Le 27 avril 2021, Sacha, 18 ans, se donne la mort au quartier disciplinaire de la maison d’arrêt de Saint-Brieuc. Ses parents, Yazid et Loriane, racontent le parcours tumultueux de Sacha et comment la prison l'a broyé.
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00:00J'ai entendu hurler « Papa, papa ! Papa, papa ! C'est Sacha, je crois qu'il est mort. »
00:08C'était horrible.
00:12J'ai beaucoup réfléchi à mes actes et les regrette amèrement.
00:15Mais je suis fragile d'esprit. Et là, c'est trop pour moi.
00:19Un jour de plus et je me fous en l'air.
00:21Certes, il a fait de la connerie, il assume, il est en privation de liberté six mois,
00:25mais je ne me demandais pas ce qu'il sortait pied devant, moi.
00:31Sacha est né dans les Ardennes et à l'âge de 6 ans, il y avait 6 ans,
00:35quand on est arrivé en Bretagne, où on a pris un garage automobile.
00:40Lui, il rêvait d'être cuisinier. Il avait une âme d'artiste,
00:43il était toujours en train de dessiner, d'écrire, de chanter et de danser.
00:50C'était un électron libre, il voulait faire ses propres choix
00:53et aller dans sa propre destination.
00:56Et ce n'était pas forcément l'avis qu'on partageait, mon mari et moi,
01:00pour son éducation et pour son bien.
01:02Il a commencé à faire des bêtises et nous, on souhaitait une assistance éducative
01:08pour pouvoir le mieux possible gérer.
01:12Ça a été problématique et à l'école et à la maison.
01:16Sacha, c'est un enfant qui est tout seul.
01:19Il n'a pas de famille, il n'a pas de frère.
01:22Son père est décédé quand Sacha avait 7 ans.
01:25Il ne le connaissait pas de toute façon, il ne savait pas qui c'était.
01:28Lui s'est toujours demandé comment se fait-il que mon papa m'a laissé tomber,
01:32son père biologique.
01:34Mais il m'a toujours appelé papa. Une fois, on a essayé d'en discuter avec lui,
01:37de lui dire Sacha, on comprend, si tu veux, on peut t'aider.
01:41Et il m'a toujours dit qu'il n'y avait pas de problème,
01:44qu'il n'y avait pas de problème, qu'il n'y avait pas de problème,
01:47qu'il n'y avait pas de problème, qu'il n'y avait pas de problème.
01:50De lui dire Sacha, on comprend, si tu veux.
01:53Il me disait que non, mon père c'est toi, j'en ai pas d'autre.
02:03Il travaillait dans un supermarché et le vendredi soir,
02:08en quittant sa caisse, il avait un endroit où il devait aller poser le fond de caisse.
02:14Et il n'y est pas allé en fait, il a gardé le fond de caisse, il est parti avec.
02:19Il a dit lors de sa déposition, quand il s'est fait attraper un mois plus tard,
02:24je me suis pris pour Pablo Escobar et finalement je suis qu'un clochard.
02:29Et jusqu'au moment où il s'est fait interpeller pour défaut de titre dans un transport en commun.
02:35Et à ce moment-là, une gendarme qui a eu la gentillesse de bien vouloir me prévenir
02:41de son interpellation, de son passage en comparution immédiate et de son incarcération.
02:48Alors quand j'apprends qu'il est incarcéré, je suis soulagée parce que ça fait un mois
02:52que je ne sais pas où mon fils dort, ce qu'il se passe dans sa vie,
02:56qu'est-ce qu'il consomme, qui il voit, avec qui il est, est-ce qu'il est en danger.
02:59Pour moi il est en sécurité, d'ailleurs je réponds à la gendarme qui me prévient
03:05qu'on ne risque plus de m'appeler pour me dire qu'il est mort.
03:08Je me dis aussi que c'est un mal pour un bien, que ça va lui le mettre face à ce qu'il a fait.
03:14Ça va lui faire une sacrée punition et qu'il va ressortir dans le droit chemin.
03:19Quant avant, il y avait une dizaine d'agressions par an, il y en a quatre par semaine.
03:24Alors il prend du temps avant de nous recontacter, donc déjà il y a la honte de ce qu'il a fait
03:30et puis oser reprendre contact avec nous.
03:33Donc il m'appelle pour me dire « Maman c'est Sacha, s'il te plaît raccroche pas ».
03:38Bien sûr je n'allais pas raccrocher et il m'a dit « tu n'es pas obligée de parler
03:43mais je t'appelle simplement pour vous demander de ne pas arrêter de m'aimer ».
03:47Je lui ai dit « Sacha, on n'est pas fiers de ce que tu as fait évidemment
03:52mais moi je suis ta mère et c'est inconditionnel, jamais de ma vie je n'arrêterai de t'aimer ».
03:57Il me dit que tout va bien, qu'il ne faut surtout pas que je m'inquiète.
04:00Mais il me semble qu'au début de nos échanges, il me dit qu'il a déjà fait cinq jours de mitard.
04:05Il me dit que ça a été terrible pour lui, que c'était la punition ultime,
04:08que jamais de sa vie il ne veut connaître à nouveau quelque chose comme ça.
04:13Donc il me dit qu'il a dû se bagarrer parce qu'arriver en détention ça a été compliqué pour lui.
04:18Il est jeune, il est doux, il a une voix douce, il est très fin.
04:23Il me dit que ce n'est quand même pas évident de se faire une place
04:27et qu'il faut qu'il montre qu'il ne cesse pas de faire et qu'il est capable de se défendre.
04:31Je comprends que ça l'a marqué et je suis presque sûre que ça ne se reproduira plus
04:35parce que la façon dont il m'en parle, vraiment, je sais que ça a été terrible.
04:41Et il me dit que jamais, jamais, j'y retournerai.
04:50Sacha m'appelle un jour pour me dire que j'ai une peine de mitard qui va tomber.
04:55Je me suis bagarrée, c'est de ma faute.
04:57Il y a un gars qui a voulu me prendre du tabac, c'était dans la cour.
05:00Je l'ai frappé, je n'aurais pas dû, je suis à bout.
05:02Donc il me dit, je vais faire une peine de mitard et j'ai peur, j'ai peur de ne pas tenir.
05:08Et il ne me donne plus de nouvelles pendant plusieurs semaines, trois semaines.
05:13Le mardi à 14h, je venais de reprendre mon poste.
05:16Le téléphone sonne sur mon portable.
05:20Je décroche avec le haut-parleur et j'entends Mme Haïtamou,
05:25c'est le directeur de la prison de Saint-Brieuc.
05:29Je coupe le haut-parleur, je le mets à mon oreille et je lui dis oui, je vous écoute.
05:33Elle me dit, j'ai une bien triste nouvelle, votre fils est donné la mort ce midi.
05:37J'ai eu un rire nerveux, d'incompréhension, j'ai pensé que ce n'était pas vrai.
05:43Je lui ai dit, mais ce n'est pas vrai ce que vous me dites.
05:47Il m'a dit, mais malheureusement, si.
05:50Je lui ai dit, mais ce n'est pas possible, dites-lui de m'attendre.
06:00J'ai vu mon fils partir en courant.
06:06J'étais à la fois dans mon appel et dans le fait de voir mon fils partir.
06:13J'ai entendu hurler, papa, papa, papa, papa, c'est Sacha, je crois qu'il est mort.
06:19C'était horrible.
06:22Je ne comprenais pas ce qu'il me disait.
06:25J'ai fini par l'écrire dessus pour qu'il baisse la tombe, pour que je puisse comprendre ce qu'il me disait.
06:31Finalement, j'ai fini par comprendre.
06:34Sacha, il est mort, il s'est suicidé.
06:36Je ne croyais pas.
06:37Je vois son moment arriver derrière, en pleurs, effondré.
06:43Je ne souhaite ça à personne.
06:50Voilà la lettre que Sacha a laissée.
06:53Bonjour M. O.
06:55Je vous écris pour faire part de mes sentiments.
06:58Je suis au bout, au bord du gouffre et au bord du suicide.
07:02Je suis prêt à en finir avec la vie, mais d'un autre côté, je pense que ce n'est pas la bonne solution.
07:07Et je pense pouvoir en trouver une meilleure avec vous.
07:12Je vous supplie de bien vouloir me faire faire mon QD en trois fois.
07:17J'ai beaucoup réfléchi à mes actes et les regrette amèrement, mais je suis fragile d'esprit.
07:22Et là, c'est trop pour moi.
07:24Un jour de plus et je me fous en l'air.
07:27S'il vous plaît, je fais appel à votre humanité et à votre empathie.
07:32Et dites à mes parents que je les aime, car j'ai décidé d'en finir maintenant.
07:36Adieu.
07:38Sacha était absolument incapable de rester au quartier disciplinaire.
07:42Le quartier disciplinaire, c'est la prison dans la prison.
07:45C'est une cellule isolée des autres.
07:48Où vous avez un toilette, un robinet, une petite table, un tabouret,
07:56et un sommier tout scellé au sol.
07:59Et rien d'autre.
08:01C'est l'isolement total.
08:04C'est quoi si on le met dans un trou ?
08:05T'as que des toilettes. T'as les toilettes turques.
08:07T'as les toilettes turques et un bantou dur.
08:09On jette un matelas comme ça, on distribue une gamelle.
08:11C'est ça une punition ?
08:12Ça tue des gens, le mitard.
08:15Le mitard, c'est comme si t'allais dans un cimetière.
08:20C'est sombre.
08:21C'est une prison dans une prison, je crois.
08:23Mentalement, ça tue.
08:26Je pense qu'il a étouffé de l'intérieur, de l'extérieur.
08:30Rien qu'en détention, Sacha dessinait énormément.
08:33Je retrouve encore aujourd'hui des dessins.
08:36J'ai des dessins partout. Il a dessiné toute sa vie.
08:39Il me disait « Maman, en détention, il n'y a pas que mon corps qui est enfermé,
08:43il y a aussi mon esprit. Je suis incapable de faire un dessin.
08:47Je suis incapable de laisser mon esprit aller à l'extérieur des barreaux
08:51pour pouvoir poser une image extérieure sur une feuille. J'y arrive pas. »
09:01Je suis très consciente que mon fils s'est donné la mort lui-même.
09:04Mais bien sûr que la non prise en charge de sa détresse
09:10et de son envie de mourir pour se délivrer de la situation dans laquelle il était
09:14et qu'il a su exprimer n'est pas été prise en charge.
09:17Mais j'ai posé la question.
09:20Il a effectivement fait part de son désir de mettre fin à sa vie
09:24pour sortir de sa situation.
09:26On lui a dit « Sacha, c'est du chantage.
09:30Si tu ne sors pas de là, tu meurs. »
09:32Et il a répondu « Oui, c'est du chantage.
09:35Si je ne sors pas de là, je meurs. Mais du chantage, ce n'est pas du bluff.
09:38Du chantage, c'est « Si je ne sors pas de là, je meurs. »
09:42Il n'est pas sorti. Il est mort.
09:44Il n'a pas été pris au sérieux.
09:46Ils m'ont dit « On a pris ça pour du bluff. »
09:50Vous savez que l'enquêtrice a réussi à me dire
09:54« Mais votre fils, c'est un grand comédien.
09:57Il a fait une tentative de pendaison le dimanche qui n'a pas été prise au sérieux.
10:01Il s'est dépendu lui-même. Ça n'a pas eu d'impact.
10:04Il a voulu la refaire un petit peu plus fort le mardi
10:06et il s'est pris lui-même à son propre jeu.
10:08Il s'est pris à son propre piège.
10:11Il faut être capable de l'entendre.
10:14Je vous assure qu'à ce moment-là, l'état de léthargie vous aide.
10:23Ce ne sera plus jamais pareil.
10:25Je vois ma femme pleurer tous les jours.
10:28Son petit frère.
10:31Il y a un bon qui a un vide. Il manque quelqu'un.
10:35Il n'est pas assez de gamins à adultes.
10:38Il y a la vie d'avant et la vie d'après.
10:41Même si on essaie de retrouver un équilibre, ça ne sera plus jamais la même chose.
10:45J'ai été incapable de travailler pendant un an et demi à peu près.
10:49Il a fallu tout un processus d'aide et beaucoup de temps
10:54pour réussir à retrouver des capacités.
10:57J'ai essayé de maintenir une vie et un équilibre familial
11:03pour moi, pour ma famille, pour mon fils, le petit frère de Sacha
11:08et pour Sacha.
11:11Je le fais aussi et principalement pour Sacha.
11:15Ma vie entière a changé. Le but de ma vie a changé.
11:19Ça m'a fait connaître des gens formidables.
11:22Ça a changé ma perception de la vie.
11:24Ça m'a apporté des choses positives.
11:27Et ça m'a apporté énormément de douleur
11:30La vie sera comme dans le cœur de tous les parents ayant perdu un enfant, éternelle.
11:39Un an après son décès, on a organisé une première marche blanche
11:42qu'on a réitérée les deux années suivantes.
11:45Parce qu'on se bat pour que justice soit faite pour Sacha,
11:50pour que les choses soient claires, pour que des réponses soient données.
11:54Parce qu'on est très conscients encore plus aujourd'hui
11:57qu'on a besoin d'être les seules familles dans des situations comme celles-là.
12:00Qu'on a besoin de réponses.
12:02Qu'on a perdu un proche et qu'il faut en tenir compte.
12:05Qu'il y a trop de zones d'ombre et d'inconsidération par rapport aux familles qui restent.
12:10Et que même si c'est un monde très opaque
12:14et qu'on a vraiment l'impression que beaucoup de choses peuvent être cachées, dissimulées
12:19ou que les familles ont besoin de réponses,
12:22tant qu'on n'y est pas confronté de près ou de loin,
12:24on ne se l'imagine absolument pas.
12:27Il faut, je pense, qu'on prenne plus conscience de comment ça se passe dans les prisons,
12:31de la difficulté des gens qui s'y trouvent.
12:34Et quand il se passe des choses comme ça, qu'on puisse laisser la parole aux gens,
12:39que ça puisse être mis au jour et que la justice soit rendue.
12:45Sacha s'est beaucoup cherché, avait beaucoup d'ambition
12:49et a toujours un petit peu cherché sa place et son rôle dans la vie.
12:54Moi aussi je me demandais quelle était sa place et son rôle dans la vie,
12:58ce qu'on peut découvrir au fur et à mesure de la vie d'une personne.
13:01Et je pense aujourd'hui, dans son décès, dans le combat qui est mené depuis,
13:06qui avait un but à l'origine, simplement lui rendre justice,
13:10je me rends compte qu'au fur et à mesure du temps,
13:13ce combat-là a donné un sens à sa mort
13:17et donc à sa vie, puisque sa mort est l'aboutissement de sa vie,
13:21et a fait changer des choses au sein de la prison dans laquelle il était incarcéré.
13:26Et le fait de faire connaître ces histoires, de faire bouger les choses,
13:30de donner aussi du courage à des gens qui ont subi la même chose
13:34et qui sont toujours restés dans le silence depuis, de pouvoir s'exprimer.
13:37Je pense que la mort de Sacha a pu servir à la vie à d'autres,
13:45au monde carcéral, à beaucoup de choses et à donner un sens à sa vie.
14:16Ils souhaitent faire reconnaître la responsabilité du personnel de la prison.
14:20Du côté de la maison d'arrêt de Saint-Brieuc, quelques mois après la mort de Sacha,
14:24le directeur de la prison a expliqué que les détenus placés au mitard
14:28et qui présentent un risque suicidaire sont désormais placés en cellule de protection d'urgence.
14:32C'est une cellule où les murs sont lisses et où le mobilier est fixé au sol
14:36afin d'éviter les passages à l'acte.
14:38Si vous voulez en savoir plus sur le sujet du mitard, je vous conseille cette vidéo.
14:42On l'a sortie l'année dernière.
14:44Trois détenus racontent cette expérience qui les a marqués à vie.
14:47Dernier conseil, ce témoignage de Jenaba Sangaré,
14:50dont le frère Alassane est mort après seulement 5 jours d'incarcération en 2022.
14:55Elle nous a raconté son histoire.
14:57Avant de vous laisser, je vous rappelle que si on peut parler de ces sujets importants
15:01mais trop peu racontés, c'est parce qu'on vit grâce à vos dons.
15:05Alors continuez à soutenir Street Press, continuez à soutenir notre travail
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