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🇲🇦 Ghizlane Mamouni est avocate et présidente millitante pour le droit des femmes. Pour Brut la présidente de Kif Mama Kif Baba répond à 5 questions sur le projet de réforme du Code de la famille au Maroc

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Transcription
00:00Comme beaucoup de sociétés, la société marocaine a beaucoup évolué ces dernières décennies.
00:04Les femmes travaillent plus, les femmes sont plus indépendantes,
00:08les femmes sont beaucoup à la tête de foyers.
00:11Le dernier recensement fait état d'environ 20% de ménages,
00:16c'est le terme consacré, qui sont dirigés par des femmes.
00:19Tout ça, ça démontre la capacité des femmes à participer à l'essor national
00:24et au développement de notre pays.
00:26Maintenant, les lois ne suivent pas, toujours,
00:29et même si les femmes ont les mêmes responsabilités que les hommes,
00:33elles n'ont malheureusement toujours pas les mêmes droits.
00:35Et c'est pour ça qu'on milite pour une réforme qui, finalement,
00:41leur attribuerait des droits à la hauteur de leurs contributions dans l'essor national.
00:45Bonjour, je m'appelle Rizden Mamouni,
00:47je suis avocate et présidente de l'association Kif Mama Kif Baba.
00:57Ça va de « c'est une révolution, on est super contentes »,
01:01des propositions à « il n'y a rien du tout, c'est que du vent et rien ne change ».
01:07Nous, on est un petit peu entre les deux.
01:10On prend acte de l'avancée, que c'est du pas en avant que constitue ce projet de réforme.
01:17Et on prend acte aussi des quelques points positifs,
01:20le fait que la mère qui se remarie après un divorce
01:24ne perde pas automatiquement la garde de ses enfants,
01:26ça c'est un vrai point positif.
01:28La prise en compte de la contribution de l'épouse
01:32à l'enrichissement au patrimoine qui est construit par le couple,
01:37en ce qui concerne la tutelle.
01:39La tutelle est exclusivement paternelle,
01:41c'est-à-dire que seul le père peut prendre des décisions juridiques qui concernent l'enfant.
01:45Je pense par exemple à l'inscription à l'école,
01:47l'acceptation ou le refus de soins médicaux,
01:49l'ouverture d'un compte bancaire
01:51et la gestion de ce compte bancaire ou de biens qui appartiennent à l'enfant.
01:54Les propositions parlent elles de tutelle partagée.
01:58Donc on aimerait avoir vraiment plus de précisions
02:00pour vraiment s'assurer que la mère qui a la garde de l'enfant
02:03peut prendre des décisions juridiques seule.
02:10Le refus de l'ADN, le maintien de ce refus de l'ADN
02:13pour prouver la paternité biologique d'un père,
02:17je trouve ça assez incohérent et inacceptable
02:20qu'en 2025, on en soit encore à rejeter des tests scientifiques
02:25qui prouvent la paternité d'un individu
02:28en invoquant des jurisprudences complètement archaïques.
02:31C'est particulièrement inacceptable au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant
02:35qui est protégé par la Constitution
02:37mais aussi par des traités internationaux qui sont conclus par le Maroc.
02:41Ça fait plusieurs décennies qu'on a ce double référentiel
02:45d'un côté religieux et de l'autre,
02:47le référentiel des droits humains universels
02:50qui se confrontent, qui sont parfois en conflit.
02:54Et on espère vraiment qu'avec cette réforme, on sorte de là
02:59parce qu'on ne voit pas très bien l'intérêt de signer,
03:01de ratifier des conventions internationales
03:03qui ne vont pas être appliquées ensuite
03:05à cause de certaines raisons.
03:07À cause de certaines interprétations religieuses
03:09parce qu'il y en a plusieurs
03:10et il y a des interprétations qui sont progressistes
03:14et qui nous permettent de résoudre ces conflits-là
03:17tout en restant dans les fondamentaux de la nation
03:21et dans une religion musulmane modérée et tolérante
03:26comme le dit la Constitution
03:28et comme le disent aussi les instructions du roi du Maroc.
03:37Beaucoup de choses sont présentées comme étant des nouveautés
03:40et elles ne le sont pas.
03:41Actuellement, la Moudawana oblige déjà à avoir
03:44l'autorisation de la première épouse
03:46pour conclure un deuxième mariage
03:49et prendre une deuxième épouse.
03:52Les propositions nous disent que désormais,
03:54c'est au moment de conclure l'acte de mariage
03:56que l'épouse peut donner d'avance son autorisation
04:00ou la refuser dans les clauses du mariage.
04:03Mais la critique qu'on en fait,
04:05c'est que dès ce stade de conclusion de l'acte de mariage,
04:08on peut subir des pressions familiales, sociales, économiques
04:14qui vont pousser la femme à peut-être accepter
04:17cette idée de polygamie à l'avenir pour son époux
04:20et donc cette réforme essentialise finalement la femme en tant que telle.
04:25La deuxième chose, c'est que les propositions nous disent
04:28à défaut de cet accord dans l'acte de mariage
04:30et donc aussi pour tous les mariages qui sont déjà conclus,
04:33qui se font conclus avant l'entrée en vigueur de la réforme,
04:36l'époux peut aller demander au juge
04:39de prendre une deuxième épouse
04:42sur la base de considérations purement médicales concernant la femme,
04:46à savoir sa stérilité ou pas
04:49et son état médical, son état de santé
04:52qui lui permettrait ou pas d'avoir des relations sexuelles.
04:55Ces propositions voudraient dire que l'époux va aller voler
04:58le dossier médical de son épouse et le présenter à un juge
05:01pour qu'il l'autorise à prendre une deuxième épouse
05:03en violation totale du secret médical
05:06qui protège cette épouse justement.
05:09Et la deuxième remarque qu'on peut faire, c'est que
05:11à peu près autour de 50 ans, de la ménopause,
05:14toutes les femmes deviennent stériles.
05:15Donc ça veut dire quoi ?
05:16Et c'est là que je dis que c'est peut-être un pas en arrière
05:18par rapport à ce qu'on a actuellement.
05:20Donc ça voudrait dire qu'à partir de 50 ans,
05:22tous les hommes pourraient potentiellement
05:25obtenir une autorisation de prendre une seconde épouse
05:28et ça aussi c'est totalement inacceptable pour nous.
05:32Un point de vue législatif, il faut changer les lois.
05:36Il faut avoir des lois qui sont plus protectrices des femmes,
05:40des lois qui définissent beaucoup mieux
05:42les notions de viol et d'agression sexuelle.
05:44Actuellement, on a le viol qui n'est pas défini
05:47et d'un autre côté, on a l'attentat à la pudeur
05:50qui est encore moins défini.
05:51Donc on ne sait pas très bien où mettre les pieds.
05:54On a vraiment besoin de définition et de sophistication
05:57dans cette législation-là.
05:58On a aussi besoin d'abroger des dispositions
06:01qui sont liberticides.
06:03Je pense particulièrement à l'article 490 du Code pénal
06:06qui criminalise les relations sexuelles hors mariage
06:09et qui est une vraie épée de Damoclès
06:13sur la tête de toutes les victimes d'agressions sexuelles
06:15qui, quand elles ont des doutes sur les preuves
06:19qu'elles ont pu rassembler pour prouver l'agression
06:21qu'elles ont subie, ont très peur d'aller porter plainte
06:26parce qu'elles peuvent passer directement
06:28du statut de victime plaignante
06:30à celui d'une personne qui est poursuivie
06:32sur le terrain de l'interdiction des relations sexuelles
06:34hors mariage.
06:35Et ça, ça réduit au silence des milliers de femmes au Maroc
06:39et d'où l'importance vraiment d'abroger ce texte
06:42et aussi les textes cousins, on va dire,
06:45que sont l'interdiction de l'adultère
06:47et des relations homosexuelles.
06:49Le Code pénal et la loi marocaine de manière générale
06:53ne reconnaît pas le viol conjugal.
06:56Et voilà, il n'y a pas cette reconnaissance-là
06:58qu'on demande depuis plusieurs années déjà.
07:00Encore aujourd'hui, les viols et les agressions sexuelles
07:03sont trop souvent considérés comme des infractions mineures
07:07et nous, on plaide pour qu'elles soient considérées
07:10comme de vrais crimes de sang.
07:12Je pense que quand il s'agit de droits humains fondamentaux,
07:14parce que c'est ce qu'on demande en fait,
07:16ces droits des femmes ne sont rien d'autre
07:17que des droits humains fondamentaux,
07:19il ne devrait pas y avoir ce genre de débat.
07:21On ne peut pas attendre que le dernier Marocain
07:24dans les ténèbres trouve enfin la lumière
07:28pour changer les lois.
07:30Je pense qu'il faut que les responsables politiques
07:33prennent leurs responsabilités en ce sens
07:35et même si les réformes sont impopulaires,
07:38on doit avoir enfin des lois à l'image de notre pays,
07:42de son développement, de son image à l'international.

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