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Il est à l'affiche de "Jouer avec le feu", en salle le 22 janvier, réalisé par Delphine et Muriel Coulin. L'histoire d'un homme, veuf, cheminot la nuit, père dévoué à ses deux garçons le jour, qui assiste impuissant à la dérive de son fils aîné, irrésistiblement attiré par un groupuscule d'extrême droite, façon crâne rasé et croix celtique. Pour ce film, Vincent Lindon a reçu à la Mostra de Venise le prix d'interprétation masculine, face à Brad Pitt, George Clooney, Adrian Brody, Daniel Craig ; dix ans après avoir reçu le même prix à Cannes, et le César du meilleur acteur pour son rôle dans "La loi du marché".

"Inconsciemment, je suis probablement attiré, de par mon éducation et par mon père et ma mère qui m'ont élevé comme ça, par ces personnages qui me touchent particulièrement, parce que j'aime les personnages qui progressent. Un beau roman, un beau film, c'est un personnage qui est démuni, qui est en quête ; alors ça peut être un chômeur dans 'La loi du marché', ça peut être un syndicaliste dans un autre film de Stéphane Brizé, ça peut être le maître nageur dans 'Welcome'", témoigne Vincent Lindon.

Retrouvez « L'invité de 7h50 » de Sonia Devillers sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50

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Transcription
00:00Sonia Devillers, votre invitée est à l'affiche de « Jouer avec le feu » qui sortira en
00:05salle le 22 janvier.
00:07Film réalisé par Delphine et Muriel Coulin.
00:10Histoire d'un homme, veuf, cheminot la nuit, père dévoué à ses deux garçons le jour,
00:15qui assiste impuissant à la dérive de son fils aîné, irrésistiblement attiré par
00:19un groupuscule d'extrême droite, façon crâne rasée et croix celtique.
00:23Ce n'est pas forcément un film sur la violence, c'est un film sur la tendresse.
00:28On va vous expliquer pourquoi.
00:30Bonjour Vincent Lindon.
00:31Bonjour.
00:32Au Festival de Venise cette année, Brad Pitt, Georges Clounet, Adriane Brody, Daniel Craig,
00:37c'est vous qui recevez le prix d'interprétation.
00:40Dix ans après le prix d'interprétation à Cannes et le César du meilleur acteur pour
00:45votre rôle dans « La loi du marché » où vous interprétiez aussi un père de famille
00:49au chômage.
00:50Il se produit donc une étincelle quand vous endossez ces rôles-là.
00:53Laquelle ?
00:55D'abord, merci de citer tout ça, mais je me souviens d'une phrase de Coluche avec
00:59qui j'avais travaillé comme Rodi à l'époque, en 1980, c'est la première personne connue
01:04que j'avais rencontrée.
01:05Il avait dit une phrase qui m'avait beaucoup marqué, il avait dit « je suis arrivé premier
01:08dans un concours de circonstances ». Premier certes, dans un concours c'est sûr, mais
01:12de circonstances.
01:13Et ayant été président du jury à Cannes, je sais qu'un prix c'est aussi beaucoup
01:19de choses qui se passent, beaucoup de chance, c'est grâce à coup de bol, c'est de la
01:24faute à pas de chance.
01:25Donc je suis ravi, mais c'est vrai que je ne m'imaginais absolument pas à Venise,
01:30c'est un peu comme jouer contre Djokovic, mais sans raquettes, c'était quasiment impossible.
01:36Mais qu'est-ce qui se passe quand un homme comme vous, Vincent Lindon, rencontre des
01:40hommes comme eux ?
01:41Comme eux ?
01:42Vos personnages.
01:43Ah, mes personnages.
01:44D'abord, c'est une rencontre, je ne les rencontre pas vraiment, c'est-à-dire que c'est des
01:52gens que je cherche à faire, mais je ne fais pas des scénarios parce que le personnage
01:56est comme ça.
01:57Mais probablement que inconsciemment, je suis attiré par mon éducation et par mon père
02:02et ma mère qui m'ont élevé comme ça, ces personnages me touchent particulièrement
02:05parce que j'aime les personnages qui progressent, je trouve qu'un beau roman c'est une princesse
02:10qui souffre, donc un beau film c'est un personnage qui est démuni, qui est en quête, alors
02:17ça peut être un chômeur dans « La loi du marché », ça peut être un syndicaliste
02:23dans un autre film de Stéphane Brisé, ça peut être le maître nageur dans « Welcome ».
02:27J'aime être des personnages où les gens au cinéma peuvent se dire « Lui, c'est
02:32moi ». J'ai une fascination pour les gens, pour les citoyens, pour les gens de la cité,
02:38pour les gens des campagnes, j'aime ça, je me sens bien qu'en étant eux.
02:42Alors essayons de comprendre ce qu'il vit lui, justement, ce personnage.
02:47Tout le film des Sœurs Coulins repose sur vous, sur ce personnage.
02:50Moi je m'attendais à une plongée dans les groupuscules d'extrême droite, non.
02:54Tout est filmé du point de vue du père, la descente aux enfers de son fils, elle se
02:58déroule hors champ, on ne montre rien parce que votre personnage n'y est rien.
03:03C'est ça la condition de parents face à des enfants qui grandissent, on est tenus
03:08à l'extérieur ?
03:09Alors d'abord, j'ai accepté le scénario exactement pour ce que vous venez de dire.
03:13C'est rare de lire une histoire où il y a deux histoires, la grande histoire et la
03:16petite histoire.
03:17Mais chacun choisit quelle est la grande histoire et la petite histoire.
03:19Certains peuvent penser que la grande histoire, c'est la radicalisation d'un jeune homme
03:24qui a été élevé comme l'autre, ils ont un an et demi d'écart, ils ont mangé les
03:28mêmes choses, ils ont dormi dans des chambres équivalentes, ils ont été habillés pareil,
03:31ils ont entendu les mêmes choses dans la maison.
03:33Ils ont reçu le même amour.
03:35Ils ont reçu le même amour et en plus ils s'aiment entre eux énormément, on ne peut
03:39pas glisser une feuille de papier à cigarette entre ces deux frères.
03:42Et d'autres pourraient penser que la grande histoire, ce qui est mon cas, la grande histoire
03:45c'est l'amour.
03:46C'est toujours l'amour pour moi dans la vie.
03:47C'est cette histoire d'un père démuni qui en fait aime inconditionnellement ses
03:53deux enfants de la même manière, même s'il pense plus comme l'un que comme l'autre.
03:58Mais il est aussi fautif le père, parce que peut-être que sa manque de conversation,
04:05sa manque de communication, sa manque de poser des questions aux adolescents, aux jeunes,
04:10à nos enfants.
04:11Juste en demander comment ça...
04:12C'est un film qui dit que la tendresse ne peut pas tout ?
04:15C'est un film qui dit que la tendresse ne peut pas tout, oui, mais c'est aussi un film
04:21qui dit, et moi je suis très attaché à ça, ça ne vous a pas échappé, la maman
04:25n'est donc pas là puisque ce père est veuf, il s'aimait énormément, cette mère adorait
04:30ses enfants.
04:31Mais en fait, ce qui est formidable, c'est que c'est rare de voir un film où la femme
04:35n'est pas là, mais sa présence est constante, et c'est comme si, c'est ce que je pense
04:41moi, les femmes portent le monde, elle n'est pas là, et en fait on voit ces trois bons
04:44hommes se débattre, et on a presque envie de les prendre dans les bras et de dire, de
04:50s'occuper d'eux parce que personne ne sait comment faire.
04:54Les deux frères s'aiment d'un amour infini, mais ils ne s'attaquent jamais entre eux,
04:58ou extrêmement rarement.
04:59Mais est-ce que c'est aussi une histoire qui dépasse celle de cette cellule familiale ?
05:04Est-ce que c'est aussi une histoire française ? Est-ce que c'est aussi l'histoire d'une
05:08génération de gauche, anciennement syndiquée, politisée, qui voit ses enfants happés par
05:13la colère, par la radicalisation, par les groupuscules extrémistes qui les attisent
05:18ces colères ?
05:19C'est la France, ou l'Europe, ou le monde, qu'on regarde s'enfoncer parce que la viole,
05:27on regarde avec désespoir une jeunesse s'enfoncer dans la violence et le refus de l'autre.
05:35Et est-ce qu'on est aussi impuissant face à cette jeunesse que ce père est impuissant
05:40face à son fils ?
05:41Mais je crois que ce film est vraiment un vecteur, qu'il raconte quasiment comme une
05:46moyenne de beaucoup de pères, beaucoup de mères, heureusement pas tous, mais ça aurait
05:51pu être autre chose que la radicalisation, ça aurait pu être la religion, ça aurait
05:56pu être la drogue, ça aurait pu être l'alcool, ça aurait pu être une secte.
06:00Ce qui est incroyable c'est quand à un moment il y a une incompréhension entre un père,
06:06une mère et des enfants, mais il y a aussi, pour reprendre la défense des gens qui dérivent,
06:13c'est qu'on est dans une région où, pour avoir fait des films de Stéphane Brisé,
06:20et bien connaître le sujet maintenant, une usine qui ferme, ses 1500 femmes ou 1500 hommes
06:26ou les deux mélangés qui sont au chômage, mais ça touche 7500 personnes, car chaque
06:31personne a un concubin et des enfants, mais ces 7500 personnes habitent dans un endroit
06:35où le pouvoir d'achat a baissé, donc ils vont moins acheter, donc il y a des boutiques
06:39qui ferment, donc c'est des villes qui s'éteignent.
06:41Et si on n'est pas animé d'une passion quand on est jeune, si on n'a pas la chance
06:45d'aimer lire la musique, quoi que ce soit, le sport, la motocrosse, un truc qui vous
06:50prend, qui vous happe, on est en manque d'espérance, et on est dans l'état de ce mot que j'adorais
06:57à l'époque qui était « quand on zone ». Et on est récupéré, parce qu'on est
07:02à l'abandon, on est faible, et on est récupéré par le premier groupe qui s'intéresse à
07:06vous, qui vous met un peu en valeur, qui vous donne un peu d'amour ou qui vous fait croire
07:11qu'ils vous aiment.
07:12Et ça s'appelle « enroler les gens ». Et après c'est très compliqué parce que
07:15ces gens-là, on les suit indéfectiblement.
07:19Mais ce que j'ai aussi énormément aimé dans le film, c'est que c'est en filigrane,
07:24on sent que mon fils, celui qui se radicalise, très très loin, on sent qu'il n'y croit
07:28pas complètement.
07:29C'est-à-dire qu'il est tellement en face d'un père, d'un frère, d'une mère
07:35qui n'est plus là, mais d'une famille ancestrale qui pensait autrement, qu'il
07:41sent qu'il prend le mauvais chemin.
07:43Mais ce n'est pas parce qu'on sent qu'on prend le mauvais chemin que ça l'évite de le faire.
07:47Merci Vincent Lindon.
07:48« Jouer avec le feu » sort en salles le 22 janvier.
07:51Le 5 février sur Arte, il y a un portrait documentaire de vous, qui est signé Thierry
07:56de Maizière et Alban Turley.
07:58Sincèrement, ce film est totalement saisissant, il faut le voir aussi.
08:01Merci beaucoup.
08:02C'est court, 10 minutes.
08:05Je pensais qu'on allait parler un petit peu du documentaire, mais en fait, je vais rester
08:10pour le 8h20.
08:12Vous pouvez rester.
08:13Merci Sonia De Villers.

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