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En France, son nom restera toujours associé au droit à l'interruption volontaire de grossesse. Pourtant, Simone Veil a mené bien des luttes, aujourd'hui peu connues. Travail des femmes, parité, conditions de détention, malades du Sida, humanisation de l'hôpital, autorité parentale, égalité salariale... Toujours guidée par une exigence : le respect de la dignité humaine.
Pour en débattre, Jean-Pierre Gratien reçoit en plateau l'historienne Dominique Missika, le journaliste Maurice Szafran, et l'ancienne secrétaire d'État chargée de l'Aide aux victimes, Nicole Guedj.

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Transcription
00:00:00Générique
00:00:15Bienvenue à tous dans DébatDoc.
00:00:17En France, son nom restera à jamais associé au droit à l'interruption volontaire de grossesse.
00:00:22Mais Simone Veil, sans qu'on le sache toujours vraiment, aura mené tout au long de sa vie bien d'autres combats,
00:00:29avec pour point commun le respect de la dignité humaine.
00:00:32Voilà ce que va venir nous rappeler le documentaire qui suit,
00:00:36Les combats méconnus de Simone Veil, réalisé par Caroline Dussin et écrit par Dominique Missica.
00:00:42Je vous laisse le découvrir, puis Dominique Missica sera à mes côtés sur ce plateau,
00:00:47en compagnie du journaliste et écrivain Maurice Safran et de l'ancienne secrétaire d'État chargée de l'aide aux victimes Nicole Gage.
00:00:55Avec eux, nous nous interrogerons sur l'itinéraire et les engagements choisis par la survivante de la Shoah, qui était Simone Veil.
00:01:03Bon doc.
00:01:05Générique
00:01:10Nous allons ce soir parler de l'adoption.
00:01:12Le garde des Sceaux a accepté de répondre aux questions de madame Golière, qui vient d'adopter un enfant depuis trois mois.
00:01:191966.
00:01:22Dans son bureau, le ministre de la Justice présente sa nouvelle loi sur l'adoption.
00:01:27Un jugement interviendra qui décidera que cet enfant est un enfant abandonné et par conséquent, face à lui, que l'enfant était véritablement abandonné.
00:01:36Un cercle de femmes qui a adopté un enfant et qui est l'auteur d'un livre sur l'adoption.
00:01:40On la découvre enfin placée tout au bout.
00:01:42Il y a tant d'adopter un enfant et madame Veil participe à cette discussion en tant que femme magistrat.
00:01:49C'est la première apparition de Simone Veil à la télévision.
00:01:52À l'égard des adoptants, les statistiques judiciaires montrent qu'il est extrêmement rare que les jugements ne soient pas favorables en matière d'adoption.
00:02:00Il y en a quelques-unes précises, efficaces, qui refusent de prononcer des adoptions.
00:02:05Elle connaît parfaitement son dossier.
00:02:09Madame Gaulière, vous avez, je crois, des suggestions à faire.
00:02:14Ne pourrait-on pas mettre les futurs parents en contact privé avec des adoptants ?
00:02:21Il existe une association de parents d'enfants adoptés et je pense qu'il est très facile pour les personnes qui veulent adopter un enfant de contacter cette association.
00:02:31Simone Veil a participé à l'élaboration de cette réforme avec une priorité.
00:02:36Défendre avant tout l'intérêt de l'enfant, même en ce qui concerne la procédure à suivre.
00:02:40C'est un de ses innombrables combats.
00:02:44Pourtant, l'histoire semble n'en retenir qu'un seul.
00:02:47Je voudrais tout d'abord vous faire partager une conviction de femme.
00:02:51Je m'excuse de le faire devant cette assemblée presque exclusivement composée d'hommes.
00:02:56Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l'avortement.
00:02:59La légalisation de l'avortement marque pour toujours la mémoire des Français.
00:03:03Simone Veil devient ce jour-là une icône.
00:03:06Il suffit d'écouter les femmes.
00:03:08C'est toujours un drame.
00:03:11On réduit toujours Simone Veil à la loi sur l'avortement.
00:03:15C'est magnifique la manière dont elle a pu faire passer cette loi.
00:03:19Mais ce serait dommage d'oublier tous ces autres combats.
00:03:24Pendant ce temps-là, les gens pouvaient être dans des camps de concentration et intervenir.
00:03:28Je ne veux pas le réentendre.
00:03:30Peu de gens le savent.
00:03:31Mais la société française a profondément changé grâce à elle.
00:03:38Progressivement, toute cette période s'est complètement effacée.
00:03:41Tout son bilan, tout ce qu'elle a fait est complètement disparu.
00:03:47Et ça, ça lui semblait très injuste.
00:03:51Les combats de Simone Veil ont toujours été menés avec une seule arme, le droit.
00:03:55Le dialogue s'instaure de part et d'autre de la ligne de feu.
00:03:59Au nom d'une seule cause, celle de la dignité humaine.
00:04:03On vivait des choses épouvantables.
00:04:06Et elle venait, elle était là.
00:04:07Je lui dis bonjour madame Veil.
00:04:11Vous savez, je n'ai rien oublié.
00:04:29Ce qui a marqué dès le départ ma vie, c'est d'essayer de faire les choses pour ceux auxquels on ne pense pas.
00:04:50La vie de Simone Veil, c'est d'abord une enfance heureuse.
00:05:00Elle est née à Nice, entourée de ses parents, son frère et ses deux sœurs.
00:05:10Une vie fracassée par la Shoah à l'âge de 16 ans.
00:05:15Parce qu'ils sont juifs, Simone Veil et les membres de sa famille sont arrêtés par les nazis en mars 1944.
00:05:21Elle est déportée à Auschwitz, puis à Bergen-Belsen.
00:05:25Sa mère, son père, son frère ne reviendront pas.
00:05:33L'expérience concentrationnaire, elle est la matrice de sa pensée.
00:05:38Elle réagit réellement contre tout ce qui est avidissement, tout ce qui est humiliation, tout ce qui est abaissement.
00:05:47La dignité, c'est ce qu'on lui a enlevé quand elle était à Auschwitz.
00:05:52Et par conséquent, elle pense que les armes de la loi sont les seules possibles pour se battre.
00:06:08J'avais très envie d'être avocate depuis que j'étais jeune.
00:06:12Quand j'ai dit à mon mari que je voulais être avocate, il m'a dit « il n'en est pas question ».
00:06:16Parce qu'il trouvait qu'on fréquentait des milieux plus ou moins bien.
00:06:23Alors nous avons cherché un compromis, et nous l'avons trouvé dans la magistrature.
00:06:34La magistrature est ouverte aux femmes depuis quelques années à peine.
00:06:38Simone Weil passe le concours en 1956.
00:06:43Au fond, ce qui m'intéressait beaucoup, parce qu'il y avait encore très peu de temps qui avait passé depuis mon retour de déportation,
00:06:50c'est tout ce qui concernait les gens détenus.
00:06:53Les prisons m'interrogeaient.
00:06:59Simone Weil rejoint alors l'administration pénitentiaire
00:07:07et découvre les conditions déplorables de la détention en France.
00:07:13Contrairement à l'usage, elle multiplie les visites de prison, ce qui empiète parfois sur sa vie de famille.
00:07:21L'administration pénitentiaire n'avait même pas d'argent pour qu'on puisse aller visiter les prisons,
00:07:25alors que c'était nous qui en avions la charge.
00:07:27Alors quand nous prenions des vacances avec les enfants qui étaient encore petits,
00:07:33on était en voiture souvent, et on allait en Espagne, on profitait de ça.
00:07:40Je me souviens très bien que la prison de Nîmes était une prison épouvantable.
00:07:45Je les ai fait attendre toute une matinée.
00:07:49Les enfants qui étaient pressés d'arriver étaient évidemment furieux, mon mari encore plus.
00:08:00Simone Weil contribue à mettre sur pied des bibliothèques,
00:08:04des centres médico-psychologiques et des cours du soir pour les détenus.
00:08:09Mais le sort d'autres prisonniers à l'époque est encore plus préoccupant, en Algérie.
00:08:17Là-bas, une guerre qui ne dit pas son nom dure depuis plusieurs années.
00:08:22Les militants du FLN se battent pour l'indépendance de leur pays.
00:08:26Ils sont arrêtés par milliers et détenus dans des prisons gérées par l'administration française.
00:08:38Simone Weil est alors proche de Germaine Tillion.
00:08:41Cette ethnologue, ancienne résistante, a été déportée à Ravensbruck avec Denise, la sœur de Simone Weil.
00:08:51Germaine Tillion est sans doute la meilleure spécialiste de l'Algérie en France dans l'immédiate après-guerre.
00:08:58Et Germaine Tillion informe très précisément Simone Weil de ce qu'elle a pu observer.
00:09:06Elle partage le même souci sur la question algérienne, qui est celle des injustices en cours,
00:09:12qui est celle des condamnés à mort et des tortures.
00:09:17La préoccupation du sort des détenus est une préoccupation importante pour ces anciennes déportées.
00:09:27Alors, en 1959, c'est à Simone Weil que le ministre de la Justice confie une mission sensible.
00:09:36L'inspection des prisons en Algérie.
00:09:46J'ai visité énormément de prisons, pratiquement toutes les prisons qu'il y avait en Algérie,
00:09:51et je suis rentrée épouvantée par les conditions dans lesquelles les détenus étaient gardés.
00:09:59J'ai souvenir, à Philippeville, d'un directeur de prison.
00:10:04Je regardais comment les détenus étaient traités, et il m'a dit « Oh, ne vous inquiétez pas,
00:10:10la guillotine est toujours prête, si vous voulez que je vous la montre, c'est possible. »
00:10:19De retour en métropole, Simone Weil relate en 44 pages tout ce qu'elle a vu sur place.
00:10:27« Les détenus inoccupés se tiennent accroupis devant les baraques, ou tournent les uns derrière les autres.
00:10:32Aucune occupation n'est organisée pour eux.
00:10:36Une femme a eu les deux jambes enlevées par une bombe qu'elle avait elle-même posée,
00:10:39et ses plaies ne sont pas totalement cicatrisées.
00:10:41Ses co-détenus se refusent à prendre soin d'elle, estimant que c'est le travail d'une infirmière.
00:10:47Cette détenue n'avait pas mangé depuis son retour de l'hôpital,
00:10:49cinq jours auparavant, en raison de la mauvaise qualité de la nourriture. »
00:10:58Le rapport est implacable.
00:11:02Pourtant, il détonne.
00:11:05Au sein de l'administration, nombreux sont ceux qui prônent une répression sévère contre les indépendantistes.
00:11:15Et notamment contre les militants condamnés pour terrorisme, comme Zohra Driff.
00:11:25« Madame Simone Weil m'a donné ma chance.
00:11:29Et ça a été fantastique.
00:11:33»
00:11:35« Ici Alger, RTL.
00:11:36Les attentats terroristes atteignent en ce moment en Algérie un degré de violence rarement atteint. »
00:11:42« On continue à se demander quelles sont les femmes qui auraient été vues
00:11:45déposant une bombe au milke-bar de la rue d'Isly. »
00:11:53« Voilà, c'est moi, le jour après mon arrestation.
00:11:57Ça, c'est les services de Godard, la gendarmerie, les paroles.
00:12:02J'avais 21 ans.
00:12:12Ils m'ont sortie, et j'ai ce regard, parce que j'ai eu les flashes.
00:12:19Alors là, j'ai décidé de les regarder de haut et de les défier.
00:12:26Pour dire, ben oui, tu penses ce que tu veux. »
00:12:35Zohra Driff est une combattante du FLN,
00:12:38et donc elle est une de ces femmes poseuses de bombes à Alger en septembre 1956.
00:12:44Elle va notamment participer à l'attentat du milke-bar,
00:12:50qui va faire de nombreuses victimes, notamment des enfants.
00:13:05Pour ces faits, Zohra Driff est condamnée à 20 ans de travaux forcés.
00:13:09Elle est enfermée à la prison de haute sécurité Barberousse,
00:13:12à Alger.
00:13:14Les conditions de détention y sont particulièrement dures.
00:13:23« Là, vraiment, c'était l'horreur.
00:13:28Nous étions très nombreuses.
00:13:30On pouvait à peine faire trois, quatre pas,
00:13:32et on se heurtait les unes aux autres.
00:13:35Oui, à Barberousse, les conditions étaient très difficiles.
00:13:39Mais ce que j'ai vécu de plus terrible,
00:13:44c'est l'exécution des condamnés à mort.
00:13:48De ceux avec qui vous aviez milité, avec qui vous avez vécu, tout ça.
00:13:54La première fois, je n'étais pas encore habituée.
00:13:58Et puis, brusquement, j'entendais hurlements.
00:14:04Et je comprends qu'on exécute,
00:14:06et je comprends qu'on exécute un frère.
00:14:15Et puis, un matin, on est venu me chercher
00:14:18pour nous transférer en France.
00:14:23En fait, cette décision a été prise par Mme Simone Veil. »
00:14:30Dans ce texte, écrit de sa main quelques semaines après sa mission en Algérie,
00:14:35Simone Veil réclame le transferment des détenus FLN
00:14:38dans des prisons en métropole,
00:14:40pour leur sécurité
00:14:43et parce qu'elles risquent des exécutions sommaires.
00:14:48« C'était du terrorisme qu'ils avaient fait.
00:14:50Enfin, c'était bon, ils avaient posé des bombes,
00:14:52ils avaient tué des gens, etc.
00:14:54Mais ils risquaient aussi beaucoup.
00:14:56Ils risquaient aussi beaucoup
00:14:58et qu'on a transféré dans les prisons françaises. »
00:15:04Zohra Drif et la plupart des prisonnières algériennes
00:15:07sont alors transférées dans différentes prisons en métropole,
00:15:10notamment à Rennes.
00:15:16« Dans les années 1959-1962,
00:15:19la question algérienne est une question extrêmement sensible en France.
00:15:23Et cet engagement est évidemment à contre-courant de l'opinion française. »
00:15:27« Il ne s'agit jamais pour Simone Veil
00:15:30de mettre en doute des condamnations.
00:15:33Elle dit, et ce sera aussi toujours sa position,
00:15:36les détenus ont été jugés,
00:15:39ils doivent purger leur peine,
00:15:41mais ils ne doivent pas la purger dans des conditions indignes. »
00:15:44Après leur transfert,
00:15:47Simone Veil continue à veiller au respect de leurs droits.
00:15:50Droits d'envoyer du courrier,
00:15:53d'avoir accès à la presse,
00:15:56de bénéficier de soins.
00:15:59Les dossiers de ces militantes algériennes
00:16:02sont conservés à Rennes,
00:16:05aux archives départementales d'Ille-et-Vilaine.
00:16:08Ces documents n'avaient jamais été rendus publics jusqu'à aujourd'hui.
00:16:11Dans le dossier Zohra Driff,
00:16:14le président du tribunal militaire a noté
00:16:17« Antifrançaise absolue.
00:16:20Décidée à tout, crime compris.
00:16:23A classé dans la catégorie la moins favorisée. »
00:16:26Quelques pages plus loin,
00:16:29d'autres documents de Simone Veil
00:16:32sont enregistrés dans le dossier.
00:16:35Toujours guidée par le droit,
00:16:38elle veille personnellement à ce que Zohra Driff
00:16:41puisse étudier dans de bonnes conditions.
00:16:54Cette condamnée d'appartenance FLN
00:16:57a été autorisée à suivre par correspondance
00:17:00les cours de la faculté de droit.
00:17:04Afin de pouvoir se préparer dans des conditions satisfaisantes,
00:17:07elle pourra bénéficier d'une prolongation de la lumière le soir.
00:17:10Le 29 mai 1961,
00:17:13la détenue Driff Zohra sera extraite
00:17:16pour être conduite à la faculté de droit
00:17:19pour y subir les épreuves écrites.
00:17:22J'ai téléphoné à Mme Veil pour l'escorte.
00:17:28On m'a mis dans une pièce à part
00:17:31avec la surveillance requise
00:17:34des gendarmes, etc.
00:17:37Et Abdelhajiri, lui, avec Manson.
00:17:47On retrouve les traces des interventions de Simone Veil
00:17:50dans de nombreux autres dossiers.
00:18:02Autorise à adresser chaque semaine
00:18:05des cours d'arabe dialectal à une autre détenue.
00:18:08Vous voudrez bien faire examiner la détenue
00:18:11par le médecin psychiatre de l'établissement
00:18:14afin qu'il lui prescrive un traitement.
00:18:17La détenue est autorisée à présenter l'examen d'entrée
00:18:20à la faculté de lettres.
00:18:25L'accès aux études en prison est primordial pour Simone Veil.
00:18:29Pouvoir apprendre, lire, s'éduquer.
00:18:36Des principes fondamentaux
00:18:39hérités de sa mère Yvonne Jacob.
00:18:42Son modèle, celle qui guide sa vie.
00:18:49Ma mère était très belle.
00:18:52Elle avait fait des études, des études de chimie.
00:18:55Elle regrettait de les avoir interrompues pour se marier.
00:19:00Totalement dépendante financièrement de notre père,
00:19:03elle devait faire ses comptes au sous-près.
00:19:06Loin d'être un détail, cet exemple est le symbole de sa dépendance.
00:19:11Nous regrettions toujours, nous, ses trois filles,
00:19:14de l'avoir ainsi obligée à rendre des comptes
00:19:17alors que pourtant mon père l'adorait.
00:19:20Mais pour lui, ça lui paraissait une chose tout à fait naturelle.
00:19:26Il n'y avait pas de doute, elle nous alléguait l'idée
00:19:29que nous devions avoir une formation
00:19:32qui nous permettrait d'exercer une profession intéressante
00:19:35et qui nous permettrait d'être indépendantes,
00:19:38intellectuellement et financièrement.
00:19:45Travailler, mes filles, c'est le sens de l'action de Simone Veil
00:19:48en faveur de l'égalité et l'indépendance des femmes.
00:19:56Dès son retour de déportation, en 1945,
00:19:59Simone Veil reprend ses études.
00:20:02Le droit, puis l'Institut d'études politiques de Paris.
00:20:05Elle se marie jeune, élève ses trois enfants,
00:20:08mais entend travailler et mener une carrière.
00:20:15Il y a une chose que je voulais, une seule,
00:20:18c'était travailler.
00:20:21Là-dessus, j'ai toujours dit que jamais je ne céderai.
00:20:24Sur le travail.
00:20:27J'ai la liberté d'exister.
00:20:34Après sept ans à l'administration pénitentiaire,
00:20:37elle rejoint la direction des affaires civiles
00:20:40du ministère de la Justice.
00:20:43Simone Veil travaille alors à une réforme globale du droit de la famille.
00:20:46Un nouveau texte, en 1965,
00:20:49établit l'égalité juridique des époux.
00:20:55Et c'est pour défendre cette réforme
00:20:58que la magistrate participe à un reportage pour la télévision.
00:21:06Dans une ambiance très nouvelle vague,
00:21:09le film « Décoloniser la femme »
00:21:12dresse un état des lieux de leur droit.
00:21:17Décolonisée en droit, la femme demeure largement colonisée en fait,
00:21:20par l'information
00:21:23ou l'absence d'information.
00:21:53Les femmes ignorent encore
00:21:56qu'elles ont conquis de nouveaux droits.
00:21:59Simone Veil elle-même se cherche de les informer.
00:22:02Dans cette boutique, c'est sa voix que l'on entend.
00:22:23La nouvelle loi autorise les femmes
00:22:26à ouvrir un compte emploi
00:22:29et à donner à la femme
00:22:32des pouvoirs très considérables sur les biens de la communauté.
00:22:35Elle oblige le mari à tenir compte
00:22:38de l'avis de sa femme pour tous les actes importants
00:22:41et de l'associer sur le plan de la gestion du patrimoine
00:22:44à sa propre gestion.
00:22:48La nouvelle loi autorise les femmes
00:22:51à ouvrir un compte en banque,
00:22:54à posséder un chéquier
00:22:57et à travailler sans demander l'autorisation de leur mari.
00:23:00Quelques années plus tard, autre progrès décisif.
00:23:03L'autorité paternelle est abolie
00:23:06au profit de l'autorité parentale,
00:23:09partagée par les deux parents.
00:23:12C'est Simone Veil qui au ministère de la Justice
00:23:15pour l'établir, ce qui fait que le père
00:23:18ne sera plus le seul à pouvoir autoriser
00:23:21ou non son fils ou sa fille
00:23:24à faire des études, à demander un passeport
00:23:27pour partir à l'étranger, à prendre n'importe quelle décision,
00:23:30à être opéré. L'autorité parentale,
00:23:33ça nous paraît évident aujourd'hui, ça ne l'était pas à l'époque
00:23:36et c'est aussi un combat gagné par Simone Veil.
00:23:40En mai 1974,
00:23:43Simone Veil est nommée ministre de la Santé
00:23:46dans le gouvernement de Jacques Chirac.
00:23:49Elle remporte la bataille pour la légalisation de l'avortement
00:23:52et devient du jour au lendemain la femme politique française
00:23:55la plus célèbre et la plus populaire.
00:24:01Cette fois-ci, c'est elle, madame le ministre,
00:24:04qui est placée au centre face à ses collaborateurs.
00:24:10C'était la patronne.
00:24:13Ça a été ma patronne pendant sept ans.
00:24:16Et puis plus globalement,
00:24:19elle avait une vraie autorité intellectuelle,
00:24:22d'abord parce qu'elle était très forte sur le plan intellectuel
00:24:25et puis morale parce que c'était elle, son passé,
00:24:28la loi sur l'avortement, etc.
00:24:32Non, non, elle n'est pas autoritaire.
00:24:35Elle était drôle.
00:24:38Elle aimait rire, elle aimait se moquer des gens.
00:24:41Pas du tout l'image publique qu'elle avait
00:24:44qui était très raisonnable,
00:24:47un peu compassionniste,
00:24:50pas du tout l'image politique.
00:24:53C'est ce qu'elle avait.
00:24:56C'est ce qu'elle avait.
00:24:59Elle était très raisonnable,
00:25:02un peu compensée avec un vestiaire très convenu.
00:25:05Mais on ne peut pas sortir, il n'y a aucun problème à régler.
00:25:08Aucun problème financier, aucun problème des adéquations.
00:25:11Il lui faut un an de gestation encore à ce projet.
00:25:14C'est pas vrai qu'il est réglé. Rien n'est réglé.
00:25:17Durant les cinq années passées au ministère de la Santé,
00:25:20Simone Veil prête une grande attention
00:25:23aux métiers exercés par les femmes, trop souvent discriminées.
00:25:26Elle a visité les différentes installations
00:25:29en mettant l'accent notamment sur les écoles d'infirmières.
00:25:35Pour la première fois, grâce à elle,
00:25:38les infirmières sont associées au fonctionnement des hôpitaux.
00:25:41Simone Veil améliore leur formation et leur rémunération.
00:25:48Une fois par semaine, Mme Simone Veil effectue un voyage en province
00:25:51dans le but de visiter les hôpitaux.
00:25:54Un effort a été fait pour humaniser au maximum l'hôpital
00:25:57et pour le doter de matériel médical à la pointe du progrès.
00:26:05Simone Veil change la vie des femmes au quotidien.
00:26:08Elle crée un véritable statut pour les assistantes maternelles,
00:26:11modernise les crèches et les pouponnières
00:26:14et met en place une allocation parents isolés.
00:26:17On lui doit la fin des salles communes dans les hôpitaux
00:26:20et l'autorisation pour les parents de dormir avec leurs enfants hospitalisés.
00:26:26Elle n'utilise jamais le mot révolutionnaire, rupture, tout ça.
00:26:32C'est voilà la situation, voilà ce qui est raisonnable,
00:26:35modéré, rationnel, calme.
00:26:43C'était à mon avis tellement juste que ça passait.
00:26:47Ça a été l'expérience la plus positive de ma vie.
00:26:50Quand on travaillait pour un dossier pour elle,
00:26:53on avait vraiment le sentiment qu'on progressait,
00:26:56on contribuait au progrès social.
00:26:59Elle s'inscrivait tout à fait là-dedans.
00:27:11En quittant le ministère de la Santé,
00:27:14Simone Veil est plus que jamais convaincue
00:27:17que seule la loi peut changer la vie des femmes.
00:27:22Mais elle s'inquiète de constater que les lieux de pouvoir
00:27:25leur restent hermétiquement fermés.
00:27:30En 1995, en France,
00:27:33seuls 5% des députés sont des femmes.
00:27:36Un événement retentissant va alors pousser Simone Veil
00:27:39à s'engager pour la parité.
00:27:43Le point de départ, c'est vraiment l'histoire des jupettes,
00:27:46ce qu'on appelle les jupettes, c'est-à-dire ce très grand nombre
00:27:49de femmes qui a été nommée par Alain Juppé.
00:27:52Madame, monsieur, bonsoir. Le premier conseil des ministres
00:27:55présidé par Jacques Chirac a duré une heure ce matin,
00:27:58alors qu'une ambiance de festival de Cannes régnait
00:28:01dans la cour d'honneur du palais de l'Elysée.
00:28:04Tout le monde se retrouve dans les jardins pour la traditionnelle
00:28:07photo de famille.
00:28:10Près de 30% de femmes sont nommées, 12 femmes.
00:28:13Et pour marquer l'événement, le premier ministre tient
00:28:16à être photographié au milieu de ces 12 femmes ministres.
00:28:21Et puis 6 mois après, pouf, elles sont virées.
00:28:27C'était un grand sentiment de mensonge,
00:28:30c'est-à-dire que ça avait été qu'un coup de com',
00:28:33et puis un sentiment aussi d'humiliation
00:28:36pour toutes les femmes, pour les jupettes bien sûr,
00:28:39mais aussi pour toutes les femmes.
00:28:42Donc un sentiment de révolte, au fond.
00:28:45Un peu le... ça suffit, quoi.
00:28:48Et donc c'est comme ça qu'est venue l'idée
00:28:51de faire un texte, un manifeste.
00:28:56À 10, il réunissait à la fois des femmes
00:28:59de droite et de gauche, et qui toutes faisaient
00:29:02le même constat, c'est-à-dire que malheureusement,
00:29:05ça ne se réglerait jamais tout seul.
00:29:10Et là où on s'est toutes réunies,
00:29:13c'est sur cette notion de parité.
00:29:20Le manifeste fait la une de l'Express.
00:29:23Au centre de la photo, Simone Veil.
00:29:26Bien que libérale, elle défend le recours
00:29:29aux quotas réservés aux femmes pour imposer
00:29:32leur présence en politique.
00:29:35Pour beaucoup, cette méthode qui favorise
00:29:38une seule catégorie de la population
00:29:41est contraire au principe de la République.
00:29:46Est-ce que vous ne craignez pas que l'idée
00:29:49justement de citoyens, l'idée d'universalité
00:29:52ne soit battue en brèche par cette idée de parité ?
00:29:55L'État suppose, la citoyenneté française suppose
00:29:58l'universalité des citoyens, et si on commence
00:30:01à diviser en catégories les jeunes, les beurres,
00:30:04les juifs, les noirs, les femmes, est-ce que vous
00:30:07croyez qu'il y a deux sexes ? Je dirais que ça transcende
00:30:10absolument toutes les catégories de population.
00:30:13L'humanité est faite de deux sexes.
00:30:16Il est normal que ces deux sexes soient représentés.
00:30:22J'ai eu une seule discussion
00:30:25où nous avons réuni pour être vus totalement opposés.
00:30:28C'est sur les règles de parité.
00:30:31Moi, j'étais totalement contre.
00:30:34Je lui disais que je ne comprends pas du tout.
00:30:37Est-ce que vous allez le faire en fonction de la race ?
00:30:40C'est tout à fait différent.
00:30:43Vous n'y comprenez rien du tout. Je veux la parité.
00:30:46C'était très agréable parce que quand nous étions en désaccord,
00:30:49ça se terminait généralement par Bertrand.
00:30:52De toute façon, c'est comme ça. Et le problème était réglé.
00:30:55Simone Weil rend crédible ce manifeste.
00:30:58C'est la grande figure, si je puis dire, de droite modérée.
00:31:02Ce qui nous liait le plus, c'est les petites humiliations.
00:31:05Simone Weil en parlait souvent.
00:31:08Cette condescendance.
00:31:11On ne vous regarde même pas pendant la réunion.
00:31:14On ne vous demande à peine votre avis.
00:31:17On vous met dans une tribune politique comme une potiche
00:31:20sans que vous puissiez parler.
00:31:23Mille et une petites choses qui sont des humiliations constantes.
00:31:31On s'était bien amusés ensemble parce qu'on savait
00:31:34qu'on faisait quelque chose qui allait faire bouger les choses
00:31:37et qu'on faisait quelque chose qui allait faire parler.
00:31:40On savait qu'on allait toutes se faire engueuler
00:31:43par nos propres parties.
00:31:46Qu'on serait accueillies avec fureur.
00:31:49Et on l'a été toutes.
00:31:52L'idée de la parité finit par s'imposer
00:31:55et favorise l'entrée de plus en plus de femmes dans la vie politique.
00:32:02Aller contre les idées de son camp n'a jamais arrêté Simone Weil.
00:32:13Elle l'a prouvé une nouvelle fois en 1993
00:32:16sur un sujet encore plus sensible à l'époque.
00:32:19Elle est alors à nouveau ministre de la Santé
00:32:22au sein du gouvernement d'Edouard Balladur
00:32:25dont Charles Pasqua, le ministre de l'Intérieur,
00:32:28est le modèle la plus à droite.
00:32:34Simone Weil va venir concrètement en aide aux usagers de drogue
00:32:37qui à l'époque meurent du sida.
00:32:4610 personnes meurent chaque jour en France
00:32:49à cause du sida. La situation devient très préoccupante.
00:32:54En 1993, quand Simone Weil devient ministre,
00:32:57on mourait du sida. Il n'y avait pas les trithérapies
00:33:00et donc les gens mouraient vraiment de manière très massive.
00:33:05À ce moment-là, j'étais volontaire de l'association aide
00:33:08à l'hôpital Brousset
00:33:11et c'était une période
00:33:14parmi les plus épouvantables.
00:33:17On ne pouvait pas dire à cette époque-là que j'ai le VIH.
00:33:20On ne pouvait pas dire que j'ai le sida.
00:33:23C'était dangereux, c'était stigmatisé.
00:33:26Les drogues sexuelles, en plus, les usagers de drogue...
00:33:29C'était la stigmatisation
00:33:32et l'exclusion sociale étaient réelles.
00:33:35François Mitterrand et Simone Weil ont tenu à marquer leur solidarité
00:33:38avec ceux qui souffrent du sida en se rendant dans des hôpitaux parisiens.
00:33:43C'était la Journée mondiale du sida.
00:33:46Simone Weil s'est donc pointée à l'hôpital Brousset
00:33:49genre à 19h30.
00:33:52Il y avait les équipes de TF1
00:33:55et on m'a dit qu'elle devait sortir d'une chambre.
00:33:58Exactement à 19h55,
00:34:01il faut qu'elle sorte de la chambre.
00:34:04Ensuite, deux minutes plus tard, qu'elle arrive ici
00:34:07et qu'on la voit à deux mètres de la chambre,
00:34:10c'était très organisé avec les caméras à droite et à gauche, etc.
00:34:16On avait trouvé une chambre vide
00:34:19mais elle ne voulait pas.
00:34:22On a insisté pour que ce soit avec une vraie personne dedans.
00:34:29J'ai regardé rapidement qui était hospitalisé.
00:34:32Il y avait David.
00:34:35À ce moment-là, il pesait en dessous de 50 kilos.
00:34:38C'était un jeune, genre 30 ans.
00:34:44Il était allongé dans un lit,
00:34:47sans énergie du tout,
00:34:50juste avec de quoi dire quelques mots.
00:34:58Simon Veil est entré dans sa chambre.
00:35:01Elle est restée 20 minutes.
00:35:04À moins cinq, j'ai frappé à la porte
00:35:07mais elle n'est pas venue.
00:35:10Ça n'a pas ouvert.
00:35:13Donc à moins trois, j'ai ouvert la porte moi-même pour regarder dedans.
00:35:16Elle était là, dos à la porte, elle ne bougeait pas.
00:35:19Il y avait les caméramans qui étaient en train de s'énerver.
00:35:22Donc je suis allé,
00:35:25elle s'est retournée vers moi
00:35:28et elle avait les larmes qui coulaient sur le visage.
00:35:31Et c'est là où elle a dit
00:35:34« Non, c'est trop difficile, je ne peux pas faire ça.
00:35:37C'est comme les camps.
00:35:40C'est trop difficile.
00:35:43Faites que ces gens s'en aillent.
00:35:46»
00:35:49On a fermé la porte et j'ai dit
00:35:52« Ça n'aura pas lieu ce soir avec madame Veil.
00:35:58David est mort assez vite, deux semaines plus tard. »
00:36:07Simon Veil quitte les lieux discrètement.
00:36:10Les journalistes devront se contenter des images
00:36:13de son arrivée à l'hôpital.
00:36:16Simon Veil, ministre de la Santé, s'est rendu à l'hôpital Brousset
00:36:19où elle aussi a rencontré des malades du sida.
00:36:22Simon Veil, très touché, a rendu hommage au travail des équipes soignantes.
00:36:25Sauf que
00:36:28le mercredi suivant, une semaine plus tard,
00:36:31elle est arrivée.
00:36:34Comme ça, sans s'annoncer.
00:36:37Elle n'a pas prévu, pas organisé avec les journalistes.
00:36:41Ça a continué pendant des semaines et des semaines.
00:36:44Tout d'un coup,
00:36:47elle n'était plus Simone Veil, ministre de la Santé.
00:36:50Elle était Simone Veil, volontaire de l'association AIDE.
00:36:53Elle faisait la même chose que nous.
00:36:59Simone Veil a appris le sujet à bras-le-corps
00:37:02qui était basé sur deux sujets.
00:37:05Le sujet des échanges de seringues.
00:37:08En sorte que les héroïnomanes aient des seringues propres à disposition
00:37:11pour ne pas qu'ils se transmettent le sida à travers les seringues sales.
00:37:14Et puis,
00:37:17un programme de produits de substitution
00:37:20qui s'appelait à l'époque essentiellement la méthadone et le subutex.
00:37:28Parce qu'il s'agit d'un problème de santé publique,
00:37:31Simone Veil impose une politique de réduction des risques.
00:37:34Très novatrice à l'époque.
00:37:37Elle ne veut plus de réprimer les usagers de drogue,
00:37:40mais de les accompagner, les aider à changer leurs pratiques
00:37:43tout en limitant les contaminations.
00:37:46Elle a fait une conférence de presse
00:37:49où elle a présenté les kits qu'on avait fabriqués.
00:37:52Elle a ouvert le petit pochet de plastique
00:37:55et elle a présenté aux journalistes en disant
00:37:58ça c'est une seringue, ça c'est un coton.
00:38:01Il y avait un espèce de contraste
00:38:04entre Simone Veil et Philippe d'Oustoblasie
00:38:07au ministère dans les ors de la République
00:38:10et puis ces kits qui allaient être utilisés
00:38:13un peu n'importe où et dans n'importe quelles conditions
00:38:16mais qui allaient sauver des vies.
00:38:19Au sein du gouvernement, la politique de Simone Veil passe mal.
00:38:22Charles Pasqua, le ministre de l'Intérieur,
00:38:25prône une tolérance zéro.
00:38:28La guerre totale contre la drogue.
00:38:31On mettait des seringues à disposition
00:38:34et donc la question de savoir si on n'encourageait pas
00:38:37les gens à se droguer était une question
00:38:40qui était sur toutes les lèvres.
00:38:43Et moi je me rappelle, pour vous dire aussi
00:38:46la violence de l'époque, je me rappelle être sortie
00:38:49d'une réunion interministérielle à Matignon
00:38:52où un collègue du ministère de l'Intérieur m'a dit
00:38:55vous finirez avec les yeux crevés par des seringues.
00:38:58Il y avait une partie de l'administration
00:39:01qu'on était en train de partir dans des politiques
00:39:04d'un laxisme insupportable.
00:39:07Mais Simone Veil a tenu bon et a imposé le dispositif
00:39:10et j'ai retrouvé des chiffres sur les résultats
00:39:13en termes de santé publique des mesures qu'on a prises à l'époque
00:39:16et ça a diminué en deux ans par trois
00:39:19le nombre de morts par overdose.
00:39:22C'est très émouvant de regarder la courbe,
00:39:25c'est un effet aussi spectaculaire.
00:39:28L'ensemble de ces mesures de réduction des risques
00:39:31a permis d'éviter plusieurs milliers de morts.
00:39:34Je ne fais pas de tri parmi les malades, disait Simone Veil.
00:39:37Pour elle, il n'y a qu'une seule humanité.
00:39:40Madame Veil,
00:39:43192 voix.
00:39:46Monsieur Zagari...
00:39:49Applaudissements
00:39:52L'autre engagement de sa vie, c'est l'Europe.
00:39:55En 1979, Simone Veil est devenue
00:39:58la première présidente du Parlement européen
00:40:01élue au suffrage universel.
00:40:06Madame Veil a obtenu
00:40:09la majorité absolue des suffrages
00:40:12exprimés.
00:40:15Je l'invite à prendre place
00:40:18au fauteuil présidentiel.
00:40:21Là, on sent que
00:40:24au moment où Louise Veil donne son nom,
00:40:27elle est un peu abasourdie par le moment.
00:40:30Je ne sais pas si ça évoque sa famille,
00:40:33son destin, la déportation,
00:40:36mais il y a quelque chose de très fort
00:40:39pendant quelques secondes qui se joue.
00:40:42Mes chers collègues...
00:40:45La construction européenne en est à ses débuts.
00:40:48La réconciliation franco-allemande,
00:40:51Simone Veil en est consciente.
00:40:54On l'a interrogée en disant
00:40:57« Vous savez que vous allez croiser
00:41:00parmi les députés allemands
00:41:03des gens qui ont été des nazis
00:41:06ou qui ont été proches des nazis pendant la guerre. »
00:41:09Elle répond qu'elle n'a aucun doute à cet égard,
00:41:12qu'elle sait qu'elle les fréquente,
00:41:15que c'est une action de coopération entre États.
00:41:18Sa mère lui disait « Les nazis sont nos ennemis,
00:41:21mais le peuple allemand n'est pas notre ennemi
00:41:24et il faut penser à la réconciliation. »
00:41:27Donc ça sera une européenne convaincue.
00:41:30Elle se dit que si on ne fait pas un effort,
00:41:33y compris sur nous-mêmes,
00:41:36pour faire la paix, coopérer, etc.,
00:41:39la guerre à terme est inéluctable.
00:41:45Les paroles de sa mère,
00:41:48mêlées au souvenir de la déportation,
00:41:51hantent toujours Simone Veil.
00:41:54Un de ses premiers gestes
00:41:57en tant que présidente du Parlement européen
00:42:00est de se rendre au camp de Bergen-Belsen,
00:42:03là où sa mère est morte,
00:42:06pour rendre hommage aux Roms et Sinti,
00:42:09victimes du génocide eux aussi.
00:42:13Dans les années suivantes,
00:42:16Simone Veil s'emploie à faire rayonner l'Europe dans le monde.
00:42:19Elle se mobilise dès que possible,
00:42:22appuyant chaque initiative de paix.
00:42:25Vous êtes l'homme d'État,
00:42:28dont le courage et la ténacité ont permis qu'un jour,
00:42:31dans ce Moyen-Orient déchiré depuis 30 ans
00:42:34par la fureur des armes,
00:42:37l'impensable se produise,
00:42:40l'impensable s'instaure de part et d'autre de la ligne de feu.
00:42:47Mais la guerre revient malgré tout en Europe.
00:42:52En ex-Yougoslavie,
00:42:55les nationalistes serbes massacrent les Croates et les Bosniaques.
00:42:58On parle de purification ethnique.
00:43:03Les journalistes britanniques, au mois d'août 1992,
00:43:06montrent des images de prisonniers croates
00:43:09et bosniaques d'un camp de concentration,
00:43:12d'un camp de prisonniers,
00:43:15avec des prisonniers maigres,
00:43:18affaiblis, des prisonniers des Serbes.
00:43:25Et là, elle intervient.
00:43:29À Bruxelles se tient alors une réunion extraordinaire
00:43:32du Parlement européen.
00:43:35Ce jour-là, un expert du comité de la Croix-Rouge internationale
00:43:39explique les difficultés pour organiser une intervention
00:43:42dans ces camps de prisonniers.
00:43:45Le CICR, et je parle ici du comité lui-même,
00:43:48s'interroge également pour savoir jusqu'à quand
00:43:51il devra s'en tenir à ses démarches confidentielles
00:43:54et à partir de quel moment il devra parler
00:43:57et prendre une position publique
00:44:00découlant de ses visites aux différents camps.
00:44:03C'est une scène rare.
00:44:06Simone Veil s'emporte.
00:44:09Je ne veux pas réentendre ce que j'ai entendu en 1905,
00:44:12il y a 50 ans, de dire que la première chose,
00:44:15la seule priorité, c'était d'arrêter la guerre
00:44:18et que pendant ce temps-là, les gens pouvaient être
00:44:21dans des camps de concentration et être exterminés.
00:44:24Je ne veux pas le réentendre.
00:44:27Il y a un lien qui s'impose à sa mémoire
00:44:30dans tous les sens du terme et qui fait qu'on sent
00:44:33à quel moment est-ce qu'on va intervenir ?
00:44:36Enfin, de qui se moque-t-on ?
00:44:39C'est ce que nous avons entendu il y a 50 ans.
00:44:42Des millions de personnes sont mortes à cause de ça.
00:44:45Alors est-ce que de nouveau, on va opposer ?
00:44:48Est-ce que c'est le bon moment pour rompre la confidentialité ?
00:44:51Est-ce qu'il faut distinguer les prisonniers,
00:44:54les gens qui sont des civils ?
00:44:57Est-ce qu'on peut dire qu'on n'a pas le droit d'entrer dans les camps ?
00:45:00Il y a plein d'informations. Nous allons repartir d'ici.
00:45:03Nous ne saurons rien de plus.
00:45:06Simone Well réclame alors l'utilisation de tous les moyens possibles
00:45:09pour faire ouvrir les camps de détention serbes.
00:45:12Mais face à l'horreur de la guerre,
00:45:15elle semble impuissante.
00:45:18D'autant que quelques mois après les crimes commis
00:45:21en ex-Yougoslavie, un génocide a lieu.
00:45:24Celui des Tutsis, au Rwanda.
00:45:27Je viens du Rwanda.
00:45:30Je suis rescapée du génocide
00:45:33perpétré contre les Tutsis.
00:45:36J'ai survécu en 94,
00:45:39avec mon père et ma mère.
00:45:42J'ai perdu mon père.
00:45:45J'ai perdu ma mère.
00:45:48J'ai perdu mon père.
00:45:51J'ai perdu ma mère.
00:45:55J'ai survécu en 94 avec mes trois filles.
00:45:58Heureusement, mais le reste de la famille a été tuée.
00:46:01Mon mari, mes parents,
00:46:04ma sœur Stéphanie.
00:46:09Esther Mejavaio est devenue psychothérapeute.
00:46:12En 2004,
00:46:15dix ans après le génocide des Tutsis,
00:46:18elle raconte ce qu'elle a vécu dans un livre,
00:46:21qui s'appelle « Soit Belhadad ».
00:46:24Soit Belhadad a dit,
00:46:27« Esther, ton histoire...
00:46:30Il y a une femme fantastique en France
00:46:33que tu dois rencontrer,
00:46:36Madame Simone Veil,
00:46:39parce qu'il y a tellement de similarités. »
00:46:42La rencontre a lieu dans le bureau de Simone Veil.
00:46:45Soit Belhadad enregistre l'entretien.
00:46:48Il y a eu des conflits,
00:46:51mais en définitive, l'objet est très proche.
00:46:54Ils avaient des règles à la radio,
00:46:57avant de plier, tuer les d'abord.
00:47:00Vous savez, rien que de vous entendre maintenant,
00:47:03il fait chaud dans cette pièce,
00:47:06et j'ai des frissons d'émotion.
00:47:09D'émotion par rapport à ce passé commun, je dirais.
00:47:12Et cette similitude de nos situations
00:47:15avec 50 ans près de différence.
00:47:28Non, c'était très, très touchant.
00:47:31C'était très, très touchant.
00:47:34C'était tellement le même oxygène qu'on respirait,
00:47:37c'était les mêmes expériences.
00:47:40Simone Veil est alors présidente
00:47:43de la Fondation pour la mémoire de la Shoah.
00:47:53Simone Veil, c'est la voix des témoins de la Shoah.
00:47:56Elle a magnifiquement incarné la voix
00:47:59de tous ceux qui ont disparu dans les camps de la mort.
00:48:02Elle va s'attacher non seulement
00:48:05à ce que l'on travaille sur le génocide des Tziganes,
00:48:08mais aussi sur le génocide du Rwanda.
00:48:12Simone Veil est, de ce point de vue-là, généreuse
00:48:15vis-à-vis des souffrances, si on peut dire.
00:48:18C'est, encore une fois, je pense, une éthique de la vérité,
00:48:21de l'exactitude.
00:48:24Je vous remercie de m'avoir donné cette occasion
00:48:27d'abord de vous rencontrer.
00:48:30J'en suis vraiment bouleversée.
00:48:33Et de parler du Rwanda,
00:48:36que c'est une chose qui me pèse énormément.
00:48:39On serait vigilants,
00:48:42qu'on pourrait éviter ce genre de choses,
00:48:45et on n'a pas su le faire.
00:48:48Je suis contente de savoir aussi
00:48:51qu'après notre rencontre,
00:48:54que ça a apporté des fruits,
00:48:57que Simone Veil a apporté son message quelque part.
00:49:00Ça a changé la vision de ceux qui disaient
00:49:03que c'était autre chose chez ces gens-là,
00:49:06que c'était autre chose chez eux.
00:49:09Il est quelqu'un.
00:49:12Elle porte loin.
00:49:15C'est pas ma petite voix.
00:49:18Simone Veil encourage la recherche,
00:49:21oeuvre pour la transmission de la mémoire de la Shoah
00:49:24et des autres génocides aux jeunes générations.
00:49:27Une fois encore, elle puise dans les expériences de sa vie
00:49:30une force pour les autres.
00:49:33Je me souviens d'une chose qu'elle a dit.
00:49:36Elle m'a demandé ça fait combien d'années, ça fait 10 ans.
00:49:39J'ai dit oui, c'est 10 ans.
00:49:42Elle a dit vous n'avez encore rien vu.
00:49:45Et là c'est quelque chose, maintenant que c'est 30 ans après,
00:49:48que je vois ce qu'elle a voulu dire.
00:49:51Parce que le temps ne guérit pas.
00:49:54On vit avec. Malgré tout, ça donnait l'espoir.
00:49:57Quand je l'ai vue,
00:50:00à 66 ans, tiens l'âge que j'ai maintenant.
00:50:03Et de me dire oui,
00:50:06elle est passée au travers, elle est encore là.
00:50:09Et là je me dis oui, je passe à travers, je serai encore là.
00:50:21Les archives nationales ont conservé les milliers de lettres
00:50:24envoyées à Simone Veil pour la remercier.
00:50:27Madame le ministre,
00:50:30c'est avec une grande admiration et une vive sympathie
00:50:33que j'ai écouté votre intervention à l'Assemblée nationale.
00:50:36Je travaille dans un grand magasin et toutes les femmes autour de moi
00:50:39sont unanimes de votre avis.
00:50:42Trois années pendant lesquelles mon mari a lutté contre le cancer.
00:50:45Un immense merci pour l'attention portée à mon petit témoignage.
00:50:48Vous êtes madame soutenue par toutes dans votre lutte.
00:50:51Infirmière diplômée d'Etat, j'ai pu apprécier concrètement vos actions
00:50:54en faveur des infirmières et également votre travail pour les handicapés.
00:50:57Je vous remercie pour ce que vous avez fait pour la profession.
00:51:00Vous avez défendu un beau dossier, vous l'avez levé au-dessus des hypocrisies et des tabous.
00:51:03Autant de Françaises et de Français reconnaissants
00:51:06pour l'ensemble de son œuvre.
00:51:09Madame,
00:51:12je ne peux remettre le désir de vous écrire à plus tard.
00:51:15Merci madame de nous faire ce cadeau.
00:51:18Et on essayait de faire le maximum
00:51:21avec le plus de désir.
00:51:24Remboursement de la pilule et du stérilet par la Sécurité sociale.
00:51:27Remboursement de la péridurale par la Sécurité sociale.
00:51:30Création de l'allocation de rentrée scolaire.
00:51:33Généralisation de l'assurance vieillesse.
00:51:36Mise en place du conseil supérieur de l'adoption.
00:51:39Création du congé d'adoption.
00:51:42Allongement du congé maternité.
00:51:45Prise en charge du traitement de la stérilité par la Sécurité sociale.
00:51:49Droits à la Sécurité sociale pour les détenus.
00:51:52Programme d'action en faveur des personnes d'autisme.
00:51:55Accès autonome des jeunes à l'assurance maladie dès l'âge de 10 ans d'urgence.
00:51:58Préorganisation.
00:52:01Programme de prévention de vos visites.
00:52:04La vie vaut la peine d'être vécue si tu la vis comme Simone Veil.
00:52:07En France, son nom restera jamais associé à l'obtention du droit à l'interruption volontaire de grossesse.
00:52:14Mais Simone Veil, sans qu'on le sache toujours vraiment,
00:52:17a mené tout au long de sa vie bien d'autres combats
00:52:20avec pour point commun le respect de la dignité humaine.
00:52:23Voilà ce qui est donc venu nous rappeler à l'instant
00:52:26ce documentaire réalisé par Caroline Dussin,
00:52:29écrit par Dominique Missica.
00:52:32Et nous allons bien sûr y revenir maintenant avec nos invités présents aujourd'hui
00:52:35sur ce plateau de Débat Doc.
00:52:38Dominique Missica est avec nous pour commencer. Bienvenue à vous.
00:52:41On vous a vu dans ce documentaire. Vous êtes donc l'auteur
00:52:44de ce film aux côtés de Caroline Dussin pour la réalisation.
00:52:48Vous êtes historienne et vous êtes l'autrice, entre autres, de ce livre
00:52:51Les Inséparables, Simone Veil et ses soeurs.
00:52:54On en dira peut-être un mot tout à l'heure, édité aux éditions du Seuil.
00:52:57On va revenir, bien évidemment, sur ce parcours
00:53:00vu par Dominique Missica
00:53:03avec ses formes d'engagement qui sont, c'est vrai,
00:53:06assez mal connues et qu'on a découvert avec ce film
00:53:09de la part de Simone Veil. On va le faire avec Maurice Safran.
00:53:12Bonjour à vous, Maurice Safran. Vous êtes journaliste et écrivain
00:53:15éditorialiste au magazine Challenge
00:53:18et vous avez notamment dirigé l'hebdomadaire Marianne.
00:53:21C'était en 2008 et 2013 et nous vous devons, entre autres,
00:53:24en lien avec cette émission Simone Veil, Destin,
00:53:27toujours disponible aux éditions Gélu.
00:53:30Enfin avec nous, Nicole Gage. Bienvenue à vous.
00:53:33Vous êtes avocate, ancienne secrétaire d'État chargée à l'aide aux victimes.
00:53:36C'était entre 2004 et 2005.
00:53:39Le gouvernement raffinera un trois de mémoire sous la présidence, bien sûr,
00:53:42de Jacques Chirac et nous ferons, bien entendu, ici, appel à vos souvenirs
00:53:45avec Simone Veil. Vous l'avez connue.
00:53:48Vous avez d'ailleurs ça en commun, tous les trois. Vous l'avez connue.
00:53:51Vous avez parfois travaillé à ses côtés. Vous l'avez interviewée.
00:53:54Et on va parler d'abord de cette personnalité de Simone Veil.
00:53:57Elle est un peu évoquée, parfois, dans ce documentaire.
00:54:00Et vous, vous nous dites, Dominique Missica,
00:54:03l'expérience concentrationnaire est la matrice
00:54:06de sa pensée. Voilà ce que vous affirmez dans ce film.
00:54:09On ne comprend rien à ce qu'est la personnalité
00:54:12de Simone Veil si on ne comprend pas ça.
00:54:15Ah oui. Pour moi, c'est une...
00:54:18Le fil d'Ariane de sa vie, en fait.
00:54:21Simone Veil a été déportée,
00:54:24elle avait 16 ans et demi. Elle en revient
00:54:27sans sa mère, qui meurt à Bergen-Belsen,
00:54:30avec sa soeur Milou, qu'elle perdra en 1952.
00:54:34Et elle n'a plus de père, elle n'a plus de frère,
00:54:37elle n'a plus de foyer, elle n'a plus de ressources,
00:54:40elle est orpheline. C'est le drame de sa vie.
00:54:43Et elle a vécu l'horreur concentrationnaire.
00:54:46Donc, c'est un destin, comme l'a dit...
00:54:49La plus grande horreur concentrationnaire du siècle dernier.
00:54:52Absolument. L'enfer d'Auschwitz.
00:54:55Et d'ailleurs, elle le dira toujours.
00:54:58Je ne suis jamais sortie du camp d'Auschwitz.
00:55:01Ce qu'elle a vu, ce qu'elle a vécu,
00:55:04ce qu'elle a enduré, ce qu'elle a promis de raconter aussi,
00:55:07ce qui était essentiel à ses yeux,
00:55:10c'est l'humiliation, le froid, la faim,
00:55:13bien sûr, les mauvais traitements, mais l'humiliation,
00:55:16la promiscuité, le manque d'hygiène,
00:55:19l'avilissement. Et elle s'est promis,
00:55:22tout au restant de sa vie, de lutter pour que
00:55:25personne d'autre ne vive ce qu'elle a vécu
00:55:28et ce qu'ils ont tous vécu.
00:55:30Les déportés politiques étaient célébrés, choyés,
00:55:33les déportés d'irratio, de mon genre, les juifs et les ziganes,
00:55:36n'entraient pas dans les cases de la France
00:55:39gaullo-communiste. Voilà ce que vous disait, par exemple,
00:55:42Simone Weil, dans votre ouvrage.
00:55:44C'est d'autant plus intéressant que sa propre soeur
00:55:47était de l'autre côté. C'était une résistante
00:55:50qui était célébrée, alors que les juifs
00:55:53qui revenaient d'Auschwitz, on n'en parlait quasiment pas.
00:55:56C'était interdit d'en parler. Ils ne faisaient pas partie
00:55:59de ceux qui avaient combattu et qui étaient revenus.
00:56:02Ca a été un grand problème tout au long de sa vie
00:56:05et cette discussion, elle l'a eue avec sa soeur,
00:56:08tout au long de leur histoire commune.
00:56:11Il y avait une vraie séparation.
00:56:14Il y a des épisodes tout à fait extraordinaires.
00:56:17Elle part se reposer en Suisse.
00:56:20Ca a été un cauchemar absolument épouvantable
00:56:23parce qu'il y avait de la discipline, de l'ordre,
00:56:26parce que d'une certaine façon, sans comparaison possible,
00:56:29ça lui rappelait les camps, cette espèce d'ordre suisse.
00:56:32Mais dans une réception, alors qu'elle déposait
00:56:35son manteau au vestiaire,
00:56:38un homme qui était à ses côtés à sa droite
00:56:41lui a demandé si c'était son numéro de vestiaire
00:56:44qui était sur son bras.
00:56:47C'est ce type d'expérience qui rend quand même
00:56:50les choses extrêmement compliquées.
00:56:53Mais pour compléter Dominique,
00:56:56avant même les camps et l'expérience de Suisse,
00:56:59Simone Veil et tous les témoins que j'ai retrouvés
00:57:02de son enfance disent que c'était une combattante
00:57:05dès le plus jeune âge.
00:57:08Son père disait, Simone,
00:57:11sa première réponse, c'est non.
00:57:14Je crois que ça caractérise absolument son caractère.
00:57:17Elle commence par dire non.
00:57:20Elle l'a gardée.
00:57:23Cet antagonisme de deux mémoires,
00:57:26la mémoire résistante portée par sa soeur,
00:57:29Denise Vernet, qui a 19 ans,
00:57:32engagée dans le mouvement front-tireur,
00:57:35déportée à Ravensbrück avec Germaine Tillon
00:57:38et Geneviève de Gaulle, c'est des conflits.
00:57:41Il se trouve que j'ai travaillé à la fois
00:57:44avec Germaine Tillon et avec Simone Veil.
00:57:47Elles étaient en concurrence.
00:57:50Quand je travaillais pour l'une,
00:57:53et que Simone Veil trouvait que je n'avançais pas,
00:57:56elle me disait que j'étais occupée ailleurs
00:57:59parce que je travaillais sur la résistance
00:58:02et pas sur la Shoah à ce moment-là.
00:58:05En même temps, elles étaient inséparables
00:58:08parce qu'elles étaient les seules survivantes
00:58:11qui allaient jusqu'à son dernier souffle.
00:58:14Je vous dis souvent, lorsqu'on parle de Simone Veil,
00:58:17qu'elle a mis beaucoup de temps à parler de cette judaïté.
00:58:20Oui, c'est ça. En fait,
00:58:23juive du premier jour jusqu'à la fin de sa vie,
00:58:26et ça fait partie des propos qu'elle a tenus
00:58:29en disant, je veux que l'on prononce
00:58:32le Kaddish sur ma tombe, je suis juive,
00:58:35ma judaïté est imprescriptible,
00:58:39mais ce sont des choses qu'elle a dites
00:58:42à la fin, à la fin de sa vie.
00:58:45Parce que tous les combats
00:58:48que vous décrivez si bien
00:58:51dans ce documentaire sont des combats
00:58:54pour la dignité humaine,
00:58:57pour la défense des droits de l'homme,
00:59:00la défense du droit des femmes, des enfants,
00:59:03mais ce judaïsme, qu'en fin de compte,
00:59:06elle n'avait pas, elle était agnostique,
00:59:09eh bien, elle l'a
00:59:12non pas ignoré,
00:59:15mais elle l'a écarté pour se consacrer
00:59:18à bien d'autres combats, et je trouve ça
00:59:21très intéressant, parce que ça lui a donné
00:59:24une liberté d'action, de ton,
00:59:27une liberté politique
00:59:30qu'elle a, dont elle a usé,
00:59:33à très bonne ession, et avec tous les hommes politiques,
00:59:36d'ailleurs, qu'elle a rencontrés et qu'elle a convaincus,
00:59:39au premier rang desquels Jacques Chirac.
00:59:42Moi, je voudrais écarter un point
00:59:45et on en a souvent discuté
00:59:48et elle me l'a souvent expliqué dans le détail,
00:59:51cette fable selon laquelle
00:59:54les déportés de retour
00:59:57ne voulaient pas parler. Quand on lui disait ça,
01:00:00on le rendait hystérique.
01:00:03Selon elle, on leur interdisait la parole.
01:00:06C'est le contraire. Il était interdit à table
01:00:09de raconter ce qui s'était passé dans les camps.
01:00:12C'est une inversion des choses.
01:00:15Ce ne sont pas les déportés qui ne voulaient pas parler,
01:00:18c'est la société toute entière qui les empêchait de parler.
01:00:21Et ça, c'est un point absolument capital.
01:00:24Mais là, nous parlions de judaïsme,
01:00:27je pense qu'elle l'a toujours eu, qu'elle l'a toujours gardé,
01:00:30qu'elle n'en a pas forcément fait état,
01:00:33encore qu'elle a été présente à toutes les cérémonies,
01:00:36mais de manière discrète. Simone Bell,
01:00:39contrairement à ce qu'on peut penser,
01:00:42a toujours été extrêmement présente,
01:00:45mais parfois très discrète.
01:00:48Sa présence auprès de ses camarades de déportation
01:00:51ne date pas des dernières années où on la voit
01:00:55et Paul Schaeffer, qu'elle a tellement aimé,
01:00:58mais il était beau.
01:01:01Je crois fondamentalement
01:01:04qu'elle avait cet attachement à son identité juive,
01:01:07que pour elle, c'était quelque chose
01:01:10qui était intérieur, qui était intime,
01:01:13mais c'est la société
01:01:16qui ne le reconnaissait pas,
01:01:19puisque quand elle est nommée par Giscard d'Estaing,
01:01:23ministre de la Santé, il dit
01:01:26que Mme Simone Veil déportait à Ravensbruck.
01:01:29C'est qu'à l'époque, on ne différencie pas
01:01:32la déportation résistante de la déportation juive.
01:01:35Il y a un point
01:01:38essentiel,
01:01:41c'est que Simone Veil, qui, au fil des années,
01:01:44est devenue une grande bourgeoise
01:01:47célèbre dans tout Paris,
01:01:50elle voyait tous les soirs, 7 jours sur 7,
01:01:53365 jours par an, Simone Veil,
01:01:56elle reconnaissait que les seuls moments
01:01:59de sa vie où elle était bien,
01:02:02c'est quand elle était avec ses amis déportés.
01:02:05C'était le seul moment, malgré toute la gloire,
01:02:08malgré les cocktails, les dîners, les beaux hôtels,
01:02:11les avions, le pouvoir, etc.,
01:02:14les seuls moments où je suis bien, c'est avec mes amis déportés.
01:02:17C'est un point absolument fondamental.
01:02:20On va écouter Bertrand Fragonard,
01:02:23qui a été son directeur adjoint au cabinet
01:02:26du temps où elle était ministre de la Santé
01:02:29sous Giscard d'Estaing.
01:02:32Non, elle n'est pas intermédiaire. Elle était drôle.
01:02:35Elle aimait rire, elle aimait se moquer des gens.
01:02:38Pas du tout l'image publique
01:02:41qu'elle avait, qui était très raisonnable,
01:02:45avec un vestiaire très convenu.
01:02:48Mais on ne peut pas sortir, il n'y a aucun problème à régler.
01:02:51Aucun problème financier, aucun problème des adéquations.
01:02:54Il lui faut un an de gestation encore à ce projet.
01:02:57Ce n'est pas vrai qu'il ait réglé. Rien n'est réglé.
01:03:00Son père commençait toujours par dire non.
01:03:03Nicole Gatch, vous avez eu l'occasion de la côtoyer.
01:03:06Ce fameux caractère de Simone Veil,
01:03:09qui apparaît assez peu dans ce documentaire,
01:03:12on comprend que ce n'était pas tous les jours facile.
01:03:15Elle n'était pas si facile que ça à vivre.
01:03:18Je trouvais ça très séduisant, en fait.
01:03:21C'était une très belle femme, chacun le sait,
01:03:24mais elle avait aussi cette beauté intérieure
01:03:27qu'elle était capable d'exprimer
01:03:30et avec aussi une forme de résistance
01:03:33à tout ce qui pouvait l'entourer de ce monde politique,
01:03:36de ce monde d'hommes, etc.
01:03:39Oui, en effet, elle ne...
01:03:42Elle était consciente
01:03:45de ce qu'elle avait, par sa résistance,
01:03:48une forme de pouvoir.
01:03:51Et elle en usait. C'était très intéressant.
01:03:54Parce qu'elle évolue surtout dans un monde d'hommes.
01:03:57Surtout dans un monde d'hommes.
01:04:00Globalement, elle a voulu, je crois,
01:04:03utiliser cette force de caractère qu'elle avait
01:04:06au service de ses causes.
01:04:09Et elle en a, du coup, gagné beaucoup grâce à cela.
01:04:12Grâce à cela.
01:04:15Moi, j'ai un souvenir assez intéressant.
01:04:18On dit qu'elle a été...
01:04:21C'était une femme qu'elle a réussie à gagner ses causes.
01:04:24Je crois que c'était elle. C'était la femme qu'elle était.
01:04:27Je me souviens que...
01:04:30Son directeur de cabinet à John disait qu'elle était drôle.
01:04:33Lorsque j'ai été nommée
01:04:36à cette mission gouvernementale,
01:04:39d'abord au programme immobilier de la justice,
01:04:42puis au droit des victimes,
01:04:45les deux sujets qui l'intéressaient beaucoup...
01:04:48Elle s'est beaucoup intéressée aux prisons,
01:04:51vous le dites dans ce documentaire.
01:04:54C'est sa carrière de magistrate.
01:04:57Elle était intriguée de savoir pourquoi et comment
01:05:00Nicole Gage, qu'elle ne connaissait pas,
01:05:03avait été choisie par Jacques Chirac
01:05:06pour s'occuper de ces sujets qui lui tenaient à coeur
01:05:09et elle a envie de savoir
01:05:12comment j'allais les traiter.
01:05:15Elle m'a donc demandé de l'inviter à déjeuner à mon ministère.
01:05:18J'avais un petit secrétariat d'Etat, pas de cuisine,
01:05:21tout était modeste,
01:05:24mais ça lui était égal.
01:05:28Elle voulait presque un peu en découdre
01:05:31avec une petite pointe d'humour.
01:05:34Cette personnalité si particulière de Simone Veil,
01:05:37on l'a dit parfois cassante,
01:05:40son entourage l'a dit parfois cassante,
01:05:43comment vous qualifieriez ce fameux caractère
01:05:46de Simone Veil ?
01:05:49C'est une vieille histoire.
01:05:52J'avais 23 ans, j'étais toujours journaliste.
01:05:55J'avais l'habitude d'aller recueillir sa réponse
01:05:58à l'interview dans L'Express de Louis d'Arquette-Pelpois,
01:06:01ancien commissaire aux affaires juives,
01:06:04qui avait dit dans L'Express qu'à Auschwitz,
01:06:07on n'agassait que des poux.
01:06:10Je ne sais pas si vous imaginez un journaliste de 23 ans
01:06:13qui, le samedi matin, va placer vos bancs
01:06:16dans l'immeuble et dans l'appartement de Simone Veil
01:06:19recueillir ses propos.
01:06:22Un statut dans un fauteuil
01:06:25totalement bouleversé par la déclaration
01:06:28de Louis d'Arquette-Pelpois, qui avait fait la une de L'Express.
01:06:31Moi, j'ai jamais connu quelqu'un de dur.
01:06:34Il faut bien comprendre
01:06:37qu'il y a bien sûr la trace
01:06:40de la déportation, la trace d'Auschwitz,
01:06:43mais le second point qui est quasiment sur la ligne,
01:06:46c'est le combat pour les femmes.
01:06:49Simone Veil, c'est d'abord une féministe,
01:06:52une véritable féministe.
01:06:55Quand, au ministère de la Justice,
01:06:58elle rencontre Marie-France Garot,
01:07:01qui est aussi une jeune magistrate,
01:07:04beaucoup plus à droite qu'elle,
01:07:07elle devient amie intime parce qu'elle se bat
01:07:10pour les prisonnières algériennes qui sont maltraitées.
01:07:13Elle ne se bat pas pour les prisonniers algériens,
01:07:16et cet aspect-là est absolument fondamental.
01:07:19Simone Veil est féministe avant d'être de droite,
01:07:22avant d'être du centre, avant d'être d'ailleurs.
01:07:25C'est le combat fondamental.
01:07:28On va revoir un deuxième extrait du documentaire
01:07:31à propos du droit des femmes. Nous sommes au milieu des années 60.
01:07:34Est-ce que votre mari pourrait s'opposer à ce que vous travaillez ?
01:07:37Je ne pense pas, non.
01:07:40Vous pensez qu'il y a longtemps qu'il ne peut pas s'opposer ?
01:07:44Je pense que c'est le droit de la femme.
01:07:47La femme est libre maintenant de choisir si elle doit travailler ou pas travailler.
01:07:50Oui, c'est assez récent quand même.
01:07:53Cette loi de 1965 a donné à la femme
01:07:56des pouvoirs très considérables sur les biens de la communauté,
01:07:59a obligé le mari à tenir compte de l'avis de sa femme
01:08:02pour tous les actes importants, de l'associer réellement
01:08:05sur le plan de la gestion du patrimoine à sa propre gestion.
01:08:08J'imagine que vous rejoignez complètement ce qu'il y a du monde de sa femme.
01:08:11C'est un extrait génial,
01:08:14parce que Simone Veil se souviendra
01:08:17jusqu'à son dernier jour que son père
01:08:20a interdit à sa mère de faire des études et de travailler
01:08:23et qu'elle a accepté que son mari lui interdise d'être avocate.
01:08:26Elle voulait être avocate et la concession
01:08:29qu'Antoine Veil lui a fait, c'est qu'il a accepté
01:08:32qu'elle devienne magistrate.
01:08:35Cet extrait, c'est toute la vie de Simone Veil, en réalité.
01:08:38Avec cette fameuse loi de 1965.
01:08:41La Simone Veil féministe, qu'est-ce qu'on peut en dire ?
01:08:44Je dirais qu'elle n'est pas tout à fait féministe.
01:08:47Elle est solidaire des femmes,
01:08:50ce qui est autre chose.
01:08:53Justement, avec les militantes féministes
01:08:56du MLF ou du MLA qu'elle a connues, qu'elle a côtoyées,
01:08:59elle n'avait pas la même approche
01:09:02de la cause des femmes.
01:09:05L'émancipation des femmes, l'égalité civile,
01:09:08tout ce que le droit pouvait leur apporter.
01:09:11Mais ce n'était pas au nom
01:09:14d'une idéologie, d'un combat politique.
01:09:17C'était au nom du droit
01:09:20et de l'égalité que le droit devait apporter
01:09:23à toutes les femmes.
01:09:26Elle l'a toujours dit,
01:09:29quand elle présente sa loi sur l'avortement,
01:09:32ce n'est pas dans le cadre de l'idée
01:09:35que les femmes doivent pouvoir disposer de leur corps.
01:09:38Non, c'est une question de santé publique.
01:09:41C'est de la politique, Dominique.
01:09:44C'est la seule façon de faire passer la loi.
01:09:47C'est de la politique.
01:09:50Pour elle, le droit représente
01:09:53tout ce qui peut apporter, améliorer.
01:09:56Bien sûr que ça favorise la condition des femmes.
01:09:59Je voudrais revenir sur une chose, sur sa personnalité.
01:10:02Elle était, en fait, d'une très grande exigence
01:10:05vis-à-vis d'elle-même et vis-à-vis de ceux
01:10:08ou de celles avec qui elle travaillait.
01:10:11Donc, lui dire que ça n'était pas possible,
01:10:14lui dire qu'on n'avait pas fini ce qu'elle avait demandé,
01:10:17lui dire que le courrier était en souffrance,
01:10:20lui dire que ce que vous lui disiez
01:10:23était approximatif,
01:10:26il n'y avait rien qui la mettait plus en rogne que ça.
01:10:29Mais par ailleurs, elle avait cette solidarité,
01:10:32en particulier avec les femmes, pour les soutenir,
01:10:35pour les écouter, pour comprendre leurs problèmes,
01:10:38pour être concrète.
01:10:41Vous avez choisi le manifeste sur la parité
01:10:44qu'elle a signé avec des femmes de gauche.
01:10:47On a entendu Frédérique Bredin dans ce documentaire,
01:10:50mais il y avait notamment Yvette Roudy,
01:10:53qui est une femme de gauche,
01:10:56avec laquelle elle s'est alliée
01:10:59quand elle était présidente du Parlement européen
01:11:02pour améliorer le droit européen des femmes.
01:11:05Cette défense de la cause des femmes,
01:11:08féministe, elle s'en défendait,
01:11:11elle n'aimait pas qu'on dise qu'elle était féministe.
01:11:14Pour une raison assez simple,
01:11:17c'est que souvent, les féministes ne pensent qu'à ça.
01:11:20Elles ne pensaient pas qu'aux femmes et aux droits des femmes.
01:11:23Les enfants aussi.
01:11:25Les enfants, mais globalement,
01:11:28les droits de l'homme.
01:11:31Et en ce sens-là,
01:11:34elle arrivait à tout superviser.
01:11:37C'est comme ça qu'elle a gagné tous ces combats.
01:11:40C'est parce qu'elle ne s'est pas spécialisée.
01:11:43Dans un élan d'universalisme,
01:11:46elle voulait défendre les droits.
01:11:49Et les droits de tous.
01:11:52Dans toutes les circonstances,
01:11:55on a bien vu la question du Rwanda,
01:11:58la question de l'adoption,
01:12:01la question des prisons.
01:12:04Tout y est passé.
01:12:07C'est en cela que cette femme a eu à la fois
01:12:10une destinée incroyable, hors normes,
01:12:13et c'est en cela, je crois,
01:12:16qu'elle a pu nouer, avec les plus grandes de ce monde,
01:12:20des liens d'amitié, d'affection,
01:12:23je pense notamment à Jacques Chirac,
01:12:26d'amitié, d'affection, d'admiration, de fascination,
01:12:29parce que c'est précisément ce qu'elle suggérait
01:12:33et c'est précisément ce que tout le monde
01:12:36a apprécié venant d'elle.
01:12:39Tout cela.
01:12:42Tout cela faisait Mme Simone Veil.
01:12:45C'est une femme de droite.
01:12:48Elle a côtoyé une famille politique
01:12:51et des collègues dans cette famille politique
01:12:54qui n'étaient pas forcément en faveur de ces idées-là.
01:12:57Tout de suite après la guerre,
01:13:00Antoine Veil faisait de la politique chez les démocrates chrétiens,
01:13:03elle est rentrée chez les démocrates chrétiens,
01:13:06c'est la même famille politique, c'est une famille de droite,
01:13:09elle était d'un anticommunisme féroce,
01:13:12et sur les questions des libertés publiques,
01:13:15des progrès du droit des femmes, des enfants, etc.,
01:13:18ses alliés étaient le plus souvent à gauche.
01:13:21C'est ça, la réalité, c'est comme ça, c'est la vie politique.
01:13:24Cette loi sur l'interdiction volontaire de grossesse
01:13:27ne passe que parce qu'il y a la gauche.
01:13:30Elle le savait parfaitement.
01:13:33Elle parle sur ces sujets,
01:13:36elle parle plus comme la gauche que comme une certaine droite.
01:13:39Et le lien avec Jacques Chirac,
01:13:42le lien étroitissime avec Jacques Chirac,
01:13:45se noue le soir du débat
01:13:48sur l'interdiction volontaire de grossesse,
01:13:51où il la soutient au banc du gouvernement toute la nuit.
01:13:54Je crois que c'est impressionnant de voir à quel point
01:13:57elle a bossé, elle a travaillé,
01:14:00inlassablement.
01:14:03C'est vrai qu'elle a épuisé des collaborateurs
01:14:06et des collaboratrices,
01:14:09parce qu'elle voulait toujours aller au fond des choses,
01:14:12qu'elle voulait écouter, prendre du temps.
01:14:15Elle était capable d'écouter,
01:14:18de passer une après-midi, deux heures avec une famille
01:14:21qui cherche à adopter.
01:14:24Il y a une anecdote que j'aime beaucoup.
01:14:27Au moment du réveillon de Noël, au ministère de la Santé,
01:14:30elle est allée interroger Deluissier, la secrétaire,
01:14:33le haut fonctionnaire, son directeur, etc.
01:14:36Comment allez-vous réveillonner ? C'était sa question.
01:14:39Et tout le monde lui a répondu en famille.
01:14:42Donc, ça l'a confortée dans l'idée
01:14:45qu'on aime la famille,
01:14:48que les femmes, en particulier, le foyer,
01:14:51eh bien, c'est quelque chose...
01:14:54Ce qu'elle avait perdu, au fond, était essentiel à ses yeux.
01:14:57Il fallait permettre à tous et à toutes
01:15:00de bénéficier de tout ce
01:15:03que le progrès social permettait.
01:15:06Elle a d'ailleurs beaucoup aimé sa propre vie de famille.
01:15:09Oui.
01:15:12Elle attachait un prix très important.
01:15:15C'était une priorité. Sa famille,
01:15:18ses enfants, ses petits-enfants.
01:15:21Ces moments qu'ils ont partagés,
01:15:24pour elle, c'était ce qui valait le plus.
01:15:28Elle a une très grande capacité d'écoute.
01:15:31Et c'est ça qui fait, à mon avis,
01:15:34sa force auprès de gens très différents.
01:15:37D'ailleurs, à la fin du film,
01:15:40on montre tous les courriers, toutes les lettres qu'elle a reçues.
01:15:43Chaque fois que moi, je fais des conférences,
01:15:46je signais mes livres
01:15:49dans les salons, etc.,
01:15:52chacun se souvient de l'avoir rencontrée, d'avoir parlé avec elle.
01:15:55Les infirmières, par exemple,
01:15:58qui lui doivent tant, puisqu'elle a modifié
01:16:01et amélioré leur statut.
01:16:04Ne serait-ce que les infirmières,
01:16:07elles ont encore la prime veille.
01:16:10C'est quand même une victoire qu'elles ont obtenue.
01:16:13Leur statut, le statut des assistantes maternelles.
01:16:16Toutes ces femmes qui lui doivent beaucoup.
01:16:19Et nous-mêmes, nous tous,
01:16:22on lui doit beaucoup sans le savoir.
01:16:25Vous évoquiez ce lien si particulier avec Jacques Chirac,
01:16:28ça a été le président de la République
01:16:31avec lequel elle sera sentie le plus en face,
01:16:34plus en face qu'avec Valérie Giscard d'Estaing ?
01:16:37Oui, elle était beaucoup plus proche de Jacques Chirac
01:16:40que Valérie Giscard d'Estaing.
01:16:43C'est Jacques Chirac qui demande à Valérie Giscard d'Estaing
01:16:46qu'elle devienne ministre de la Santé.
01:16:49Elle est plus proche de Giscard que de Chirac.
01:16:52C'est pour ça que vous pouvez s'interroger
01:16:55pour ceux qui ne la connaissent pas.
01:16:58Non, sur le plan personnel, ils sont intimes.
01:17:01Et effectivement, il y a cette nuit absolument fondatrice
01:17:04où elle est traînée dans la boue
01:17:07par une partie de l'Assemblée nationale.
01:17:10N'oubliez pas qu'un député de droite
01:17:13dont je ne me souviens plus du nom
01:17:16de l'Assemblée nationale en expliquant
01:17:19qu'elle est comme les tueurs d'Auschwitz.
01:17:22C'est quand même d'une violence absolument incroyable.
01:17:25Elle est soutenue par Chirac.
01:17:28Chirac lui en voudra pas d'avoir fait partie
01:17:31de ce fameux gouvernement baladur.
01:17:34C'est le 2e passage de Simone Veil au ministère de la Santé.
01:17:37Je ne sais plus dans quel gouvernement baladur.
01:17:40Je crois que Chirac soutient le gouvernement baladur.
01:17:43Elle a demandé d'avoir la ville.
01:17:46C'est vrai qu'elle l'a dit.
01:17:49Elle est un peu en dissonance
01:17:52avec ce gouvernement
01:17:55parce qu'elle n'est pas vraiment sur la même ligne.
01:17:58Mais en même temps, elle veut agir.
01:18:01C'est quelqu'un de pragmatique.
01:18:04Puisqu'on lui donne les moyens d'agir en étant ministre,
01:18:07alors elle y va.
01:18:10Elle a demandé à s'occuper de la ville
01:18:13où elle va aller dans les quartiers nord de Marseille,
01:18:16toujours en tailleur Chanel et ses boucles d'oreilles bien dorées,
01:18:19à la rencontre des femmes immigrées,
01:18:22créer des associations
01:18:25puisqu'elle est persuadée que c'est par les femmes immigrées
01:18:28que les problèmes des banlieues vont se résoudre.
01:18:31C'est à un moment donné
01:18:34où c'est quand même Charles Pasqua qui est au gouvernement
01:18:37et qui est pour le tout répressif.
01:18:40C'est ce qu'on a bien compris aussi dans votre dernier extrait.
01:18:43C'est son engagement européen, l'engagement européen de Simone Veil.
01:18:46Je ne veux pas réentendre ce que j'ai entendu en 1905,
01:18:49il y a 50 ans, de dire que la première chose,
01:18:52la seule priorité, c'était d'arrêter la guerre
01:18:55et que pendant ce temps-là, les gens pouvaient être dans des camps de concentration et s'exterminer.
01:18:58Je ne veux pas le réentendre.
01:19:01Il y a un lien qui s'impose à sa mémoire dans tous les sens du terme
01:19:04et on sent que ce n'est pas calculé, que ce n'est pas joué
01:19:07et que c'est plus fort qu'elle, qu'elle explose véritablement.
01:19:10Nous sommes en 1992, pleine guerre en ex-Yougoslavie
01:19:13avec ce coup de gueule
01:19:16qui nous est relaté dans cet extrait.
01:19:19En 1979, la première femme a été élue
01:19:22au suffrage universel à la tête du Parlement européen.
01:19:25Elle sera réélue par deux fois
01:19:28pour la suite.
01:19:32C'est une assez longue carrière au Parlement européen.
01:19:35Il y a un point fondamental qui explique la suite
01:19:38et qui se termine par la présidence du Parlement européen.
01:19:41C'est que dès la fin des années 40,
01:19:44début des années 50,
01:19:47elle est favorable à la réconciliation avec l'Allemagne.
01:19:50C'est l'anti-Jean Kelevich,
01:19:53de façon très consciente,
01:19:56de façon très construite, très historique, très politique.
01:19:59Elle explique qu'il n'y a absolument pas le choix,
01:20:02que la France et l'Allemagne doivent être au coeur de la construction européenne
01:20:05et qu'il faut se réconcilier.
01:20:08Pour quelqu'un qui est sorti de Schwyz, c'est loin d'être évident.
01:20:11On se souvient de la fameuse phrase
01:20:14j'aime l'Allemagne, encore plus quand il y en a deux.
01:20:17Ce n'était pas du tout son point de vue.
01:20:20Elle a cette vista, sur le plan historique et politique,
01:20:23très étonnante.
01:20:26En 1950, son mari
01:20:29est détaché en Allemagne
01:20:32et elle va aller s'installer
01:20:35avec ses enfants à Stuttgart et à Wiesbaden.
01:20:38A la stupéfaction de ses soeurs
01:20:41et de ses proches.
01:20:44C'est quand même assez audacieux.
01:20:47Il faut rappeler aussi ce que lui a dit sa mère.
01:20:50Les nazis sont des ennemis, mais le peuple allemand n'est pas notre ennemi.
01:20:53Il faut cette force d'âme
01:20:56pour supporter
01:20:59et envisager
01:21:02de serrer la main.
01:21:05Elle ira jusqu'au bout de cet engagement.
01:21:08Avec cette présidence du Parlement européen.
01:21:11Vous citez sa mère,
01:21:14mais il faut bien avoir en tête que la femme
01:21:17de la vie de Simone Veil, c'est sa mère.
01:21:20Le centre, le coeur de sa construction,
01:21:23tout au long de sa vie, reste et restera jusqu'au dernier jour
01:21:26sa mère. C'est d'une importance absolument considérable.
01:21:29Elle en voudra toujours à son père,
01:21:32selon elle, de ne pas avoir bien traité sa mère
01:21:35parce qu'elle lui a interdit de faire des études.
01:21:38Mais c'est le coeur de sa vie, sa mère.
01:21:41C'est un point fondamental.
01:21:44L'engagement européen de Simone Veil vous a parlé ?
01:21:47Dans la logique de tout ce qu'on s'est dit depuis le début ?
01:21:50Absolument.
01:21:53Ça ramène à sa relation avec Jacques Chirac,
01:21:56dont on a pu dire l'admiration qu'il avait pour elle,
01:21:59cette affection démesurée qu'il avait pour elle.
01:22:02Mais c'était pour toutes ces raisons-là.
01:22:05Notamment, ils avaient en partage cette question de l'Europe.
01:22:08Ils en avaient bien d'autres, d'ailleurs.
01:22:11Nous n'avons pas évoqué le sujet des Justes,
01:22:14qui sont entrées au Panthéon.
01:22:17C'est français et d'autres,
01:22:20allemands aussi, qui ont sauvé des Juifs
01:22:23pendant la guerre.
01:22:26Tout cela, pour elles et pour eux deux.
01:22:29C'était cet engagement européen
01:22:32qu'ils voulaient transcender,
01:22:35qu'ils auraient tellement voulu
01:22:38communiquer, partager
01:22:41avec des Français qui n'ont pas toujours bien compris.
01:22:44C'est une fédéraliste assumée sur le plan européen.
01:22:47Chirac l'appelait Poussinette, quand même.
01:22:50Simone Weil est décédée à l'âge de 89 ans,
01:22:53en 2017.
01:22:56Un an plus tard seulement,
01:22:59elle est panthéonisée.
01:23:02D'ailleurs, son mari l'accompagnera au Panthéon.
01:23:05De mémoire d'historienne,
01:23:08c'est la personne qui a été panthéonisée
01:23:11le plus rapidement après sa mort.
01:23:14Extrêmement court.
01:23:17Cette histoire des panthéonisations,
01:23:20c'est une histoire qui est toujours
01:23:23compliquée, parce que ça dépend du pouvoir politique,
01:23:26du moment, etc.
01:23:29C'est tout de même la formidable reconnaissance républicaine
01:23:32dans notre pays.
01:23:35Il a fallu attendre 2015 pour que Germaine Tillon
01:23:38et Geneviève de Gaulle entrent au Panthéon.
01:23:41Ça faisait quand même que 5 femmes au Panthéon.
01:23:44Je placerais plutôt la question
01:23:47de ce côté-là. C'est que c'est compliqué pour les femmes
01:23:50d'entrer au Panthéon.
01:23:53Germaine Tillon n'a pas été panthéonisée
01:23:56un an après son décès.
01:23:59Je me suis posé la question.
01:24:02Je crois que c'était dans un élan.
01:24:05Ce délai très court, finalement, qu'est-ce que ça veut dire ?
01:24:08C'était aussi une volonté du président de la République.
01:24:11C'était un élan.
01:24:14D'ailleurs, à ce moment-là, il y a eu des t-shirts partout
01:24:17c'est parce que sa mort a frappé la société française,
01:24:20parce qu'on a réalisé à quel point
01:24:23elle avait aidé les Français et les Françaises
01:24:26et que c'était un élan populaire
01:24:29que le président de la République a joué
01:24:32de cet élan populaire.
01:24:35Je crois qu'il n'y a ni calcul ni rapidité.
01:24:38C'est simplement que c'est un moment d'émotion.
01:24:41Sa disparition est un véritable moment d'émotion
01:24:44dans toutes les couches de la société française
01:24:47et c'est assez rare quand même de réussir à rassembler
01:24:50et à réunir sur son nom.
01:24:53Et ce merci, Simone, comme le dit aussi la rescapée rwandaise,
01:24:56oui, il y a eu des millions de Français
01:24:59qui lui ont dit merci.
01:25:02Elle avait sa place au Panthéon.
01:25:05Un grand merci à vous, Dominique Bisca, pour ce film
01:25:08que nous avons vu enfin.
01:25:11Ces engagements moins connus de Simone Veil
01:25:14qu'on a redécouverts grâce à votre film.
01:25:17Un grand merci à vous deux d'avoir participé à cette émission
01:25:20pour parler de Simone Veil.
01:25:24Merci à Félicité Gavalda, Victoria Bellet,
01:25:27qui, comme à l'accoutumée, m'ont aidée à préparer cette émission.
01:25:30Je vous donne rendez-vous pour un prochain Débat doc,
01:25:33même place, même heure, et toujours avec son documentaire
01:25:36et son débat. A très bientôt.
01:25:39...

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