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00:00Bienvenue au cœur du crime, un podcast ici des archives d'Europe 1.
00:08Savez-vous que plus d'un tiers des crimes et délits commis en France sont traités par la gendarmerie nationale ?
00:18Je m'appelle Yann Kermadec, je suis commandant de gendarmerie.
00:27Je dirige une section de recherche dont la mission essentielle est une mission de police judiciaire.
00:42L'histoire que je vais vous raconter est une histoire vraie.
00:46Tous les faits sont réels et se sont déroulés en France.
00:50Seuls les noms des personnes et des lieux ont été changés.
00:57La victime
01:01Pauvre Mike. Pas de chance. Non, vraiment pas de chance.
01:06Lui qui se plaignait à tout le monde de ses insomnies.
01:09« C'est pour ça que je suis veilleur de nuit ! » aimait-il dire.
01:14Eh bien, pour une fois qu'il s'est endormi en plein travail, en plus, il n'a vraiment pas eu de chance,
01:20car il était complètement cramé quand les pompiers l'ont découvert.
01:25C'est grâce au bouton doré de son uniforme qu'on a pu l'identifier.
01:29C'est dire.
01:32Moi, je pense à tout ça. La vie, la mort, le destin et tout le grand toutime
01:37en observant la foule qui se presse au bar.
01:40Des employés de la compagnie, des comptables, des secrétaires, des vendeurs,
01:44tous ceux qui sont venus travailler sans avoir entendu les informations ce matin,
01:47parce que s'ils avaient allumé la radio, ils seraient restés chez eux.
01:52À trois heures du matin, tout était fini. L'aile administrative avait brûlé de haut en bas,
01:57avec les registres.
02:00Je ne peux pas m'empêcher de sourire en me rappelant la voix d'Epler,
02:05le gestionnaire en chef, quand il m'a téléphoné pour examiner ensemble l'état de certains comptes.
02:12Grâce à l'incendie, Epler n'aura plus rien à découvrir.
02:17Et grâce au pauvre Mike, l'incendie lui-même s'explique tout seul.
02:22Selon la thèse officielle, Mike a commis une imprudence fatale en vidant sa pipe dans une corbeille.
02:28Tout est bien qui finit bien, même si c'est vraiment triste pour ce pauvre Mike.
02:35Enfin, c'est la vie.
02:40J'en regarde mon verre.
02:43Le whisky tiède a une drôle de saveur si tôt le matin.
02:48L'impression d'ingurgiter un baba au rhum ou aurait macéré des guêpes.
02:54J'aurais préféré rentrer directement chez moi, mais quelqu'un m'a pris le bras au moment où je quittais la compagnie
03:00et force m'a été de me joindre au petit groupe qui traversait la rue en direction du bar.
03:06En plus de tout ça, j'ai été obligé de partager, bien entendu, la consternation générale.
03:10Tu parles si je m'en tape.
03:13Non, dire que l'incendie m'indiffère n'est pas vrai pour autant, vu qu'il me réjouirait plutôt.
03:21L'accueil diminue, chacun commence à rentrer chez soi pour des vacances impromptues.
03:26Il est temps de vider ce fichu verre de whisky et de regagner mes pénates, moi aussi.
03:33C'est alors que je vois Charles Hobson venir dans ma direction, un gros type aux joues rondes qui sourit tout le temps.
03:42Ah, le sourire de Hobson, pour moi c'est plus un tic que de la bonne humeur.
03:49Je le regarde mal à l'aise en espérant qu'il va passer son chemin.
03:53Il m'exaspère, ce type, trop empressé, trop jovial même pour un adjoint à la direction des ventes.
04:01Il s'arrête pile à ma table et me force à lui rendre son sourire, le bouvre.
04:06Une vraie veillée funèbre, hein, Jim ? Le pire, c'est que personne ne sait s'il doit rire ou pleurer.
04:13Oui, oui, m'enfin, ça fait quand même un sacré choc que je lui réponds comme ça.
04:20Moi, je vois plutôt ça comme des vacances inespérées, Jim.
04:24Oui, Charles, ça peut se concevoir, dis-je en massant la nuque.
04:30À mon avis, Jim, cet incendie est une chance pour vous.
04:36Comment ça, une chance pour moi, Charles ?
04:40Ben oui, pas de vérification des livres vu que c'est la comptabilité qui a brûlé.
04:46Ça vous épargne du travail.
04:49Je me trompe, Jim ?
04:53Je parviens à grimacer un sourire.
04:56Oui, évidemment, dans un sens, oui.
05:00Mais c'est curieux, Charles, je n'y avais pas pensé.
05:03Mais il faut regarder le bon côté des choses, Jim.
05:06Il y a toujours une compensation.
05:10Puis il désigne du menton les dernières personnes à glutiner au bar.
05:16Le drame, voyez-vous, Jim, avec presque tout cela,
05:19c'est qu'ils se retrouvent en vacances et qu'ils se demandent à quoi ils vont passer leur temps.
05:23C'est terrible, ça. Vous ne trouvez pas ?
05:26Oui.
05:27Et vous, Charles ? Qu'est-ce que vous allez faire ?
05:32Moi, j'ai déjà commencé ces sacrées vacances, mon cher Jim.
05:37La preuve, je viens de téléphoner à ma femme.
05:39Elle passera me prendre dans quelques minutes et nous irons en ville voir des voitures neuves.
05:44Peut-être même bien qu'on va en acheter une.
05:47Attention, Charles, il se peut qu'il y ait des licenciements après l'incendie.
05:51Vous ne devriez pas vous démunir.
05:54Soudain, son regard s'allume et, me semble-t-il, devient moqueur.
06:01Aucune importance, Jim. Je vais avoir des rentrées d'argent sous peu. Un joli paquet.
06:11Ah, magnifique, Charles, magnifique, dit Jean-Melevent.
06:16Bon, maintenant, si vous voulez bien m'excuser…
06:18Allons, allons, Jim. Permettez-moi de vous offrir un verre.
06:22Non, Charles, merci.
06:24Mais si, mais si. Quoi, vous êtes pressé ?
06:26Voyons, Jim, rappelez-vous, nous sommes en vacances. L'école a brûlé.
06:31Ah, qu'est-ce que vous voulez boire, Jim ?
06:35J'hésite.
06:38Entamer une discussion est inutile, d'autant que ce raseur doit partir bientôt.
06:43Allons, je me rassier avec un haussement d'épaule. Un whisky à l'eau, sans glace.
06:48Oui, c'est vrai, je me souviens de cette fois où vous êtes venu à la maison.
06:52Du whisky tiède. Quelle habitude de sauvage.
06:57Moi, je ne saurais boire un whisky sans glace.
07:01Il commande donc un whisky à l'eau et un whisky avec de la glace.
07:07La serveuse apporte la commande et nous gardons le silence un moment.
07:11C'est pourtant la glace qui fait ressortir le goût du whisky,
07:15murmure le gros Charlapson d'un air duct.
07:19Moi, je vous avoue, je ne pourrais pas avaler une gorgée de whisky sans glace. Ça, non, jamais.
07:25Il prend son verre et fait teinter les glaçons.
07:29À la vôtre, Tim, et à votre veine extraordinaire.
07:36Quoi ? Ma veine, Charles ?
07:39Ben oui. L'année dernière, Tim, vous m'avez tout l'air de l'avoir échappée, belle.
07:50Soudain, j'ai une terrible migraine.
07:54L'impression qu'on enfonce un pic à glace entre mes oreilles.
07:58C'est injuste, moi qui ne mets jamais de glaçons dans mon verre.
08:02Qu'est-ce qu'il a derrière la tête, le gros Charlapson ?
08:07C'est ce que vous saurez dans quelques instants.
08:17L'aile administrative de la compagnie qui m'emploie
08:21a été ravagée par un incendie la nuit dernière, faisant une victime, Mike, le gardien de nuit.
08:28On soupçonne d'ailleurs le pauvre Mike d'être l'auteur involontaire de l'incendie,
08:33en vidant imprudemment sa pipe dans une corbeille à papier.
08:38Dommage pour le vieux Mike, mais tant mieux pour moi,
08:42car le sinistre a détruit certains livres de contes qui m'auraient causé pas mal d'ennui,
08:48si vous voyez ce que je veux dire.
08:51Tout allait pour le mieux jusqu'à ce que le gros Charlapson s'assiait à ma table dans le bar d'en face
08:58pour me signaler qu'il m'a vu quitter la boîte quelques minutes avant l'incendie.
09:04Bizarre, non ?
09:07Bizarre et embêtant.
09:11Je dépose précautionneusement mon verre sur la table.
09:15Les muscles de ma bouche se tendent.
09:17Mon sang se met à battre violemment à mes tempes.
09:21Je parviens à articuler.
09:23Je… je ne comprends pas, Charles.
09:28Hobson hausse un sourcil, l'air innocent.
09:33Voyez-vous, mon cher Jim, j'avais travaillé tard pour me mettre à jour,
09:38et je me suis arrêté ici pour boire un dernier verre avant d'aller me coucher hier soir.
09:44Vous sortiez juste par la porte de côté quand je suis parti chez moi.
09:48Il devait être une heure et demie, deux heures du matin.
09:52Non, vous vous trompez, Charles.
09:55Ah bon ? Il était plus tard ?
09:58En tout cas, c'était au moment où l'incendie a éclaté.
10:02Dommage que vous n'ayez pas emmené le pauvre vieux Mike avec vous.
10:08Impossible que je suis moi, Charles.
10:11Je dormais à cette heure-là, voyons.
10:13Entre nous, Charles, combien avez-vous bu de dernier verre hier soir ?
10:19Oh, rassurez-vous, Jim, je n'en ai pris qu'un,
10:24et je suis certain que c'était vous.
10:28C'était bien vous, Jim.
10:31Le gros porc me fixe avec un détestable sourire.
10:36Nous n'avons pas le temps d'en discuter maintenant, cher Jim.
10:40Je pense que mon épouse m'attend dehors.
10:42Mais pourquoi ne passeriez-vous pas à la maison cet après-midi ?
10:47On en reparlerait, tranquillement.
10:52Je crois fort qu'on n'ait rien à se dire, Charles.
10:56Il se lève et tire sa grosse masse.
11:00Viens tout de même, Jim.
11:02Mais pourquoi, Charles ?
11:05Nous boirons un verre en parlant de l'argent
11:08qui ne va pas manquer de tomber dans mon escarcelle,
11:12si vous voyez ce que je veux dire, cher Jim.
11:16Alors, à quatre heures, chez moi, hein ?
11:19Mais vous y serez. J'ai le présentiment que vous y serez.
11:23À tout à l'heure, cher Jim.
11:28Je le regarde quitter le bar, figé sur place, les tripes nouées de peur.
11:35Abson sait.
11:37Abson a tiré toutes les déductions qui s'imposent,
11:40même en ce qui concerne l'argent.
11:43Il ignore le montant de la somme, mais il sait que j'ai puisé dans le pactole.
11:48Maudit Abson.
11:50J'écrase mon poing contre la table en regardant la glace fondre dans son verre.
11:54Si seulement les cubes étaient de l'arsenic !
11:58Que faire, bon Dieu, que faire ?
12:01Acheter son silence ? Ridicule.
12:04Quelle que soit la somme que je donnerai la première fois,
12:07ce ne sera que des arts, un petit avaloir sur une dette jamais éteinte.
12:13Il va m'extorquer jusqu'au dernier dollar.
12:17Il n'y a qu'une seule manière de m'en sortir, n'est-ce pas ?
12:21Une manière rapide, subtile, sans trop de risque et radicale.
12:28La chaleur du whisky me réconforte tant soit peu,
12:31tandis que je me ronge les ménages en considérant le verre de ce salaud.
12:36Il ne reste que quelques glaçons flottant à la surface d'un liquide pâle.
12:40Quelques glaçons.
12:43C'est la glace qui fait ressortir le goût, avait-il dit.
12:49Mais bon sang.
12:52C'est évident.
12:54ÉVIDENT !
12:56Je vide mon verre et je sors. Le plan est simple, direct et immédiat.
13:00Absinthe et sa femme seront en ville pour quelques heures.
13:03L'unique problème sera de m'introduire discrètement chez eux.
13:07Je laisse ma voiture au parking et file en autobus au centre commercial
13:10à quelques kilomètres de chez eux.
13:12Dans un magasin de fourniture pour le jardinage,
13:14j'achète un litre et demi d'antiherbes,
13:17de l'anhydrite arsénieux à 25% sans goût et sans odeur.
13:21On pourrait très bien croire que c'est de l'eau, si vous voyez ce que je veux dire.
13:25Arrivé sans hâte à la rue des Hapsen, je souris.
13:29J'ai eu tort de craindre qu'on me remarque.
13:31La chaussée est un véritable chantier encombré d'hommes et de matériel
13:35noyés dans le tintamarre des marteaux pneumatiques.
13:38Un coup de chance inespéré.
13:41La chance me sert encore dans l'arrière-cour des Hapsen,
13:44car je parviens à soulever sans difficulté le pen de la porte
13:48à l'aide de mon canif suisse.
13:51Le reste n'est qu'un jeu d'enfant.
13:54J'enfile des gants et j'ouvre le compartiment à glace du frigo.
13:57Il contient quatre casiers à glace que je vide dans l'évier
14:01et que je remplis de désherbant.
14:05Un frisson me secoue les épaules me laissant un sentiment de chaleur et de joie,
14:10exactement comme la veille quand j'ai vu monter les premières flammes
14:14en soufflant sur les cendres rougeoyantes de la pipe du vieux Mike
14:19au fond de la corbeille à papier.
14:22Désormais, Charles Hapsen est un homme mort.
14:28Au départ, je n'avais pas l'intention de me rendre à son rendez-vous,
14:31mais à mesure que la journée avance, je me dis qu'Hapsen risquerait de s'impatienter
14:36et de prendre le téléphone plutôt qu'un verre.
14:41Mieux vaut ne pas manquer le rendez-vous.
14:44À quatre heures dix, je garde ma voiture au bas de la rue
14:47où les ouvriers sont toujours en chantier.
14:50Je fais les quelques mètres qui me séparent de la maison
14:53et je sonne à la porte en sifflotant.
14:56— Ah, Jim ! s'exclame Mme Hapsen. Entrez donc !
15:01Elle me prend la main et m'entraîne à l'intérieur.
15:04— Quel plaisir de vous voir, cher Jim. Asseyez-vous.
15:07Charlie est en haut. C'est atroce, n'est-ce pas ?
15:11— Pardon ? Qu'est-ce qui est atroce ?
15:13— Cet incendie. Mais non, parlons plus. Puis-je vous offrir un verre ?
15:17— Oui, volontiers, Mme Hapsen. Un whisky, si vous avez.
15:20— Oui, avec de l'eau et pas de glace. Vous voyez, je me souviens.
15:24dit-elle en quittant la pièce.
15:28La masse d'Hapsen apparaît sur le seuil du salon.
15:31Comme d'habitude, il sourit.
15:34— Chéri, apporte-moi un verre, tu veux ?
15:39— Vous me semblez de meilleure humeur que ce matin, mon cher Jim.
15:44— Une chance. Je me suis dit que vous aviez raison. Nous voici en vacances.
15:50Sur ces entrefaites, Mme Hapsen nous apporte nos verres.
15:55— J'ai raison sur un certain nombre de points, cher Jim. En conviendrez-vous ?
16:01Ne serait-ce que… en ce qui concerne la nuit dernière.
16:06Je lui souris et je bois une longue gorgée avec lenteur pour le pousser à faire de même.
16:14Dans quelques minutes, tout sera fini.
16:19Effectivement, vous n'avez pas tort pour la nuit dernière, Charles.
16:25Excellent, votre whisky !
16:30Mais qu'est-ce qu'il attend pour boire aussi, ce gros porc ?
16:33Oui, excellent, c'est du douze ans d'âge, dit-il en faisant teinter les glaçons.
16:40N'a vrai que vous ayez dû monter à pied jusqu'ici, cher Jim. Cette chaussée défoncée !
16:47— Ah oui, oui ! renchérit sa femme.
16:50Nous serons sans doute obligés de dîner dehors ce soir, Charles.
16:54— Ah bon ? fait Hapsen.
16:58Pourquoi ?
16:59Je ne pourrai pas faire la cuisine, Charles. L'eau est coupée à cause de ces fichus travaux.
17:05Comment ? Il n'y a pas d'eau ?
17:07Non, Charles. Elle a été coupée cet après-midi. Mais je ne me suis pas laissé prendre des pourvues.
17:13J'ai fait fondre tout un plateau de glaçons rien que pour Jim.
17:19Quoi ?
17:20Eh bien oui ! Pour que vous ayez quand même votre whisky à l'eau.
17:24C'est ainsi que vous l'aimez, n'est-ce pas, cher Jim ?
17:28Oh non ! Oh non ! Mais qu'est-ce qui se passe, Jim ? Mais qu'est-ce qui ne va pas ? Jim ! Jim ! Jim !
17:42Que voulez-vous que je réponde à cette voix de plus en plus lointaine, à ce gros type de plus en plus flou ?
17:52Que voulez-vous que je réponde ?
17:55À votre santé, Charles.
18:22L'application Jim est disponible sur le site et l'appli Europe 1.
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