas être à la fois paysan et poète.
52:17C'est petit, c'est mesquin, mais c'est aussi un signe que les temps ont changé,
52:22que le paysan n'est plus celui à qui on peut tout simplement refuser l'accès au savoir,
52:28comme dans le vieux proverbe de la poire et du fromage.
52:33En fait, paradoxalement, le peuple s'est approprié ce proverbe.
52:39Alors même qu'il est au départ dirigé contre les paysans.
52:44Ne dit pas au patron que le fromage est bon avec la poire, dit-on par plaisanterie.
52:50Ou encore cette dernière version.
52:53Le paysan ne doit pas savoir que le fromage est bon avec la poire,
52:57sauf que le paysan, qui n'est pas couillon, le savait bien avant le patron.
53:38La création de ces sous-titres a été faite par la communauté d'Amara.org

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