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Pas de temps à perdre pour Donald Trump. Tout juste investi, le nouveau président américain mettait en scène son action en signant toute une série de décrets, parmi lesquels figurait une promesse de campagne : la sortie des Etats-Unis de l’accord de Paris.

Pour Donald Trump, la signature du document permettra des milliers de milliards d’économies. Mais elle est surtout le prélude à une offensive plus large qu’il entend déployer contre l’action climatique. Et qui passe notamment par une réhabilitation en grande pompe du principal coupable du réchauffement : les énergies fossiles.

Cela dit beaucoup du peu d’intérêt, teinté de mépris, que le nouveau Président porte au consensus scientifique, pourtant très clair sur la nécessité d’abandonner ces énergies pour préserver un monde vivable. Car dans la représentation trumpienne du monde, le pétrole et le gaz sont autant des attributs de virilité qu’une façon, pour les Etats-Unis, d’assoir leur domination énergétique sur le monde, et de renouer avec une forme de prospérité.

Pour comprendre l’agenda anti-climatique de la nouvelle administration, ses marges de manœuvre politiques et légales pour la mettre en œuvre ainsi que son impact diplomatique, nous avons interrogé Maya Kandel, historienne et spécialiste des Etats-Unis.

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00:00Pas de temps à perdre pour Donald Trump.
00:11Tout juste investi, le nouveau président américain met en scène son action en signant
00:15toute une série de décrets, parmi lesquels figure une promesse de campagne, la sortie
00:19des Etats-Unis de l'accord de Paris.
00:22Pour Donald Trump, la signature de ce décret n'est pas qu'une question d'économie,
00:29c'est surtout le prélude à une offensive plus large qu'il entend déployer contre
00:32l'action climatique, et qui passe notamment par une réhabilitation en grande pompe du
00:37principal coupable du réchauffement, les énergies fossiles.
00:40On va faire le boulot, bébé, le boulot.
00:43Le boulot, bébé, le boulot.
00:46Le pétrole est un attribut de virilité masculine comme le steak.
00:53Trump est complètement là-dedans.
00:55Et peu importe le consensus scientifique pourtant très clair sur la nécessité d'abandonner
01:00ses énergies pour préserver un monde vivable.
01:02Je ne pense pas que les scientifiques le savent en fait.
01:04Pour Trump, rien ne doit contrarier son objectif cardinal.
01:08Faire de l'Amérique une nouvelle grande.
01:10Il a dit que ses objectifs pourront être atteints grâce, je cite, à cet or liquide
01:15que nous avons sous les pieds.
01:17Mais revenons huit ans en arrière.
01:19Donald Trump venait d'être élu pour la première fois, et son début de mandat était
01:22déjà marqué par la volonté d'effacer l'héritage de son prédécesseur.
01:26À l'époque, c'était Barack Obama, notamment sur la thématique environnementale.
01:30Son administration a supprimé plus d'une centaine de réglementations et décrets environnementaux,
01:35en particulier des réglementations prises par l'Agence de protection de l'environnement.
01:39Et ce qui est intéressant là-dessus, c'est qu'ensuite, évidemment, on est aux Etats-Unis,
01:42donc beaucoup de ces suppressions ont été attaquées en justice par des ONG,
01:46par des villes aussi et des États américains.
01:48On parle de réglementations sur la qualité de l'eau, sur les émissions d'usines, etc.
01:53Et en fait, dans ces litiges, l'administration Trump a perdu dans plus de 80% des cas.
01:58Donc un bilan finalement assez mitigé.
02:01Désormais réélu et réinvesti, Donald Trump a déjà promis de revenir
02:04sur la politique climatique de Joe Biden.
02:07Et la menace est d'autant plus sérieuse que Trump bénéficie aujourd'hui
02:10d'une plus grande assise politique que lors de son premier mandat
02:13pour mener cette croisade anti-écolo.
02:16Mais son pouvoir n'est pas pour autant absolu
02:18et son action reste strictement encadrée par le droit américain.
02:21L'exécutif a énormément de pouvoir aux Etats-Unis.
02:23Toutes les décisions qui ont été prises par décret peuvent être annulées,
02:27suspendues par décret et ça, ça a déjà commencé dès le premier jour.
02:31Là, on parle de réglementations sur la pollution,
02:33de protection des terres fédérales ou des eaux territoriales,
02:36ou de permis accordés ou au contraire non accordés.
02:39Il y a tout ce qui est traité internationaux,
02:41donc il n'y a pas que l'accord de Paris et la participation des Etats-Unis
02:44dans d'autres traités liés à la Convention sur le climat.
02:47Et ça aussi, le président peut le faire.
02:50La limite, c'est que toutes les mesures votées par une loi du Congrès
02:53ne peuvent être défaites que par une autre loi du Congrès.
02:56Donc c'est là qu'on va avoir beaucoup de discussions sur la loi climat,
03:00qui s'appelle la loi sur la réduction de l'inflation,
03:02mais qui est en réalité la plus grande loi climat de l'histoire des Etats-Unis.
03:06Dans la représentation trumpienne du monde,
03:08tout est affaire de force et de puissance affichée.
03:11L'homme magare conduit une grosse voiture qui pollue bien et mange des steaks.
03:15Pour Donald Trump, le pétrole et le gaz s'inscrivent donc parfaitement
03:18dans cet imaginaire viril qui est le sien.
03:20Mais ils sont aussi une façon pour les Etats-Unis
03:22d'asseoir leur domination énergétique sur le monde
03:25et de renouer avec une forme de prospérité.
03:27C'est comme si on était arrivé à un autre stade,
03:29c'est-à-dire que d'un côté, il y a un certain climato-scepticisme
03:32qui s'exprime non plus en niant la réalité du changement climatique,
03:35mais en disant ça ne va pas si vite que ça
03:37et de toute façon, on trouvera des solutions technologiques pour faire face.
03:41Et l'idée d'un atout stratégique,
03:43c'est cette idée que le pétrole, c'est même quelque chose qui va tout résoudre.
03:46Ça va permettre d'améliorer la compétitivité des industries américaines,
03:49de créer des emplois, mais aussi à l'international,
03:52d'achever le désengagement du Moyen-Orient, d'affaiblir l'Iran.
03:55La Russie aussi est son trésor de guerre lié au prix élevé du gaz et du pétrole.
04:00Et puis, je crois, le plus important, en fait,
04:02c'est un atout stratégique crucial dans la compétition avec la Chine
04:05et surtout dans la compétition technologique sur l'intelligence artificielle.
04:09Et l'IA, c'est vraiment un secteur qui demande beaucoup d'énergie.
04:12La Chine n'a pas de ressources en pétrole et en gaz.
04:15Donc, il y a cette idée que les États-Unis ont là un atout et que Trump va s'en servir.
04:20Pour Foray, comme elle l'entend sur le territoire,
04:22la nouvelle administration n'a pas non plus totalement le champ libre.
04:25Elle va devoir commencer par faire sauter les quelques verrous
04:27qui avaient été installés par l'équipe précédente.
04:29Biden est le président qui a signé le plus de décrets
04:32pour protéger des terres fédérales de l'exploration gazière et pétrolière.
04:37Donc, il est possible que Trump, d'un coup de plume, annule ces décrets
04:40et en publie d'autres qui, au contraire, permettent d'accélérer
04:43l'octroi de nouveaux permis pour les compagnies.
04:46Mais il faut bien garder en tête que ces compagnies sont toutes des sociétés privées
04:49qui sont d'abord soucieuses de rentabilité.
04:51Et bien qu'ils puissent beaucoup, Donald Trump ne pourra pas non plus
04:54décider à la place des chefs d'entreprise,
04:56ni même compenser les pertes qu'une baisse des cours pourrait entraîner pour eux.
04:59La principale contrainte, en réalité, c'est la loi du marché
05:03et la volonté des géants pétroliers et gaziers de forer de nouveaux territoires.
05:08En fait, ils ont déjà des permis qu'ils n'exploitent pas.
05:10Pour finir sur l'aspect énergétique, cette réhabilitation promise des énergies fossiles
05:15s'accompagne d'une autre logique que Donald Trump aimerait inverser,
05:18qui est le développement des énergies renouvelables.
05:20Ils parlent tout le temps des éoliennes.
05:22Quand elles sont terrestres, c'est des ordures sur le paysage.
05:25Quand elles sont maritimes, elles font du mal aux baleines.
05:27Enfin, voilà, c'est une espèce d'obsession personnelle.
05:29Et là encore, il y a des calculs économiques qui pourra supprimer
05:32un certain nombre de crédits d'impôts.
05:34Mais il y a eu davantage d'investissements ces dernières années dans les renouvelables
05:37et en particulier l'éolien que dans le pétrole et le gaz.
05:40Donc, il y a aussi là des aspects économiques sur lesquels Trump ne pourra pas forcément agir.
05:45Pour mener de front cette politique,
05:47Donald Trump a nommé un certain Chris Wright à la tête du département de l'énergie.
05:51Pour les ONG comme par exemple le Sierra Club,
05:53Chris Wright, c'est clairement un climatodénialiste.
05:56Entrepreneur et patron d'une compagnie de pétrole et de gaz de schiste,
06:00Chris Wright est un peu l'archétype du technosolutionnisme,
06:03c'est-à-dire de cette croyance dans le fait que de toute façon,
06:06le progrès technique solutionnera le changement climatique.
06:09Il a été attentif lors de son audition à dire qu'il acceptait la science du changement climatique.
06:13Mais là encore, en disant que ça ne va pas si vite que ça
06:17et on trouvera des solutions technologiques
06:19pour éviter une trop grande accumulation de gaz à effet de serre dans l'atmosphère,
06:22que ce soit par la capture carbone, donc en enlevant du CO2,
06:26qui est une technologie qui n'a pas du tout fait ses preuves encore à grande échelle.
06:29Et il travaille aussi sur des sujets comme la géo-ingénierie solaire.
06:34Et donc, à la tête du département de l'énergie,
06:36il aura la main justement sur tout un réseau de laboratoires de recherche
06:40qui ont reçu beaucoup d'argent de la loi climat de Biden, de l'ARA.
06:43Et donc, il pourra aussi orienter les recherches.
06:46Lors de cette même audition, Chris Wright s'est prononcé en faveur de la sobriété énergétique.
06:51Mais selon une exception un peu différente de la nôtre,
06:54car selon lui, cette sobriété ne signifie pas forer moins,
06:57mais simplement forer plus proprement.
06:59En fait, on est encore aux États-Unis,
07:01dans ce que George W. Bush avait déclaré au début des années 2000,
07:04quand il avait retiré les États-Unis de l'accord de Kyoto.
07:07Il avait dit que le mode de vie américain n'est pas négociable.
07:09Et finalement, que ce soit les présidents républicains ou démocrates,
07:13Obama, Biden ou bien sûr Trump,
07:15aucun dirigeant américain n'a vraiment remis ce postulat en question.
07:19Pendant que tous les pays signataires de l'accord de Paris
07:21doivent présenter une réévaluation de leurs engagements climatiques,
07:25Donald Trump a donc choisi d'enclencher un nouveau retrait du pays.
07:29Mais sur le front diplomatique,
07:30l'onde de choc s'était déjà propagée bien avant,
07:32ne serait-ce qu'au moment de son élection, le 5 novembre dernier.
07:36On a vu l'impact sur la dernière COP en Azerbaïdjan.
07:39Aucun nouvel engagement n'a été pris par les États.
07:41On est déjà dans un nouveau contexte international, je crois, là-dessus.
07:45En même temps, ça fait 30 ans qu'on fait des accords internationaux
07:47et les émissions de gaz à effet de serre ont cessé d'augmenter
07:50depuis le début des années 90.
07:52Mais Donald Trump n'entend pas se borner au seul retrait de l'accord.
07:55Il considère plus largement que les États-Unis
07:57devront se désengager de toutes leurs obligations internationales
08:01à l'égard du climat ou de l'environnement.
08:03Il parle aussi de retrait de tout autre accord ou engagement des États-Unis
08:09fait sous l'égide de la Convention Climat des Nations Unies.
08:12Il a également parlé de mettre fin immédiatement
08:16et révoquer toute promesse financière des États-Unis sous cette même convention.
08:20Et en fait, là aussi, on a vu les six plus grandes banques américaines
08:24se retirer d'un certain nombre de réseaux d'actions climatiques,
08:27de finances climatiques, de grandes banques canadiennes ont suivi aussi.
08:32Il faut voir que toutes ces actions ou ces intentions
08:34qui ont été méditées par le candidat Trump ces dernières années
08:37renforcent à l'égard de l'écologie un vent de défiance
08:40qui a déjà traversé l'Atlantique.
08:42On voit les Européens revenir sur un certain nombre d'engagements
08:46sur le Green Deal européen.
08:47On voit de plus en plus aussi les parties de droite et d'extrême droite
08:52adopter cette vision technosolutionniste,
08:54voire même, comme aux États-Unis,
08:56associer le fait de nier la gravité du dérèglement climatique
09:00à une posture virile, un modèle de masculinité, de fierté nationale même,
09:05ce qui est quand même assez ironique puisque, par exemple, en France,
09:07on n'a pas de pétrole, donc on ne peut pas non plus limiter Trump à ce point-là.
09:11Parce que c'est bien de l'Ouest que nous vient cette bataille culturelle sur le climat.
09:15Le climat a été un sujet polarisé à partir de la fin des années 1990
09:19aux États-Unis, ce n'était pas du tout le cas en Europe.
09:21Et aujourd'hui, bien installé sur le continent,
09:24le clivage ébranle l'entente européenne et met quelque part l'Union
09:27au défi d'un positionnement enfin clair et assumé
09:30pour lutter sérieusement ou pas contre le changement climatique.

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