Jeudi 13 février 2025, INTROSPECTION reçoit Chiara Corazza (Directrice Générale, Women's Forum for the Economy and Society)
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00:00Bienvenue à l'émission Introspection, une émission qui nous permet de mieux découvrir
00:13le savoir-être de personnalités emblématiques.
00:16J'aurai le plaisir d'accueillir aujourd'hui Chiara Corazza, qui figure parmi les 100 femmes
00:23les plus influentes de la planète, polyglotte, elle est incontournable au G7, au G20, suivez-moi
00:31et nous allons la rencontrer tout de suite.
00:32Chiara Corazza, bonjour, je suis absolument ravie de vous accueillir dans mon émission
00:40Introspection.
00:41Comme vous le savez, aujourd'hui, on va essayer de faire un entretien un petit peu différent
00:45de ce que vous avez l'habitude de vivre.
00:47On vous connaît, mais est-ce qu'on vous connaît si bien que ça finalement ? Est-ce
00:50qu'on connaît toutes ces valeurs qui vous habitent, toutes ces actions que vous
00:54menez ? Vous êtes une citoyenne internationale, vous avez une connaissance de multiples langues,
01:01vous avez une double nationalité, donc on va commencer cet entretien en parlant de vous,
01:06enfant, bébé, où êtes-vous née ?
01:08Merci beaucoup, Lucie Desjardins, c'est vrai que j'ai l'habitude de parler beaucoup
01:13sur la scène internationale, mais pas de moi, parce que c'est vrai que ce n'est
01:16pas ma nature de vouloir m'exposer ou de prendre la lumière, mais je vous suis très
01:21connaissante parce que je crois que c'est important aussi de connaître ce qu'on porte,
01:24ce qu'on est, ce qu'on a envie de faire, de façon très personnelle, donc j'aime
01:28beaucoup cette idée de quelque chose d'intimiste, effectivement, très différent.
01:33Alors, je vais vous dire, j'ai été très gâtée par la vie, je suis née un 4 décembre
01:40sous la neige, sous les collines de Parme, Parme qui est une ville où la liberté, la
01:46démocratie, le sens, l'envie de conquérir du monde a toujours été très forte, c'est
01:53des gens libres, qui n'ont jamais été esclaves, et où peut-être que je respirais
01:57depuis que j'étais petite cette envie, effectivement, de pouvoir porter les valeurs
02:01auxquelles je tiens.
02:02Vous êtes trois sœurs, et trois sœurs qui sont vraiment toutes pas banales avec des
02:08parcours assez incroyables, et toujours cette envie de vouloir aider l'autre, il y a
02:15bien une histoire d'éducation derrière, non ?
02:17Alors, on est trois sœurs, un frère, qui arrivait le dernier, après, dont j'étais
02:22un peu la mère, parce qu'on a 9 ans d'écart, et c'est vrai que je me suis beaucoup occupée
02:26de lui, parce qu'il était très fier de dire que sa maman était jeune et jolie,
02:29qu'il allait venir chercher à l'école avec la voiture décapotable, donc j'étais
02:33une mère bis, très populaire chez mon frère, et encore maintenant, j'ai toujours ce sens
02:39vraiment de quelque chose de différent vis-à-vis de lui, alors qu'avec mes sœurs, toutes
02:43les trois, c'est vrai que depuis qu'on était toutes petites, on avait envie de changer
02:47le monde, on avait envie de soulever les montagnes, on avait envie de se rendre utile, et chacune
02:51l'a fait à sa façon, dans des pays différents, mais toujours animée de cette force, de cette
02:58énergie qui dit « on a beaucoup reçu, il faut qu'on give back to the community,
03:03il faut qu'on répare les injustices, il faut qu'on essaye d'apporter vraiment
03:07quelque chose que nous pouvons faire, parce qu'on a eu beaucoup, y compris vous parlez
03:13de langue, d'éducation, de possibilités, donc mettons tout cela au service des gens
03:19qui l'ont vraiment besoin ».
03:20Vous avez transmis ces valeurs à vos enfants ?
03:22Oui, bien sûr, absolument, mes enfants dont je suis très fière, et d'ailleurs je veux
03:28le dire aux auditrices, surtout plus jeunes, vous savez, vous pouvez faire beaucoup de
03:33choses dans la vie, vous pouvez travailler 24 heures sur 24, vous pouvez voyager énormément,
03:37ce qui est mon cas, j'ai travaillé dans 80 pays, et avoir des enfants qui ne se sont
03:42pas abandonnés, qui ne se sont pas laissés de côté parce que la mère travaille.
03:47L'important c'est leur dire, leur partager ce que vous êtes en train de faire, leur
03:51faire sentir fière que si maman n'est pas là, c'est parce qu'elle fait quelque
03:55chose de bien pour d'autres, et chaque fois partager avec eux, et je crois que c'est
04:00important, et c'est un message auquel je tiens beaucoup parce que je connais beaucoup
04:03de jeunes mamans qui disent « ah mais vous comprenez, si je passe beaucoup de temps sous
04:08le travail, mes enfants vont souffrir ». Vous savez qu'actuellement, j'avais fait
04:12faire un sondage qui m'a beaucoup frappé, 53 personnes, des hommes et des femmes des
04:18pays du G7, pensent que c'est impossible d'être une bonne mère et faire carrière,
04:2453%, et on est en 2023.
04:26Et on va parler du G7 tout à l'heure.
04:27Et je voudrais dire ça parce qu'il n'y a rien d'être plus beau que les enfants,
04:32notamment les filles, disent « maman tu sais, qu'est-ce que je suis fière de ce
04:38que tu fais ».
04:39Vous n'avez jamais eu la culpabilité d'être absente dans des moments importants ?
04:43Non, parce que moi je suis convaincue, et ça vraiment, c'est le temps.
04:47Mes enfants savent que du jour au lendemain, j'aurais tout laissé si j'avais un problème,
04:51si j'avais un enfant malade, si j'avais un enfant qui avait besoin, ou mon mari, pareil,
04:55j'aurais tout laissé du jour au lendemain.
04:56Moi je n'ai jamais travaillé pour moi, je travaille pour de belles causes, et si
05:00la belle cause était m'occuper des miens, je l'aurais fait.
05:03Donc ils le savaient, ils le sentaient, mais en même temps, vous savez, si vous le racontez,
05:08je vous donne un exemple, moi je me rappellerai toujours, mes enfants étaient tout petits,
05:12j'allais beaucoup à Madagascar, parce que Madagascar faisait partie d'un des pays
05:15que j'avais choisis, pour lesquels la région de France, où j'étais directeure des affaires
05:19internationales, avait un programme d'aide au développement.
05:22Et je me rappelle, je suis arrivée une fois, dans des conditions que je ne vous raconte
05:26pas, juste après deux cyclones, Desi et Giralda, qui avaient détruit l'île, c'était 92,
05:32mais détruit l'île.
05:33Evidemment, nous on avait une coopération, tout le monde disait comment on allait faire
05:36les routes, comment on allait faire le truc, et moi j'allais voir les enfants dans la
05:40boue, peste et choléra, peste et choléra, je veux dire, c'était pas, je prends quelques
05:46petites bactéries, c'était vraiment, vraiment dangereux, et je me demande, mais pourquoi
05:50ils sont tous dans la rue ? Et bien parce que les 27 lycées de la ville sont tous détruits.
05:54Donc, je rentre au Dardar, je convainc le conseil régional à voter un programme pour
05:59reconstruire, on était en février, je voulais absolument qu'en septembre ils puissent
06:03aller à l'école.
06:04Et j'ai réussi.
06:05Mais chaque fois que je racontais à mes enfants que je vais à Madagascar pour ça,
06:08ils me disaient, mais alors, qu'est-ce qu'ils t'ont dit ? Et quand je racontais qu'eux
06:13me disaient, vous savez madame, je vais être la meilleure de la classe, parce que maintenant
06:16que vous nous avez donné un moyen pour faire, je disais à ma fille et à mon fils, vous
06:20savez, eux, ils n'ont rien, même pas des murs, vous, vous êtes Henri IV à Stane,
06:25vous avez notre responsabilité.
06:27Donc, c'était très éducatif, c'était très bon pour eux.
06:30Pareil, quand je voyais les gamines dans les rusières au Vietnam, on pense toujours que
06:35le Vietnam c'est un pays chaud.
06:36Je peux vous dire qu'à Hanoi, en décembre, quand le vent arrive directement de Sibérie,
06:40vous voyez ces filles grelottées avec les pieds jusqu'en… et qu'est-ce qu'on
06:45fait ? On leur donne une chance.
06:46Moi j'ai créé là-bas l'école supérieure des techniques informatiques, ayant en tête
06:53que ces filles des rusières pourraient étudier l'informatique et avoir un travail ailleurs.
06:57Et quand je racontais à mes enfants, je peux vous dire que ça les stimulait.
07:01Donc c'était une bonne façon pour eux de dire voilà, maman ne voyage pas, maman
07:06quand elle va quelque part, fait quelque chose qui est bien pour d'autres enfants que
07:10nous sommes.
07:11Et vous Chiara, qu'est-ce que ça vous apporte, ce sentiment d'utilité ? Quand vous vous
07:22regardez dans la glace le matin, il y a quoi ? Il y a une satisfaction, une joie ?
07:27Je n'imagine pas une Chiara Koretsa qui tous les soirs ne se couche pas en disant
07:31« aujourd'hui je fais quelque chose d'utile, sinon ce n'est pas moi ». Donc ce n'est
07:35pas que ça m'apporte, c'est moi, c'est ma façon d'être, j'ai toujours été
07:38motivée par ça.
07:40C'est un lien avec le catholicisme que vous projettez ?
07:44J'étais certainement éduquée d'une façon extrêmement privilégiée.
07:50J'étais très bien éduquée, avec à disposition énormément de livres, de possibilités.
07:54On m'a donné beaucoup de possibilités, il fallait les saisir.
07:57Et si vous voulez, je suis certaine que le fait que j'étais éduquée dans le sens
08:03aimez-vous les uns les autres, que l'amour, la générosité, le don de soi était quelque
08:09chose qui correspond aux valeurs du catholicisme, certainement ça m'a…
08:14Ça vous a impactée ?
08:15Non, c'est-à-dire que je sais qu'il y a un but dans la vie, je ne suis pas orpheline
08:20de quelque chose.
08:21Je sais qu'il y a un but dans la vie, et peut-être que ça peut être d'autres religions,
08:25ça peut être d'autres religions qui ont la même chose, mais c'est cette conviction
08:29qu'on n'est personne si on n'est pas les autres.
08:32Mais bien probablement vous avez raison de mon éducation catholique dans laquelle j'étais…
08:38On va passer à un autre sujet tout de suite, car votre vie est dense et riche.
08:43À tout de suite.
08:48Chiara, est-ce qu'on peut dire que les fées se sont penchées sur votre berceau ? Est-ce
08:53qu'on peut dire que vous avez de la chance ? Est-ce qu'on peut dire que vous avez une
08:57énergie hors du commun ? Qu'est-ce qu'on peut dire de vous ?
09:00Les fées se sont penchées sur mon berceau, j'ai eu beaucoup de chance, mais j'ai
09:05aussi su saisir la chance, saisir les opportunités.
09:10C'est le fameux libre arbitre.
09:11Oui.
09:12Alors, comment ça se passe ? Vous avez 17 ans, vous êtes en terminale ou en première
09:18et… Terminale, terminale.
09:19J'ai fini mon bac à 17 ans et j'ai eu une opportunité unique, c'est-à-dire que
09:23la directrice de l'école m'a demandé tout simplement d'enseigner l'allemand,
09:27puisque c'était ma langue maternelle, dès la quatrième à la terminale.
09:31Et dans ce cas-là, je n'avais aucune vocation pour être prof, mais vous vous passez de
09:37l'autre côté de la barrière avec vos anciens profs et vous vous dites « c'est un challenge
09:42». Parce que moi j'étais d'une timidité maladive et le fait de devoir enseigner à
09:46des jeunes, quelqu'un qui avait plus âgé de moi d'ailleurs, parce que moi j'étais
09:50très jeune.
09:51Et donc si vous voulez, c'est vrai que c'était un vrai challenge, mais en même temps, j'ai
09:55poursuivi ce qui m'intéressait moi, c'est-à-dire devenir journaliste, parce que j'étais
10:00convaincue qu'avec la plume, avec des éditoriaux grinçant très fort, on pouvait
10:05changer le monde.
10:06Et vous êtes devenue journaliste.
10:07Donc j'ai commencé au Daily American, ce qui est un combat, et puis je me suis battue
10:11pour rentrer au Globe, dont j'ai vu vraiment la naissance.
10:14Et je dois dire, j'ai eu la confiance d'hommes qui ont créé en moi.
10:18On était deux femmes au Globe, une qui est devenue une grande journaliste, et moi qui
10:22étais beaucoup plus jeune, et j'ai pu travailler avec les plus grandes signatures.
10:26Et vous ont mentoré un petit peu ? Ils vous ont aidé ?
10:28Non, ils ne m'ont pas mentoré, c'était moi qui… je voulais absolument me rendre
10:32utile avec eux, donc je faisais tout pour faire en sorte qu'ils m'apprécient.
10:36Et j'ai eu une fois une idée géniale, c'est-à-dire que j'ai demandé à faire des portraits
10:41des grandes personnalités de l'époque, comme personnes humaines.
10:45Et ça ne se faisait pas.
10:46Nous, c'était un journal économique international, moi j'étais au desque de l'économie
10:49de l'international, il n'y avait pas de fait divers, et j'ai proposé de faire le
10:52premier portrait de Margaret Thatcher, en sachant que si je le faisais, j'aurais droit à
10:57la signature.
10:58Parce que je n'avais pas le droit de signer, je m'étais cessée, c'était déjà un
11:01miracle.
11:02Moi, je traduisais les dépêches de l'FP, je mettais en forme les trucs de Reuters,
11:07ou d'Amérique latine, je suivais la guerre des Mandouines, parce que je parlais bien
11:11espagnol.
11:12Vous étiez grand reporter ?
11:13Sur place.
11:14On ne m'a pas laissé partir.
11:16Alors, ça, c'était une de mes grandes frustrations, l'hustle de Jean Kerr.
11:21Il y avait un bateau italien, avec les militaires italiens, qui partaient au Liban en 82, en
11:27plein gare du Liban.
11:28Et moi, je me suis portée volontaire, et mes parents m'ont dit « Kara, tu connais
11:31tout le monde au Liban, tu as plein de copains, etc. ». Et le directeur m'a dit « trop
11:35blonde, trop jolie, trop jeune, donne l'ordre ». Je n'ai pas voulu, je ne l'ai pas
11:41parlé pendant une semaine, alors que ses directeurs…
11:43Ce sont peut-être des mots qui ont résonné en vous, et qui vous ont donné aussi.
11:47Et je me suis vengée, je me suis vengée, très vite.
11:49J'ai fait quelque chose que je n'aurais jamais dû faire.
11:52Trois jours après, cette affaire du bateau, à minuit, on avait… Vous savez, à l'époque,
11:57c'était des faxes.
11:58On reçoit un dépêche qui nous dit que le Belgrano, le bateau amiral argentin, coule.
12:06Vous savez qu'en Argentine, tout le monde a hussé Madame Thatcher, tout le monde est
12:11côté argentin, bien entendu.
12:13Donc, je me dis « tiens, c'est la fin de la guerre ». Mais je n'avais pas le droit
12:18d'aller en typographie.
12:19Vous savez, c'est l'été typographie, on changeait les petits trucs à la main,
12:22c'était 82.
12:23Je suis descendue, sans demander l'autorisation de personne, c'était une heure du matin,
12:27je n'appelais personne.
12:28Je suis descendue, on dit « il faut changer la première page, il faut mettre la photo
12:31du Belgrano qui coule en disant « vers la fin de la guerre ». » Et lui m'a dit
12:35« mais vous avez l'autorisation ? » et j'ai dit « oui ».
12:37Audace.
12:38Les lendemains, on était l'unique journal en Europe, même pas les Anglais, qui avait
12:44la nouvelle que la guerre était vers la fin.
12:47Et après, j'ai demandé de faire l'interview de Margaret Thatcher, je suis allée chez
12:51elle à Downing Street, j'ai eu le droit pendant une heure et demie, Margaret Thatcher
12:55qui m'a montré comment elle faisait les œufs le matin, etc., et j'ai pu signer
12:59mon premier article en montrant que c'était une femme humaine, que c'était quelqu'un
13:02de tout à fait normal, et que cette dame de fer tellement haïe en Italie avait une
13:07famille, des enfants, etc., parce qu'on ne parlait jamais de ça.
13:10Et justement, ça me fait penser à une chose, pourquoi vous avez quitté l'Italie ? On
13:14est ravis de vous accueillir en France.
13:16Moi, j'adorais travailler au Globe, j'étais vraiment en train de faire une carrière,
13:20et bien c'est par amour, je suis juste tombée amoureuse d'un Français, et maintenant
13:26ça fait 40 ans que nous sommes mariés, je suis en France.
13:28Et alors, vous arrivez en France, vous faites quoi ?
13:30Alors, j'ai fait quelque chose de très disruptif, j'ai commencé à dire, moi je
13:36ne veux pas m'appeler Madame Poujade, mon beau-père était Robert Poujade, un grand
13:42monsieur, le premier ministre de l'environnement en France, député, président du conseil
13:48régional de Bourgogne, maire de Dijon, personne pour laquelle je n'estime pas possible,
13:52amie du général, amie du maireau, mais moi je ne voulais pas être la pièce rapportée,
13:57et puis je ne voulais surtout pas que mon mari fasse de la politique, donc j'ai dit écoute,
14:00moi Dijon, non, moi Madame Poujade, non, bien sûr que je suis mariée, mais je veux continuer
14:07à me débrouiller toute seule.
14:08Indépendante.
14:09Ça ne se faisait pas en 84, je peux vous dire qu'il n'y avait pas beaucoup d'étrangers
14:12qui venaient en France et qui ne prenaient pas le nom de son mari en France à l'époque.
14:16C'est clair.
14:17Et c'était en plus un geste indépendant et courageux, parce que bien entendu, quand
14:21on arrive en France sans connaître personne et qu'on tenait la belle-fille d'eux,
14:25ça vous ouvrait toutes les portes.
14:26Mais l'indépendance, c'est ce qui vous caractérise, donc après vous êtes partie
14:29sur de multiples projets, est-ce qu'on peut parler de ceux qui vous ont vraiment vraiment
14:35marqués ?
14:36Écoutez, moi j'ai fait beaucoup de choses qui m'ont vraiment marquées, pour lesquelles
14:39je suis très fière.
14:40Je crois que quand j'étais à la région de France pendant 17 ans, j'étais directeur
14:44des affaires internationales, je crée Metropolis, l'association internationale des grandes
14:49métropoles.
14:50Je crée la coopération internationale dans le sens Pékin, Tokyo, Moscou.
14:55Qu'est-ce qu'on peut faire pour améliorer la vie des citoyens dans ces pays ? Je me
15:00rappelle toujours le gouverneur du CAIR qui m'a dit « Chiara, tous les jours, on a
15:041 500 personnes qui arrivent au CAIR.
15:06Moi, je n'ai pas d'eau, je n'ai pas de déchets à gérer, je n'ai pas de logement.
15:10Qu'est-ce qu'on fait ? Donnez-nous des clés, vous qui êtes une ville du nord,
15:13vous qui êtes la région de la France, une des plus riches du monde, aidez-nous.
15:17» Et donc, j'étais animée par cet esprit des transferts de savoir-faire, avec les grandes
15:21entreprises bien sûr françaises derrière, donc c'était aussi du business bien entendu,
15:25mais ça partait quand même d'une idée très généreuse toujours, de dire comment
15:28on peut éviter aux villes du sud, aux grands métropoles où vivent les gens, on était
15:32autant des métropoles, autant de la décentralisation, autant où les gens venaient des campagnes
15:38dans les villes.
15:39Il fallait leur donner des quoi.
15:41Et donc, si vous voulez, c'était passionnant et j'ai pu monter des accords absolument
15:44incroyables avec Hanoi, avec des pays incroyables et ce qui m'a vraiment marquée, c'est
15:50l'impact qu'on pouvait avoir, c'est-à-dire que c'est ce qu'on pouvait faire.
15:53Vous aviez ce pouvoir-là de pouvoir agir comme ça.
15:55On pouvait créer des écoles, on pouvait sortir les filles des rizières au Vietnam
15:59pour leur donner des quoi, s'éduquer, on pouvait travailler au moment de la fin
16:03de l'apartheid à Soweto pour faire en sorte que ces gens puissent vivre différemment.
16:08On pouvait aussi bien entendu faire quelque chose dont je suis absolument fière, donner
16:13de l'espoir à des gens, par exemple au Liban, on en a beaucoup parlé tout à l'heure,
16:17au Liban au moment de la fin de la guerre en 92, on a parlé directement avec le président
16:22Raoui et dans tous les projets qu'il y avait pour la reconstruction du Liban, celui qui
16:26m'était le plus cher, c'était le bois des pas, parce que je connaissais bien Beyrouth,
16:2935 hectares au coeur de la ville, j'avais en tête les images de femmes avec les poussettes
16:35et des amoureux qui s'embrassent dans les bancs, et bien c'est un no man's land
16:38au milieu de rien, avec les bombes, si la région de France, c'est-à-dire si on ne
16:42l'avait pas pris en main, ce serait maintenant construit partout et les Libanais n'auraient
16:47pu un parc au centre de la ville où ils pouvaient vivre.
16:50Ça, plein plein d'autres choses, et moi je suis très fière, on a reconstruit tous
16:54les lycées quand on arrive après les cyclones, on a fait des choses vraiment bien, et j'avoue
17:01que c'était une grande satisfaction, et l'autre grande satisfaction, beaucoup plus tard.
17:05Cara, on va parler du G7, du G20, où là, vous avez eu de multiples satisfactions.
17:10Alors ça, c'est plus pour les femmes.
17:12Et on va arriver à ce sujet tout de suite, merci.
17:15Cara, félicitations pour toutes ces actions liées à l'intérêt général,
17:24et maintenant, on va parler d'un sujet qui m'est cher, à savoir les femmes.
17:28Vous êtes extrêmement engagée, vous avez fait énormément de choses pour les femmes,
17:33et d'ailleurs, vous êtes notre représentante au sein du G7 et du G20, est-ce qu'on peut
17:39en parler ?
17:40Très volontiers, parce qu'en fait, les femmes, c'est quelque chose qui m'est
17:43venu spontanément, je me suis toujours appuyée sur les femmes pour être efficace et pour
17:48réussir.
17:49Partout dans les pays où j'ai voulu faire avancer les choses, automatiquement, je me
17:53suis retrouvée avec des femmes qui devenaient complices, solidaires, amies.
17:56J'ai des amis dans le monde entier, avec lesquels on a resté depuis des années et
18:01des années en contact, parce que justement, on a des biens communs.
18:05Alors, moi, je ne suis pas une vraie féministe, comme on peut l'entendre, parce que je considère
18:10que tout cela doit être fait de façon harmonieuse, les hommes et les femmes.
18:14Et quand on m'a demandé d'aller prendre les rênes du Women's Forum en 2017, je
18:22me suis demandé « mais pourquoi moi ? ». Et je me suis dit en fait, parce que, je pense
18:27que ce n'est pas une question de genre, c'est parce que moi, ma contribution va être
18:31de faire en sorte que les femmes soient là où le monde en a le plus besoin, tout ce
18:35qui est intelligence artificielle, changement climatique, les « Women in Tech », l'accès
18:41au capital pour pouvoir faire des choses parce que c'est avec l'argent qu'on peut
18:45mener des projets.
18:46Bien entendu, tout ce qui est aussi la justice, pour que les femmes puissent… Mais ce n'était
18:54plus pas pour protéger et aider les femmes, c'était plus pour que les femmes jouent
18:59pleinement le rôle, vous savez, on est en train de vivre une polycrise incroyable, dans
19:04tous les domaines, on a besoin de tous les talents.
19:07Moi, je dis toujours dans mes interventions, quand un général veut gagner la guerre,
19:11il fait appel à tout le monde, et nous, on laisse de côté la moitié de la planète.
19:14C'est juste du gaspillage.
19:16Donc, c'est ça qui m'anime, et c'est ça que j'ai toujours essayé de faire,
19:20faire en sorte que les femmes puissent avoir les mêmes opportunités, les mêmes occasions
19:26que les hommes pour pouvoir les mêmes compétences, les mêmes assets, les mêmes atouts pour
19:32pouvoir être là où je suis.
19:33Je me suis beaucoup occupée d'investissements internationaux, et je vois souvent comme les
19:37femmes avaient une vision à long terme pour investir, pour avoir des projets qui avaient
19:41un impact.
19:42Peut-être plus que les hommes qui sont plus cotérimistes, et ça m'a beaucoup, beaucoup
19:47influencée.
19:48Et donc, c'est vrai, j'ai la chance, le privilège, de façon bénévole je tiens
19:52à le dire, de représenter le secteur privé au G20, et au G20, vous savez, on fait des
19:57choses très utiles.
19:58Le G20, c'est quand même 80% de la richesse du monde, c'est des pays très différents,
20:03mais je vous donne juste un tout petit exemple, il y a deux ans, c'était la présidence
20:07indienne, et nous avons mis comme centre de tous nos travaux, l'éducation STEM comme
20:16le catalyseur, comme le facilitateur de tous les déchets féminins.
20:20Vous n'avez pas un seul métier lié au futur, 85% des métiers, il faut les inventer,
20:26on ne sait pas ce qu'ils sont, ni vous, ni moi, Lucie, nous savons de quoi il s'agit.
20:30C'est qu'on sait qu'ils sont liés à l'éducation STEM.
20:33Donc, donnons aux femmes la possibilité d'être ingénieure, d'être scientifique, d'être
20:39dans la cybersécurité tellement importante, etc.
20:41Et ça, c'est le combat que je mène au niveau du G20, avec beaucoup de succès, parce
20:46que là on a mis en place une plateforme, par exemple financée par la fondation Gates,
20:51sur complètement gratuite, qui permet à n'importe qui, en 120 langues, de s'inscrire
20:56et apprendre à coder, apprendre à avoir une formation, etc.
20:59Donc vous voyez, on fait des choses utiles.
21:01Au niveau du G7, par exemple, actuellement, c'est sous présidence italienne, je me
21:06suis concentrée sur quelque chose qui me tient vraiment beaucoup à cœur.
21:09Paix, sécurité sont liées aussi au rôle que les femmes peuvent jouer.
21:13C'est pour ça que vous mettez beaucoup en lumière les femmes politiques et vous encouragez
21:18les femmes à rentrer en politique.
21:19Je m'encourage beaucoup les femmes à rentrer en diplomatie, à être aux tables des négociations,
21:24il faut qu'il y ait des femmes aux tables des négociations, en politique, parce que
21:27c'est là où on a le pouvoir de faire avancer les choses.
21:30Écoutez-moi bien, je ne dis pas que les femmes sont meilleures que les hommes en politique,
21:35en général.
21:36Je dis juste qu'il y a une approche souvent différente, il y a quand même peut-être
21:41une vision plus humaine.
21:43Moi, je pense que le monde a besoin d'un leadership inclusif, centré sur l'humain.
21:46Et donc, hommes et femmes qui ont la même approche, c'est bien.
21:49J'encourage les femmes à être là où elles ne sont pas encore.
21:52J'en connais des formidables qui font des choses magnifiques, mais souvent les femmes
21:57n'osent pas y aller.
21:58Et alors, pourquoi elles n'osent pas, selon vous ?
21:59Tout simplement parce que, vous savez, ce monde a été construit quand même par les
22:02hommes et pour les hommes.
22:04Donc, c'est toujours difficile de se faire une place au soleil, parce qu'on a encore
22:08beaucoup de stéréotypes, de rigidités, et c'est pour ça que je me bats, je reviens
22:13à ce que je fais au G7 et au G20.
22:15Je crois que notre responsabilité, là où on a le pouvoir de le faire, c'est de créer
22:19un contexte favorable, c'est de sensibiliser.
22:22Moi, ma grande satisfaction, c'est quand je vois des chefs d'État, ou quand je vois
22:27ce qui m'arrive, parce que je parle beaucoup avec eux, ou de grands chefs d'entreprise,
22:31ceux qui peuvent être les locomotives et pour porter les autres, qui écoutent, qui
22:34se disent « tiens, je ne savais pas, je vais faire quelque chose ». Parce que vous n'imaginez
22:39pas comme les hommes sont bien intentionnés quand ils ont un vrai diagnostic et quand
22:43ils voient que c'est quand même un intérêt bien compris.
22:45Moi, vous savez, les hommes, je les prends par les sentiments, je leur donne les chiffres.
22:49Regardez les performances d'une entreprise quand il y a plus de femmes dans la gouvernance.
22:54Donc, une loi comme la loi Rixin en France, qui est unique au monde, je tiens à le dire,
23:00nous sommes l'unique pays au monde qui a fait une loi pour faire des quotas dans l'écomex.
23:05Et je l'apporte partout parce que je leur explique, c'est des performances économiques.
23:09Et je suis très fière d'avoir fait signer plus de 30 CEO internationaux, top, pas les
23:16numéro un en France ou numéro un en Allemagne, internationaux, pendant le G20 en Italie,
23:21je les ai fait signer une charte extrêmement engageante qui s'appelle « Zero Gender Gap ».
23:28Avec même promotion, mais vraiment engageante, pas des quotas, mais bien pire.
23:32Et vous voyez ces gens, ces hommes, qui pour moi sont des champions parce qu'au sein
23:37de leur boîte, ils n'attendent pas d'être obligés à faire des choses.
23:41Ils le font parce qu'ils considèrent que c'est bien pour la boîte, que c'est bien
23:44pour leurs clients, que c'est bien en général pour l'image qu'ils donnent.
23:47Je rappelle toujours à ces messieurs, parce que 92% des grands patrimoniaux sont des hommes,
23:58nous on est quand même une toute petite minorité, je rappelle toujours que 72% des personnes
24:05dans le monde considèrent que la gender equality et la façon dont vous investissez, donc le
24:10« gender lens » dans les investissements, fait partie de votre réputation et de votre
24:15image.
24:16Donc une entreprise qui ne tient pas compte de ses clients et de comment attirer les talents
24:22dans l'entreprise, ne tient pas compte du gender equality, c'est juste un suicidaire
24:26parce que le monde est comme ça.
24:27Et n'oubliez pas les fameux 28 milliards, que je répète toujours à tout le monde,
24:33qu'on pourrait avoir en plus dans le PIB mondial si les femmes et les hommes avaient
24:38la même place dans l'économie.
24:39Absolument.
24:40Et les femmes qui sont arrivées plus vite que d'autres à accéder à certains sommets,
24:46est-ce que vous pensez qu'elles aident suffisamment les autres femmes ?
24:49Alors, ça c'est une très bonne question, moi j'ai eu la chance et le privilège de
24:53connaître très bien Madeleine Albright, et j'adorais ce qu'elle disait déjà
24:57il y a longtemps, il y a une place en enfer pour les femmes qui ne s'en traitent pas,
25:01et malheureusement, plus le PIB est développé et plus je vois des femmes qui se disent « j'étais
25:07la première, j'étais l'unique, j'étais la meilleure, je veux la rester ».
25:10Donc il y a un travail à faire.
25:12C'est du travail à faire, et je pense que c'est une question, alors moi je les comprends,
25:16elles ont tellement eu du mal pour y arriver, moi je viens, ça fait 47 ans qu'elles travaillent,
25:23je vois le parcours qu'on a fait, combien on s'est battu, combien on a fait des choses
25:28titanesques pour arriver là où nous sommes.
25:30Donc elles se disent « pourquoi moi j'ai fait tellement d'efforts ? » et les autres
25:33arrivent parce que nous on leur a ouvert les portes.
25:34Donc je comprends, c'est humain, par contre, qu'est-ce que ce serait mieux si on s'entraidait,
25:40qu'est-ce que ce serait plus fort ? Moi, toute ma vie, j'ai trouvé que c'était
25:43la plus belle satisfaction de pouvoir s'entraider, toujours.
25:46On va finir sur ce thème, sur cette très belle phrase, et on se retrouve tout de suite.
25:55Cara, le mot de la fin, les conseils à donner à ces femmes qui nous écoutent pour qu'elles
25:59puissent épouser tous les métiers qui leur tendent la main ?
26:03Osez, soyez courageuses, soyez déterminées, croyez en vous-même, ne vous laissez pas
26:07influencer et soyez convaincus que vous pouvez apporter une grande contribution pour changer
26:13ce monde, notamment dans les filières du futur, dans les métiers du futur, qui sont
26:17ceux qui sont nécessaires, mais pas pour vous-même, mais pour l'humanité tout entière.
26:22Donc on ne parle pas que des métiers d'ingénieur, on parle d'autres métiers de la tech et
26:27des reconversions possibles ? On parle de tous les métiers qui sont en
26:31cours de transformer le monde, que ce soit l'énergie, que ce soit la cybersécurité,
26:34que ce soit l'intelligence artificielle, que ce soit le climat.
26:37On a besoin des femmes dans le climat, dans les changements climatiques.
26:41On a besoin des femmes dans les métiers de la santé, on a besoin des chercheurs, on
26:47a besoin de tous ces métiers qui façonnent l'humanité de demain et dans lesquels les
26:53femmes peuvent apporter une contribution précieuse et indispensable si on veut que ce monde
26:58soit humain, soit juste et soit agréable à vivre pour tous.
27:04Merci infiniment pour ces conseils que j'espère avoir entendu.