L'année 2025 sera-t-elle meilleure que 2024 sur le plan politique ? Pour répondre à cette question Bruno Cautrès, politiste et chercheur CNRS au CEVIPOF, Chloé Morin, politologue et Frédéric Dabi, directeur général Opinion Ifop sont les invités du 8h20 de France Inter.
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00:00L'année 2025 sera-t-elle moins pire, si j'ose dire, que 2024 sur le plan politique ?
00:06Trois invités pour en parler ce matin, Chloé Morin, Bruno Cotteres et Frédéric Dhabi.
00:10Bonjour à tous les trois.
00:11Bonjour.
00:12Et bonne année à vous.
00:13Chloé Morin, vous êtes politologue, Bruno Cotteres, politiste, chercheur CNRS au CIVIPOF,
00:18le centre de recherche politique de Sciences Po, et Frédéric Dhabi, directeur général
00:21opinion du groupe IFOP.
00:23Le standard est ouvert pour vous, auditeurs d'Inter, 0, 1, 45, 24, 7000.
00:29Et vous pouvez aussi, vous le savez, nous écrire sur l'application de France Inter.
00:32Avant de se projeter vers 2025, encore faut-il digérer 2024, cette dissolution en particulier,
00:40qui a apporté, a dit Emmanuel Macron hier soir, plus de division que de solution et
00:44produit plus d'instabilité que de sérénité.
00:47Qu'avez-vous pensé de ce mea culpa, Chloé Morin ?
00:51Je pense que déjà, beaucoup de gens pensaient qu'ils ne pouvaient pas aller jusque là,
00:56parce que c'est vrai que l'image d'Emmanuel Macron, c'est d'être quelqu'un de très
00:59orgueilleux qui ne reconnaît jamais ses erreurs, donc il est allé assez loin par rapport à
01:05ses standards personnels dans le mea culpa, et ensuite, il ne manque pas de souligner
01:11le fait que la répartition des sièges à l'Assemblée nationale ne sont pas le fruit
01:17de son bon vouloir, mais du vote des Français, et que donc la raison pour laquelle les parlementaires
01:22aujourd'hui ne s'entendent pas, n'est pas uniquement liée à lui et à sa dissolution,
01:27mais aussi au fait que les Français aujourd'hui sont divisés, et profondément divisés.
01:31Frédéric Dhabi, il n'était jamais allé aussi loin, sans doute, le président, dans la contrition ?
01:36Il avait commencé au lendemain de la censure de Michel Barnier dans son intervention télévisée,
01:41il avait fait un petit acte de contrition, là, c'est tard.
01:43Mais il avait dit à l'époque, je n'assumerai pas les responsabilités des autres.
01:47Tout à fait, là, il est allé encore plus loin, c'est extrêmement rare, en plus s'agissant
01:51de l'exercice rituel du 31 décembre, j'ai relu les voeux de Jacques Chirac du 31 décembre 1997,
01:56le mot « dissolution » n'est absolument pas fait prononcer, il dit seulement qu'un nouveau
02:00gouvernement met sa politique en place et qu'il sera le garant de la liberté et de la solidarité.
02:04Rien à voir avec ça, c'est un vrai, mais à coup de pas, même si, quand on garde le fond,
02:08quand il dit « si j'ai dissous », c'était pour vous redonner la parole, justement,
02:12dans les enquêtes qualitatives, là où le bas blessait, c'est que les Français disaient
02:15« mais on vient de s'exprimer, lors des élections européennes, de manière très nette,
02:19où les Français sont allés voter assez fortement, et les résultats étaient nettes ».
02:22Mais c'est vrai que c'est vraiment le fait majeur de cette allocution du 31 décembre,
02:29c'est ce « mais à coup de pas », même si je doute que ça suffise aujourd'hui, ici et maintenant,
02:34pour retisser un lien absolument distendu entre les Français et le Président.
02:39Ce que dit Emmanuel Macron, et Chloé Morin l'a évoqué aussi, Bruno Cotteres, c'est que
02:43l'Assemblée nationale est légitime et représentative.
02:47Il a acté, en quelque sorte, une perte d'une bonne partie de son pouvoir,
02:52c'est aussi une façon de dire cela ?
02:54Je ne dirais peut-être pas jusque-là qu'il a perdu une partie de son pouvoir,
02:57c'est vrai qu'il reconnaît l'erreur de la dissolution, quand même de bémol,
03:01il dit, il assume sa part de responsabilité, ça veut dire qu'il y en a une part chez les autres,
03:06et puis il dit « pour le moment », comme s'il laissait un petit peu la porte entre-ouverte.
03:10À l'heure qu'il est, elle a produit plus d'instabilité.
03:13On voit qu'éventuellement, à un moment donné, ça va produire.
03:15Alors effectivement, derrière, il enchaîne sur l'idée que l'Assemblée nationale est légitime,
03:20qu'elle représente la diversité des coins d'opinion dans le pays.
03:24On peut lire différemment, on peut lire de différentes manières.
03:27C'est peut-être une manière de dire qu'il n'entre pas dans son projet,
03:30il l'avait déjà dit, de dissoudre à nouveau l'Assemblée nationale,
03:33puisque celle-ci représente la diversité politique du pays, et elle est légitime.
03:38Est-ce que ça veut dire qu'il va jusqu'à reconnaître qu'il n'est plus aujourd'hui, lui,
03:42autant le maître du jeu qu'avant ?
03:45C'est peut-être aller vite en besogne, connaissant le chef de l'État ?
03:49En tout cas, c'est vraiment un paradoxe.
03:51C'est-à-dire que, d'habitude, quand on appelle les Français aux urnes dans les moments de crise,
03:57ça permet de dégonfler la pression et d'apaiser les choses.
04:03Là, c'est tout l'inverse qui s'est produit.
04:04C'est quand même très particulier.
04:07Et c'est d'autant plus bizarre qu'en réalité, la dissolution et les élections législatives
04:14ont produit une Assemblée qui, peut-être, n'a jamais été aussi bien représentative
04:19de la réalité politique du pays.
04:22Cette tripartition ?
04:23Jamais nous n'avons eu une Assemblée qui était à ce point représentative
04:29de ce que sont les Français dans leur diversité.
04:31Et pour autant, jamais nous n'avons été aussi frustrés par une élection.
04:36La façon dont je l'explique, c'est que justement, vu que la France est divisée en trois blocs,
04:42les trois blocs sont insatisfaits de ne pas avoir gagné les élections.
04:46L'URN pense qu'il s'est fait voler sa victoire.
04:49Et la gauche pense qu'elle s'est fait voler sa victoire puisqu'elle est arrivée en tête et qu'elle n'a pas…
04:54L'URN à cause du Front républicain.
04:56La gauche parce qu'Emmanuel Macron n'a pas nommé de Premier ministre.
05:00Et puis le bloc central, parce qu'il perd des députés en cours de route
05:04et que forcément, pour eux, c'est une défaite.
05:06Ce que dit Emmanuel Macron aussi et que l'on peut retenir de ses voeux, c'est une annonce.
05:11Je consulterai les Français, je vous demanderai de trancher certains sujets déterminants.
05:16Alors on pense tout de suite au référendum, mais l'Élysée dit « ce sera peut-être une convention citoyenne ».
05:21Il ne dit pas le mot justement. Tout est là, Frédéric Damy ?
05:23Tout est là, c'est la fin de son intervention.
05:25C'est une sorte de tripartition. Cette intervention, il revient sur l'année 2024.
05:29On est en continuité avec ses voeux du 31 décembre 2023, mais avec des images, un clip.
05:33Et là, de ce point de vue-là, il faut reconnaître que ses voeux étaient très innovants.
05:36Il le met à coup de pas sur la dissolution, qui est l'acte de rupture absolue entre les Français et lui.
05:40Et il finit par ses modes de consultation.
05:42Soyons prudents, c'est intéressant de dire ça pour 2025, 20 ans après le dernier référendum.
05:48Le fameux référendum du 29 mai 2005 sur le traité européen.
05:51Mais il l'a fait à de très nombreuses reprises, la promesse de référendum.
05:55Il l'a fait au Mans des Gilets jaunes, après le grand débat, lors de la campagne présidentielle de 2022
06:00et la dernière fois au moment des rencontres de Saint-Denis.
06:02C'est vrai que c'est une manière, peut-être pour lui, de relâcher la pression de dire « je vais vous consulter »,
06:06mais on sait ce que c'est qu'un référendum en France.
06:08On ne sommes pas en confédération helvétique.
06:10Souvent, l'émetteur, celui qui met en avant, qui organise ce référendum,
06:15peut se le prendre de manière boomerang et faire de ce scrutin un référendum contre le Président.
06:20Bruno Cotteres ?
06:21Deux points. D'abord, une convention citoyenne, ce n'est pas fait pour trancher.
06:24Ce n'est pas fait pour trancher, c'est fait pour délibérer.
06:27C'est fait pour faire apparaître des éléments, la richesse de la délibération,
06:32la confrontation de différents points de vue, éventuellement des points de consensus.
06:35Mais ce n'est pas fait pour trancher.
06:37Les conventionnels de la convention citoyenne sur le climat, d'ailleurs,
06:40n'entendaient pas à la fin dire « c'est nous, le législateur, qui allons trancher pour le pays ».
06:45Donc, je ne suis pas sûr que le verbe « trancher » corresponde bien à la situation de la convention citoyenne.
06:50Et deuxième point, la procédure de référendum, effectivement, il en a parlé plusieurs fois,
06:55mais s'il fallait aller sur des sujets de société, il faut rappeler que ça passe par une révision de la Constitution,
07:00car l'article 11 ne prévoit pas les sujets de société.
07:03On ne peut pas demander aux Français de voter sur l'immigration, par exemple,
07:08comme le demandent la droite et l'extrême droite.
07:10Voilà, ça passe par l'immigration.
07:12Il y a un sujet de discussion qui est tout dépendrait du texte, de la question,
07:15parce que l'article 11 prévoit qu'on puisse faire un référendum sur des questions économiques, sociales,
07:20donc tout dépendrait du contenu de la question.
07:22Mais la fin de vie, c'est clairement hors champ.
07:25Emmanuel Macron cherche-t-il à se donner de l'air, se donner un peu de champ,
07:29comme vous le disiez Frédéric Dhabi, en évoquant cette piste de référendum ou de convention citoyenne ?
07:37On verra cela.
07:37Mais en l'état actuel du paysage politique, on pressent que 2025 sera rythmé par trois mots.
07:42« Censure », « dissolution », « démission ».
07:45On va les passer en revue.
07:47« Censure » d'abord.
07:48Le gouvernement Bayrou peut-il tenir ? Comment ?
07:50Chloé Morin.
07:52En tout cas, il a les mêmes atouts et les mêmes faiblesses que le gouvernement de Michel Barnier.
07:58C'est-à-dire que François Bayrou n'a pas réussi à élargir son assise à gauche
08:04en ouvrant des discussions franches avec les socialistes pour aboutir à un accord de non-censure.
08:12Ça ne veut pas dire que ces discussions-là n'auront jamais lieu.
08:16C'est-à-dire que s'il arrive un jour en disant « on va vraiment renégocier la réforme des retraites,
08:21et par ailleurs j'ouvre la possibilité d'alourdir la fiscalité sur les plus riches par exemple »,
08:26on peut imaginer que les socialistes tendent à nouveau la main.
08:28Mais pour l'instant, son assise est exactement la même que Michel Barnier.
08:32Et donc, il est tributaire du bon vouloir de Marine Le Pen, exactement de la même manière.
08:37La question de la censure, c'est aussi celle du budget.
08:40Ce n'est pas seulement celle de la survie du gouvernement.
08:44Est-ce que les partis, aujourd'hui, le parti socialiste en particulier,
08:49peuvent se permettre vis-à-vis de leurs électeurs de laisser une France,
08:54non pas sans budget, mais en tout cas avec un budget 2024 reconduit sur 2025 ?
09:00C'est vrai que cette crise politique que nous vivons, qui est complètement inédite sous la Ve République,
09:06c'est le reflet aussi de l'éclipse du politique.
09:08Les Français n'attendent plus grand-chose des élus à l'échelle nationale,
09:12puisqu'ils voient que rien ne bouge que la promesse du politique.
09:15C'est-à-dire, en contrepartie d'un vote, le pouvoir contribue à faire voter des lois,
09:20changer d'avis, transformer le quotidien.
09:22Le PS est un parti de gouvernement.
09:25Peut-être que c'est lui qui a la clé de la sortie de cette crise.
09:30Maintenant...
09:30À condition que François Bayrou accède à certaines demandes.
09:34Mais vous avez tout à fait raison.
09:35C'est vrai qu'entre le gouvernement Barnier et le gouvernement Bayrou,
09:39il y a une vraie différence.
09:41C'est plus de poids lourd dans le gouvernement Bayrou, plus d'incarnation.
09:44Mais le vrai point commun, c'est que c'est la même assise parlementaire minoritaire
09:51qui fait que deux tiers des Français, en cas d'ifop JDD,
09:54ont intériorisé que ce gouvernement risquerait d'être touché par une motion de censure.
10:00C'était trois quarts pour le gouvernement Barnier.
10:02Justement, une question à ce sujet de Didier, au Standard de France Inter.
10:07Bonne année à vous Didier, on vous écoute.
10:08Merci, bonjour à tous, et on va se souhaiter un bon jour de l'an,
10:11avant de vous nommer, parce qu'on ne s'aime pas trop.
10:14Écoutez, tout vient d'être dit.
10:16En fait, M. Macron a réussi une chose,
10:19c'est que les Français soient en perte totale de confiance dans leurs élus.
10:24On a eu des scènes épouvantables, et ça c'est dramatique,
10:27parce que ça va faire le bonheur d'extrêmes qui sont quand même dangereux.
10:34C'est ça le plus grave, parce que l'avenir du président, on s'en fout.
10:37Mais c'est surtout cette perte de confiance dans les élus
10:40qui est quand même dramatique, parce que ça va se solder
10:43par de l'abstention massive ou un vote dont on connaît bien le résultat.
10:49Didier, merci beaucoup.
10:51C'est le principal danger qui guette la politique, la démocratie française.
10:56Bruno Cotteres se désintéresse à cette rupture.
10:58C'est plus qu'un danger, au fond, les paroles que viennent de prononcer Didier
11:02montrent que c'est là, effectivement, déjà, le regard que portent les Français
11:06sur la politique est un regard extrêmement négatif aujourd'hui.
11:10Et on est peut-être passé du regard négatif à un regard totalement désabusé.
11:15On entend de plus en plus, effectivement, de Français qui votent,
11:18qui n'auraient jamais imaginé ne pas se déplacer pour des élections,
11:21dire la prochaine fois, vous faites 100 mois, c'est terminé.
11:23Voilà, avec mon collègue et ami Luc Rouband, on a publié récemment un article
11:28et on disait que les Français les regardaient comme une caste gesticulatoire.
11:32Le mot est peut-être un peu excessif,
11:34mais c'est vrai que dans nos enquêtes, c'est un peu ça qui ressort.
11:36Les gens voient le politique comme une espèce de club fermé,
11:39de gens qui font de très beaux discours, etc.
11:43Mais, au fond, avec un impact sur leur difficulté à eux,
11:47extrêmement réduit. Je note que dans les vœux du chef de l'État hier,
11:51il y a tout un répertoire qui manque.
11:53Le mot social, zéro fois. Le mot inégalité, zéro fois.
11:56Le mot peuple, zéro fois. Le mot travail, quatre fois.
11:59Mais c'est vrai, sous un angle très macronien.
12:01Vous parliez de ce sentiment que l'action politique n'a plus d'effet sur le quotidien des Français.
12:07Je voudrais qu'on parle quand même de ce qui marche, notamment l'action des élus locaux.
12:10On va en parler un tout petit peu plus tard, mais Frédéric David, vous vouliez intervenir ?
12:13C'était ça, oui. Ce qui vient d'être dit sur la défiance, elle n'a jamais été aussi forte.
12:18Mais effectivement, dans ce contexte d'étanchéité absolue entre sa politique locale et nationale,
12:24il y a d'un côté cette crise du politique à l'échelle nationale,
12:27et localement, jamais les Français n'ont eu une telle confiance, un tel crédit, vis-à-vis notamment du maire.
12:33L'IFOP réalise beaucoup d'enquêtes à mi-mandat dans la perspective de mars 2026,
12:37qui doit être en principe la prochaine élection,
12:39mais personne ne peut être sûr de ça avec le risque d'une dissolution.
12:43Mais la question de la confiance à l'égard des élus locaux est absolument tranchée.
12:48On a des élus locaux qui sont perçus à l'écoute, sur le terrain, connectés,
12:52et qui, eux, parviennent à réenchanter la promesse du politique,
12:55à changer la vie, à transformer le quotidien des Français.
12:58D'un côté, il y a l'éclipse du politique à l'échelle nationale,
13:01de l'autre, il y a un vrai plébiscite pour les maires,
13:03même si la contrepartie, c'est un niveau d'exigence des Français sur le terrain jamais vu.
13:07Et le service politique de France Inter, je le signale,
13:10s'efforce de mettre en lumière, de mettre en valeur ces actions du quotidien,
13:15qui peuvent être parfois vues comme insignifiantes au niveau national,
13:21mais qui changent réellement la vie des Français.
13:23On essaye de le faire entendre à l'antenne de France Inter, jour après jour.
13:27On a parlé de censure.
13:29Chloé Morin, je reviens à l'Assemblée Nationale.
13:31On a parlé de censure, parlons de dissolution.
13:33Emmanuel Macron va-t-il être contraint et forcé, quoi qu'il en dise,
13:38de dissoudre à nouveau à l'été prochain ?
13:40Je pense qu'il voudra absolument éviter cette option-là pour une raison simple,
13:47c'est que je ne sais pas ce qu'il fera s'il perd à nouveau cette élection-là.
13:53C'est très compliqué, derrière, de dire que j'ai été désavoué,
13:57une fois, deux fois, trois fois.
14:00Donc il se mettrait personnellement en danger,
14:03et il enclencherait sans doute une dynamique assez dangereuse.
14:07Et donc, pour cette raison-là, je pense qu'il va essayer de jouer la stabilité.
14:12Je pense qu'en plus, essayer de dire aux députés,
14:16il n'y aura pas de dissolution, donc vous n'allez pas rentrer en campagne dans les mois qui viennent,
14:21c'est aussi une manière, peut-être, de les aider à avoir un peu de courage dans le vote du budget.
14:26Parce que je pense que c'est aussi la perspective de la dissolution qui nous empêche de voter un budget
14:30qui rentre dans les clous de ce qu'on a promis à Bruxelles.
14:34Un député qui est en campagne n'a pas envie de voter des mesures impopulaires.
14:38Et donc, si on se dit qu'il n'y aura pas de dissolution avant 2027,
14:43ça peut aussi, peut-être, essayer de nous permettre de régler nos problèmes,
14:47enfin, de régler, non, mais en tout cas, de voter un budget raisonnable, on va dire.
14:53C'est cette perspective, effectivement, de nouvelles élections.
14:57L'obsession de la présidentielle aussi, Frédéric Dhabi, qui empêche tout compromis, pour l'instant ?
15:03Oui, sans doute. C'est vrai que la dissolution, ça a été bien dit,
15:08ça serait une catastrophe pour Emmanuel Macron, parce que ça le mettrait plus que jamais en première ligne.
15:12Autant les Français, dans les enquêtes qualitatives de l'IFOP, ne parlent quasiment jamais,
15:16ni bien jamais, spontanément, d'une démission, d'un départ du chef de l'État.
15:20Ils sont dans une logique d'agenda qui est l'agenda de 2022-2027.
15:24Autant l'idée qu'on ne pourra pas, ne pas, j'utilise une double négation à dessein,
15:30éviter une nouvelle dissolution, émerge des propos.
15:33Parce que que nous disent les Français ?
15:36Qu'est-il sorti de la chambre du 7 juillet, des résultats du 7 juillet ?
15:40Un RN qui a été battu nettement au second tour par le Fonds républicain.
15:43Un Bloc central qui a été sanctionné comme, classiquement, un pouvoir est sanctionné à une élection intermédiaire.
15:51Et, mais également, une gauche qui est certes arrivée en tête, mais qui est à 100 sièges de la majorité absolue.
15:57C'est ces résultats, si je puis dire, introuvables, qui sont au cœur de la crise du pays,
16:01avec comme acte lourd, bien sûr, cette dissolution.
16:03Bruno Cotteres ?
16:03Oui, c'est le sentiment que beaucoup ont dans le pays, d'une sorte d'impasse, presque totale.
16:08Presque totale, on ne voit pas la voie de sortie.
16:10Effectivement, ça vient d'être rappelé, le Nouveau Front populaire gagne les législatives en siège, au terme d'un Front républicain.
16:18Mais si on prend les trois grands enseignements des élections législatives,
16:21un, le Rassemblement national, certes, perd en siège, mais gagne en voie les deux tours.
16:26Les deux tours, il arrive en tête en voie, les deux tours, il ne gouverne pas.
16:29Le Nouveau Front populaire arrive en tête en siège au deuxième tour, ne gouverne pas.
16:34Et le Front républicain, qui est au fond le périmètre fondamental du deuxième tour, ne gouverne pas non plus.
16:41Et non seulement le Front républicain ne gouverne pas,
16:44mais un des acteurs du Front républicain, la France insoumise,
16:47on dit régulièrement dans le discours politique qu'il n'appartiendrait pas à l'arc républicain,
16:52alors même qu'il a fait partie du Front républicain, donc plus personne ne comprend rien.
16:55Il y avait d'ailleurs un article très intéressant dans le journal l'Opinion, hier,
16:59sur ces mots « l'arc républicain » et autres, ces mots du vocabulaire politique
17:05qu'on a énormément utilisé, cette année, nous-mêmes, pour tenter d'expliquer la situation
17:10et que les Français, qui ne parlent absolument pas au français, que personne ne comprend.
17:13Vous évoquiez, Chloé Morin, le risque pour le chef de l'État de la dissolution,
17:18en cas de défaite, à nouveau aux législatives, qui l'amènerait à la menace de la démission.
17:23C'est le troisième mot que je voulais évoquer.
17:25Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon sont déjà en embuscade
17:27pour une présidentielle anticipée.
17:30Est-ce que la question de la démission va se poser avec de plus en plus d'insistance
17:33pour Emmanuel Macron, en 2025 ?
17:35Déjà, je pense qu'il ne faut jamais oublier que la démission, c'est d'abord un terme
17:41qui a été introduit dans nos débats politiques par des opposants à Emmanuel Macron,
17:46et notamment la France insoumise, qui ont parlé de destitution,
17:49qui ont même enclenché une procédure de destitution.
17:51Donc, le mot « démission » s'est répandu comme un poison lent dans notre débat public,
17:58alors que, comme le disait Frédéric à l'instant, ça ne correspond pas, en dépit du fait
18:04qu'Emmanuel Macron est très impopulaire, ça ne correspond pas spontanément à l'issue
18:08que les Français souhaitent donner à la situation actuelle.
18:13Et donc, c'est un peu une prophétie autoréalisatrice que les Insoumis ont enclenchée.
18:18Donc, on en parle de plus en plus, on sonde les Français dessus, on en débat, et ce
18:23qui est assez intéressant, c'est de voir à quel point ce mot est une arme politique
18:34faite pour accélérer la décrédibilisation du Président de la République.
18:38Ce qui est paradoxal, c'est que ce mot soit utilisé, pour certains, par ceux-là même
18:43qui souhaitent accéder à l'Élysée.
18:45C'est une manière, quelque part, de scier par avance la branche sur laquelle ils souhaitent s'asseoir.
18:49C'est-à-dire qu'un Président de la République qui aurait comme prédécesseur un Président
18:53de la République qui est à démissionner, serait immanquablement poussé, lui aussi,
18:59par ses opposants à la démission.
19:00Donc, on enclencherait un cercle vicieux qui me semble assez terrifiant.
19:06Un jeu dangereux, Frédéric Dhabi ?
19:08Je ne sais pas dire s'il est dangereux ou pas, mais ce que dit Chloé est absolument implacable.
19:12C'est vrai que, moi, je suis frappé par le décalage entre, effectivement, la destitution,
19:17la démission, qui a été avancée surtout dans le champ politique par les Insoumis.
19:21En même temps, jusque dans l'entourage d'Emmanuel Macron, certains disent qu'il s'est mis
19:27lui-même dans cette situation.
19:29C'est clair que quand on a provoqué cet acte de rupture absolue, l'IFOP suit la popularité
19:35présidentielle depuis le début de la Ve République avec le baromètre JDD, jamais
19:39un acte présidentiel n'a été, je ne dis pas aussi rejeté, aussi incompris.
19:43La dissolution de Jacques Chirac avait finalement échoué, mais elle avait été comprise aussi.
19:48Ça n'a pas été un acte de rupture absolue, au contraire.
19:51Mais c'est vrai que les Français ne sont pas sur ce terrain-là.
19:55Les Français sont sur un terrain utilitariste vis-à-vis du politique qui doit transformer
19:59le quotidien, changer la vie.
20:01Et c'est vrai que j'ai rarement vu un ton des Français, des mots aussi virulents vis-à-vis
20:06d'un chef de l'État.
20:07Je me souviens du rejet de Nicolas Sarkozy, mais il avait des soutiens très forts, il
20:11avait du rebond.
20:12François Hollande, il y avait une sympathie pour l'homme qui restait quasiment jusqu'à
20:15la fin de son mandat, en plus avec sa non-candidature.
20:18Pour Emmanuel Macron, on ne voit pas les conditions du rebond loin de là, on reste vraiment sur
20:22un terrain très plat en termes de rebond.
20:24Mais le fait de dire « il doit partir » n'est évoqué que très marginalement dans les
20:29enquêtes qualitatives.
20:30Alors justement, parlons des motifs d'espoir et de ce qui intéresse les Français au quotidien.
20:35Vous dites Frédéric Dhabi que la société française est moins fracturée qu'il n'y
20:40paraît, en tout cas que les Français se retrouvent sur leurs besoins, leurs attentes
20:44du quotidien.
20:45On parlait de l'action des élus locaux, des maires, il y a la société civile aussi,
20:50des vérités un peu partout, de s'investir de plus en plus en dehors du champ politique
20:56institué, classique.
20:57C'est ça qui peut nous donner espoir pour 2025 Bruno Cotteres ?
21:00Sans doute, il faut l'espérer, c'est clair que toutes les études sociologiques faites
21:04sur le sujet montrent qu'il y a des réservoirs dans la société française, du côté de
21:08la société civile et du point de vue des capacités de s'engager sur des causes spécifiques.
21:13Peut-être qu'on est aujourd'hui moins idéologues, moins partisans qu'il y a 20, 30, 40 ans,
21:18sans aucun doute.
21:19Par contre, le réservoir, la possibilité de s'engager de manière peut-être plus
21:26court-termiste, qui ne s'engage pas forcément sur des années, existe vraiment.
21:33Sans prendre une carte quoi.
21:35J'en veux pour preuve, par exemple, l'ampleur au niveau du terrain de l'écologie, de tout
21:42ce qui se passe dans la société civile.
21:44Il y a une multitude absolument incroyable d'associations de la société civile qui
21:48s'en occupent.
21:49J'en veux pour preuve aussi le rebond d'adhésion qu'on a eu dans les syndicats au lendemain
21:55des grèves et des manifestations sur la réforme des retraites.
21:58Reste à voir si c'est quelque chose qui est pérenne.
22:01Et puis le rebond de confiance, effectivement, par exemple, dans les acteurs syndicaux qu'on
22:05a eu dans nos enquêtes d'opinion.
22:06Chloé Morin, je reviens à la question telle que je la posais, de manière un peu simpliste
22:13forcément au début du débat, mais est-ce que l'année 2024 peut-être moins pire, l'année
22:192025 pardon, peut-être moins pire que l'année 2024 ?
22:22Vaste question, et grâce à cela justement.
22:26Ce qui est fascinant dans le paysage politique actuel, c'est qu'on repousse sans cesse les
22:32limites du vraisemblable.
22:34Et on a l'impression, de plus en plus, de vivre dans une série télévisée, une fiction
22:40politique, et d'ailleurs on a dépassé, je veux dire, ce que nous vivons depuis quelques
22:44mois, n'aurait pas été jugé crédible dans une série politique.
22:47Donc je pense qu'on peut continuer à repousser ces limites-là.
22:53Si on en croit, Emmanuel Macron, impossible n'est pas français, donc je serai assez prudente
22:59sur notre capacité à retourner dans les bornes du raisonnable pour l'année qui vient.
23:06Une question rapidement Frédérique Dhabi, même si elle nécessiterait un grand entretien
23:12entier, sur la 5ème République, est-ce que cette année peut-être celle d'un sursaut
23:16ou au contraire le début d'un processus qui nous amène à autre chose, une autre organisation
23:22de notre vie démocratique ?
23:23Alors c'est une question que les français ne se posent pas dans les enquêtes qualitatives.
23:27Il reste sur le discours spontané, l'idée d'un changement de République n'émerge
23:31pas, quasiment jamais, mais c'est vrai que pour la première fois, on a une 5ème République
23:37qui a résisté à tout, à la cohabitation, à des majorités relatives.
23:41On est, pour reprendre ce que vous dites B.Cotteres, sur un blocage, une impasse, mais je le répète,
23:47les français attendent que le politique bouge sur la santé, l'éducation, sur les services
23:51publics, sur les vraies questions qui les intéressent.
23:53Merci à tous les trois, Frédéric Daby, directeur général opinion du groupe IFOP, co-auteur
23:57avec Bruno Soccold de « Parlons-nous la même langue ? Comment les imaginaires transforment
24:01la France ? » aux éditions de l'Aube, Bruno Cotteres, merci également, chercheur
24:05CRNRS au Cevipof et Chloé Morin, politologue, votre prochain essai « La broyeuse, les coulisses
24:11de la décomposition médiatique » va paraître à la fin du mois, fin janvier, aux éditions
24:15de l'Observatoire.
24:16Merci à tous les trois, très bonne journée et très bonne année.