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Elle a fait ses armes au parti socialiste, avant de rejoindre la France insoumise. Nadège Abomangoli est née à Brazzaville et a grandi à Épinay-sur-Seine. Elle est aujourd'hui vice-présidente de l'Assemblée.

Pourquoi s'engage-t-on en politique ? Comment tombe-t-on dans le grand chaudron de l'Assemblée ?
Chaque jour, Clément Méric, dans un entretien en tête à tête de 13 minutes, interroge un parlementaire sur les personnalités, les évènements - historiques ou personnels - qui l'ont conduit à choisir la vie publique.
Car on ne naît pas politique, on le devient !

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Transcription
00:00Elle a fait ses armes au Parti socialiste
00:02avant de rejoindre la France insoumise.
00:04Mon invitée est née à Brazzaville
00:06et a grandi à Épinay-sur-Seine.
00:08Elle est aujourd'hui vice-présidente de l'Assemblée.
00:11Générique
00:12...
00:22Bonjour, Nadège Abomangoli.
00:24Avant chaque séance à l'Assemblée,
00:26les tambours de la garde républicaine
00:28retentissent dans la salle des pas perdus.
00:30C'est un cérémonial un peu immuable
00:32pour accompagner le ou la députée qui va présider la séance.
00:35On va revoir des images de ce moment
00:37qui est plein de solennité,
00:39des images qui ont été tournées au mois d'octobre 2024.
00:42...
00:53La séance est ouverte.
00:56L'ordre du jour appelle la discussion
00:58du projet de loi de finances pour 2025.
01:00La parole est à M. Antoine Armand,
01:02ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie.
01:06Vu comme ça, ça a l'air d'une séance banale,
01:08on va dire ordinaire, sauf que ce jour-là,
01:11vous êtes entrée dans l'histoire, d'une certaine façon,
01:14vous êtes devenue la première femme noire
01:16à présider une séance à l'Assemblée nationale.
01:19Ca a fait de vous un symbole pour beaucoup de gens.
01:22Comment est-ce que vous le vivez, ça ?
01:24D'abord, en fait, ce qui me fait plaisir,
01:26c'est que cela fait plaisir à beaucoup de gens,
01:29évidemment mes proches, ma famille,
01:32mais aussi vraiment des milliers de militants.
01:35J'ai reçu énormément de messages de France,
01:38mais aussi de l'étranger.
01:39De militants uniquement ?
01:41Non, de militants de France et d'étrangers
01:43et des personnes lambda.
01:46J'ai rencontré, il y a pas longtemps,
01:48dans une boutique, une jeune fille qui m'avait vue,
01:51qui sait que je suis la première femme noire
01:53vice-présidente de l'Assemblée et qui va faire un stage chez moi.
01:57Donc, en fait, ça signifie que c'est inspirant,
02:00ça signifie que c'est un symbole fort.
02:02Vous l'assumez pleinement, de l'être un symbole, en soi ?
02:05Je l'assume pleinement.
02:06Quand Yannick Brune-Pivet a été la première femme
02:09à présider l'Assemblée, c'était une étape importante.
02:12Maintenant, l'idée, c'est que ça ne reste pas un symbole,
02:15mais que ça dit que la France est nouvelle,
02:18est diverse et la France mérite d'être représentée partout.
02:23Vous l'assumez pleinement.
02:25J'ai vu comment vous aviez un peu commenté cet événement
02:28au moment où ça s'est produit.
02:30Vous avez dit qu'il faut aller au-delà
02:32de la politique de représentation.
02:34Le fond est plus important que les personnes.
02:36Ca a donné peut-être le sentiment que ça vous agaçait un peu
02:40qu'on en parle autant en se focalisant sur ce point précis.
02:43Non, c'est pas que ça m'agace. J'assume les deux.
02:46Franchement, je l'assume.
02:47Lorsqu'on m'a dit que j'étais la première femme noire
02:50à présider l'Assemblée, j'ai moi-même fait une publication
02:54pour dire Nouvelle France, donc je l'assume pleinement.
02:57Mais en effet...
02:58On n'est pas étréduite à ça, c'est logique.
03:00Déjà à titre personnel, mais même à titre général,
03:03on fait de la politique.
03:05Ce qui compte, c'est le fond, c'est ce qu'on défend,
03:08parce qu'on peut très bien mettre une femme noire
03:11à des responsabilités et défendre une politique
03:14qui n'est pas de nature à être inclusive
03:16et voilà.
03:17Enfant, ça vous aurait fait quoi,
03:19de voir une femme noire présider l'Assemblée nationale ?
03:23Est-ce que ça vous aurait éveillé quelque chose en vous ?
03:26Ca aurait pu...
03:27En fait, il faut savoir que ma génération a grandi
03:30avec très peu de figures qui nous ressemblaient.
03:32Je dis pas que ça a été un traumatisme,
03:35mais c'est quand même, dans la construction des personnes,
03:38dans la construction de ce qu'on perçoit de la société,
03:41c'est quand même très important.
03:43Oui, je pense que c'est pas à nous,
03:45c'est pas anodin si ce sont essentiellement des femmes,
03:48des jeunes femmes, qui viennent me parler
03:51de cette accession à la vice-présidente
03:53de l'Assemblée nationale.
03:54Vous êtes née à Bras-à-Ville,
03:56vous êtes arrivée en France à l'âge de 2 ans.
03:59Vous avez grandi à Épinay, en Seine-Saint-Denis.
04:02Est-ce que vos parents étaient engagés sous une forme ou une autre ?
04:05Oui, mes parents étaient engagés sous une forme diverse.
04:09C'est-à-dire que d'une part, du côté de ma mère,
04:11dans sa famille,
04:12il y a eu deux députés.
04:15Ah oui ?
04:16Il y a eu deux députés au tout début des indépendances du Congo.
04:20Et du côté de mon père,
04:22mon père est un militant politique.
04:25Il a été membre du parti de Pascal Lissouba.
04:29Il l'est encore.
04:30Et bon, moi, j'ai vu, dans ma jeunesse,
04:33entre deux jobs, des engagements politiques,
04:37des réunions parfois à la maison.
04:39La politique était présente pendant votre enfance.
04:42J'ai lu que vous rêviez pas de devenir députée enfant,
04:45mais de devenir cosmonaute.
04:47Ah oui, je sais pas comment vous avez trouvé ça.
04:49J'ai l'impression que c'est un peu le rêve de pas mal d'enfants.
04:53Et puis moi, dans les années...
04:55Cosmonaute, c'était pour quoi ?
04:57Les années 80, 90, l'évasion.
04:59Et puis, moi, j'ai grandi en Seine-Saint-Denis
05:01et j'ai été assez entretenue par le souvenir
05:04du passage de Yuri Gagarin.
05:05Il avait fait une tournée dans les années 80.
05:08C'est un événement qui avait marqué
05:10pas mal de générations et de copains qui en parlaient.
05:13Ca m'avait donné cette envie-là.
05:14Vous vous êtes rapprochée de la politique
05:17à l'occasion des manifestations contre le CPE.
05:19Le contrat première embauche, c'était en 2006.
05:22Vous avez fait un stage à SOS Racisme.
05:24A l'époque, SOS Racisme,
05:25c'était la succursale du Parti socialiste.
05:28Est-ce que c'est un peu tout ça
05:30qui vous a rapprochée d'un engagement politique
05:32et d'un engagement au PS en particulier ?
05:35Alors, c'est en plusieurs temps.
05:37D'abord, quand j'ai fait un stage à SOS Racisme,
05:40je crois que c'était ma dernière année à Sciences Po.
05:43On devait faire un stage de six mois.
05:45Je n'arrivais pas à trouver de stage.
05:47J'ai fait un stage en 2001.
05:50Il y a eu le 21 avril 2002.
05:51J'étais à Sciences Po à ce moment-là.
05:53Ca, c'était dès 2001.
05:55Voilà, dès 2001.
05:56J'aurais pu...
05:57A ce moment-là, j'ai tenté de rentrer au MGS,
06:00c'était à l'époque.
06:01Mouvement des jeunes socialistes.
06:03On va dire que les premiers contacts
06:05n'ont pas été très positifs.
06:06J'ai pris un peu de recul.
06:08Et puis, en 2006,
06:10après quatre années de recherche d'emploi,
06:13c'est-à-dire que quatre années après Sciences Po,
06:16chômage, petit boulot, quelques stages,
06:18eh bien, il y a eu ce mouvement-là.
06:20Je me suis dit que peut-être il fallait passer de l'autre côté.
06:24Moi, j'ai toujours été un peu très critique
06:26à l'égard des organisations politiques.
06:28Vous vous en méfiez ?
06:30Il y avait quelque chose qui vous plaisait pas ?
06:32En fait, une distorsion entre les paroles et les actes,
06:36une méfiance.
06:37Aussi, il y a une distance, également,
06:39parce qu'on n'a pas le sentiment que c'est fait pour soi.
06:42Moi, quand j'étais à Sciences Po, déjà, c'était un peu difficile.
06:46Les portes de Sciences Po étaient à l'époque très lourdes à pousser.
06:49Je pensais de la même manière que les portes des partis politiques
06:53étaient très lourdes à pousser.
06:55Je vous racontais, il y a quelques instants,
06:57que dès 2002, j'avais tenté et que ça n'avait pas trop fonctionné.
07:01Qu'est-ce qui n'avait pas fonctionné ?
07:03Vous vous sentiez pas la bienvenue ?
07:05Je me sentais pas la bienvenue parce que, d'ailleurs,
07:08en 2002, lorsque j'avais voulu adhérer au MGS à Sciences Po,
07:11j'étais enceinte de mon fils et on m'a fait comprendre
07:14que peut-être, les femmes enceintes, ça n'allait pas le faire,
07:17parce qu'il y avait beaucoup de choses à faire, etc.
07:20Tous les rituels de la politique, lorsqu'on vient dans une réunion,
07:24la première fois, on sent bien que c'est ritualisé,
07:27que tout le monde n'a pas le droit à la parole de la même manière,
07:30selon son statut, et c'est un peu ce que j'avais retrouvé
07:33dans le 20e arrondissement.
07:35La première réunion où j'ai assisté,
07:37c'était le débat sur le traité constitutionnel européen.
07:40C'était un climat très tendu qui a été un peu difficile.
07:43Avant de parler du PS, j'aimerais qu'on parle
07:46de l'antiracisme, qui est au coeur de votre engagement.
07:49Vous en avez témoigné en lisant à la tribune de l'Assemblée
07:52quelques-uns des messages racistes que vous avez reçus,
07:56vous, personnellement, en tant que députée.
07:58Est-ce qu'on peut se protéger de ça,
08:00ne pas être affecté par la haine des autres ?
08:04Franchement, je mentirais si je disais que ça passe comme ça.
08:08Je ne fais pourtant pas partie des personnes
08:11les plus exposées à ça.
08:13Il est clair que, oui, je reçois vraiment beaucoup de messages.
08:17Sur les réseaux sociaux, par exemple, sur Twitter, sur X,
08:20mes messages sont verrouillés,
08:22ce n'est pas parce que je ne veux pas répondre,
08:24mais parce qu'on reçoit des réponses quasiment systématiquement
08:28insultantes, misogynes, racistes,
08:30et que j'ai une équipe qui lit ces messages,
08:33je n'ai pas envie de les exposer à ça.
08:35C'est difficile de se blinder, mais après,
08:38je pars du principe qu'il y a des gens qui subissent plus,
08:41je pars du principe que c'est le lot de la politique,
08:44je ne dis pas que c'est normal,
08:46mais moi, je suis députée et vice-présidente
08:48de l'Assemblée nationale.
08:50Je ne suis pas dans la situation des personnes
08:53qui n'ont pas l'occasion de pouvoir répondre,
08:55donc je ne vais pas être dans la déploration,
08:58mais c'est très violent.
08:59On va dérouler votre parcours politique.
09:01Vous vous êtes engagée au PS à partir de 2006,
09:04vous avez été élue conseillère régionale en Ile-de-France,
09:07conseillère départementale en Seine-Saint-Denis,
09:10assistante parlementaire d'un sénateur,
09:12et en 2015, vous êtes devenue porte-parole du PS.
09:15Dans la foulée, le gouvernement Valls a défendu
09:18la déchéance de nationalité pour les binationaux
09:20condamnés pour terrorisme, et là, vous y êtes clairement opposée,
09:24dans une tribune publiée par Mediapart.
09:26Du coup, qu'est-ce que la porte-parole du PS
09:29disait aux journalistes qu'il interrogeait
09:31sur cette mesure-là ?
09:33Bah que c'était une mesure...
09:36D'abord, c'est une mesure à la base du RN, en fait,
09:39que même le RN ne prouvait même plus à cette époque-là.
09:44Et vous assumiez ce différent politique,
09:46même en étant porte-parole du PS ?
09:48Le problème, c'est qu'il y a toujours une difficulté
09:51quand on est militant politique.
09:53D'ailleurs, vous voyez, je suis rentrée au PS en 2006,
09:56j'avais 30 ans.
09:57Donc, il y a toujours cette difficulté de se dire
10:00qu'on est dedans pour faire quoi.
10:01On est dedans pour se dire qu'on va essayer
10:04de changer les choses dans l'intérieur,
10:06y compris sur un certain nombre de sujets.
10:08Moi, la rupture avec les aspirations populaires,
10:11l'antiracisme, parce que je pense que c'est aussi
10:14la merde de la bataille pour les années qui viennent,
10:17c'est pour moi très important.
10:19Et à cette époque-là, voilà, j'ai fait le job
10:22d'essayer de, dans l'intérieur, de changer les choses,
10:25et je considère que la proposition de déchange de nationalité
10:28est, pour moi, une rupture fondamentale,
10:31parce que les textes de loi, la loi travail,
10:33le CICE, on peut abroger,
10:36mais une telle mesure dans la Constitution
10:39qui nous dit que, finalement, certains,
10:42qui, pourtant, n'ont pas de nationalité de rechange,
10:45n'ont pas de patrie de rechange,
10:47potentiellement, ils ne sont pas membres
10:49de la communauté nationale.
10:51Moi, j'ai alerté, d'ailleurs, au sein du PS,
10:53j'ai eu maille à partir avec un bon nombre de personnes
10:56qui soutenaient Emmanuelle Walls, et ça, pour moi,
10:59c'est une rupture qui a fait aussi le départ,
11:02le similement vers le départ.
11:03Ca n'a pas été immédiat.
11:05Vous avez rejoint la France insoumise,
11:07je crois, vers 2019, c'est ça ?
11:09En fait, peu de temps avant le mouvement des gilets jaunes,
11:12c'est là que j'ai commencé à avoir l'excellent Manuel Bompard.
11:16Vous avez été élue députée LFI de Seine-Saint-Denis en 2022,
11:19réélue dès le premier tour en 2024,
11:21vous êtes aujourd'hui vice-présidente,
11:23on en parlait, mais on n'a pas parlé de la fonction elle-même.
11:26Qu'est-ce qui fait un ou une bonne vice-présidente ?
11:29Quelles sont les qualités requises pour présider une séance ?
11:33Je dirais concentration,
11:35donc, en fait,
11:36regard à 360,
11:41se familiariser avec les personnes, avec les députés,
11:45respect du pluralisme,
11:47c'est-à-dire essayer de donner la parole à tout le monde,
11:50mais je trouve que, là, pour l'instant,
11:52l'Assemblée était plutôt bienveillante
11:54avec les nouvelles vice-présidentes.
11:57On va conclure l'émission par notre quiz.
11:59Je vais vous proposer de compléter des phrases
12:02que je vais vous proposer.
12:03Pour mes parents, avoir une fille députée,
12:07je pense que c'est une très grande fierté
12:10et...
12:13le reflet du fait qu'ils ont bien fait leur boulot.
12:17Bras-la-Ville, c'est pour moi.
12:19C'est pour moi très émouvant.
12:21La première fois que je suis allée à Bras-la-Ville,
12:23j'avais 21 ans, et c'est très étrange à dire,
12:26mais c'est comme si un lien avait toujours existé.
12:29Bras-la-Ville, pour moi, c'est mes racines.
12:31Enfin, être députée, c'est renoncer à...
12:34C'est renoncer à avoir beaucoup, beaucoup plus de temps pour...
12:39Ça renoncera à pas mal de temps pour les loisirs,
12:43pour les amis,
12:44mais quand on a de très bons amis, ils le comprennent parfaitement.
12:48C'est un sacrifice, du coup ?
12:49Oui, c'est clairement un sacrifice.
12:51Encore une fois, je vous le dis, on n'est pas à plaindre,
12:55mais c'est un vrai sacrifice, et surtout en ce moment,
12:58c'est quand même une époque assez palpitante à vivre.
13:01Merci beaucoup, Nadejda Boumangoli,
13:03d'être venue dans La Politique et moi.

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