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00:007h-9h, Europe 1 Matin. Il est 7h12 sur Europe 1. Dimitri Pavlenko, vous recevez ce matin le
00:07constitutionnaliste et politologue Benjamin Morel. Bonjour Benjamin Morel. Bonjour. Bienvenue sur
00:12Europe 1, votre dernier livre, Le Parlement, Temple de la République, séparé aux éditions passées
00:17composées. Dans le week-end, Bruno Retailleau et Marine Le Pen en sont arrivés à la même
00:21conclusion. Pour changer la loi en matière d'immigration, il faudrait passer par la voie
00:26du référendum, donner la parole aux Français. Alors c'est une hypothèse qui est assez largement
00:30combattue. François Bayrou lui-même se demandait récemment quelles questions poser pour ou contre
00:35l'immigration. A-t-on seulement le droit de poser une question sur l'immigration par référendum ?
00:40On entend un peu tout et son contraire, Benjamin Morel. Alors allons droit au but. Est-ce que la
00:45constitution interdit vraiment un référendum sur l'immigration ? Alors non, mais elle l'encadre
00:51très fortement. Il faut bien comprendre que le référendum, ce n'est pas un domaine du droit,
00:56c'est un sujet. Et dans ce sujet, il peut y avoir un volet qui va être un volet de droit civil. Par
01:00exemple, le droit du sol, c'est du droit civil. Et ça, la constitution empêche d'organiser un
01:07référendum sur ce type de sujet. Il peut y avoir un volet pénal, par exemple la pénalisation de
01:11l'entrée illégale sur le territoire. Et là, la constitution interdit encore d'organiser un
01:16référendum sur ce sujet. Reste ce qu'on appelle la vie politique économique et sociale de la
01:20nation et les services publics. Autrement dit, on pourrait toucher, par exemple, par référendum à
01:26un certain nombre d'aides aux étrangers, d'allocations. Ça pourrait être le cas, par
01:30exemple, pour l'AME. Mais pas toutes. Parce que, tout bêtement, le conseil constitutionnel a une
01:34jurisprudence assez restrictive en la matière. On sait, par exemple, qu'on peut avoir une
01:39différence entre Français et étrangers selon la durée de résidence sur le territoire en
01:44matière de RSA. Par contre, pour les APL, c'est impossible. Donc, si on avait un référendum sur
01:50l'immigration, ce serait un référendum qui porterait sur des points très précis et qui ne
01:55seraient peut-être pas les points les plus fondamentaux quant à ce sujet.
01:59Pour résumer, pas de droit civil, pas de question de droit pénal non plus. En revanche, des points ciblés de
02:04politique économique et sociale. Vous avez cité l'aide médicale d'État pour les clandestins. Bruno
02:09Retaillou suggérait hier, dans le journal du dimanche, un référendum sur un délai de carence
02:13avant qu'un étranger touche les allocations familiales. Ce serait possible dans ce cas-là ?
02:18Alors, pour les allocations familiales, on n'est sûr de rien. On n'a pas de jurisprudence tout à
02:23fait stable du conseil constitutionnel. On pense que ce n'est pas vraiment possible parce que
02:26quel est le critère pour le conseil constitutionnel ? C'est est-ce que l'allocation attrait à une
02:34motivation d'intégration ? C'est le cas, par exemple, du RSA. A priori, vous voulez vous intégrer
02:40dans le marché du travail. Et si vous n'êtes là qu'en transit, par définition, ça n'a pas
02:45beaucoup d'intérêt. Donc, on peut le conditionner. En revanche, s'il s'agit de sujets qui sont vitaux,
02:50qui considèrent tout un chacun en tant qu'être humain et n'ont pas eu égard à sa nationalité,
02:54c'est le cas du logement avec les APL. Et peut-être le cas également pour ce qui serait
02:58des allocations familiales. Là, la jurisprudence du conseil constitutionnel est plutôt restrictive.
03:03Donc, même ça, je ne peux pas vous garantir que ça puisse être soumis à référendum.
03:07Donc, si j'ai bien compris, Benjamin Morel, soit on pose aux Français par référendum une petite
03:12question très étroite, soit on est ambitieux. Mais alors là, il faudrait changer la Constitution
03:17pour élargir le spectre des sujets à référendum ? Ça impliquerait de modifier le champ du référendum
03:25et pas tant d'inclure l'immigration en tant que telle, mais d'inclure notamment les domaines
03:28pénaux et les domaines civils. Ce qui impliquerait une révision constitutionnelle, ça veut dire quoi
03:33d'un point de vue procédural ? Ça veut dire qu'il vous faut un vote conforme de l'Assemblée et du
03:37Sénat avant de soumettre le texte au 3-5e au vote du Congrès. Jusqu'à présent, on ne l'a pas fait.
03:42On ne l'a pas fait pour des raisons politiques parce que quand on ouvre le champ du référendum,
03:46et on l'a déjà fait en 1995, la droite dit on ne veut pas d'un référendum sur le droit de vote
03:51des étrangers. Donc, on exclut le domaine civil. Que dit la gauche ? Elle dit on ne veut pas d'un
03:55référendum sur la peine de mort. Donc, on exclut le champ pénal. Donc, vous comprenez bien que
03:59chacun a ses épouvantailles en matière de référendum et que bien souvent, chacun,
04:03parce qu'il a peur de certaines questions, a des bonnes raisons pour refuser cette ouverture du
04:08champ. La dernière fois qu'Emmanuel Macron avait suggéré l'idée, c'était il y a deux ans lors des
04:12rencontres de Saint-Denis. Ça n'a pas vraiment prospéré. Mais alors, en théorie, le référendum,
04:17c'est l'outil législatif le plus puissant que nous ayons parce qu'il a la légitimité populaire.
04:21C'est pour ça que la droite veut l'employer, d'ailleurs, pour révéler qu'il y a une majorité
04:24nationale pour freiner l'immigration. Or, vous nous expliquez depuis tout à l'heure, Benjamin Morel,
04:29que l'outil référendum est cadenassé, en définitive. C'est désespérant.
04:33Le problème actuellement, c'est que, vous l'avez dit, c'est un peu désespérant et qu'un référendum,
04:38s'il devait porter sur des sujets tête d'épingle, serait profondément déceptif,
04:42très probablement. Parce que si jamais vous n'avez qu'à trancher sur des sujets qui sont
04:47des sujets picro-collins, les Français ne comprendraient qu'en la matière. Leur possibilité
04:52d'agir sur le phénomène est quand même très, très limitée. L'autre danger, c'est qu'en
04:56matière d'immigration, la question n'est aujourd'hui pas tant la loi, mais c'est l'application de la
05:01loi. On a une loi sur l'immigration tous les trois ans. En fait, fondamentalement, ces lois
05:07sont marginalement appliquées. On le dit souvent quand on parle notamment du taux d'OQTF exécuté.
05:12Il est assez faible. Et ce taux d'OQTF appliqué, vous voyez bien que ce n'est pas un problème de
05:16loi. C'est un problème d'application puisqu'on les prononce, ces OQTF, en l'occurrence. Donc,
05:19le deuxième risque, c'est que quand bien même on arriverait à faire une réforme par référendum
05:25sur l'immigration, si cette loi votée par référendum après une campagne longue qui aura
05:29engagé l'opinion, n'est pas beaucoup appliquée, je ne suis pas certain qu'il y ait un sentiment
05:35plus grand d'adhésion dans nos institutions. Merci beaucoup, Benjamin Morel. Je rappelle que
05:41vous êtes constitutionnaliste. Votre dernier ouvrage, Le Parlement, Temple de la République,
05:46s'est paru aux éditions Passé-Composé. Bonne journée à vous.