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Le 5 mars 1953, Staline vient de rendre son dernier souffle. Le monde est sous le choc. Mais l'Union Soviétique n'en a pas, pour autant, fini avec lui et son cortège de victimes, tout comme l'actuelle Russie. L'histoire sans fin de la déstalinisation.
Pour en apprendre plus, Jean-Pierre Gratien sera accompagné en plateau des historiens Andreï Kozovoï, Emilia Koustova et Stéphane Courtois.

LCP fait la part belle à l'écriture documentaire en prime time. Ce rendez-vous offre une approche différenciée des réalités politiques, économiques, sociales ou mondiales....autant de thématiques qui invitent à prolonger le documentaire à l'occasion d'un débat animé par Jean-Pierre Gratien, en présence de parlementaires, acteurs de notre société et experts.

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Transcription
00:00:00Générique
00:00:02...
00:00:16Bienvenue à tous dans Débat d'octobre.
00:00:185 mars 1953, le monde est sous le choc.
00:00:21Joseph Staline vient de rendre son dernier souffle.
00:00:24Mais l'Union soviétique, puis aujourd'hui la Russie,
00:00:27n'ont pas pour autant fini avec lui et son cortège de victimes.
00:00:32Telle est l'édifiante démonstration
00:00:34livrée par le documentaire qui va suivre,
00:00:36l'impossible enterrement de Staline,
00:00:38réalisé par Denis Van Veenbeek.
00:00:40Je vous laisse le découvrir.
00:00:43Je vous retrouverai juste après, sur ce plateau,
00:00:45en compagnie d'Andreï Kozovoi, conseiller historique sur ce film,
00:00:49mais aussi les historiens Emilia Koustova et Stéphane Courtois.
00:00:54Avec eux, nous nous interrogerons
00:00:56sur cette histoire sans fin de la déstalinisation.
00:00:59Bon doc.
00:01:23...
00:01:40Le 5 mars 1953, Staline meurt.
00:01:45Le culte de la personnalité est alors à son apogée.
00:01:49Pour le Parti communiste de l'Union soviétique,
00:01:51pour les partis frères, pour tous les communistes,
00:01:54Staline est le Wojt, le guide immortel de l'humanité,
00:01:58celui qui, avec Lénine, incarne l'idéal révolutionnaire.
00:02:04Pour le monde entier,
00:02:05il est celui qui a stoppé les armées nazies à Stalingrad,
00:02:09celui qui a transformé l'URSS en superpuissance,
00:02:15celui qui a donné à l'idée communiste un rayonnement sans précédent.
00:02:22L'image et le nom de Staline s'affichent partout,
00:02:25des steppes sibériennes jusqu'au capital occidental.
00:02:29De la Provence à la Flandre,
00:02:32de la Gascogne à la Lorraine,
00:02:35c'est de partout vers Paris
00:02:38que va l'amour pour Staline.
00:02:42Pourtant, des témoignages existent depuis les années 30 sur les purges,
00:02:45les arrestations arbitraires des camps de travail.
00:02:48En 1953,
00:02:50le goulag détient 2,5 millions de prisonniers
00:02:53dans des centaines de camps.
00:02:58La société est étroitement surveillée,
00:03:01embrigadée.
00:03:04La création artistique est censurée,
00:03:06soumise à la doctrine de réalisme socialiste.
00:03:09La peur est partout.
00:03:12Staline fait peser une menace incessante
00:03:14sur ses plus proches collaborateurs.
00:03:16Et pourtant, sa mort ne provoque aucun soulagement.
00:03:19Bien au contraire.
00:03:20Elle jette les soviétiques dans le désarroi.
00:03:26Staline est mort, mais la Russie n'en a pas fini avec Staline.
00:03:32Ses successeurs, à la tête du pays,
00:03:34vont devoir vivre avec la mémoire douloureuse de ce passé brutal.
00:03:40Et faute de le regarder en face,
00:03:42ils vont laisser le spectre de Staline
00:03:44planer sur le destin de la Russie et du monde.
00:04:45Dans les jours qui suivent le décès,
00:04:47le pouvoir soviétique a commandité un grand film de propagande
00:04:51sur les funérailles.
00:04:52Il s'agit de bâtir un tombeau cinématographique,
00:04:56de faire communier le peuple d'Union soviétique
00:04:58dans le chagrin et la dévotion.
00:05:11C'est une sorte de divinité qui disparaît
00:05:13et leur père qui disparaît.
00:05:15Il suffit de voir ces images tournées dans les rues de Moscou.
00:05:18C'est une mise en scène.
00:05:20Mais les émotions que les gens expriment
00:05:23sont la plupart du temps des émotions
00:05:25tout à fait sincères.
00:05:28Et on voit ce désarroi total.
00:05:32Tout commence par une scène dantesque et invisible.
00:05:37Le jour des funérailles, des centaines de milliers de Moscovites
00:05:40convergent vers la Place Rouge
00:05:42et se heurtent à un périmètre bouclé par la police.
00:05:44La bouchculade qui s'ensuit fait des dizaines,
00:05:47peut-être des centaines de morts.
00:05:52Mais aucun film, aucune photographie n'en témoigneront.
00:05:58Seuls sont parvenus jusqu'à nous
00:06:00les images officielles de la Place Rouge,
00:06:03impeccablement chorégraphiées.
00:06:12Au son de la marche funèbre,
00:06:13la procession accompagne le cercueil de Staline
00:06:16jusque sur la Place Rouge, au pied du Kremlin.
00:06:21La caméra insiste sur la solennité de l'instant,
00:06:24sur l'émotion des simples citoyens.
00:06:29Puis le corps embaumé est déposé dans le mausolée de Lénine.
00:06:34Construit 30 ans plus tôt pour accueillir le corps du père de la Révolution,
00:06:38le mausolée est le cœur symbolique du pouvoir soviétique.
00:06:43Sur son linteau,
00:06:44on a ajouté le nom de Staline à celui de Lénine.
00:06:47Il semble destiné à y rester, pour l'éternité.
00:06:52Les images qu'on voit des funérailles de Staline,
00:06:56elles s'en serrent dans tout un imaginaire,
00:06:59dans toute une tradition à la fois visuelle,
00:07:02commémorative, rituelle, politique de l'Union soviétique.
00:07:06Elles font un pendant direct de l'histoire de l'Union soviétique.
00:07:11Un pendant direct, bien sûr,
00:07:13à la très grande cérémonie des funérailles de Lénine,
00:07:16qui a forgé une sorte de canon visuel,
00:07:20mais aussi émotionnel.
00:07:27Et puis, il y a bien sûr le cinéma.
00:07:28On sait à quel point il a été important
00:07:31dans la communication, la propagande soviétique.
00:07:34Et donc, on retrouve ces deux moments forts,
00:07:38la disparition de Lénine, la disparition de Staline,
00:07:40et donc, les funérailles qui les ont suivis.
00:07:47À l'échelle de l'Union soviétique, c'est un enjeu essentiel
00:07:50de faire participer l'ensemble des populations
00:07:53de cet immense pays que les bolcheviks sont en train de construire
00:07:58et qu'ils cherchent à souder par tous les moyens possibles.
00:08:0212 heures.
00:08:11Mais le film des obsèques ne sera jamais projeté.
00:08:14Dès la mort du Vosgde,
00:08:16des critiques impensables auparavant sont apparues.
00:08:19On parle de culte de la personnalité,
00:08:22d'abus de pouvoir.
00:08:27La déstalinisation est en marche.
00:08:30Le parti communiste de l'Union soviétique,
00:08:33qui se voulait maître de l'histoire,
00:08:35va réécrire le chapitre sur Staline.
00:08:38Les enjeux derrière les funérailles du leader sont immenses.
00:08:42Avant tout, il s'agit d'assurer une succession.
00:08:46Comment faire en sorte que le régime,
00:08:49un régime quand même très particulier,
00:08:52très axé sur une personne, un personnage,
00:08:55comment faire pour que ce régime ne vacille pas ?
00:08:59Et puis, il y a une deuxième dimension dans cette succession,
00:09:02c'est qui va succéder ?
00:09:09A la tribune du Mausolée,
00:09:11quelques mètres au-dessus des corps embaumés de Lénine et de Staline,
00:09:15les héritiers potentiels se succèdent pour prononcer l'éloge funèbre.
00:09:19On entend Molotov, le vieux compagnon,
00:09:22ministre des Affaires étrangères,
00:09:24Malenkov, qui préside le Conseil des ministres,
00:09:27et puis on entend Lavrenti Beria.
00:09:32C'est sans doute lui le plus résolu à en finir avec le stalinisme.
00:09:37Il est pourtant le plus improbable des réformateurs.
00:09:42Depuis 1938, il est le tortionnaire en chef du régime.
00:09:46Il est à la tête de la police politique dont le siège,
00:09:49place de la Lubianka, est devenu le symbole de la terreur.
00:09:52C'est également lui qui dirige le Goulag,
00:09:55l'énorme administration qui gère les centaines de camps de travail forcés.
00:10:00Mais Beria a compris que la déstalinisation était une arme puissante
00:10:04dans la lutte pour le pouvoir qui s'engage.
00:10:07Il décide d'ouvrir le Goulag
00:10:09et fait sortir plus d'un million de prisonniers en quelques mois.
00:10:13Il voit, comme beaucoup d'autres dirigeants soviétiques,
00:10:17mais peut-être encore mieux, puisqu'il le voit de l'intérieur,
00:10:21que ce système extrêmement répressif et concentrationnaire
00:10:25que stalinise le Goulag,
00:10:27ce système s'avère de plus en plus inefficace
00:10:31du point de vue économique et politique.
00:10:34Il y a une conscience forte de l'impossibilité
00:10:38de continuer comme avant,
00:10:40qui, très curieusement,
00:10:42vient de l'intérieur de l'appareil répressif.
00:10:46C'est un livre qui donne son nom à la période qui commence,
00:10:50le dégel.
00:10:52Son auteur, Ilya Erenbourg,
00:10:53y évoque le long hiver que représente la période stalinienne
00:10:57et ce moment de l'année où la fonte des neiges annonce une saison nouvelle.
00:11:02Mais le dégel est aussi une période agitée, dangereuse,
00:11:06où la glace se change en bout,
00:11:08où les secrets enfouis remontent à la surface.
00:11:11Et concernant Staline,
00:11:13ce sont des cadavres par millions qui attendent sous la glace.
00:11:24Ce film de propagande
00:11:26est l'unique trace filmée des libérations massives
00:11:30qui accompagnent le dégel.
00:11:53Fini.
00:11:55C'est ce que disaient les libéraux.
00:12:15Dans les années 1980,
00:12:17j'ai commencé à faire des entretiens avec des survivants du Gulag.
00:12:21Beaucoup d'entre eux n'avaient pas parlé du passé stalinien depuis des décennies
00:12:26et j'ai été l'une de leurs premières interlocutrices.
00:12:29C'était très difficile pour eux de me faire confiance,
00:12:32de me confier ces informations
00:12:34et même de se sentir en sécurité pour me répondre.
00:12:37Mais une fois qu'ils ont commencé à parler,
00:12:40ils ont beaucoup parlé de leur expérience du camp
00:12:43et de ce qui a suivi le camp.
00:12:45Il y avait une blague dans les années 1950.
00:12:48Il existe trois classes dans la société soviétique.
00:12:51Les anciens prisonniers, les prisonniers et les futurs prisonniers.
00:12:55Donc pour eux, l'arrestation était toujours sur le point de se produire.
00:13:01Dans sa hâte déstalinisatrice,
00:13:03Beria va vite.
00:13:05Trop vite sans doute pour ses collègues du Politburo.
00:13:08D'autant qu'ils se vantent de détenir des dossiers compromettants sur chacun d'entre eux.
00:13:13En juin 1953, trois mois après la mort de Staline,
00:13:16Beria est arrêté puis exécuté en secret.
00:13:22Celui qui a su coaliser les membres du Politburo contre lui
00:13:26s'appelle Nikita Khrouchov.
00:13:28Ce fidèle collaborateur de Staline
00:13:30n'a pas prononcé de discours lors des funérailles.
00:13:33Il donne l'image d'un homme simple,
00:13:35d'un bon vivant dont le style et le langage
00:13:38rappellent avec insistance ses origines populaires.
00:13:41C'est pourtant lui qui va s'imposer comme le successeur de Staline.
00:13:46Il poursuit l'ouverture du goulag,
00:13:48mais réhabiliter les anciens détenus pose un problème
00:13:51à tous ceux qui, comme lui, ont fait leur carrière sous Staline.
00:13:58Si la personne qui avait langui au goulag pendant 17 ans
00:14:02n'était pas coupable, alors qui l'était ?
00:14:05Le problème, c'est que la réponse est assez claire.
00:14:08Le système lui-même était coupable.
00:14:10Et ça, c'est un aveu qui n'a jamais été fait.
00:14:13Il y a donc toujours eu cet entre-deux.
00:14:15Vous n'êtes pas coupable des crimes
00:14:17pour lesquels vous avez été condamné,
00:14:19mais il n'y a pas de condamnation du système qui vous a incarcéré.
00:14:25On s'intéresse aux victimes, mais pas aux responsables,
00:14:28uniquement aux crimes, jamais au système qui les a commis.
00:14:44Comment prendre ses distances avec la machine répressive
00:14:47sans être emporté aussi dans l'opération ?
00:14:50Autrement dit, comment déstaliniser sans trop déstaliniser ?
00:14:56Khrouchov va tenter ce tour d'équilibrisme politique,
00:14:59incarner la rupture en dénonçant les crimes de son prédécesseur,
00:15:03auquel il a pourtant largement participé.
00:15:07Moscou, 14 février 1944.
00:15:1114 février 1956.
00:15:15Le jour de l'ouverture de la 20e congresse
00:15:18de la Partie Communiste de l'Union Soviétique.
00:15:24À la tribune du 20e congrès, les orateurs se succèdent.
00:15:28On évoque la mémoire de Staline,
00:15:30l'industrialisation en marche, la politique étrangère.
00:15:34Et Khrouchov conclut dans une parfaite orthodoxie soviétique.
00:15:37Sous le flambeau de la révolution du marxisme et de l'leninisme,
00:15:42la Partie Communiste de l'Union Soviétique
00:15:45apportera au peuple soviétique la complète victoire du communisme.
00:15:51Mais quelques jours plus tard,
00:15:53le véritable événement du congrès se produit.
00:15:56Khrouchov invite les délégués à une session supplémentaire,
00:16:00une session secrète sans aucun enregistrement.
00:16:03Il y prononce un discours de 4 heures
00:16:06qui lève un coin du voile sur les répressions staliniennes.
00:16:16L'un des premiers éléments du discours et l'un des plus surprenants
00:16:20a été la décision de Khrouchov de citer le Testament de Lénine,
00:16:24une lettre de 1923 où il est défavorable
00:16:27à ce que Staline devienne le nouveau chef du Parti Communiste à sa mort.
00:16:31Dans cette lettre, Lénine accuse Staline d'être brutal,
00:16:35qu'il soit fait de pouvoir et vulgaire.
00:16:38Le discours commence
00:16:40par une critique approfondie de la personnalité de Staline.
00:16:44Puis Khrouchov continue
00:16:46en attribuant à Staline la responsabilité des purges.
00:16:50Le plus choquant n'est pas tant de mentionner la terreur elle-même
00:16:54que de la lier directement à Staline.
00:16:57Arrestations injustes,
00:16:59décès d'innocents pour la plupart membres de l'élite du parti,
00:17:03torture utilisée pour obtenir des aveux forcés.
00:17:07C'est ça le coeur du discours
00:17:09et c'est extrêmement choquant pour les délégués.
00:17:12Il a été établi, explique Khrouchov,
00:17:15que parmi les 139 membres du comité central du parti,
00:17:19élus en 1934,
00:17:2198, c'est-à-dire 70 % d'entre eux,
00:17:24ont été arrêtés et exécutés.
00:17:27Ceci montre bien à quel point les charges de crimes contre-révolutionnaires
00:17:32étaient absurdes, délirantes et contraires au simple bon sens.
00:17:37Sans laisser au délégué le temps de souffler,
00:17:40il s'attaque au passage-clé de l'agiographie stalinienne,
00:17:44la grande guerre patriotique.
00:18:03Alors que la propagande soviétique avait imposé l'image d'un Staline fin stratège,
00:18:08Khrouchov parle d'impréparation, d'incompétence militaire.
00:18:16On pouvait entendre les mouches voler, remarque-t-il dans ses mémoires.
00:18:21A l'issue de cette session très spéciale,
00:18:24le texte du discours est repris dans un rapport spécial.
00:18:28Comme on pouvait s'y attendre,
00:18:30les réactions au discours secret ont été extrêmement variées.
00:18:34Il faut reconnaître que les dirigeants n'ont rien vu venir.
00:18:38Ils ne s'attendaient pas à ce que ce discours provoque le chaos
00:18:42et la confusion qu'il a fini par provoquer.
00:18:45Presse, Vitech, Ural-Marsavoda.
00:18:48Le jour où Khrouchov a été arrêté,
00:18:51l'un des dirigeants de l'Union Européenne,
00:18:54Presse, Vitech, Ural-Marsavoda.
00:18:57Ici, les Ural-Marsavodas se sont réunis
00:19:00pour partager leurs pensées sur le grand événement
00:19:04qui se déroule aujourd'hui dans la vie du pays,
00:19:07la 20e réunion de la Parti Communiste de l'Union Européenne.
00:19:11Le plus souvent, les gens avaient juste des questions.
00:19:14Quelle a été l'ampleur de la terreur ?
00:19:17Quels sont les chiffres ?
00:19:19Est-ce que ça concernait uniquement l'élite du parti ?
00:19:23Est-ce que c'était un discours très dangereux, très subversif
00:19:27et que ça pouvait facilement devenir incontrôlable ?
00:19:30Les historiens utilisent souvent l'image de la boîte de Pandore
00:19:34pour décrire le discours secret,
00:19:36un récit très dangereux capable de remettre en cause
00:19:39les fondements même du système.
00:19:41Et bien sûr, ce n'était pas ce que voulaient Khrouchov
00:19:44ni les dirigeants soviétiques en général.
00:19:47Ce qu'ils voulaient, c'était simplement ouvrir la voie à des réformes.
00:19:51C'était une période stalinienne.
00:19:53Maintenant, on passe à autre chose.
00:19:55Mais la plupart des gens ne vont pas tourner la page comme ça.
00:19:58En Pologne, la diffusion du rapport secret provoque une insurrection
00:20:02et en Hongrie, presque une révolution.
00:20:04Les symboles communistes sont détruits, le gouvernement déposé.
00:20:09Et après une semaine d'hésitation,
00:20:11Khrouchov retrouve les réflexes de la période précédente.
00:20:15Il envoie l'armée écraser la révolte.
00:20:19A l'Ouest aussi, le rapport secret provoque des remous.
00:20:22Sa publication par le New York Times en juin 1956
00:20:26stupéfie les communistes occidentaux.
00:20:29Beaucoup refusent absolument d'y croire.
00:20:32Et pourtant, le tableau qu'adressait Khrouchov des crimes de Staline
00:20:36est encore très incomplet.
00:20:38Pour découvrir leur véritable ampleur,
00:20:41il faudra patienter plusieurs décennies.
00:20:45En attendant, l'opération voulue par Khrouchov semble fonctionner.
00:20:49Sa truculence fait merveille devant les caméras de télévision.
00:20:53Il donne aux occidentaux l'image d'un dirigeant simple, bonhomme.
00:20:57Curieux de l'étranger, aimant le contact.
00:21:00Tout l'inverse de son prédécesseur.
00:21:04Un nouveau visage de l'URSS commence à se dessiner.
00:21:08Plus jeune, moins figé.
00:21:15Pour la première fois,
00:21:17un film soviétique reçoit la palme d'or au Festival de Cannes.
00:21:22Il s'agit de « Qu'en passent les cigognes » de Mikhail Karatozov.
00:21:29C'est aussi une des premières fois où un film soviétique sur la guerre
00:21:33omet de mettre en scène Staline.
00:21:37Ce nouveau visage de l'URSS, c'est aussi celui de la jeunesse.
00:21:41Incarné par Liudmila dans la comédie musicale « La nuit de carnaval ».
00:21:50Face à un directeur de conservatoire borné et bureaucratique,
00:21:54les élèves refusent de se soumettre et imposent leur spectacle.
00:21:58Le bonheur en technicolor qu'évoque Liudmila
00:22:01laisse croire aux cinéastes soviétiques qu'un vent de liberté s'est levé.
00:22:06Mais le parti n'a pas renoncé à écrire l'histoire.
00:22:10Il y a quelques années,
00:22:12l'URSS est devenu le premier film soviétique à être réalisé.
00:22:16C'est la première fois qu'il s'agit d'un film soviétique.
00:22:20C'est la première fois qu'il s'agit d'un film soviétique.
00:22:24Mais le parti n'a pas renoncé à écrire l'histoire.
00:22:28La doctrine a changé, mais pour Kouchov,
00:22:31le rôle des artistes reste de mettre en application la doctrine.
00:22:35Aujourd'hui comme hier, c'est au parti qu'appartient la vérité.
00:22:40Lorsque le film « Lénine » en octobre, sorti en 1937,
00:22:44ressort sur les écrans en 1958,
00:22:47les spectateurs attentifs remarquent que quelque chose,
00:22:51ou plutôt quelqu'un, manque.
00:22:54« Lénine » en octobre avait été produit
00:22:57pour le 20e anniversaire de la Révolution.
00:23:00Bien sûr, il célébrait le rôle central de Lénine,
00:23:04mais il mettait également Staline en vedette.
00:23:08On le voit toujours aux côtés de Lénine, c'est son bras droit.
00:23:12On le présente comme la seconde grande figure
00:23:15de l'histoire de la Révolution.
00:23:18C'est ce qu'il s'agit de « Lénine »
00:23:22Et donc, en 1958,
00:23:24Rome a pris la décision de minimiser le rôle de Staline
00:23:28et de l'effacer visuellement du film.
00:23:31Dans la version de 1958, Staline a soudain disparu.
00:23:35Il est masqué par diverses choses,
00:23:38parmi lesquelles un marin,
00:23:41qui surgit chaque fois que Staline est à l'image.
00:23:45En 1958, Rome a visiblement décidé
00:23:48que le plus simple pour gérer cette histoire problématique
00:23:52du rôle de Staline pendant la Révolution,
00:23:55c'était de le faire disparaître complètement.
00:23:58Et il le fait d'une façon
00:24:00qui, en fait, attire l'attention sur son absence.
00:24:06Mais effacer Joseph Staline n'est pas chose facile.
00:24:10L'entreprise bute sur un problème symbolique,
00:24:13difficile à ignorer.
00:24:15Le corps de Staline est toujours là,
00:24:18dans le mausolée,
00:24:20au cœur du dispositif mémoriel de l'État soviétique.
00:24:27Quelle est l'une des principales idées
00:24:30et un des principaux slogans du gouvernement de Khrouchov ?
00:24:34C'est le retour aux sources.
00:24:36Le retour aux sources du bolchevisme,
00:24:39de la Révolution d'octobre,
00:24:41du léninisme.
00:24:43Retrouver la parole, l'idée,
00:24:46le projet de Lénine
00:24:48pour tourner la perche
00:24:50de tout ce qui, pendant le stalinisme,
00:24:53a pu dévier de ce projet
00:24:56qui, lui, est considéré comme toujours
00:24:59étant juste, humaniste, irréprochable.
00:25:03Et dans ce retour aux sources,
00:25:06le corps de Staline gêne.
00:25:12Le 22e congrès du Parti communiste
00:25:15se réunit du 17 au 31 octobre 1961
00:25:18dans un palais des congrès ultramodernes
00:25:21qui vient d'être achevé dans l'enceinte du Kremlin.
00:25:25Il faut dire qu'on attend 4 799 délégués.
00:25:33Moscou, Kremlin.
00:25:35Le parti communiste
00:25:38Moscou, Kremlin.
00:25:40Dans ces jours inquiétants,
00:25:42tous les yeux sont versé sur l'humanité.
00:25:45L'assemblée des constructeurs du communisme,
00:25:48l'événement le plus grand de notre temps.
00:25:51Cette fois-ci, les critiques adressées à Staline sont publiques.
00:25:55Les témoignages sur la répression se succèdent.
00:25:58Et ils culminent avec l'intervention d'une vieille militante
00:26:02escapée des camps, Dora Lazurkina.
00:26:06...
00:26:14Persuadée qu'elle communique directement avec l'esprit de Lénine,
00:26:18elle transmet de sa part un message d'outre-tombe.
00:26:21Il m'est pénible de me trouver à côté de Staline
00:26:24qui a fait tant de mal au parti.
00:26:28Le congrès vote alors une motion
00:26:30qui expulse Staline hors du mausolée.
00:26:34Le 1er novembre 1961,
00:26:36les Moscovites découvrent
00:26:38que son nom a disparu du linteau du tombeau.
00:26:44Son corps repose désormais dans une tombe presque ordinaire
00:26:48contre le mur du Kremlin,
00:26:50en compagnie des autres dignitaires soviétiques.
00:26:53On oublie aujourd'hui, et heureusement d'ailleurs,
00:26:56à quel point l'image de Staline
00:26:59a été partout dans l'Union soviétique,
00:27:02et cependant à peu près 30 ans.
00:27:04...
00:27:22Le 22e congrès constitue un véritable point de rupture
00:27:26à l'égard de la présence de Staline dans l'espace public soviétique,
00:27:30puisque suite à la décision et puis sa réalisation
00:27:33de sortir son corps du mausolée,
00:27:35c'est une véritable vague d'éboulonnage qui commence,
00:27:40et donc il se débarrasse de ces monuments
00:27:43qui laissent bien sûr des pieds de Stal vide,
00:27:46mais ils ne le resteront pas longtemps,
00:27:49puisqu'on va se presser d'y dresser soit les statues de Lénine,
00:27:53soit bientôt les monuments à la mémoire de la Seconde Guerre mondiale.
00:27:59C'est aussi le nom de Staline qu'on déboulonne.
00:28:02Les avenues et les places sont débaptisées une à une,
00:28:05et Stalingrad elle-même,
00:28:07la ville symbole de la victoire sur le nazisme,
00:28:10est rebaptisée en un banal Volgograd,
00:28:13la ville sur la Volga.
00:28:17La déstalinisation est en marche,
00:28:19mais de nombreuses résistances apparaissent dans l'appareil du parti.
00:28:23Inquiets face à ceux qui veulent déjà revenir en arrière,
00:28:25Evgeny Eftuchenko, un célèbre poète soviétique,
00:28:29publie un poème intitulé Les héritiers de Staline.
00:28:33Le marbre était silencieux,
00:28:35mais un souffle s'élevait du cercueil
00:28:38alors que la garde extrayait Staline du mausolée.
00:28:41Staline prépare quelque chose.
00:28:44Il fait une simple sieste.
00:28:46Nous l'avons fait sortir du mausolée,
00:28:49mais comment sortir Staline des héritiers de Staline ?
00:28:56Nous sommes le 9 mai 1965,
00:28:59et les héritiers de Staline ont visiblement remporté une bataille.
00:29:03L'année précédente,
00:29:05Khrouchov a été remplacé par un dirigeant plus orthodoxe
00:29:09et moins critique à l'égard de Staline,
00:29:12Léonid Brezhnev.
00:29:14Comme son prédécesseur, c'est à Staline qu'il doit sa carrière.
00:29:18Mais tandis que Khrouchov avait construit son personnage
00:29:22sur la déstalinisation,
00:29:24il tire sa légitimité de son statut d'ancien combattant.
00:29:28A l'occasion du défilé qui commémore les 20 ans de la victoire,
00:29:32on assiste à un basculement de la mythologie soviétique.
00:29:36Dans la hiérarchie des commémorations,
00:29:39la victoire de 1945 se hisse au-dessus de la révolution d'octobre.
00:29:45Dans ce culte de la grande guerre patriotique,
00:29:48Staline est un personnage incontournable.
00:29:51On ne peut pas l'éluder, on ne peut pas l'effacer.
00:29:55Il est là.
00:29:57Il n'est peut-être pas omniprésent,
00:30:00comme il l'avait été entre 1945 et 1953, jusqu'à sa mort,
00:30:04mais dans ce grand récit qui se met en place,
00:30:07dans cette grande mythologie,
00:30:09il est là.
00:30:12Le 9 mai 1965, Brezhnev prononce un discours au Kremlin,
00:30:16devant des centaines de personnes, où il parle de la guerre.
00:30:20Et il va mentionner, pour la première fois depuis très longtemps,
00:30:24le nom de Staline.
00:30:26Rien que cette mention suffit pour que les gens se mettent à applaudir
00:30:31une partie de l'Assemblée en France.
00:30:34C'est la première fois que l'on parle de Staline.
00:30:38Les gens se mettent à applaudir une partie de l'Assemblée,
00:30:42à tout rompre.
00:30:44Brezhnev lui-même est surpris.
00:30:46C'est le premier signe, très remarqué,
00:30:49qui fait penser, à ce moment-là,
00:30:51qu'on va revenir sur la décision de déstalinisation du XXe congrès
00:30:55et qu'on va réhabiliter Staline.
00:30:58Et si on allait revenir à la période des purges ?
00:31:02En février 1966, 25 personnalités,
00:31:05parmi lesquelles Andrei Sakharov,
00:31:07le célèbre physicien devenu dissident,
00:31:09adressent une lettre ouverte à Léonide Brezhnev.
00:31:12Toute tentative de blanchir Staline, affirme-t-il,
00:31:15causerait de sérieuses fissures au sein de la société soviétique.
00:31:21Brezhnev n'ira pas jusqu'à réhabiliter Staline.
00:31:24Mais le nom et l'image du Vosgde ne sont plus tabous.
00:31:28Alors qu'il avait disparu des écrans depuis 1956,
00:31:31il se ferait à nouveau un chemin vers les salles de cinéma.
00:31:35Dans le contexte de ce culte de la Grande Guerre patriotique,
00:31:38on va produire des films à gros budgets
00:31:42qui vont parler de la guerre.
00:31:45Très longs films, des films épopés.
00:31:48Presque une production hollywoodienne.
00:31:55Pendant longtemps, Staline on le montrait comme un artisan de 1917.
00:31:59C'était ça le rôle des cinéastes.
00:32:01Et après, sous Brezhnev,
00:32:03et jusqu'à Gorbatchev, Staline au cinéma,
00:32:06c'est l'artisan de 1945.
00:32:08De la victoire.
00:32:10Et on voit notamment Staline négocier, discuter,
00:32:14fermement, pied à pied, avec les Occidentaux.
00:32:17Avec le président Truman, notamment,
00:32:19pendant la conférence de Potsdam.
00:32:21On le présente comme étant un homme
00:32:23qui défend les intérêts de son pays.
00:32:25Un patriote.
00:32:29Le cinéma va servir à la diffusion
00:32:31de ce culte de la Grande Guerre patriotique.
00:32:34Et donc, indirectement,
00:32:36faire vivre Staline.
00:32:43Léonide Brezhnev reste 18 ans au pouvoir.
00:32:4718 ans durant lesquels la réalité vécue par les citoyens soviétiques
00:32:51ne semble pas prendre le chemin du paradis communiste promis par Lénine.
00:32:57Le plus grand succès cinématographique de la période
00:33:00n'est pas un film de guerre,
00:33:02mais une comédie de Eldar Ryazanov.
00:33:06Le film tourne en dérision dès le générique,
00:33:09la standardisation et l'embrigadement de la société.
00:33:17Sur la Place Rouge, les défilés se répètent à l'identique.
00:33:22Année après année.
00:33:25Et la moyenne d'âge du politburo dépasse les 70 ans.
00:33:36Le parti continue de contrôler étroitement l'économie et la société,
00:33:40mais plus personne n'y croit.
00:33:42Ou presque.
00:33:45L'adhésion au slogan du régime est devenue une façade
00:33:48derrière laquelle on échange, sous le manteau,
00:33:51des textes interdits et des blagues.
00:33:54On n'exécute plus les opposants,
00:33:56on les enferme dans des hôpitaux psychiatriques,
00:33:59on les place en résidence surveillée
00:34:01ou on les expulse hors d'Union soviétique.
00:34:04C'est ce qui arrive à Alexandre Solzhenitsyn,
00:34:07qui a publié à l'Ouest l'Archipel du Goulag,
00:34:10une enquête implacable qui détaille le fonctionnement
00:34:13de ce qu'il appelle l'industrie pénitentiaire soviétique.
00:34:24Lorsqu'en 1982, le corps de Léonide Brezhnev
00:34:27rejoint celui de Staline au pied du mur du Kremlin,
00:34:30le système est à bout de souffle.
00:34:33Ni Yuri Andropov ni Constantin Tchernenko,
00:34:36qui lui succède à des âges avancés,
00:34:38ne parviennent à résoudre les problèmes économiques et sociaux.
00:34:45Comme en 1953, un changement semble inévitable.
00:34:50Et comme en 1953, c'est un retour critique sur la période stalinienne
00:34:54qui permet au nouveau leader,
00:34:56Mikhail Gorbatchev, d'incarner ce changement.
00:35:20Ca a été un moment historique, évidemment.
00:35:23Pour la première fois depuis Khrouchov,
00:35:26un dirigeant soviétique, secrétaire général du parti,
00:35:29déclarait qu'il y avait eu des victimes.
00:35:32Et même qu'il y avait eu des milliers de victimes,
00:35:35ce qui était très en dessous de la vérité.
00:35:38Mais il a ouvert la porte aux chercheurs
00:35:41pour qu'ils découvrent les vrais faits.
00:35:44Il a déclaré qu'il y avait eu des victimes,
00:35:46il a ouvert la porte aux chercheurs
00:35:49pour qu'ils découvrent les vrais chiffres.
00:35:52Et après cela, il a été possible
00:35:55de trouver des survivants prêts à raconter leur histoire.
00:36:07C'est un nouveau dégel qui commence.
00:36:10On lui a donné un nouveau nom, la perestroïka.
00:36:13Ce tournant politique
00:36:15a demandé à un groupe de militants et d'historiens moscovites
00:36:19de créer l'association Memorial, présidée par Andrei Sakharov.
00:36:23Ils réclament la réhabilitation complète des victimes du stalinisme,
00:36:27veulent promouvoir une société fondée sur le respect des droits de l'homme
00:36:31et prévenir le retour du totalitarisme.
00:36:36Leur première action publique majeure
00:36:39a eu lieu à la fin octobre 1989
00:36:42pour le jour des prisonniers politiques.
00:36:45Ils ont organisé une chaîne humaine
00:36:48autour de la Lubyanka, le bâtiment du KGB,
00:36:51en brandissant des bougies pour commémorer les victimes.
00:36:55Et la chaîne n'a pas été brisée.
00:36:57La police était là, mais elle a laissé faire.
00:37:00Et ça, c'était un signe très important,
00:37:03le signe que le passé ne pouvait plus être nié.
00:37:07En 1990, leur action probablement la plus marquante
00:37:11a été la création d'un monument à la mémoire des victimes
00:37:15de la terreur soviétique en plein coeur de Moscou,
00:37:19juste en face de l'immeuble du KGB.
00:37:24Memorial s'est ensuite agrandi
00:37:27pour devenir un formidable fond d'archives
00:37:30contenant des milliers de documents de l'histoire.
00:37:34Et c'est aussi devenu l'organisme de recherche
00:37:38le plus réputé sur le stalinisme.
00:37:41Ce n'était pas assez de nommer seulement les victimes.
00:37:45Ils voulaient aussi chercher les coupables,
00:37:48ce qui était évidemment une question
00:37:51politiquement très dangereuse.
00:37:59Memorial entame alors un vase
00:38:02de travail pour documenter la terreur stalinienne,
00:38:06pour retrouver l'histoire et les corps des victimes
00:38:10qui reposent toujours dans de multiples fosses communes
00:38:14aux abords des grandes villes.
00:38:32...
00:39:00Plus rien ne semble interdit.
00:39:03On raconte les répressions staliniennes,
00:39:06on se moque des figures sacrées du pouvoir soviétique,
00:39:10on évoque, thème tabou entre tous,
00:39:13le parallèle entre massacre stalinien et nazi.
00:39:17Et on commence même, timidement,
00:39:20à ouvrir la porte des archives aux historiens occidentaux.
00:39:25L'ouverture des archives, c'est quelque chose de formidable
00:39:29pour tous ceux qui travaillent sur l'histoire de l'URSS,
00:39:33qui avait été faite pendant 70 ans sans archives ou presque.
00:39:38En fait, j'arrive dans les archives début 91.
00:39:42C'est encore l'Union soviétique.
00:39:45La 1re année où je suis étudiante en thèse là-bas,
00:39:49j'ai une carte d'étudiante soviétique.
00:39:52Les archives, en fait, s'ouvrent,
00:39:55mais on est encore dans un cadre
00:39:58où il n'y a évidemment aucune pratique
00:40:01de l'aide aux chercheurs qui vient.
00:40:04On a donc un monde des archives qui a l'habitude
00:40:08de conserver les archives, mais pas de les donner à lire.
00:40:12Et c'est ça qui va, petit à petit, évoluer
00:40:16avec une ouverture plus massive en 92.
00:40:21Le 25 décembre 1991,
00:40:23Mikhaïl Gorbatchev s'adresse solennellement
00:40:26à l'ensemble des citoyens soviétiques.
00:40:29Quelques mois auparavant,
00:40:31après un putsch raté de communistes opposés aux réformes,
00:40:35Boris Yeltsin est devenu président de la République de Russie.
00:40:41En décembre, il a signé avec l'Ukraine et la Biélorussie
00:40:45un traité qui donne naissance à une communauté de réfugiés
00:40:49destinée à remplacer l'Union soviétique.
00:40:53La tragédie de Gorbatchev,
00:41:20Gorbatchev, c'est la tragédie d'un homme qui a fait l'histoire qu'il ne voulait pas faire.
00:41:28Celle d'un homme qui a provoqué l'effondrement de l'Union soviétique alors qu'il ne le voulait pas.
00:41:34Il voulait réformer ce système. Il pensait que ce système était réformable.
00:41:38Il pensait qu'on pouvait créer un socialisme à visage humain, comme il l'appelait.
00:41:43Le système a implosé et Gorbatchev s'est retrouvé comme un roi sans royaume.
00:41:51L'Union soviétique a donc cessé d'exister et la rupture avec le passé se veut totale.
00:41:57On se débarrasse des symboles de l'ère soviétique en même temps que de ses fondements idéologiques.
00:42:04L'économie bascule vers le capitalisme sauvage et Boris Yeltsin, qui réclame l'interdiction du Parti communiste,
00:42:12fait voter une loi qui déclassifie tous les documents ayant servi de base aux répressions.
00:42:21Les historiens profitent aussi de cette ouverture.
00:42:24Ils se retrouvent devant un océan d'archives inexplorées.
00:42:301992, c'est vraiment une année bénie pour les historiens parce qu'on n'a pas encore des lois
00:42:36qui régissent ce qu'on a le droit de voir et ce qu'on n'a pas le droit de voir.
00:42:40Dans les archives, on découvre notamment ce qu'on appelle les opérations de masse de la Grande Terreur.
00:42:45C'est-à-dire qu'en juillet 1937, le chef de la police politique de l'époque du NKVD, Yezhov, en lien avec Staline,
00:42:55déclenche des grandes opérations ultra-secrètes.
00:42:59Elles ont toutes des numéros, comme pour les espions.
00:43:02Par exemple, on a le décret 00447.
00:43:05Il s'agit donc d'éliminer ce qu'on appelle à l'époque tous les éléments socialement nuisibles.
00:43:11Un vaste mélange de criminels, d'opposants politiques, d'ex-opposants politiques et d'ex-catégories sociales jugées hostiles au projet communiste.
00:43:23Toutes ces opérations de masse s'organisent de manière ultra-centralisée avec des quotas par région et par république.
00:43:32Des quotas avec deux catégories.
00:43:34La première catégorie, arrestation.
00:43:37Deuxième catégorie, exécution.
00:43:38Donc c'est déjà décidé.
00:43:40On aura 1,5 million de personnes arrêtées en chiffre rond et 700 000 exécutions.
00:43:47Ça, c'était quelque chose qu'on ne connaissait pas.
00:43:50C'est-à-dire la dimension ingénierie sociale, volonté de purifier la société de tout ce qui était considéré comme non conforme au projet soviétique.
00:44:01Les archives permettent de rendre un visage aux victimes de Staline.
00:44:07Des visages disparus un matin et jamais réapparus avant que l'association mémoriale ne retrouve et ne classe ces photographies d'identité prises par les agents de la police politique.
00:44:20Les archives permettent aussi d'établir l'ampleur de la répression.
00:44:25Pendant la période stalinienne, 25 millions de personnes, un adulte sur six, ont connu le camp ou la déportation.
00:44:35Plus d'un million ont été exécutés.
00:44:37Nous sommes le 9 mai 2022 et la Russie en guerre contre l'Ukraine commémore la victoire de l'alliance de l'Alliance des Nations Unies.
00:44:45Le nom de l'alliance de l'Alliance des Nations Unies qui a été déclarée par le Conseil des ministres est la plus importante de toute l'alliance.
00:44:52En tant que partenaire de la Russie, l'alliance de l'Alliance des Nations Unies, de l'Alliance des Nations Unies,
00:45:00Nous sommes le 9 mai 2022, et la Russie, en guerre contre l'Ukraine, commémore la victoire de 1945.
00:45:09Celui qui préside le défilé s'appelle Vladimir Poutine.
00:45:13Ancien colonel du KGB, puis directeur des services secrets, il est à la tête de la Russie depuis plus de vingt ans.
00:45:20La musique sur laquelle les soldats défilent n'est pas non plus une nouveauté,
00:45:25puisqu'on est revenu depuis 2000 à l'hymne soviétique composé en 1939.
00:45:31Le rythme a un peu ralenti et les paroles ont changé.
00:45:36Dieu et la patrie éternelle ont pris la place de Staline et de Lénine.
00:45:46Le rapport que le nouveau pouvoir russe entretient avec la période stalinienne est pour le moins ambigu.
00:45:56Lorsque le cinéaste Oliver Stone l'interrogeait sur Staline en 2015,
00:46:00Vladimir Poutine adoptait une position qu'il voulait équilibrer.
00:46:25Nous portons tous des marques d'origine. Et alors ?
00:46:31Bien sûr, il y a quelque chose qui reste dans le cerveau,
00:46:34mais ça ne veut pas dire que nous devons oublier tous les horreurs du stalinisme
00:46:39liés aux camps de la guerre et à la destruction de millions de nos compatriotes.
00:46:45En dépit de toutes les réserves émises par Poutine sur les crimes commis sous Staline,
00:46:51ce qui reste déterminant pour lui à propos du stalinisme,
00:46:56c'est la notion de tâche de naissance.
00:47:00C'est-à-dire quelque chose qui n'est pas un corps étranger,
00:47:05mais qui fait corps avec l'histoire de la Russie.
00:47:10Le régime soviétique était fondé sur la terreur de masse
00:47:14et la persécution de son propre peuple.
00:47:18Mais pour le gouvernement russe actuel, ce n'est pas ça qui est important.
00:47:23L'important, c'est de marquer la continuité avec l'Union soviétique.
00:47:29En juillet 2020, une série d'amendements constitutionnels
00:47:33proclame en effet que la Fédération de Russie est le successeur de l'Union soviétique,
00:47:38qu'elle honore la mérite de l'Union soviétique,
00:47:42qu'elle respecte la mérite de l'Union soviétique,
00:47:46qu'elle respecte la mérite de l'Union soviétique,
00:47:50qu'elle respecte la mérite de l'Union soviétique,
00:47:54qu'elle respecte la mérite de l'Union soviétique.
00:48:03Il n'existe aucun autre cas où une constitution spécifie
00:48:07que l'Etat défend la vérité historique.
00:48:14Le Ministère de la Vérité est une idée obscurantiste
00:48:19tirée du roman d'Orwell, 1984,
00:48:23qui n'est compatible ni avec l'État de droit,
00:48:28ni avec les principes définis par le droit international.
00:48:34Dans la Russie d'aujourd'hui, l'État est à la fois l'auteur de l'histoire
00:48:42et le gendarme de l'histoire.
00:48:47Créée en 2012, la Société d'histoire de la Russie est présidée par Sergeï Naryshkin,
00:48:53qui dirige aussi le renseignement extérieur.
00:48:58Cette institution a été chargée d'écrire un standard historique et culturel unifié
00:49:03auquel doivent désormais se plier tous les manuels scolaires.
00:49:07On y découvre une histoire soviétique où la place du goulag et du système répressif
00:49:12est réduite au profit des aspects positifs.
00:49:16Modernisation de l'économie, victoire sur l'Allemagne nazie, etc.
00:49:22Staline y est décrit comme un manager efficace
00:49:25à qui revient une place importante dans l'histoire glorieuse de l'URSS et de la Russie.
00:49:33Comme à l'époque stalinienne, c'est aujourd'hui l'État qui écrit l'histoire de la Russie.
00:49:38Et pour reprendre l'expression de l'historien Nicolas Werth,
00:49:41c'est Vladimir Poutine, son historien au chef.
00:49:46À la veille de l'invasion de l'Ukraine, il revient sur l'ancienne querelle entre Staline et Lénine.
00:49:52Staline voulait un État centralisé, mais Lénine, lui, a imposé une vision plus fédéraliste.
00:49:59L'Union soviétique est composée de républiques indépendantes, enfin, en théorie.
00:50:12Sans le choix fédéraliste de Lénine, explique-t-il, l'Ukraine n'aurait pas pu faire sécession.
00:50:18L'État ukrainien n'aurait même pas dû exister.
00:50:41L'État ukrainien n'aurait même pas dû exister.
00:50:47Il est l'auteur et l'architecte de l'Ukraine.
00:50:51Tout cela est tout à fait confirmé par les documents archivés.
00:50:56Et maintenant, les descendants de Staline ont mis en Ukraine des monuments à Lénine.
00:51:03C'est ce qu'ils appellent la décommunisation.
00:51:08Vous voulez la décommunisation ?
00:51:10Bien, nous sommes satisfaits.
00:51:13Mais il ne faut pas s'arrêter.
00:51:16Nous sommes prêts à vous montrer ce que signifie pour l'Ukraine la véritable décommunication.
00:51:24À côté de l'État historien, l'État gendarme.
00:51:28Plusieurs lois mémorielles pénalisent les discours non conformes aux récits officiels.
00:51:34Il est par exemple interdit de porter atteinte à l'honneur des anciens combattants.
00:51:38Et de diffuser des informations sciemment fausses quant aux activités de l'URSS pendant la guerre.
00:51:56En décembre 2021, après des années de pression et d'intimidation,
00:52:00les autorités ont obtenu de la justice russe la dissolution pure et simple de l'association mémoriale.
00:52:06Les prétentions de la procuratrice à l'association mémoriale sont pratiquement et parfois simplement répétées par les juges soviétiques.
00:52:20Ceux qui s'étaient éloignés des dissidents soviétiques.
00:52:36Les violations massives des droits humains aujourd'hui résultent de l'absence d'un travail de mémoire quant au passé totalitaire soviétique.
00:53:06Elle est terminée. Il n'y a pas de continuité étatique.
00:53:09Dans le cas de la Russie, sous Yeltsin, il y a eu vraiment à un moment donné une volonté d'établir une rupture claire entre l'État soviétique et le nouvel État russe.
00:53:21Finalement dans une logique de rupture complète par rapport au passé.
00:53:26Depuis, on a bien compris qu'il y a le retour en force de cette idée que l'État d'aujourd'hui en Russie est dans la continuité de l'État soviétique.
00:53:39Et que de ce fait, le passé ne peut pas être complètement éclairci parce qu'on en est responsable d'une certaine manière.
00:53:47Le résultat de cette ambiguïté persistante de l'État et des médias officiels, c'est qu'en 2019, 70% des Russes considèrent que Staline a eu un impact globalement positif sur le pays.
00:54:01Un score meilleur que ceux de tous ses successeurs à la tête de l'Union soviétique et de la Russie.
00:54:08Comment en finir avec Staline ?
00:54:1170 ans après sa mort, la question reste posée.
00:54:19Il y a cette idée que ce qui est fait est fait, que les questions d'histoire appartiennent au passé, que nous devons aller de l'avant.
00:54:32Penser au problème d'aujourd'hui au lieu de fouiller dans les archives, mais c'est une illusion.
00:54:40Parce que l'histoire de notre pays, comme d'ailleurs celle des autres pays, montre qu'un passé douloureux, qu'on refuse de regarder en face, se reproduit dans le présent et empoisonne l'avenir.
00:55:01L'histoire d'un passé douloureux
00:55:31L'histoire d'un passé douloureux
00:56:015 mars 1953, le monde est sous le choc. Joseph Staline vient de rendre son dernier souffle.
00:56:14Mais l'Union soviétique, puis aujourd'hui la Russie, n'en ont pas pour autant fini avec lui et son cortège de victimes.
00:56:21Telle est la démonstration livrée à l'instant par ce documentaire réalisé par Denis Van Verbeek.
00:56:27Et nous allons y revenir avec nos invités présents aujourd'hui sur ce plateau de Débadoc.
00:56:32Andrei Kozovoy est tout d'abord avec nous. Bienvenue à vous.
00:56:36Vous êtes le conseiller historique de ce film. On vous y a vu, d'ailleurs, pour témoigner.
00:56:42Vous êtes historien spécialiste de la Russie, professeur de langue et littérature russe à l'Université de Lille.
00:56:49Votre dernier livre s'intitule Egeri Rouge, 12 femmes qui ont fait la révolution russe.
00:56:55C'est un ouvrage publié chez Perrin. On citera aussi les services secrets russes des tsars à Poutine.
00:57:02Publié, lui, chez Talandier. C'est un vrai succès, d'ailleurs.
00:57:06Emilia Koustova est également avec nous. Bienvenue.
00:57:09Vous êtes historienne, maîtresse de conférences au département d'études slaves à l'Université de Strasbourg,
00:57:15spécialiste d'histoire et de civilisation russe.
00:57:18Et soviétique, vous êtes membre fondateur de Memorial France, qui existe toujours,
00:57:24contrairement à l'association Memorial, qui a été dissoute, on l'a vu, d'ailleurs, dans ce film, à la fin de l'année 2021.
00:57:32Et on citera, vous concernant, ce livre, Déportés pour l'éternité, survivre à l'exil stalinien.
00:57:39C'est un ouvrage que vous avez co-écrit avec Alain Blum et qui est disponible aux éditions EHESS.
00:57:46Et puis, enfin, Stéphane Courtois est avec nous. Bienvenue à vous, Stéphane Courtois.
00:57:49Vous êtes historien spécialiste du communisme. Votre dernier ouvrage s'intitule, lui,
00:57:53Le livre noir de Vladimir Poutine, publié chez Robert Laffont.
00:58:00On va tout de suite aller à l'essentiel, après ce film, après cette impossible déstalinisation.
00:58:06C'est suffisamment ce qu'on peut constater dans cette démonstration réalisée à travers ce documentaire.
00:58:13Et on va en revenir tout de suite à ce fameux 20e congrès du Parti communiste soviétique.
00:58:19Nous sommes en février 1956, autrement dit trois ans après la mort de Joseph Staline.
00:58:25C'est Nikita Khrouchev qui va entamer cette déstalinisation.
00:58:31Quel était l'intérêt de Nikita Khrouchev ? Quel était son intérêt pour signifier la mort politique de Staline en 1956 ?
00:58:38Khrouchev, c'est quelqu'un qui a des comptes à régler avec Staline, sur le plan personnel, n'est-ce pas ?
00:58:44Et puis, d'autre part, c'est quelqu'un qui est persuadé qu'il faut tourner la page des excès staliniens,
00:58:51qu'il a bien connus, puisqu'il y a participé, il faut le rappeler. Stéphane ne me contredira pas.
00:58:57Il a les mains couvertes de sang lui-même, Nikita Khrouchev, pour avoir participé,
00:59:02notamment aux purges en Ukraine, république soviétique d'Ukraine qu'il a dirigée à la fin des années 30.
00:59:08Et c'est une façon de se dédouaner, bien sûr, de trouver un bouc émissaire aux problèmes qui peuvent se poser.
00:59:16Il annonce une nouvelle ligne pour le parti, pour le pays.
00:59:20Il proclame aussi, il ne faut pas l'oublier lors de ce même congrès, la coexistence pacifique, le rapprochement avec l'Occident.
00:59:27C'est aussi une forme de déstalinisation, puisque Staline avait présidé, en quelque sorte, à une ère de glaciation, de guerre froide, dont il était en grande partie responsable.
00:59:37Il y a beaucoup d'intérêt pour Khrouchev. C'est, pour lui, gagner une forme de légitimité.
00:59:42Assez personnalisé, tu imagines, d'asseoir son pouvoir à la tête du pays et du parti ?
00:59:46Il faut qu'il règle ses comptes. Il y a une grande part d'humiliation.
00:59:51Il a été humilié à de nombreuses reprises par Staline. Il a été favori, puis il est tombé de son trône.
00:59:56Staline aimait bien humilier ses plus proches compagnons, n'est-ce pas ?
01:00:01Il y a aussi beaucoup de choses personnelles. On pourrait faire le portrait psychologique, si on avait le temps, de Nikita Khrouchev.
01:00:07C'est quelque chose qui va se répéter, si vous voulez.
01:00:10Chaque nouveau dirigeant va avoir tendance à dire que le précédent a commis des erreurs graves, etc.
01:00:14Mais avec Staline, bien sûr, c'est un gros morceau.
01:00:16Alors, quel coup tenait ce 20e congrès ?
01:00:19D'abord, cette réunion pour déstaliniser va se passer à huis clos.
01:00:23Les partis frères, dont le Parti communiste français, ne feront pas partie de cette réunion, de ce discours.
01:00:29Il va durer quatre heures.
01:00:30Ils dénoncent pour l'essentiel le culte de la personnalité autour de Staline
01:00:36et non pas les crimes commis par Staline, par le système que représentait Staline.
01:00:42On comprend tout ça dans ce documentaire.
01:00:44Néanmoins, ce fut un véritable choc, un tremblement de terre sur place, à l'époque.
01:00:49C'est un tremblement de terre à l'extérieur de l'ORSS.
01:00:54On verra très vite des secousses avec des mouvements de contestation très forts, des révoltes en Hongrie, en Pologne.
01:01:04Un choc, une onde de chocs produites à travers tous les partis communistes,
01:01:10qui ne vont pas tous prendre la même position.
01:01:14Mais c'est aussi un choc à l'intérieur du pays.
01:01:17Et c'est très intéressant de voir comment le gouvernement soviétique,
01:01:22et comment Khrouchov ont géré la publicité de ce document,
01:01:29puisqu'ils n'ont pas osé le rendre public et le partager avec l'ensemble de la population soviétique.
01:01:36Mais en même temps, ils ont tenu à le faire connaître assez largement,
01:01:41tout en cherchant à garder le contrôle sur ce processus de circulation d'informations.
01:01:49Et donc, ce qu'ils font, ils vont organiser des réunions au sein des cellules du parti, au sein du Komsomol.
01:01:56Et donc, ce texte sera lu, lors de ces réunions, par les responsables,
01:02:02afin de, à la fois, communiquer, mais aussi garder la main sur la réception de ce rapport.
01:02:08Et aujourd'hui, on sait, grâce aux travaux d'historiens,
01:02:11que cette réception a été des plus complexes, et parfois des plus explosives,
01:02:18puisqu'il y a eu aussi un soulagement chez les uns,
01:02:22mais aussi des protestations, parfois des plus violentes,
01:02:26contre ce qui apparaît comme une critique du grand chef,
01:02:30auquel une partie de la population soviétique reste loyale.
01:02:34La déstalinisation a bien eu lieu sur Nikita Khrouchov.
01:02:38On va jusqu'à retirer le corps de Staline, en 1961, du mausolée de la Place Rouge.
01:02:46On peut dire les choses comme ça.
01:02:48Elle a eu lieu, tout de même, à cette période-là, la déstalinisation,
01:02:51ou c'était pas aussi clair que ça ?
01:02:53C'est pas un problème qui se pose aussi aujourd'hui ?
01:02:55Ça n'était pas clair du tout, parce qu'en réalité, ce qu'il faut bien voir,
01:02:59et les téléspectateurs le voient dans le documentaire,
01:03:02tous ces hommes que vous voyez à la tribune du mausolée,
01:03:05lors de l'enterrement de Staline,
01:03:07tous ces hommes que vous voyez à la tribune lors du XXe congrès,
01:03:10ce sont tous, tous, des gens couverts de sang, des pieds à la tête.
01:03:14Ça a été évoqué pour Khrouchev, mais tous les autres,
01:03:16et même l'un des plus grands chefs du NKVD,
01:03:18c'est-à-dire de l'organe de la terreur des années 30,
01:03:21le général Serov, qui assure la conscience des centaines de milliers de morts,
01:03:27a été nommé chef du KGB sous Khrouchev.
01:03:32Il est à la tribune.
01:03:33Donc tous ces hommes sont couverts de sang, des pieds à la tête,
01:03:36ils le savent parfaitement,
01:03:37et il est impératif de faire une opération d'amnistie, d'auto-amnistie.
01:03:41C'est à ça que va servir en partie le rapport,
01:03:44une grande auto-amnistie.
01:03:46Alors, on dit, Khrouchev a condamné les crimes de Staline.
01:03:49Non, il a condamné quelques crimes de Staline
01:03:52concernant des membres du parti communiste,
01:03:54et il a évoqué en une phrase la déportation des peuples du Caucase,
01:04:00les Tchétchènes, etc.,
01:04:02allant jusqu'à, et là, ça montre le cynisme de tous ces gens-là,
01:04:07parce qu'il y avait quand même près de 1500 délégués dans cette salle,
01:04:10allant jusqu'à dire,
01:04:12Staline voulait déporter tous les Ukrainiens,
01:04:16mais il n'a pas pu le faire parce qu'il ne savait pas où les mettre.
01:04:19Et là, dans le rapport officiel, entre parenthèses,
01:04:23il y a rire dans la salle, ce qui est quand même stupéfiant.
01:04:27Surtout quand on sait que Staline, par la collectivisation forcée,
01:04:32fait mourir de faim environ 4 à 5 millions de paysans ukrainiens en 1932-33.
01:04:38Et puis il y a un autre phénomène très important qui concerne justement la société,
01:04:42c'est organiser une espèce d'amnésie collective.
01:04:46On fait porter l'accent sur certains points,
01:04:49et le culte de la personnalité est une espèce de manœuvre de diversion entre nous,
01:04:54mais il faut organiser une espèce d'amnésie collective dans la société,
01:04:59sur voilà, vous avez le droit de parler de ces quelques crimes que j'ai cités,
01:05:03mais le reste, c'est-à-dire l'essentiel,
01:05:05les crimes de masse, la grande terreur de 1937-38 quand même,
01:05:091500 arrestations, 750...
01:05:13Un million cinq cent mille, pardon.
01:05:15Pardon, toujours des problèmes avec les zéros.
01:05:18Un million cinq cent mille, plus de 700 000 fusillés,
01:05:22700 000 déportés au goulag de manière quasi définitive.
01:05:25Donc voilà, toutes ces choses-là, les grandes déportations de 1939-41,
01:05:32Polonais, Baltes, Bessarabiens, etc.,
01:05:35on n'en parle pas, c'est interdit, ça.
01:05:37Donc voilà, à partir du moment où on a mis tout ça sous le tapis,
01:05:40forcément, la poussière va ressortir un jour.
01:05:45Alors on en arrive aussi à l'ère Brejnievienne,
01:05:47et là on apprend dans ce documentaire que Brejniev arrive au pouvoir en 1964,
01:05:51après Nikita Khrouchev, et dès 1965, on reparle de Staline.
01:05:56Et Brejniev, lui aussi, a fait la guerre,
01:05:59il doit sa carrière à Staline, c'est dit dans ce film,
01:06:02et déjà, on assiste à une forme de réhabilitation de Staline.
01:06:07Alors c'est pas le même Staline, c'est le héros de guerre,
01:06:10c'est celui qui a remporté la Seconde Guerre mondiale.
01:06:13Absolument. Alors, effectivement, vous l'avez dit,
01:06:16Brejniev, l'homme qui a dirigé l'Union soviétique pendant 18 ans,
01:06:20de 1964 à 82, c'est quand même le deuxième mandat le plus long,
01:06:24après Staline, n'est-ce pas, dans l'histoire soviétique.
01:06:28Il doit son ascension à Staline.
01:06:31C'est l'un des promus de Staline.
01:06:33Alors, Brejniev, né en 1906, il n'a pas connu la Révolution.
01:06:37Ce qu'il a marqué, c'est effectivement, vous l'avez dit,
01:06:40la grande expérience de la guerre, celle qu'on appelle la Grande Guerre patriotique, 1941-45.
01:06:45Il est en fait l'un des seuls futurs membres du Politburo,
01:06:50l'organe directeur de l'URSS, à avoir été sur le front.
01:06:54On peut se moquer en disant qu'il n'a pas vraiment été sur le front à Stalingrad,
01:06:58il a participé à un épisode mineur de la guerre,
01:07:01mais il a été au front, il a risqué sa vie.
01:07:04Cette expérience fondatrice, c'est ce qui va le pousser, si vous voulez,
01:07:08à faire de cette guerre un événement absolument considérable,
01:07:12qui va progressivement, pas complètement éclipser 1917,
01:07:16mais petit à petit prendre l'ascendant,
01:07:19et en tout cas, qui va préparer le terrain du poutinisme.
01:07:23Ce culte de la Grande Guerre patriotique, 1941-45,
01:07:26est au cœur de ce culte, qui d'autre que Staline ?
01:07:30Staline que l'on distingue du Staline des purges, de la terreur.
01:07:34C'est le Staline, homme d'Etat, qui a permis la victoire,
01:07:38sans lequel le peuple soviétique tout entier, comme dit la propagande,
01:07:41n'aurait jamais gagné cette guerre.
01:07:43Ce culte de la Grande Guerre patriotique, évoqué à l'instant,
01:07:47va durer de Brezhnev à Gorbatchev, finalement.
01:07:53Et jusqu'à aujourd'hui.
01:07:55Effectivement, sous Gorbatchev, cette remise en cause
01:07:59et la révision de l'histoire qui touche d'abord le stalinisme,
01:08:03puis la révolution et la figure de Lénine,
01:08:06cette révision n'épargne pas complètement la guerre,
01:08:10puisqu'on s'interroge sur les raisons des défaites soviétiques
01:08:14au début de la guerre,
01:08:16on s'interroge sur la responsabilité de Staline,
01:08:20on s'interroge sur le prix de la victoire,
01:08:23le prix, par exemple, de la défense de Leningrad, etc.
01:08:28Et à ce moment-là, pendant un assez court moment,
01:08:32au début des années 90,
01:08:34la mémoire de la Seconde Guerre mondiale
01:08:36passe un petit peu au second plan.
01:08:38Mais très vite, dès Yeltsin, sans même attendre Poutine,
01:08:42cette mémoire est à nouveau déterrée
01:08:45et Yeltsin, déjà, cherche à miser là-dessus
01:08:49pour assurer une cohésion nationale,
01:08:52sachant que, par ailleurs, en parallèle,
01:08:55il appelle à la mémoire et à l'histoire de la Russie impériale
01:08:59en essayant de garder ce qui l'arrange de l'histoire soviétique
01:09:05et de clamer une sorte de réhabilitation
01:09:08de l'époque impériale.
01:09:10Et puis, Poutine va continuer dans le même sens,
01:09:14mais en passant à un niveau bien supérieur,
01:09:18tout en gardant, néanmoins, une certaine ambiguïté
01:09:22pendant longtemps à l'égard de Staline.
01:09:24Alors, on va venir, bien sûr, à Vladimir Poutine dans un instant.
01:09:27Restons-en un tout petit moment sur cette très longue période.
01:09:30Brejnevienne, 18 ans, vous l'avez dit.
01:09:32Puis Andropov.
01:09:34Puis arrivera, évidemment, Korbatshev.
01:09:36Là, c'est un héros de guerre.
01:09:38C'est comme ça qu'on le présente, à la fois dans les livres scolaires,
01:09:41dans le cadre de cette grande guerre patriotique de 1945.
01:09:45Vous savez, tout régime politique a besoin d'un élément de légitimation.
01:09:50De 1917 jusqu'à 1939, c'était Lénine.
01:09:57Lénine était la grande figure tutélaire.
01:09:59Il y avait des statues de Lénine partout.
01:10:01Après 1945 et la victoire sur l'Allemagne nazie,
01:10:05Staline prend la place, tout en prenant la précaution
01:10:09de toujours se présenter avec Lénine.
01:10:12Il y avait toujours les deux portraits côte à côte,
01:10:15y compris dans des films de réconstitution de 1917, etc.
01:10:19En tout cas, en 1953 et jusqu'au fameux rapport secret,
01:10:25le grand homme qui légitime le régime, c'est Staline.
01:10:28A partir du moment où on l'enlève et même où on le jette aux oubliettes,
01:10:32il faut un nouvel élément de légitimation.
01:10:35Ca va être Lénine.
01:10:36Kroutchev, dans son rapport...
01:10:38On ne déboulonnera jamais les statues de Lénine.
01:10:40Absolument.
01:10:41Elles sont toujours là.
01:10:43En revanche, on aura déboulonné toutes celles de Staline après 1961.
01:10:47Absolument. On marque le territoire.
01:10:49Néanmoins, Brechnev ne reconstruit pas les statues.
01:10:53Justement, le problème...
01:10:55Il ne rebaptise pas les rues qui avaient été débaptisées.
01:10:57Il ne rebaptise pas Stalingrad, Stalingrad.
01:11:00Il la baptise...
01:11:02Bien sûr.
01:11:03Mais le problème, c'est que vu le fonctionnement du système soviétique
01:11:06dans les années 70, où ça devient vraiment désastreux,
01:11:10il faut trouver un autre élément de légitimation.
01:11:13Et là, c'est la guerre, effectivement,
01:11:15qui va être propulsée avec l'armée.
01:11:18L'ennui, c'est qu'à partir de 1990-91,
01:11:22quand l'URSS s'effondre,
01:11:23l'armée rouge, où est-ce qu'elle en est ?
01:11:25Elle a été un désastre en Afghanistan.
01:11:28On n'en parle plus.
01:11:29Le parti a raté son putsch contre Gorbatchev.
01:11:34Et le KGB reste un petit peu la seule instance
01:11:38qui avait de la consistance,
01:11:40qui va plonger, je dirais, pour se faire oublier.
01:11:45Mais on sait très bien que M. Poutine est un colonel du KGB.
01:11:49Et donc, lui, il faut qu'il reconstitue à son tour une légitimité.
01:11:53Laquelle ?
01:11:55La grande guerre patriotique.
01:11:57Et là, il va faire toute cette extraordinaire opération
01:12:01avec tous les vétérans,
01:12:03les fils des vétérans, etc.
01:12:05Lui-même, ses parents ont participé à la guerre à Leningrad.
01:12:08C'était très dur.
01:12:10Et puis, alors, il va raccrocher ça
01:12:12à l'histoire russe traditionnelle tsariste.
01:12:16Et l'histoire russe traditionnelle tsariste,
01:12:19quelle est sa grandeur ?
01:12:20D'avoir battu Napoléon, par exemple.
01:12:22Donc, la guerre, encore une fois.
01:12:24On raccroche les wagons à la locomotive.
01:12:26Donc, au coeur de tout ça,
01:12:28il y a quand même le problème de trouver
01:12:30un principe de légitimation du régime.
01:12:32Et à chaque fois,
01:12:34Lénine, puis Staline,
01:12:36puis à nouveau Lénine,
01:12:38et ensuite, la grande guerre patriotique.
01:12:40Un jeune russe de 20 ans, d'aujourd'hui,
01:12:42de quoi peut-il être fier de l'histoire de son pays ?
01:12:451917, ça se termine en désastre en 1991.
01:12:49La période stalinienne, des millions de morts.
01:12:52Donc, il reste une seule chose,
01:12:54la victoire sur le nazisme.
01:12:56Un mot sur Boris Helsin, et c'est promis,
01:12:58on va parler de Vladimir Poutine juste après.
01:13:00La vraie rupture, c'est quand même Boris Helsin.
01:13:02Là, il est en train de construire
01:13:04la fédération de Russie, sur un modèle économique
01:13:06qui n'a plus rien à voir,
01:13:08qui est en opposition totale
01:13:10avec celui de l'Union soviétique.
01:13:12Là, on aurait pu se dire
01:13:14qu'il aurait pu, pardonnez-moi l'expression,
01:13:16mais achever la mémoire de Staline.
01:13:18Le fantôme.
01:13:20L'ombre du commandeur.
01:13:22C'est ça, Staline, le commandeur.
01:13:24Alors, Boris Helsin,
01:13:26c'est quelqu'un qui est anticommuniste.
01:13:28Et qui a une hantise,
01:13:30pendant ses deux mandats,
01:13:32c'est de voir les communistes revenir au pouvoir.
01:13:34Il fait tout pour qu'ils ne reviennent pas au pouvoir.
01:13:36Son problème, c'est quoi ?
01:13:38Son problème numéro un,
01:13:40c'est l'opposition,
01:13:42à la fois les communistes du KPRF
01:13:44de M.Zhuganov,
01:13:46et en même temps les nationalistes
01:13:48de Feu-Jirinovsky.
01:13:50Ces deux groupes,
01:13:52qui sont majoritaires au Parlement,
01:13:54s'unissent
01:13:56autour de la figure tutélaire
01:13:58de Staline.
01:14:00Pour avoir un minimum
01:14:02de consensus politique
01:14:04et social,
01:14:06Helsin doit céder du terrain.
01:14:08C'est un antistalinien,
01:14:10c'est un anticommuniste.
01:14:12A l'époque, ceux qui dominent dans le discours politique
01:14:14en Russie, ce sont les démocrates,
01:14:16les libéraux.
01:14:18Pour l'élection de Helsin
01:14:20en 1995-1996,
01:14:22pendant la campagne, on montre des images
01:14:24du régime communiste, on rappelle l'existence
01:14:26du goulag, en disant
01:14:28si les communistes sont élus, vous voulez le retour du goulag ?
01:14:30Le goulag,
01:14:32le stalinisme, il est noir, il est rejeté.
01:14:34Mais en même temps, on a ce discours
01:14:36du côté des communistes et des nationalistes,
01:14:38ce discours rampant de restalinisation,
01:14:40qui crée
01:14:42un terreau, encore une fois, favorable
01:14:44à ce que l'on va avoir sous Poutine.
01:14:46Et qui crée la garantie
01:14:48d'une certaine stabilité politique pour Boris Helsin.
01:14:50Vous venez nous l'expliquer.
01:14:52Un extrait, un seul du film que nous avons vu
01:14:54précédemment, c'est celui-ci.
01:14:56Oliver Stone, le réalisateur américain,
01:14:58interview Vladimir Poutine,
01:15:00nous y sommes, et nous sommes aussi en 2015.
01:15:04Lorsque le cinéaste Oliver Stone l'interrogeait
01:15:06sur Staline en 2015,
01:15:08Vladimir Poutine adoptait une position
01:15:10qu'il voulait équilibrer.
01:15:22...
01:15:24...
01:15:26...
01:15:28...
01:15:30...
01:15:32...
01:15:34...
01:15:36...
01:15:38...
01:15:40...
01:15:42...
01:15:44...
01:15:46...
01:15:48...
01:15:50...
01:15:52Emilia Kostova, il faut nous expliquer
01:15:54ce en même temps. Alors, nous sommes en 2015,
01:15:56il y a 10 ans maintenant,
01:15:58il s'est passé bien des choses, évidemment,
01:16:00du côté de la Fédération de Russie,
01:16:02notamment cette guerre enclenchée en Ukraine.
01:16:06Décodez-nous ce qui vient d'être dit là
01:16:08et de ce en même temps, en réalité, concernant Staline
01:16:10dans les propos de Vladimir Poutine.
01:16:12Il cherche à...
01:16:14Il le dit, le film le dit,
01:16:16il cherche à garder une position
01:16:18d'équilibre,
01:16:20en fait, intenable, impossible,
01:16:22entre, certes, évoquer
01:16:24les crimes de Staline,
01:16:26parler des millions de victimes
01:16:28comme il le faisait encore en 2015,
01:16:30ce n'est plus le cas aujourd'hui.
01:16:32Ce n'est plus le cas aujourd'hui ?
01:16:34Cette ambiguïté, elle a duré
01:16:36pendant toutes les années
01:16:382000, 2010,
01:16:40et puis c'est même avant
01:16:42l'agression russe à large échelle
01:16:44contre l'Ukraine que
01:16:46cette ambiguïté a commencé à céder
01:16:48place à une véritable
01:16:50réhabilitation de Staline.
01:16:52Pour moi, ça date à peu près
01:16:54de 2019, 2020,
01:16:56où vraiment, on voit
01:16:58s'accumuler les signaux
01:17:00et les signes de cette
01:17:02restalinisation.
01:17:04À l'époque, en 2015,
01:17:06Poutine, par exemple, soutenait
01:17:08le projet d'ouverture
01:17:10d'un grand musée du Goulag à Moscou,
01:17:12musée qui a été ouvert.
01:17:1410 ans plus tard, il a été fermé.
01:17:16Ça vient de se passer.
01:17:18Ça date de novembre 2024.
01:17:20Il a été fermé
01:17:22provisoirement pour
01:17:24des raisons absolument ridicules
01:17:26de sécurité
01:17:28anti-encendie,
01:17:30comme il est d'usage de le faire
01:17:32en Russie.
01:17:34Et puis il y a la dissolution,
01:17:36on l'a évoqué, de Mémorial.
01:17:38Vous présentez toujours Mémorial France
01:17:40sur ce plateau,
01:17:42tout de même.
01:17:44Mémorial, c'était cette association
01:17:46qui, sous Gorbatchev, avait décidé
01:17:48d'engager tout ce travail mémorial
01:17:50autour des victimes du système
01:17:52soviétique, et notamment
01:17:54de cette période stalinienne.
01:17:56En fait, pendant longtemps, on a cru
01:17:58que ce qui dérangeait en Mémorial,
01:18:00ce qui était dérangeant pour Poutine
01:18:02dans la figure de Mémorial, c'était
01:18:04ses activités de défense des droits humains.
01:18:06Aujourd'hui, ce ne sont pas
01:18:08seulement ses activités de défense
01:18:10des droits humains,
01:18:12ce sont aussi toutes ses activités
01:18:14de conservation de la mémoire
01:18:16du stalinisme, et tout ce travail
01:18:18d'écriture d'histoire,
01:18:20écriture de l'histoire des victimes,
01:18:22mais aussi des bourreaux,
01:18:24et toute cette réflexion sur les responsabilités
01:18:26de l'Etat russe et soviétique
01:18:28dans les répressions,
01:18:30tout cela dérange,
01:18:32et tout cela a conduit à interdire
01:18:34les activités de Mémorial sur le territoire russe.
01:18:36Ce qui est étonnant,
01:18:38c'est que lorsqu'on regarde
01:18:40les sondages d'opinion
01:18:42du côté russe,
01:18:44cette réhabilitation fonctionne,
01:18:46au vu de ce que sortent ces sondages.
01:18:4879% de la population,
01:18:50en 2020, trouvaient l'action
01:18:52de Staline tout à fait positive, par exemple,
01:18:54aujourd'hui.
01:18:56Il est réellement réhabilité,
01:18:58y compris au sein de la population russe,
01:19:00c'est comme ça qu'il faut comprendre les choses ?
01:19:02Il faut voir le rouleau compresseur de la propagande
01:19:04qui se déverse sur cette malheureuse population russe,
01:19:06que ce soit la télévision,
01:19:08les journaux,
01:19:10les discours de Poutine, etc.
01:19:12Et puis, surtout, l'élimination
01:19:14de tous les gens qui, eux,
01:19:16font cette histoire,
01:19:18en particulier Mémorial.
01:19:20C'est tout à fait étonnant de voir
01:19:22un régime qui interdit
01:19:24les gens qui font
01:19:26le travail... Je vous ai apporté ici
01:19:28un livre, justement, de Mémorial.
01:19:30Voilà un... Vous voyez l'épaisseur du livre ?
01:19:32C'est un...
01:19:34C'est une espèce de dictionnaire
01:19:36de tous les bourreaux de la police politique
01:19:38des années 30 qui ont fait
01:19:40la grande terreur, etc.
01:19:42Ça, c'est le travail de Mémorial.
01:19:44C'est même pas un travail de mémoire,
01:19:46c'est un travail d'histoire
01:19:48qui présente à toute la population russe
01:19:50les gens qui ont fait les crimes.
01:19:52Eh bien, c'est justement ces historiens
01:19:54qu'on va persécuter, qui sont en prison,
01:19:56qui sont en exil.
01:19:58Là, il y a un vrai problème, si vous voulez,
01:20:00sur la nature du régime.
01:20:02Personnellement, je considère qu'on est
01:20:04dans une espèce de réactivation
01:20:06du modèle totalitaire,
01:20:08même de basse intensité.
01:20:10Il n'y a pas de grands massacres, etc.,
01:20:12encore que les Ukrainiens, eux,
01:20:14ils payent le prix.
01:20:16Mais il faut bien dire que la population russe,
01:20:18quel est son moyen
01:20:20de s'informer, de savoir
01:20:22ce qui se passe sur son histoire,
01:20:24sur sa propre histoire ?
01:20:26Poutine est en train de faire réécrire tous les manuels scolaires.
01:20:28Quand même très important, ça.
01:20:30Les petits Russes de 10 ans,
01:20:32ils vont maintenant apprendre une histoire
01:20:34qui n'a pas grand-chose à voir avec
01:20:36le travail qui est fait par les vrais historiens.
01:20:38Donc, on est vraiment dans un
01:20:40retour en arrière, très clairement,
01:20:42et qui s'aggrave presque
01:20:44continuellement à cause de cette guerre en Ukraine.
01:20:46Évidemment, quand M. Poutine
01:20:48a raté son opération,
01:20:50il se radicalise un petit peu tous les jours.
01:20:52Il est dans une fuite en avant, évidemment.
01:20:54André de Kosovo, justement,
01:20:56bon, Stéphane Courtois a un peu défloré
01:20:58d'une certaine manière
01:21:00la réponse, mais, bon,
01:21:02quelle forme elle prend, cette réhabilitation
01:21:04de Staline dans les livres scolaires,
01:21:06dans les colloques, dans ce qui peut être dit ici ?
01:21:08Et pourquoi a-t-elle
01:21:10le taux de popularité, si je peux employer
01:21:12cette expression, concernant Staline
01:21:14aujourd'hui en Russie ?
01:21:16Stéphane a mis le doigt sur quelque chose de très, très important.
01:21:20Le lien entre
01:21:22restalinisation, ou néostalinisation,
01:21:24néostalinisme,
01:21:26et les ambitions impériales,
01:21:28militaires du régime poutinien.
01:21:30C'est très important.
01:21:32Ça ne date pas de la guerre en Ukraine.
01:21:34Ça ne date certainement pas de 2022,
01:21:36ni de 2014, avec l'annexion de la Crimée,
01:21:38même si, à partir de 2014,
01:21:40on insiste à une amplification
01:21:42de cette néostalinisation
01:21:44du régime.
01:21:46On considère que ça commence vraiment
01:21:48à la fin du deuxième
01:21:50mandat de Vladimir Poutine, dans les années
01:21:522007-2008, et,
01:21:54notamment, avec la guerre en
01:21:56Géorgie, au tout début
01:21:58de celui qui a été un peu le
01:22:00sidekick, comme on dit en anglais,
01:22:02de Poutine, c'est-à-dire Dmitri Medvedev.
01:22:04C'est avec cette guerre
01:22:06qui a
01:22:08coïncidé avec aussi un réveil mémoriel
01:22:10chez les voisins de la Russie.
01:22:12Il faut en parler aussi, parce que c'est une dynamique
01:22:14européenne et internationale, notamment
01:22:16l'Ukraine, la Pologne, les pays baltes,
01:22:18où il y a eu un réveil mémoriel, où il y a eu aussi
01:22:20des lois mémorielles qui ont été votées.
01:22:22Tout ceci, si vous voulez, constitue un cocktail
01:22:24qui fait que cette
01:22:26néo-stalinisation du régime
01:22:28poutinien a pris
01:22:30des tours absolument incroyables, et encore
01:22:32une fois, le lien avec la guerre, parce que
01:22:34tout ceci, ça sert à quoi ?
01:22:36Ça sert à bourrer
01:22:38le crâne des jeunes Russes.
01:22:40Vous avez parlé des sondages d'opinion
01:22:42qui ont vu les taux de popularité
01:22:44de Staline passer la barre
01:22:46des 50%.
01:22:48On considère, je cite
01:22:50l'Institut Levada, qui faisait
01:22:52autorité avant la guerre, parce qu'aujourd'hui,
01:22:54c'est difficile de faire confiance aux sondages.
01:22:56L'Institut Levada dit
01:22:58que ce sont surtout les jeunes
01:23:00qui ont cette image positive de Staline
01:23:02aujourd'hui, et c'est ça le plus inquiétant.
01:23:06On a évoqué...
01:23:08Et ce sera le mot de la fin.
01:23:10Cette dimension impériale
01:23:12est très importante, et je pense qu'il y a encore
01:23:14un mot qu'on n'a pas utilisé
01:23:16et prononcé aujourd'hui,
01:23:18c'est le mot puissance de l'Etat russe.
01:23:20C'est une sorte
01:23:22de puzzle qui s'assemble
01:23:24où on retrouve
01:23:26dans ce puzzle la figure de Staline,
01:23:28le silence
01:23:30sur les répressions ou la justification
01:23:32des répressions, parce qu'on les présente
01:23:34comme étant nécessaires pour assurer
01:23:36la victoire dans la Seconde Guerre
01:23:38mondiale, etc.
01:23:40Tout ce puzzle est construit
01:23:42pour à la fois
01:23:44appuyer la puissance
01:23:46de l'Etat russe aujourd'hui
01:23:48et pour présenter toute l'histoire russe
01:23:50comme étant une histoire d'un Etat
01:23:52puissant, où la nécessité
01:23:54de cette puissance finalement
01:23:56excuse et explique tout.
01:23:58Il y a la notion
01:24:00de hôtel de la patrie,
01:24:02comme on dit en russe, et en fait, sur cet hôtel
01:24:04de la patrie, il n'y a pas
01:24:06de sacrifice qu'on ne pourrait pas faire
01:24:08parce que c'est nécessaire
01:24:10pour que l'Etat soit puissant face
01:24:12aux voisins qui sont présentés
01:24:14comme étant toujours, éternellement
01:24:16hostiles et nuisibles.
01:24:18Aujourd'hui, la boucle est bouclée
01:24:20avec la guerre contre l'Ukraine
01:24:22et avec ce nouveau affrontement
01:24:24avec le monde occidental.
01:24:26Ce sera le mot de la fin, malheureusement,
01:24:28parce qu'on aurait voulu passer beaucoup plus de temps
01:24:30avec vous trois, pour parler de cette
01:24:32impossible déstabilisation.
01:24:34Après ce documentaire,
01:24:36où vous étiez le conseiller historique
01:24:38et après cet échange sur ce plateau de débats doc,
01:24:40un grand merci évidemment à tous les trois.
01:24:42Les réactions de nos téléspectateurs, ça sera sur
01:24:44hashtag débats doc, vous pouvez d'ailleurs réagir
01:24:46à ce que sont et ce que seront
01:24:48ces réactions. Merci à
01:24:50Félicité Gavalda, Victoria Bellé
01:24:52qui, comme à l'accoutumée, m'ont aidée à préparer
01:24:54cette émission, et moi, je vous donne rendez-vous
01:24:56pour un prochain débat doc, ça sera à la même place,
01:24:58à la même heure, et toujours, bien sûr,
01:25:00avec son documentaire et son débat.
01:25:02A très bientôt.

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